Les 10 lépreux

 

 

 

              Les dix lépreux

                   ou

      De la guérison au salut

      Luc 17 : 11-19

Introduction :

 

Avec ce récit nous nous acheminons vers la fin du ministère publique du Christ. D’après Luc, le médecin bien-aimé, Jésus se dirige maintenant vers Jérusalem. Venant du Nord de la Galilée, il n’emprunte pas la route côtière, ni la route centrale, dite des patriarches (elle traverse les montagnes de Samarie). Il prend la route de la plaine du Jourdain. Il est sur le point d’entrer dans un bourg, lorsque dix lépreux viennent vers lui. Ils se tiennent à distance. La raison en est simple : Ils étaient exclus par la loi de tout contact avec la population (cf. Lévitique 13 : 46 ). De ce fait, ils sont obligés de parler fort pour être entendu par le Seigneur. Ils le connaissaient assurément de réputation. Il faut préciser qu’être lépreux, à cette époque, était dramatique. Les lépreux étaient déclarés impurs par les autorités religieuses et ils étaient contraints à observer un rituel précis. Ils devaient se raser la tête, avoir des vêtements déchirés et la barbe couverte. Dès qu’un lépreux apercevait une personne sur son chemin, il devait crier : impur ! Impur ! (cf. Lévitique 13 : 44-46). Ces misérables vivaient reclus dans des endroits isolés. Moïse avait préconisé cette mesure pour cause de la contagion. En bref ! Les antres de la terre les accueillaient. Cette privation de vraie liberté était lourde à porter. De plus, ils dépendaient pour vivre de la bonne volonté de gens charitables. Pour se soutenir, ils se rassemblaient le plus souvent. C’est ainsi que Jésus est face à un groupe de 10 personnes.

 

Développement :

 

« Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, ils élevèrent la voix, et dirent: Jésus, maître, aie pitié de nous ! Dès qu'il les eut vus, il leur dit: Allez-vous montrer aux sacrificateurs. Et, pendant qu'ils y allaient, il arriva qu'ils furent guéris. L'un d’eux, se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. Il tomba sur sa face aux pieds de Jésus, et lui rendit grâces. C'était un Samaritain. Jésus, prenant la parole, dit: Les dix n'ont-ils pas été guéris ? Et les neuf autres, où sont-ils? Ne s'est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? Puis il lui dit: Lève -toi, va; ta foi t’a sauvé. » Luc 17 : 12-19, version Nouvelle Edition de Genève.

 

Que veut nous apprendre ce récit, alors que le Seigneur amorce un temps d’épreuve suprême : la semaine de sa passion ? Et que peut-il nous dire aujourd’hui, alors que cette maladie est devenue marginale dans un monde où la recherche médicale est de plus en plus pointue ? Même si la rencontre paraît fortuite, notons qu’il est dans les habitudes du Seigneur de saisir toutes les opportunités pour nous enseigner. Le Christ a adopté une attitude d’accueil. Elle était loin d’être évidente en ce temps-là face à un groupe de lépreux !

 

Première instruction :

 

a) Ce récit nous présente un groupe de personnes malades. Aucun nom n’est cité comme si la maladie était un nivellement des classes sociales. Même le Samaritain infréquentable pour un juif, semble perdre son identité. Il est un lépreux comme les autres. Le groupe devient un refuge. La contagion commune ouvre un autre champ de solidarité. Faut-il que nous soyons dans ses conditions extrêmes pour vivre des liens d’humanité ?

 

b) Jésus-Christ n’est pas resté neutre dans une sorte de discours religieux ou dans des formules polies ou encore dans un évitement silencieux… Il a répondu à la souffrance. Il a prodigué à ces bannis de la société attention et soin, ce que tout le monde leur refusait.

