Les repas mémorables dans les Evangiles

 

 

 

      Les repas mémorables

                    ou

L’amour du Christ en action

 

Introduction : vivre

 

Le besoin de nourriture est nécessaire au bon fonctionnement de notre corps. Mais au-delà d’un bon équilibre physique, manger est porteur d’une signification plus riche encore. Dans un contexte relationnel, manger est surtout langage de partage et de convivialité. Autant dire un moment particulier, singulier, souvent heureux. Cette manière d’allier la nécessité au plaisir, met en évidence une intentionnalité profonde. Beaucoup d’évènements gravitent autour d’un repas. Cela peut être une occasion d’échanger, de se confier, de négocier, de faire des affaires, de mettre des questions sur la table, de se dire les quatre vérités etc.  En France, le repas est considéré comme une activité sociale incontournable, d’où la renommée de la gastronomie française…

Dans la Bible la nourriture et le repas sont toujours associés à des évènements importants. Par exemple, dans l’Ancien Testament, un drame se produit quand Eve mange le fruit défendu dans le jardin d’Eden (cf. Genèse 3 : 1-6). Plus tard, Lot insista pour que deux anges mangent à sa table (cf. Genèse 19 : 3). Joseph aussi servit un repas à tous ses frères qui l’avaient pourtant trahi (cf. Genèse 43 : 25). Et que dire du repas de Jethro avec Moïse, Aaron, les anciens du peuple, en présence de Dieu (cf. Exode 18 : 12). On pourrait encore citer le repas en amoureux entre Booz et Ruth, mais aussi celui de David à la mort de son enfant, Elie avec la veuve de Sarepta, la parabole du grand dîner, le dernier repas sur les rives du lac de Galilée (cf. Luc 14 : 15-24 ; Jean 21 :  1-17) etc.

Nous choisirons plutôt trois faits marquants, et bien connus, relatés dans le Nouveau Testament.

 

Développement :

 

Premier récit :

la multiplication des pains et des poissons (cf. Matthieu 14 : 12-21 ; Marc 6 : 32-44 ; Luc 9 : 12-17 ; Jean 6 : 1-14).

Disons d’emblée que ce moment est resté gravé dans les mémoires. Les quatre évangélistes en parlent. Le fait est suffisamment rare pour le souligner. Les conditions pour un tel repas étaient loin d’être les meilleures. La remarque des disciples de Jésus est très significative à cet instant : « Comme l'heure était déjà avancée, ses disciples s'approchèrent de lui, et dirent : Ce lieu est désert, et l'heure est déjà avancée »  Marc. 6 : 35, version NEG. Nous ne sommes pas au vingt et unième siècle où les restaurants sont à proximité, ouverts à la tombée de la nuit. Le lieu est désert. De plus, inviter spontanément quelques personnes à manger  peut déjà poser problème, mais là, il s’agit d’une grande foule (cf. Marc  6 : 34). Si l’on ajoute la question de l’intendance (car il fallait bien disposer de provisions quelque part pour nourrir tout ce monde), la réalisation d’un méga-repas paraissait impossible à réaliser. Rien ne supposait être évident. La remarque significative des disciples, à propos de l’heure tardive, a permis à Jésus d’exprimer le très fond de ses sentiments. 

En voyant la foule toujours attentive à ses paroles, Jésus fut ému de compassion. Le verbe utilisé en Grec est fort : σπλαγχνίζομαι = splagchnizomai en français. On peut le traduire littéralement par : être ému dans ses intestins ou ses entrailles (rappelons que bibliquement parlant les entrailles sont censées être le siège de l’amour). Ainsi ce qui va suivre est la conséquence de cette grande émotion qui a parcouru le corps du Seigneur. Mais ce n’est pas pour se faire uniquement plaisir que le Seigneur va réaliser le miracle, il veut partager sa richesse intérieure. Aussi, quand les disciples,désemparés, lui préconisent de renvoyer la foule, il leur demande : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » Marc 6 : 36. Par là le Seigneur nous indique qu’au lieu de vouloir tout faire pour ceux que l’on aime, il est aussi important de les responsabiliser. Ne pas agir à la place des autres, mais mettre en place un climat de confiance qui permet au prochain de s’exprimer, d’être lui-même dans ses choix… C’est vers ce deuxième niveau de lecture qu’il nous faut cheminer…

