Le grand soupir du Christ

 

 

 

          Le soupir du Christ

                                   ou

     intimité avec un sourd-bègue

         Marc 7 : 31-37

 

Introduction :

 

Jésus aborde la fin de son ministère en Galilée. Après avoir fait une brève incursion dans le territoire de Tyr et de Sidon, il revient sur les rives du lac de Tibériade. Là, on lui amène un sourd qui avait du mal à parler correctement afin qu’il le guérisse. La compassion du Seigneur est sollicitée. Il va y répondre d’une manière particulière en refusant de faire de ce moment un acte de propagande. Comme à son habitude le Seigneur va répondre à l’attente supposée de cet homme par une mise à l’écart. En effet le texte indique clairement que cet homme a été conduit près de Jésus par des personnes bien intentionnées qui veulent voir un miracle.

Matthieu décrit cette atmosphère : « Jésus quitta ces lieux, et vint près de la mer de Galilée. Etant monté sur la montagne, il s'y assit. Alors s'approcha de lui une grande foule, ayant avec elle des boiteux, des aveugles, des muets, des estropiés, et beaucoup d'autres malades. On les mit à ses pieds, et il les guérit; en sorte que la foule était dans l'admiration de voir que les muets parlaient, que les estropiés étaient guéris, que les boiteux marchaient, que les aveugles voyaient; et elle glorifiait le Dieu d'Israël. »  Matthieu 15:29-31, version Nouvelle Edition de Genève, NEG. Le récit rapporté par Marc est explicite (cf. παρακαλοῦσιν αὐτὸν : ils le supplient ou le prient instamment, cf. Marc 5 : 23). Ces anonymes qui constituent la foule attendent un geste fort du Seigneur. Sa réponse va en surprendre plus d’un.

 

Développement :

 

Jésus prend à part cet homme. Le contact avec la souffrance humaine se veut là intimiste. Le Seigneur veut répondre à son attente, mais dans un face-à-face, dans un cœur à cœur, loin de la foule. Il n’a point besoin qu’on lui dicte sa conduite. Le Christ est un homme libre. Il choisit toujours le moment propice et les moyens adéquats pour faire entendre et comprendre son message. Précisons que le Seigneur ne dédaigne pas la foule, le récit de Marc s’intercale entre deux grands miracles. N’a-t-il pas nourri une foule de cinq mille personnes (cf. Marc 6 : 32-43), puis une seconde de quatre mille personnes (cf. Marc 8 : 1-9). Mais là, c’est différent. Sa volonté va s’exprimer autrement. Pour que le Seigneur intervienne, il fallait cette mise à l’écart. Elle nous parle encore aujourd’hui. Le Christ veut répondre à nos attentes, mais en pénétrant notre intimité. Lui seul peut savoir la confiance que nous lui portons. Si notre espérance est qu’il débouche nos oreilles pour que l’on comprenne sa parole, et si la nécessité de toucher notre langue s’impose pour que nous puissions parler correctement des merveilles de son amour, alors soyons-en  certain, il agira.

 

Mais revenons à la description de cette rencontre. Marc est le seul à nous rapporter le détail de cette rencontre. Que nous dit-il ?

« On lui amena un sourd, qui avait de la difficulté à parler, et on le pria de lui imposer les mains. Il le prit à part loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et lui toucha la langue avec sa propre salive; puis, levant les yeux au ciel, il soupira, et dit: Ephphatha, c’est-à-dire, ouvre-toi. »  Marc 7 : 32-34, version NEG.

 

Dans ce récit, ce n’est pas le mode opératoire qui est le plus surprenant. Le Christ a exprimé dans cette circonstance quelque chose d’unique. Cela est traduit par un verbe que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans les évangiles sous cette forme (cf. Marc utilise une seule fois encore un verbe composé ayant la même racine dans 8 : 12 « ἀναστενάζω ». L’apôtre Paul parlera des soupirs inexprimables du Saint-Esprit  avec le substantif στεναγμός= soupir ; voir encore Actes 7 : 34 traduit par gémissement).

Dans notre récit, il est traduit par : « il soupira ». En fait, le verbe utilisé par Marc peut avoir deux sens : στενάζω = soupirer ou gémir.  Nul besoin de trancher d’une manière catégorique, car le verbe porte en lui les deux sens. Ils sont intimement associés : gémir, n’est-ce pas aussi le prolongement d’un soupir profond ? Pourtant l’un apparaît comme silencieux et intérieur, tandis que l’autre s’extériorise par une expression plus sonore.