Dans un monde où il devient de plus en plus difficile de vivre décemment, il serait recommandable de suivre l’exemple du Seigneur selon nos possibilités. Notre humanité, face à une dégradation de sa qualité de vie, se replie de plus en plus sur elle-même. Le fossé grandit entre le gotha des milliardaires et les totalement démunis. Un peu plus de fraternité nous rendrait plus humains et plus solidaires… N’est-ce pas le langage des évangiles ? Certes oui ! Mais devant les difficultés à gérer, il convient aussi d’être conduit par l’Esprit à l’instar de Jésus-Christ. Car le Christ n’a pas agi par impulsion, il ne s’est pas laissé déborder par ses sentiments, il n’a pas fait n’importe quoi… Son comportement a été adapté à la circonstance.

 

c) Jésus n’a pas agi pour se donner bonne conscience (faire le bien parce qu’il faut faire le bien) : son attitude révèle une démarche instructive. En première réaction, on pourrait se demander pourquoi le Seigneur n’a-t-il pas guéri de suite ces hères miséreux ?

Dans le contexte de l’époque, seuls les sacrificateurs avaient le droit de constater la guérison d’un lépreux. Ils avaient seuls autorité et force de loi pour le réintégrer dans la société (cf. Lévitique 13 : 2 ; 14 : 3). Il ne s’agit donc pas d’une dérobade de la part du Maître, mais plutôt d’être dans le respect des lois en vigueur. A l’arrière-plan, nous pouvons aussi percevoir le contentieux qui opposait les Pharisiens à Jésus sur la façon d’appliquer la loi. La démarche du Seigneur avait peut-être aussi, pour objectif, d’interpeler encore les responsables institutionnels qui spirituellement s’opposaient farouchement à son enseignement.

 

Deuxième instruction :

 

une fois de plus la démarche du Seigneur est pédagogique. Etre sensible aux maux qui frappent l’humain est une chose, y remédier en est une autre. Le Seigneur ajoute à sa miséricorde, la sollicitation de la foi des éventuels bénéficiaires. Les lépreux ont fait un parcours de foi en pensant que les paroles du Seigneur étaient chargées d’espoir. Sinon comment comprendre qu’ils acceptent de retourner vers ceux qui avaient autrefois décrété leur mise à l’ écart ! C’est pourquoi le texte a bien soin de préciser que c’est pendant la marche vers les autorités sacrificielles qu’ils furent guéris (καθαρίζω= purifier, nettoyer, déclarer pur). Notons la réaction positive de ces lépreux. Ils ne contestent pas la parole de celui qu’ils appellent maître. (Pour Luc, ἐπιστάτης = celui qui préside, le maître, le chef cf. Luc 5 : 5 ; 8 : 24). Ils ne posent aucune question pour en savoir davantage… Ils font confiance et avancent sans savoir exactement ce qu’il va advenir de leur sort.

Cette situation nous invite à penser que le Seigneur ne fait rien sans solliciter l’adhésion de ceux qu’il interpelle. En élargissant le débat nous pourrions même dire que Dieu n’est pas prêt à tout faire dans nos vies. La liberté qu’il nous a octroyée nous enjoint d’être responsables de nos parcours (spirituels compris). Personne ne peut les vivre à notre place, et aucune procuration  en la circonstance  n’est autorisée. Les paroles du Seigneur énoncent une vérité : Dieu ne fait rien sans notre concours. Certes, son action est prépondérante, mais la même graine spirituelle est placée dans le cœur de chacun (cf. 2 Corinthiens 1 ; 22 ; 2 Corinthiens 5 : 5). Pour poursuivre l’image, disons que le choix des conditions, et le temps de la germination de cette graine avec l’accompagnement de la grâce Divine, nous appartient. (cf. Ephésiens 2 : 1-12 ).

Et c’est sur le chemin qui mène à Jérusalem que les lépreux sont tous guéris. L’un revient vers Jésus, les autres poursuivent leur route.

 

Troisième instruction :

 

le texte met en évidence deux attitudes à la finalité bien différente :

pour les neuf, deux remarques sont faites : ils sont guéris et on sous-entend qu’ils poursuivent leur route et qu’ils font partie du peuple d’Israël.

