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Vers une spiritualité engagée Jean 9 : 19-27 |
Introduction :
La fois dernière, nous avons revisité le miracle de l’aveugle de naissance dans l’évangile de Jean. Nous allons poursuivre nos observations afin que chacun et chacune en tirent le meilleur pour sa vie. A partir du verset 17 de l’évangile de Jean s’amorce un élargissement du profil des sceptiques du miracle. Les Pharisiens vont une dernière fois le questionner : « Toi, que dis-tu de lui ». Autrement dit : « Que penses-tu de cet homme appelé Jésus ? ». Nous sommes en présence d’un sondage d’opinion risqué. Mais l’homme guéri n’hésite pas une seconde. Il répond : « c’est un prophète ». La connaissance de son bienfaiteur fait référence à ce qu’il sait de Moïse, Elie, Elisée. Les hauts faits de ces hommes sont suffisamment présents dans son esprit pour qu’il soit au clair sur l’origine de son miracle. A partir de cet instant tout bascule. Devant sa conviction déterminée les Pharisiens n’ont plus qu’un dernier recours : convoquer ses parents.
Après les voisins, les Pharisiens, ce sont les Juifs qui ne croient pas dans un premier temps. Nous assistons là à un phénomène de propagation de l’incrédulité. Par extension ces Juifs symbolisent un peuple, qui lui-même représente l’humanité incroyante. Le texte nous dit qu’il y eut division parmi eux. Toutefois, ces membres du peuple juif vont être placés devant une évidence difficilement contestable : le témoignage des parents du miraculé (tout comme ils le seront devant la résurrection du Christ).
Développement :
Ainsi, comme dans un tribunal, nous assistons à la convocation et à l’interrogation des parents dont l’enfant avait été frappé de cécité dès sa naissance. Le texte nous donne l’impression que ces parents n’ont pas encore revu leur fils voyant, puisque leur fils est là attendant qu’ils arrivent et le reconnaissent. On passe sous silence tout rapport émotionnel (nous sommes dans l’analyse légale des faits) mais il faut aussi essayer d’imaginer la rencontre. (Gardons à l’esprit la question première des apôtres : « Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jean 9 : 2, version LSG).
V. 19, « Et ils les interrogèrent en disant : Celui-ci est-il votre fils dont vous dites qu’il est né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? », trad. Libre.
Deux questions qui attendent deux réponses pas si faciles à donner. Pourquoi ?
Parce que cette convocation semble publique et que ces questionneurs étaient
craints. Le texte suivant va le confirmer. Et puis, la formulation est soupçonneuse. Elle traduit leur état d’esprit. Ils veulent trouver des éléments à charge contre Jésus. Dans l’original la question est formulée de telle sorte qu’elle laisse supposer que le dire des parents est douteux, qu’il a besoin d’être confirmé. « Votre fils dont vous dites qu’il est né aveugle ». C’est le dire des parents qui semble remis en question. C’est un peu fort !
Placé devant l’évidence que cet homme voyait correctement, c’est bien la deuxième question des Juifs qui pouvait être redoutable ! Ces retrouvailles qui normalement devaient réjouir les parents pouvaient se transformer en cauchemar ! Coincés par ces inquisiteurs, il valait mieux botter en touche comme dirait un commentateur sportif. Et c’est ce qu’ils ont fait, mais pas n’importe comment...
V. 20-21 « Ses parents répondirent alors et dirent : Nous savons que celui-ci est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment il voit maintenant, nous ne le savons pas ; ou qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas. Il a de l’âge, interrogez le lui-même, il parlera de lui-même », trad. Libre.
Les parents assument. Ils reconnaissent leur fils et attestent bien qu’il est né aveugle. Malgré la pression, ils sont restés dignes. Mais comment la guérison s’est produite, et par qui elle s’est réalisée, ils sont dans l’incapacité de répondre. Devant les faits, leur seul recours est de responsabiliser leur fils. En valorisant sa parole, ils utilisent un moyen détourné pour manifester leur affection à leur enfant. Dans l’original grec, la répétition de « lui-même » renvoie à la confiance qu’ils placent en leur enfant. De plus, leur démarche avait pour finalité de se mettre en marge de ce procès à ciel ouvert. La suite du récit confirme cette analyse.