 

1) Le soupir du Christ :

 

Intrigués comme nous pouvons l’être par son soupir, essayons de comprendre ce qu’il veut bien nous révéler.

Les musiciens ou mélomanes connaissent très bien la valeur d’un soupir. Elle est équivalente à une noire n’est-ce pas ! Le compositeur qui utilise ce signe veut marquer un temps de silence. Tous les musiciens sont tenus de le marquer. On s’arrête pour donner du relief à la suite de l’interprétation du morceau joué. Comment ici interpréter ce silence du Seigneur ? A-t-il voulu marquer un temps d’introspection, de pose, lui aussi, alors qu’il était sans cesse poursuivi par de nombreuses sollicitations ? Rappelons que ce récit s’insère entre deux multiplications des pains avec plusieurs milliers de personnes.

Mais ce soupir n’est-il pas aussi compris entre deux expressions du Christ. Avant de soupirer, il lève les yeux vers le ciel, puis il parle à l’infirme. Ce soupir n’est-il pas un trait d’union silencieux qui nous dit beaucoup sur le ministère du Christ ?

Son regard vers le ciel peut s’entendre comme une communion avec le Père. Elle lui rappelle la position bienheureuse qu’il occupait avant son incarnation. Entre cette félicité qu’il avait quittée et le spectacle douloureux de cet homme sourd et bègue, son soupir nous parle certainement d’amour pour notre humanité malade.

D’un point de vue physiologique le soupir est une longue respiration suivie d’une expiration plus courte. D’après des études récentes cette respiration profonde est indispensable au bon fonctionnement de nos poumons. Il paraît que nous soupirons plusieurs fois par heure…

Dans notre récit le soupir du Seigneur est plus en rapport avec son état d’âme. Il nous dit son immense compassion. Tout simplement d’abord parce que Jésus prend cet homme à part. Il le déconnecte de la foule, il le sort de l’anonymat, il lui porte toute son attention. Son soupir, court temps de silence est rupture avec la foule que l’on peut très bien imaginer fébrile et bruyante. Il est rupture avec un environnement, comme un besoin de concentration nécessaire pour répondre à l’urgence du moment.

Ce soupir en levant la tête vers le ciel n’est-il pas encore une prière silencieuse vers son Père. Certes, elle est inaudible aux oreilles des humains, le sourd en devient le symbole, mais elle révèle sa bienveillance. Le Christ délaisse la foule pour se pencher sur l’état d’un individu souffrant. Par extension,  n’est-ce pas encore parce que nous n’avons pas compris son soupir que nous avons de la difficulté à entendre ses paroles de salut ? A notre tour, ne faut-il pas que nous fassions silence en nous-même pour entendre ? Les Saintes Ecritures n’ont-elles pas pour mission de nous rendre sensibles à ce sujet ? Le témoignage de David est éloquent à ce propos (cf. Psaume 40 : 5-9). Le livre de l’apôtre Jean martèle aussi cette vérité (cf. Apocalypse 2 : 7, 17, 29 ; 3 : 6, 13, 22 ; 13 : 9). Mais examinons maintenant le deuxième sens du verbe στενάζω Il est traduit par le verbe gémir.

 

2) Le gémissement du Christ :

 

C’est le choix d’A. Chouraqui. Parlant du Christ, il traduit : « Il lève le regard vers le ciel, gémit et lui dit : Ephphatha, c’est-à-dire : ouvre-toi ». Comment comprendre, dans cet instantané, ce gémissement du Christ ? Gémir est plus qu’un soupir. Cela induit l’idée d’une souffrance. Faut-il entendre le mot comme l’expression de sa solidarité avec notre race humaine ? Parlant de Jésus-Christ, il est écrit : « C'est lui qui, dans les jours de sa chair, a présenté avec de grands cris et avec larmes des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et il a été exaucé à cause de sa piété. Il a appris, bien qu'il soit Fils, l'obéissance par les choses qu'il a souffertes. » Hébreux 5 : 7-8, version NEG. L’apôtre Pierre nous dit aussi : « Christ aussi a souffert une fois pour les péchés, lui juste pour des injustes, afin de nous amener à Dieu; il a été mis à mort quant à la chair, et rendu vivant quant à l'Esprit. »  1 Pierre 3 : 18, version  NEG.