Voyant que ses disciples sont complètement interloqués devant son injonction, Jésus va encore les solliciter pour qu’ils participent au prodige. La première étape consiste à procéder à un inventaire des possibilités : « combien de pains avez-vous ? Allez voir » Marc  6 : 38. Observons qu’en termes relationnels, le Seigneur part toujours de ce que ses interlocuteurs peuvent comprendre et faire. De même aussi, Dieu par Jésus-Christ veut faire fructifier en nous tout ce qui relève de notre possible. En référence à nos actes de foi, Dieu, par Jésus-Christ et le Saint-Esprit, déclenche l’agir. De ce fait, ce n’est que devant le constat d’un inventaire dérisoire (5 pains et deux poissons) qui désole les disciples, que le Seigneur va prendre les choses en main. Et c’est là qu’il convient d’être très attentif aux verbes employés (en Grec comme en Français, les verbes expriment l’essentiel de l’action).

Remarque générale : ce méga-repas ne peut pas se faire n’importe comment, ni au bon vouloir de ceux qui vont le recevoir…

 

Premier verbe : Jésus enjoint ou commande ou ordonne ou charge de faire (ἐπιτάσσω= epitasso en Français).

La spontanéité de l’amour du Seigneur se manifeste avec méthode. Elle laisse entrevoir des notions d’ordre et de discipline. Les apôtres et nous-mêmes sommes appelés à le comprendre… l’amour ne fait pas appel à une spontanéité désordonnée dans ce récit.

 

Le deuxième verbe : (εὐλογέω = en Français eulogeo). Jésus nous parle ici de louange, d’invocation, de bénédiction, d’une prière solennelle. Par extension le verbe grec exprime le désir de faire prospérer, de rendre heureux… Merveilleuse attitude qui devrait remplir nos cœurs de gratitude, car l’amour de Dieu par Jésus-Christ demeure invariable. Rien, pas

même le temps, n’a d’emprise sur les motivations de notre Père (cf. Jacques 1 : 17).

Le troisième verbe : Jésus brise en morceaux, il rompt les pains (κατακλάω= kataklao en Français). Merveilleux symbole du partage qui annonce un autre brisement plus profond, plus spirituel. C’est sa vie qu’il veut partager avec nous. Etre brisé pour être partagé, n’est-ce pas le sens d’un amour rayonnant ? Nous le retrouverons à la Cène.

 

Quatrième verbe : Jésus donne (δίδωμι = didomi en Français) pour que les disciples distribuent. Si nous nous sentons concernés par ce mémorable récit, alors nous comprenons que nous ne pouvons assurément donner, que ce que nous avons reçu du Christ. Et qui n’a jamais pris conscience d’avoir reçu, sera dans l’infirmité de pouvoir donner. C’est la grande leçon de ce méga-repas. Les disciples l’intégreront. Ils iront jusqu’à donner leur vie pour être fidèle à l’amour reçu de leur Sauveur. Tous, sauf l’apôtre Jean, mourront martyrs.

 

Cinquième verbe : Jésus partage aussi les deux poissons. Dans l’original, il divise, sépare en parts, coupe en morceaux (μερίζω = merizo en Français). Démultiplier pour partager, transmettre. Tout le symbolisme de la mission donnée aux disciples est compris dans ce verbe. C’est aussi la nôtre. Nous avons reçu, non pour garder pour nous, mais pour transmettre une nourriture vitale. Elle est don de Dieu, pour celui ou celle qui la reçoit, puis porteuse d’espérance, à son tour, quand elle est transmise. Quand Jésus dit «  vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre » Actes 1 : 8, c’est bien de cela qu’il s’agit…

 

Sixième verbe : tous mangèrent et furent rassasiés (χορτάζω = chortazo en Français= remplir, satisfait en nourriture, engraisser quand on parle des animaux).  Ce grand repas champêtre nous fait comprendre que ce qui est essentiel, n’est pas d’avoir simplement reçu. Le fait majeur consiste à manger ou consommer. Il faut digérer pour que cela soit profitable ! L’apôtre Pierre écrira : « Désirez comme des enfants nouveau-nés le lait spirituel et pur, afin que par lui vous croissiez pour le salut, si vous avez goûté que le Seigneur est bon » 1 Pierre 2 : 3. Ailleurs, un autre écrivain biblique parlera de ceux : « qui ont goûté la bonne parole de Dieu » Hébreux 6 : 5. Non seulement, sur les berges riantes du lac de Galilée tous mangèrent, mais ils furent rassasiés. Toute la nature qui nous environne est la démonstration d’un Père qui donne à profusion. Ceux et celles qui acceptent cette nourriture spirituelle peuvent en être convaincu : ils seront rassasiés. C’est une bonne nouvelle ! Dans notre récit, il y a même eu des restes. Eux aussi sont symboliques : on emporta encore 12 paniers pleins (cf. Marc 6 : 43). Le lien peut être fait avec les douze tribus d’Israël (cf. A.T.) et les douze apôtres (cf. N.T.).

