Les pièges de l'abondance

 

 

   Les pièges de   

    l’abondance

         ou

La parabole du riche insensé

   Luc 12 : 13-21

 

Introduction :

 

Le médecin Luc est le seul à rapporter la parabole ci-dessus mentionnée. Rappelons le contexte dans lequel le Seigneur est intervenu. Jésus passe ses derniers jours en Galilée. Il a auparavant fait une incursion dans le territoire de Tyr et de Sidon. Maintenant, il se dirige vers Jérusalem (il monte à Jérusalem comme on avait l’habitude de le dire. La ville, perchée sur un piton rocheux, est à 760m d’altitude). Avant d’aller dans la capitale, Jésus fait halte chez Marthe et Marie à Béthanie (petit village qui surplombe Jérusalem à l’Est). C’est certainement chez ses amis qu’il établit son quartier général faisant des allers-retours vers Jérusalem. Depuis quelques jours, les Pharisiens interrogent le Christ sur son enseignement et ses pratiques de guérison. Avec son franc-parler, le Maître dérange le correctement établi par les rabbins. Les Pharisiens relaient leurs messages. Le Seigneur va dénoncer leur hypocrisie. Il recommande à la foule qui l’écoute de ne pas être dupe de leur attitude. « Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie » Luc 12 : 1, version LSG. C’est dans ce contexte que le Seigneur va saisir une opportunité. C’est la question d’un homme du milieu de la foule qui va lui permettre de développer le sujet qui nous intéresse.

 

Développement :

 

Ainsi, après avoir mis en garde la foule et ses disciples, le Seigneur va répondre à un anonyme de la foule qui réclame son intervention pour régler un différend portant sur une succession d’héritage. Cet homme pose une question précise : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage » Luc 12 : 1, version LSG. Apparemment, l’interpellation de cet homme paraît légitime. Il met même les formes en reconnaissant, en Christ, un Maître. Pourtant, la réponse interrogative du Seigneur semble sans recours : « O homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ? » Luc 12 : 4, idem. Notons que cet anonyme pose une question précise à laquelle Jésus répond par un principe général. Il dictera sa conduite tout au long de son ministère. A Nicodème, le docteur de la loi, il déclarera : « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » Jean 3 : 17, vers LSG (propos réaffirmés en Jean 12 : 47). Ainsi, ce que le Seigneur nous invite à comprendre concerne le cœur de son engagement. Il est venu sauver le monde et non le juger !

L’expression : « ô homme » va au-delà d’un cas particulier. Cet homme en question symbolise notre humanité. (D’ailleurs certains exégètes ont traduit : ἄνθρωπος = anthropos par : humain. La langue française a hérité du mot : anthropologie. C’est la science qui étudie l’humain d’une façon holistique).

Le comportement du Maître révèle son enseignement. Il nous invite à imiter son exemple (cf. Matthieu 7 : 1 ; Luc 6 : 37 ; les apôtres feront de même : Romains 14 : 13 ; Jacques 4 : 12 ; 1 Corinthiens 4 : 5).

 

Jésus a refusé d’être juge d’une situation matérielle qui masquait des motivations que lui seul pourtant pouvait déceler. La suite du récit est révélatrice à cet endroit. A fortiori, il nous dit pourquoi l’humain peut difficilement juger son frère. Dieu seul possède les vraies motivations de chacun. Lui seul peut énoncer un vrai jugement. Qui pouvait percevoir l’hypocrisie des Pharisiens alors qu’ils constituaient le parti religieux le plus proche du peuple ? Qui pouvait sonder le cœur de Nathanael, de Nicodème, de la Samaritaine, de Marie ? Personne ! Sinon le Sauveur de notre humanité. Quand le Seigneur a déclaré : « mon règne (ou mon royaume) n’est pas de ce monde » Jean 18 : 36, il a clairement établi une distinction radicale entre l’ordre temporel et l’ordre spirituel. Pour tout ce qui relevait du droit, il y avait des juges pour cela. Jésus refuse de laisser place au doute. Il s’agissait d’être clair sur le sujet. Son ministère devait rester sur un terrain spirituel. Quand nous mélangeons les genres, nous nous plaçons sur une pente glissante !