Ce gémissement n’est-il pas aussi l’annonce d’une souffrance plus forte pour éradiquer définitivement le mal. La souffrance de cet homme renvoyait certainement le Seigneur au drame des origines, celui de l’apparition du désordre au jardin d’Eden. Désordre qui allait engendrer des souffrances tant physiques, psychiques que spirituelles. Ce gémissement est rappel des motivations du Seigneur. N’est-il pas venu à notre secours ! Il est venu relever le défi de vaincre le mal. Ce défi devant lequel nos premiers parents ont capitulé. Ce gémissement devient alors le prélude de ce combat dans un autre jardin, celui de Gethsémané (cf. Marc 14 : 32-41).

Ce gémissement, expression profonde et silencieuse devient passage à la parole qui entre en action de délivrance. Il est encore trait d’union entre ce qui est au ciel, vers lequel le Seigneur lève sa tête (cf. Esaïe 51 : 6), et  cet indigent qui va être l’hôte privilégié de la puissance de son amour.

Ce soupir ou ce gémissement décline dans un langage parfait toute l’attention que le Seigneur porte à la souffrance humaine. Il nous parle encore aujourd’hui et nous encourage. Nous ne sommes pas laissés à notre triste sort. Nous sommes accompagnés et remis sur pied par le Seigneur de gloire. Observons que le Seigneur n’est jamais resté insensible face à la souffrance humaine, ni même face à la mort. Il fut ému de compassion devant la veuve de Naïn (cf. Luc 7 : 13). Jésus pleure aussi devant le cadavre de Lazare (cf. Jean 11 : 33-34), et Jésus pleure encore devant la ville rebelle et infidèle de Jérusalem (cf. Luc 19 : 41-45). Le Christ inlassablement a prodigué ses soins à la nature humaine malade. Son soupir ou son gémissement compassionnel nous touche. 

L’apôtre Pierre en homme d’expérience à raison de nous donner ce conseil : «  déchargez-vous sur lui (le Christ) de tous vos soucis, car lui-même prend soin de vous. »  1 Pierre  5 : 7, version NEG.

 

Après avoir soupiré ou gémi, le Seigneur agit par une seule parole : « Ephphatha ». André Chouraqui, commentant ce passage écrit : « Ephphatha, éphatah en araméen ou épatah en hébreu : une fois de plus Marc introduit dans son texte un mot qui a pu être prononcé en hébreu ou en araméen et qui sera utilisé dans les rites du baptême chrétien aux premiers âges de l’ Eglise pour demander à celui qui le recevait de s’ouvrir à l’impulsion du souffle sacré ». La Bible traduite et commentée par André Chouraqui, évangile selon Marc, éd. J-C Lattès, novembre 1992, p.140.

Notons que le Seigneur n’est pas resté enfermé dans un processus connu. Il n’a  pas donné suite à la forme (cf. imposition des mains) que la foule lui demandait. Il n’a pas publiquement imposé les mains à ce malheureux. Il l’a pris à part, et a procédé différemment. Il l’a guéri en adaptant la forme d’expression à son cas. 

Ephphatha=traduit par ouvre-toi. Les spécialistes font remarquer que le verbe est traduit par un passif en grec, tout comme il l’est en  araméen. De sorte que l’appel du Christ reposerait moins sur la volonté humaine de s’ouvrir que sur une volonté à se laisser ouvrir. Pour forcer le trait disons que ce serait moins libère-toi, qu’accepte d’être libéré.  Le Seigneur ne proposerait pas à cet homme de faire l’effort de s’ouvrir, mais plus précisément de lâcher-prise, c’est-à-dire de se laisser faire. Cela nous remet en mémoire l’expérience de l’apôtre Pierre lors de l’épisode du lavement des pieds. La réponse de Jésus au refus de l’apôtre est pertinente : « si je ne te lave, tu n'auras point de part avec moi. » Jean 13 : 8, version NEG. Laisser le Seigneur agir dans nos vies est plus difficile que de vouloir tout faire tout seul pour s’en sortir. L’évidence pointe ici la raison de nos multiples échecs. Si s’ouvrir ne dépendait que de ce malheureux, il y a longtemps qu’il aurait tenté l’expérience. Mais cette ouverture était pour lui une impossibilité. La suite démontre le bien-fondé de cette analyse. Oui ! C’est bien le Seigneur qui lui ouvre les oreilles et c’est encore lui qui lui donne la capacité de reparler distinctement. Cette injonction du Maître à nous laisser ouvrir est la clé de notre bien-être présent et futur. Le seigneur a touché ses oreilles et sa langue parce qu’il était sourd, et qu’il avait du mal à parler correctement. Spirituellement, il en va de même : si nous restons sourds aux appels de Dieu, il nous sera très difficile d’expliquer d’où nous venons et où nous allons.