Pour le dixième, on décrit une réaction instinctive : Il revient sur ses pas, il glorifie Dieu à haute voix, il se prosterne devant son bienfaiteur et le remercie avec gratitude (εὐχαριστέω = être reconnaissant Luc 18 :11 ; rendre grâces Luc 17 : 16 ; de là vient le mot εὐχαριστια = eucharistie). Mais pour lui le miracle est autre : la foi qui l’a conduit à la guérison se mute en foi qui sauve.

 

Il y a opposition, entre deux finalités.

Ainsi, un deuxième niveau de lecture nous place devant une opposition entre la foi qui guérit et celle qui sauve. Les dix lépreux ont tous agi avec foi (nous l’avons déjà noté), mais pour les uns, cela n’a eu pour résultat qu’une amélioration sensible mais temporaire de leur qualité de vie, tandis que pour le dixième cela s’est transformé en une assurance de vie éternelle. Contraste entre l’immédiateté du bien-être, le perpétuel, le durable, celui que l’on nomme l’éternel.

Le texte établit un contraste net entre deux attitudes :

certes les neuf ont agi avec foi, mais ils ont obéi à la lettre (intellectuellement) des paroles du Seigneur. Le texte est dépouillé de tous sentiments à leur égard. Ce comportement symbolise l’obéissance sans adhésion du cœur. Il peut symboliser toutes nos actions formalistes et de circonstance. Quel risque y avait-il à essayer de suivre la recommandation du Seigneur ! Aucune ! On rejoint le pari de Pascal (son argument philosophique tente à prouver que l’être rationnel a tout intérêt à croire en Dieu). Mais revenons au débat entre la forme et le fond de la position humaine face à Dieu. N’est-ce pas précisément le reproche de Jésus au peuple d’Israël ? « Jésus leur répondit: hypocrites, Esaïe a bien prophétisé sur vous, ainsi qu'il est écrit: ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi. C'est en vain qu'ils m’honorent, en donnant des préceptes qui sont des commandements d'hommes. Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous observez la tradition des hommes. » Marc 7 : 6-8, version NEG, (voir encore Matthieu 9 : 4).

 

Cela pose la question : à quoi sert une obéissance sans amour dans la relation spirituelle avec Dieu ? Ne peut-on pas rapprocher cette question de la pratique du légalisme ? L’important, est-ce une pratique religieuse ou ce qui la motive ? Jésus dit un jour à la foule assemblée : « mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c'est ce qui souille l'homme. Car c'est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les débauches, les vols, les faux témoignages, les calomnies. Voilà les choses qui souillent l'homme. »  Matthieu 15 : 18-20, version NEG. C’est pour cette raison que le Seigneur, répondant un jour au docteur de la loi qui l’interrogeait, lui rappela ce qui avait déjà été dit et souligné à Moïse : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. »  Matthieu 22 : 37-40, version NEG, (relire lentement 1 corinthiens 13 : 1-8).

 

Le contraste est aussi établi dans le texte entre ceux qui appartiennent au peuple d’Israël et ce Samaritain qui en était exclu.

 

« Lève-toi, va; ta foi t’a sauvé » illustre encore deux attitudes dans le récit : Il y a ceux qui restent debout et poursuivent leur route et ce Samaritain qui se prosterne devant son Sauveur et qui entend cette sublime parole. La gratitude et la reconnaissance ne nous conduisent-elles pas à l’adoration ? N’est-ce pas ainsi que nous pouvons nous relever et être transformés par la parole du Seigneur. Nous sommes remis debout pour assumer une marche épanouie. Est-ce du temps perdu pour ce Samaritain d’avoir fait marche arrière ? La perte de temps supposée n’est-elle pas dérisoire par rapport à l’éternité bienheureuse ? Savons-nous saisir les opportunités pour exprimer notre gratitude face aux bienfaits de Dieu ? « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs… » Hébreux 3 : 15.