La suite démontre que les motivations de cet homme n’étaient pas si pures que cela. On peut même se demander s’il aspirait, d’une façon désintéressée, à la justice du Christ ! Car Jésus poursuit avec ces mots : « Puis il leur dit : gardez-vous de toute avarice ; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, serait-il dans l’abondance » Luc 12 : 15, version LSG. Le Maître a saisi l’occasion pour dispenser à l’auditoire une vérité universelle.

 

Dans ce texte, il ne s’agit pas seulement de se prémunir de l’avarice ou de la cupidité, mais de toute cupidité. Le « tout » demeure toujours le problème de l’humain. On est capable de se passer de certains biens superflus, mais pas de tous. C’est la même exigence que nous retrouvons dans le shema Israël (cf. Deutéronome 6 : 5 ; 30 : 6) que le Seigneur rappellera aux Pharisiens : « Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ; et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force » Marc 12 : 29-30, version LSG. 

Ainsi, quand Jésus dit : « gardez-vous de toute avarice », il faut entendre le mot dans son sens original. En grec : πλεονεξία = pleonexia = est le désir d’avoir toujours plus. En français, la pléonexie est le désir d’avoir plus que les autres en toute chose. Cela dépasse la simple épargne ! C’est un sentiment pervers qui rend les personnes toujours insatisfaites et envieuses.

 

Pour quelle raison cette recommandation est livrée à cet auditoire d’avertis (les Pharisiens) dont font partie ses disciples ?

« Ce n’est pas du fait qu’un homme est riche qu’il a sa vie garantie par ses biens » Luc 12 : 15, version BFC. Quelle solennelle recommandation ! L’humain aurait-il tendance à oublier cette vérité ? La surabondance de biens n’est pas la vie. Elle dépend d’autres valeurs moins périssables ! (Précisons encore le mot : biens, en grec : ὑπάρχοντα = huparchonta = Il faut entendre par biens = possessions, richesses, propriétés…). En d’autres termes, aucune possession de biens matériels ne garantit l’avenir de nos vies sur la terre et ailleurs…

L’homme qui a posé la question au Maître ne s’attendait assurément pas à ce type de réponse ! Ne nous arrive-t-il pas d’être dans le même embarras ?

Puis, le Christ publie sa parabole :

« Il y avait un homme riche dont la terre avait bien rapporté. Et il se demandait : ‹ Que vais-je faire ? car je n'ai pas où rassembler ma récolte. › Puis il se dit : ‹ Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j'en bâtirai de plus grands et j'y rassemblerai tout mon blé et mes biens. › Et je me dirai à moi-même : ‹ Te voilà avec quantité de biens en réserve pour de longues années ; repose-toi, mange, bois, fais bombance. › Mais Dieu lui dit : ‹ Insensé, cette nuit même on te redemande ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ? › Voilà ce qui arrive à celui qui amasse un trésor pour lui-même au lieu de s'enrichir auprès de Dieu. » Luc. 12 :16-21, version TOB.

La rhétorique du discours du Seigneur est sublime. IL avait l’art, à nul autre pareil, de synthétiser un sujet en l’illustrant. Ainsi, ce qu’il disait était à la portée de tous…

Là, dans le texte, il s’agit d’un homme riche dont les terres ont été fertiles. Il est déjà riche. En plus, les récoltes s’annoncent prometteuses, voire abondantes. Au lieu de se réjouir du fait qui cela lui offre une opportunité de partage, cet homme est embarrassé. Il réfléchit en se disant : « que vais-je faire ? ». Le commencement des problèmes est dans la question. A quoi cela sert de planter, si on ne sait plus quoi faire d’une bonne récolte ! Avec délicatesse, le sujet de nos motivations est ici, à l’arrière-plan, posé. A quoi bon travailler pour avoir toujours plus, si nos projets ne sont pas soutenus par une philosophie de vie ? A quoi bon accumuler des biens, quand on a même le superflu ? Cet homme aurait pu se dire : « je vais pouvoir distribuer une grande partie de ma récolte aux amis ou aux nécessiteux de ma régions ! ».