Cette ouverture à l’action merveilleuse de Dieu produit le miracle. Ses oreilles s’ouvrent, il entend, et peut saisir l’énoncé de toute parole  venant du Christ. Sa langue se délie, elle peut prononcer distinctement une louange à la gloire de son bienfaiteur. Cette guérison miraculeuse met l’accent sur le fait central de la prédication du Christ : Libérer l’homme de lui-même et de ses maux. Ce simple récit ouvre la perspective d’une espérance indépendante de l’agir des hommes, mais en lien avec eux. Il nous repositionne sur la voie de la vérité et du bonheur.

Par un seul mot le Seigneur a débloqué les problèmes existentiels de ce sourd-bègue. Ce mot, c’est celui qui nous ouvre à nous-même et au prochain.

Le paradoxe de cette histoire est contenu dans la suite du récit. Le Seigneur lui redonne l’usage d’une parole parfaitement audible et compréhensible et demande aussitôt à ceux qui sont présents de se taire (cf. le fait est courant chez Marc : Marc 1 : 44 ; 5 : 43 ; 7 : 24 ; 8 : 30 ; 9 : 9 ; 16 : 8) « καὶ διεστείλατο αὐτοῖς = litt. Et il recommanda à eux… » Marc 7 : 36. Pourquoi cette recommandation formelle ? Qui sont ces « eux ». Ce ne sont pas les gens qui composent la foule, puisqu’il s’en est éloigné. Ce ne peut être que les disciples qui sont mentionnés un peu plus loin (cf. Marc 8 : 14). La raison la plus plausible est sûrement en lien avec la popularité grandissante du Seigneur. Il est évident qu’elle insécurisait la hiérarchie des hauts dignitaires de Jérusalem et qu’elle pouvait aussi perturber l’ordre public si cher aux Romains. Autrement dit, ce n’était pas le moment de diffuser les bienfaits du Christ. Cela nous éveille au fait qu’il y a un temps pour tout, même pour le témoignage en faveur du Seigneur et Sauveur.

Conclusion :

Ce récit de 7 versets nous en dit long sur le comportement de Jésus de Nazareth face à l’humain. Quand on lui présente un être souffrant, son premier réflexe est l’accueil. Semblables à cet indigent, n’avons-nous pas, nous aussi, du mal à entendre et à nous exprimer ? Savoir que nous sommes accueillis est déjà une consolation. Mais le Christ fait plus encore. Eprouvant le besoin d’intimité, loin de reproduire des remèdes standards, il répond avec précision à notre mal-être. Son soupir ou son gémissement est langage de compassion, c’est comme si après avoir prié le Père à notre place, il nous ouvrait un espace de liberté. Ce dernier semble nécessaire pour que nous prenions conscience que nous sommes incapables de nous ouvrir vraiment. C’est lui qui nous ouvre à nous-même et aux autres, c’est cela le miracle invisible qu’il faut chérir. Sa puissance d’amour est telle qu’il a suffi d’un seul mot pour que tout change pour cet indigent et il peut en être de même pour nous. Les disciples ont été frappés, étonnés, émerveillés par le rayonnement de leur Maître et on les comprend. Le récit se termine ainsi : « Ils étaient très impressionnés et ils disaient : « Il a bien fait toutes choses; il fait entendre les sourds et parler les muets.»  Marc 7 : 37, version TOB.  Notre témoignage, plusieurs millénaires après, redit que le Seigneur fait tout bien, ou tout à merveille. A lui soit notre profonde reconnaissance !

 

                                                                                Jacques Eychenne

 

 

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