 

Quatrième instruction :

 

L’attitude du Seigneur nous  surprend quand il questionne à haute voix : « les dix n'ont-ils pas été guéris ? Et les neuf autres, où sont-ils ? Ne s'est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? ». On se demande à qui Jésus parle ! On suppose que c’est au Samaritain, mais comment peut-il savoir où sont passés ses compagnons d’infortune. Ou alors, ces questions ont un autre objectif :

  • prouver à ce Samaritain bénéficiaire de la grâce divine que le salut est sans frontières, sans exclusive, ni acception de personne…
  • le responsabiliser dès à présent et le missionner pour porter cette bonne nouvelle. « où sont-ils » signifierait alors : « va les chercher, va les trouver, et dis leurs ! »
  • Et puis, ce peuple d’Israël, ce peuple élu a besoin de prendre conscience qu’il a failli à sa vocation première de transmettre au monde ce qui lui avait été confié. L’apôtre Paul soulignera cette vérité : « les oracles de Dieu leur ont été confiés » Romains 3 : 2.

Ce logion remarquable, ce court récit, nous ouvre à une compréhension bien précise de la notion de salut. C’est à dessein que le Seigneur ponctue la fin de son entretien avec ce Samaritain par le verbe « sauvé ». Pouvait-il y avoir une meilleure conclusion ?  N’est-ce pas aussi la meilleure pour nos vies ? Seulement il est vrai  que ce salut n’est pas évident à déceler dans nos quotidiens surchargés… Cela nous fait penser à la parabole du trésor caché dans un champ (cf. Matthieu 13 : 44). Pourquoi est-il caché sinon pour être trouvé ! Dieu se laisserait-il trouver par ceux qui le cherchent vraiment ?

 

Conclusion :

 

Le récit distingue la guérison, de la nature du salut, voulant ainsi bien marquer où se trouve la difficulté humaine. Pour le Christ la notion de guérison vise la personne dans sa globalité, c’est-à-dire, sur trois plans : physique, mental et spirituel. Prendre soin de son corps et de sa santé n’est-ce pas une bonne chose ? Certes oui ! Mais au-delà du physique, la place du mental et du spirituel est prépondérante (cf. Galates 6 : 8).

Avoir, comme ces dix lépreux, conscience de son mal, sentir ses limites, demander de l’aide sans pudeur, n’est-ce pas ce qui nous fait avancer ? Mais avancer seul ou en groupe et s’entraider dans nos malheurs est-ce suffisant pour nous donner entière satisfaction ? Ce récit a pour vocation de répondre à cette question : la rencontre avec le Christ est incontournable si l’on veut que notre guérison soit totale. C’est dans les paroles du maître que se trouve la réponse à la guérison du mal suprême qu’est la mort. Faisons-lui confiance ? L’apôtre Paul a raison de dire : « quiconque croit en Christ ne sera point confus. » Romains 10 : 11. Le Christ nous aide à construire nos parcours de vie à partir de ce qu’il a donné. « Relève-toi et va », dit-il au Samaritain (ἀνίστημι= faire se lever. Ce verbe est traduit par ressusciter dans Jean 6 : 39 ; Actes 2 : 24 ; 13 :34).  Les deux verbes donnent du sens à la confiance que le Christ place en nous. Il nous veut debout et en marche vers la destination qu’il nous a indiquée. La prière eucharistique rappelle cette vérité en rendant hommage à Jésus-Christ : « par Lui, avec Lui et en Lui ». Par Lui les blessures profondes sont guéries, avec Lui nous sommes accompagnés dans nos marches, en Lui réside la réponse à notre devenir.

 

« Mais l'amour de Dieu est véritablement parfait en celui qui garde sa parole : par cela nous savons que nous sommes en lui. » 1 Jean 2 : 5, version NEG.

« Ce que nous serons n'a pas encore été manifesté; mais nous savons que, lorsqu’il paraîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est1 Jean 3 : 2,version NEG.                                                                

                                                                                Jacques Eychenne

 

 

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