V. 22-23 « Ses parents dirent cela de lui, car ils craignaient les Juifs ; en effet les Juifs avaient déjà convenu que si quelqu’un confessait Christ, il serait exclu de la synagogue. C’est pour cela que ses parents dirent : Il a de l’âge, interrogez-le », trad. Libre.
Voilà ! La situation est plus claire maintenant. Le texte lui-même apporte des éléments d’appréciation que nous avions déjà pointés. Les parents se sont défaussés de leur responsabilité par peur d’être exclus et rejetés. Ils craignaient les Ιουδαῖος = Ioudaios (Juif, appartenant à la race juive, Juif au regard de la naissance, la race, la religion). Ces Juifs étaient détenteurs de l’autorité religieuse. Dans cette colonie administrée par Rome, ils dépendaient directement du pouvoir impérial. Il faut savoir que l’exclusion de la synagogue équivalait à un acte de rébellion du pouvoir romain. Les autorités religieuses qui avaient prêté allégeance à l’empereur étaient, elles aussi, détentrices d’un pouvoir ou le spirituel et le temporel ne faisaient qu’un, tant en Galilée qu’en Judée. Ces responsables juifs étaient viscéralement sensibles à toute manifestation qui pouvait donner du crédit à une réalité messianique. En effet, si les actions du Christ pouvaient être perçues comme étant subversives contre le pouvoir romain, ces Juifs, fonctionnaires religieux à la solde de Rome, pouvaient être destitués et même bannis. Dès lors on comprend mieux leur comportement…
Le miraculé va désormais être confronté à une autre solitude plus dangereuse que sa condition première d’aveugle…
V. 24 « Ils appelèrent l’homme qui était aveugle une seconde fois et lui dirent : Donne gloire à Dieu ; nous savons que cet homme est pécheur », trad. Libre.
Les Pharisiens rappellent le miraculé une seconde fois. Face à l’évidence, ils sont dans l’impossibilité d’accueillir et de reconnaître les faits avérés par les parents. Cela peut nous paraître énorme, mais n’avons-nous pas parfois un comportement semblable ? Pour toutes sortes de fausses bonnes raisons, fruits de nos ambitions, de nos complexes, d’une tradition, de notre éducation, ou tout simplement de notre orgueil, ne nous arrive-t-il pas de nier l’évidence qui nous permettrait de voir plus clair en nous-mêmes ?
Il faut dire qu’en soubassement est posé le problème de l’autorité. Il était important devant tous, que cet homme se rétracte, et même condamne celui qui avait réalisé son prodige. Cette guérison miraculeuse mettait en péril leur enseignement. Or, ce dernier ne souffrait d’aucun compromis. Aux yeux des Juifs, Jésus était un imposteur. Ces censeurs étaient prisonniers de leur propre logique. Ils leur étaient impossible de sortir de leur cadre de référence. Si leur autorité n’était pas reconnue, on pouvait les rendre complices d’un enseignement séditieux.
De nos jours le langage de vérité est tout aussi difficile à tenir. Que de personnes sont obligées de nier les évidences pour se maintenir à leur poste. En politique, au travail, dans les relations humaines, partout en responsabilité, des sièges éjectables sont en bon état de marche. La spiritualité n’est pas étrangère à ce débat… Dans certaines circonstances sans la grâce divine qui nous fait don de l’humilité, il nous est impossible d’éviter le piège du compromis…
Dans le récit de Jean, le miraculé est sommé de rendre gloire à Dieu en niant l’autorité du Christ, son bienfaiteur, son libérateur. Il doit s’aligner sur la position de ceux qui détiennent l’autorité religieuse. On mesure mal la pression psychologique à laquelle il a été soumis ! Que va-t-il répondre ?