Après une longue réflexion, l’homme prend conscience qu’il n’a plus de place pour rassembler les fruits de son travail. Notons que ce personnage ne parle que de ses greniers, de ses fruits, de son blé et de ses biens. Alors, centré sur lui-même, il ne pense qu’à s’agrandir (logique quand on n’a plus de place !). Sa solution : Détruire pour reconstruire plus grand pour engranger tous ses biens. Mais cet homme n’était-il pas déjà qualifié de riche ! Ce n’est donc le fait de s’agrandir qui fait problème, mais bien ses motivations. Il va d’ailleurs les exprimer sans pudeur. Son monologue est éloquent ! Littéralement en grec : « je dirai à mon âme : tu as beaucoup de biens entreposés pour de nombreuses années : repose-toi, mange, bois, fais la fête ». Luc 12 : 19, traduction libre.

L’égoïsme de cet homme est pervers. La formule du « toujours plus » a pourri son être intérieur symbolisé par le mot : âme. D’une manière plus légère, disons que la formule populaire : « le trop, comme le peu, gâte le jeu » est symptomatique.

La vertu du contentement, si chère à l’apôtre Paul, est l’antidote de l’avarice. Son témoignage a ici toute sa place : « je sais vivre dans la pauvreté aussi bien que dans l'abondance. J'ai appris à être satisfait partout et en toute circonstance, que j'aie de quoi me nourrir ou que j'aie faim, que je sois dans l'abondance ou dans le besoin » Philippiens 4 : 12, version BFC.

 

L’apôtre dit avoir appris à se suffire à lui-même en toute occasion (cf. Philippiens 4 : 11).

Paul dit « j’ai appris ». Cela fait écho à la recommandation solennelle du Seigneur : « Attention ! Gardez-vous de toute avidité, ce n’est pas du fait qu’un homme est riche qu’il a sa vie garantie par ses biens » Luc 12 : 15, version TOB.

Cette mise en garde du Seigneur est toujours pérenne. Une vigilance s’impose sur nos réelles motivations. Nos craintes du lendemain, nos peurs de manquer de quoi que ce soit, occasionnent souvent des pensées négatives. En accumulant des biens, ils se transforment en encombrants. L’important est de comprendre que cela a une incidence sur nos façons de penser… Paul a appris. Nous devons nous aussi apprendre.

 

Pour quelles raisons s’exercer à se libérer de ses encombrants avec lesquels nous faisons parfois la fête ?

 

 « Mais Dieu lui dit : ‹ Insensé, cette nuit même on te redemande ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ? › Voilà ce qui arrive à celui qui amasse un trésor pour lui-même au lieu de s'enrichir auprès de Dieu ». C’est sûr que nous avons la liberté de faire ce que bon nous semble ! Il nous faut cependant ne jamais oublier le « Mais » de la parabole.

A l’heure de la nuit, dans les ténèbres, en un moment inattendu, pendant le sommeil, alors qu’il pense être en sécurité dans sa maison, cet homme perd le bien suprême de la vie. Lui qui croyait avoir beaucoup d’années devant lui. Lui qui était à l’abri du besoin. Lui qui pensait se reposer, bien manger, bien boire, faire la « teuf » (comme disent les jeunes), il a perdu le bien le plus précieux, celui dont dépendent tous les autres… Ce qu’il pensait posséder pour lui seul, lui échappe. Ce qu’il a amassé ira à d’autres. Vanité des vanités.

Apprendre à se détacher de beaucoup de biens n’est pas un chemin facile. Pourtant, s’attacher à des biens matériels est un handicap pour la foi. Le Seigneur l’a clairement exprimé en ces mots : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » Luc 12 : 34 ; Matthieu 6 : 21, version NEG.

Le Seigneur nous repositionne sur la bonne formule : apprendre à être riche pour Dieu, ou en Dieu, ou auprès de Dieu (toutes ces traductions se complètes). Jésus pointe négativement l’humain qui thésaurise pour lui-même (θησαυρίζω = thesaurizo = 1) rassembler et déposer, entasser, emmagasiner 1a) accumuler des richesses 1b) garder en magasin, mettre en réserve 2) métaphysique : vivre jour après jour comme pour accroître soit l'amertume soit le bonheur de ce que l'on possède. Ce verbe a donné en français le verbe thésauriser).