V.25 « Il répondit : S’il est pêcheur, je ne le sais pas ; je sais une chose : J’étais aveugle, maintenant je vois », trad. Libre.
Cette réponse fait partie des joyaux de l’évangile ! Quelle simplicité ! Quelle puissance ! Quelle audace ! Elle est tout simplement sublime. Cet homme rayonnant rend témoignage avec un naturel époustouflant. Dans sa bouche aucune violence, aucune esquive. Il reste debout, bien présent, fidèle à lui-même. Il fait face à l’intimidation avec foi et courage en s’appuyant sur la grâce qu’il a reçue. La lumière qui a rempli ses yeux et son cœur a banni les ténèbres, la peur et les menaces. Son assurance est apparue comme un phare dans la tempête, quand les éléments déchaînés menaçaient sa vie. Ne nous y trompons pas : cette force et ce courage lui ont été donnés par Dieu, (Voire Luc 21 : 12-19). Observons que le « nous savons » des Pharisiens vient heurter le « je sais une chose » du miraculé. Il ne conteste pas leur savoir de la thora, seulement il la marginalise et pose comme repère prégnant sa propre expérience. Tous leurs arguties viennent se briser contre sa conviction profonde. Sa pensée iconoclaste brise la vacuité de leurs raisonnements.
Le témoignage spirituel de cet homme reste une référence intangible.
Il symbolise la vraie marche vers la lumière qui dissipe nos ténèbres. Cette voie glorieuse qui nous permet de voir clair en nous-mêmes procède d’une rencontre avec l’auteur de toute grâce. Cette expérience personnelle demeure incontournable si nous voulons accéder à la vraie lumière qui éclaire nos vies. En cohérence, il nous faut rester debout, dire le vrai sans détour, dignement, simplement, humblement mais avec foi.
En regard de ce témoignage éloquent, on peut souligner une vérité vérifiable : Ce que l’on sait vraiment ne relève pas d’une transmission de savoir, mais d’une découverte de soi, fruit d’une rencontre avec l’auteur de toute grâce (« toute grâce excellente et tout don parfait descendent d'en haut, du Père des lumières, chez lequel il n'y a ni changement ni ombre de variation ». Jacques 1 : 17, version LSG).
Quiconque peut parler ainsi de sa vie n’a plus rien à craindre du regard ou du jugement des autres. Les menaces et pressions de toute nature n’ont plus d’emprise. Nous sommes en marche vers la lumière, celle qui éclaire vraiment notre for intérieur. Ce miraculé anonyme est sûr de la conviction qui l’habite. Il va oser l’improbable et prendre lui-même l’initiative de l’interrogatoire.
V.26-27 « Ils lui dirent : que fit-il de toi ? Comment ouvrit-il les yeux ? Il leur répondit : Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté : Pourquoi voulez-vous l’entendre à nouveau ? Est-ce que vous aussi vous voulez devenir ses disciples ? », trad. Libre.
En général dans la vie, quand nous décidons de ne plus subir, et que nous prenons l’initiative de nos choix, les choses changent…et nous grandissons.
A ce moment du récit, l’intérêt repose sur le clivage qui s’établit d’un coup : c’est l’interrogé qui interroge ! Cela veut dire beaucoup... La caractéristique de la foi rayonnante et attractive met, en évidence, la capacité de dire non. Non à l’agression, non aux accusations, non à tout ce qui s’oppose à la foi, fruit de la vraie rencontre avec Christ. En quoi cela est-il important ?
Apprendre à dire non révèle en relation des valeurs essentielles :
- Le respect de soi, l’estime de soi. Nous ne pouvons agir en cohérence avec notre prochain que si nous vivons déjà pour nous cette réalité.
- La volonté de grandir en se donnant les outils de sa propre autonomie. Quand nous vivons dans le mimétisme du comportement des autres, notre vie est-elle bien « la nôtre » ? Nous n’avons pas à être façonnés, conditionnés par la pensée même de nos proches. La maturité est une revendication positive de notre marche vers l’autonomie. Plus nous serons libres dans nos convictions essentielles, plus nous serons un enrichissement pour notre entourage, nos amis, nos contacts divers. C’est ainsi que je comprends la parole de Jésus : « Ce sont les violents qui s’emparent du royaume des cieux » Matthieu 11 : 12.
- L’affirmation de vivre autrement. La foi témoigne d’un déplacement et d’un dépassement. C’est la voie la plus satisfaisante qui conduit à la sérénité. La foi fruit de l’esprit est une grâce qui procède d’une rencontre authentique. Elle nous fait accéder par-delà nos ténèbres à la vraie lumière. L’apôtre Jean rédige son évangile en précisant : « cette lumière (Christ) était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme » Jean 1 : 9, version LSG. (φωτίζω = photizo = éclairer : 1) donner de la lumière, briller 2) éclairer, illuminer 3) apporter à la lumière, rendre évident 3a) faire que quelque chose existe et ainsi vienne à la lumière et devienne clair pour tous 4) éclairer spirituellement, imprégner de la connaissance qui sauve 4a) instruire, informer, enseigner 4b) donner de la compréhension sur…).
C’est parce le miraculé est inondé par cette lumière qu’il a l’audace d’interpeller ces fonctionnaires religieux détenteurs de la bonne lecture de la thora. Sa prise de parole est une vraie libération (la Samaritaine vivra elle aussi une telle expérience, cf. Jean 4). C’est la quatrième fois que l’homme témoigne et c’est lui qui va clore le débat. Puisque ces opposants ne veulent rien entendre, il ponctue son témoignage par une question avec une pointe d’ironie et un zest d’humour : « Est-ce que vous aussi vous voulez devenir ses disciples ? ». Mais à notre tour, rien ne nous empêche aujourd’hui de prendre cette invitation avec sérieux !
Conclusion :
Le vibrant témoignage de ce voyant clair anonyme est riche en instructions pratiques. Il nous redit que l'expérience personnelle, face aux épreuves, a la vertu de nous faire grandir. En cohérence avec la foi, cette expérience a pour instruction de nous convaincre de ne pas redouter l’adversité. Le Seigneur lui-même nous encourage dans ce sens : « mettez donc dans vos cœurs de ne pas vous souciez à l’avance de votre défense car moi-même je vous donnerai une bouche, et une sagesse à laquelle vos adversaires ne pourront ni s’opposer ou contredire » Luc 21 : 14-15, trad. Libre.
Ajoutons que la foi appelle un certain courage. Il est plus facile de faire chorus avec la foule que d’affirmer sa différence et ses convictions. Quand la foi est investie par l’Esprit Saint, elle nous conduit sur le sentier de la clairvoyance. Elle détruit le caractère anxiogène du vrai combat spirituel. Devant ses contradicteurs-accusateurs, le miraculé n’a fait que redire le bienfait divin. La simplicité de son propos pertinent a confondu tous ses adversaires. Qui fait une telle expérience ne craint plus toutes les provocations de l’incrédulité. Loin de rechercher un débat contradictoire, il a voulu associer à sa joie ceux qui s’opposaient à lui (même si on peut l’entendre sous le ton de l’humour, voire de la provocation). Cette démarche éminemment chrétienne vaut son pesant d’or dans un monde en détresse.
Pourquoi ce héros de la foi est-il resté anonyme, si ce n’est pour que chacun et chacune s’identifie à son parcours initiatique et spirituel. Pour ma part cet anonyme, c’est moi désormais, et je veux reprendre à mon compte sa parole :
« Je sais une chose, c’est qu’avant j’étais aveugle, mais maintenant je vois ».
Ce que l’on ressent ne peut pas toujours s’exprimer par des mots. Aucune formulation ne peut atteindre la profondeur de la grâce divine.
« Une illumination soudaine semble parfois faire bifurquer une destinée. Mais l’illumination n’est que la vision soudaine, par l’Esprit, d’une route lentement préparée » Antoine De Saint-Exupéry
Jacques Eychenne
PS : LSG, version Louis Segond.