Non seulement le Seigneur dénonce l’humain qui amasse pour garder (sans faire circuler le ou les biens), mais plus encore, il nous oriente vers la bonne solution : être riche pour Dieu. De quoi s’agit-il, sinon d’acter dans son cœur que les vraies richesses sont d’ordre spirituelles et morales. Ces richesses viennent de Dieu. Elles retourneront à Dieu.

 

Pourquoi être riche spirituellement pour Dieu ?

 

Le Seigneur répond plus loin à ses disciples en leur expliquant que placer son trésor dans le ciel, c’est la garantie absolue qui traverse le temps. Ici-bas tout passe et tout s’efface, seul demeure inépuisables et impérissables les biens spirituels qui nous ont été offerts.

C’est la raison, certainement, pour laquelle le Seigneur Jésus va développer les conséquences concrètes d’une bonne orientation de vie : « C'est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement » Luc 12 : 22-23, version LSG.

L’inquiétude est de nos jours, un état d’esprit permanent. Les raisons justifiées sont

légion. Toutes les difficultés s’accumulent, et il est difficile de ne pas épouser cette sinistrose. Le marasme gagne du terrain dans tous les pays. Les nations ne savent plus que faire (Jésus l’avait prédit, cf.  Luc 21 : 25).

Mais, le Seigneur prend le contre-pied de ce raisonnement, en précisant que les croyants en Dieu devraient se préoccuper plutôt des bienfaits de son royaume. Tout le reste sera donné de surcroît (cf. Luc 12 : 31). Se préoccuper du royaume de Dieu, c’est vivre toutes les valeurs spirituelles que le Christ a initiées.

Dépollués de toute inquiétude, il nous appartient de porter un autre regard sur nous-même et sur notre prochain. Pour le reste l’affirmation du Seigneur sollicite notre foi. Il faut cultiver la conviction qu’il répondra à nos besoins. Et si nous n’avons pas ce sentiment, l’apôtre Paul, qui a appris à être riche pour Dieu, nous rappelle une vérité cardinale : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » Romains 8 : 28, version LSG.

 

Conclusion :

 

La parabole présentée par le Seigneur à un homme de la foule est riche d’enseignements pratiques. Cet homme, quelque part, c’est nous avec nos inquiétudes récurrentes. Craindre de manquer peut piéger nos motivations. Les recommandations du Christ sont bien à propos. Elles font partie de la libération de notre esprit. Grâce à l’action divine, il nous est possible de nous préoccuper plutôt du royaume de Dieu, en ouvrant notre foi au fait que le Tout Puissant répondra à nos besoins. C’est la raison pour laquelle Jésus a recommandé à ses disciples de ne s’inquiéter de rien. Les biens matériels doivent rester des moyens de vie, non des fins. Au-delà de nos besoins légitimes, notre foi peut être mise en danger. Plus simplement nos inquiétudes peuvent absorber trop de nos énergies. Elles peuvent voiler une réalité plus importante à vivre. Cette dernière relève de l’intemporel et du spirituel.

On n’imagine jamais assez à quel point ceux qui sont liés par les liens du détachement et du cœur savourent le bonheur d’être libres. Cela nous stimule au partage. Le plus grand bien que nous pouvons faire à autrui est moins de leur communiquer notre richesse que de leur faire découvrir la leur. Pour que cette vertu soit réellement opérationnelle l’assistance divine est indispensable, car elle vient annihiler les velléités de nos tendances naturelles.

 

« On rencontre beaucoup d’hommes parlant de liberté, mais on en voit très peu dont la vie n’ait pas été principalement consacrée à se forger des chaînes » Gustave Le Bon.

 

 

« Affectionnez-vous aux choses d'en haut, et non à celles qui sont sur la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu.

Quand Christ, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire ». Colossiens. 3 : :2-4, version LSG.

                                                                                Jacques Eychenne

 

PS : LSG, version Louis Segond 1976 ; BFC, version de la Bible en Français courant ; TOB, version de la traduction Œcuménique de la Bible.

 

 

 

 

 

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