 

Nous ne serons donc pas surpris, si nous retrouvons au repas avec les disciples, appelé, la Cène, les mêmes verbes. Au début de son ministère, le Seigneur Jésus, l’homme de Nazareth, s’est adressé d’abord à la multitude. Puis, à la fin de sa mission les repas deviennent plus intimistes, presque confidentiels.

 

Deuxième récit :

que nous apprend le repas de la Cène pris avec les douze apôtres qu’il avait soigneusement choisis ?

Là encore, la solennité de l’évènement est fidèlement rapportée par Matthieu, Marc et surtout Luc. Seul Jean décrit un repas relatant la trahison de Judas. Notons la similitude des gestes d’amour du Seigneur : « il prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi » Luc  22 : 19, version NEG.

 

Le pain est rompu (κλάω= klao en Français). On peut le traduire indifféremment par rompre ou briser (ce verbe est utilisé dans le N.T. pour décrire le geste du partage du pain de la communion, cf. Jean 21 : 11 ; Actes 20 :11 ; 27 :35 ; 1 Corinthiens 11 :24). Cette fois la signification symbolique est clairement décrite : « Ceci est mon corps, qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi »  Luc 22 : 19, version NEG. Ce texte est tout imbibé de l’amour du Christ pour l’humain. De nouveau le verbe grec, δίδωμι = didomi en français= donner, est usité. Qu’est-ce à dire sinon que ce pain, nourriture de base indispensable à la vie du corps, est symbole d’un don d’amour. Il fait référence à l’indispensable qui ne périt jamais. Il nous faut sans cesse faire mémoire de ce geste, car il concentre tout le projet divin.

« Il prit de même la coupe, après le souper, et la leur donna, en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous »  Luc. 22 : 20, version NEG. La référence au don d’amour, par la notion de sacrifice rappelant les actes cérémoniels de l’ancienne alliance, se trouve ici ravivée et explicitée par le rappel du sacrifice de la croix. Verser son sang, c’est dire donner sa vie. On parle bien d’un projet divin, car le Christ va se diriger vers ce qui était prévu (ὁρίζω = horizo en Français=  déterminer, désigner, ce qui a été déterminé –terrain de jeu-, décrété ordonner, nommer). L’apôtre Pierre écrira : « vous savez que ce n'est pas par des choses périssables, par de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous aviez héritée de vos pères, mais par le sang précieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache; prédestiné avant la fondation du monde »  1 Pierre 1 : 18-20, version NEG.

Que faut-il comprendre pour nous dans les symboles eucharistiques ? « Il nous a prédestinés (προορίζω =en Français proorizo= décider d’avance, annoncer l’éternité)  dans son amour à être ses enfants d'adoption par Jésus-Christ »  Ephésiens 1 : 5, version NEG. Il ne s’agit nullement d’une prédestination qui ferait fi de nos choix. Il s’agit d’un projet heureux. Il nous fixe les limites d’amour dans lesquelles nous devons évoluer. Comme dans beaucoup de sport, le terrain de jeu est délimité (les Grecs utilisaient ce verbe pour délimiter ou borner un terrain). Ceux qui sont à l’intérieur sont acteurs, les autres sont spectateurs. Or, Dieu veut faire de nous, par Jésus-Christ, les acteurs de son amour.

 

Troisième récit.

C’est cette expérience qui a été vécue par les disciples d’Emmaüs. Revenant de Jérusalem, après avoir appris la mort de Jésus-Christ, ils se dirigeaient vers un petit village nommé Emmaüs. Ils étaient tout tristes d’avoir appris ce qui s’était passé, et ils en parlaient entre eux, quand Jésus approcha et fit route avec eux. Tous deux entiers pris dans leur détresse, ils ne prêtèrent guère attention à cet homme. Au moment de se quitter, arrivés près de leur village, ils pressèrent cet homme à venir dîner avec eux, car le soir approchait. Et là, ce fut le grand choc émotionnel de leur vie. Le texte de Luc relate les

faits : « Pendant qu'il était à table avec eux, il prit le pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent; mais il disparut de devant eux. Et ils se dirent l'un à l'autre : Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ? » Luc. 24 : 30-32, version LSG.

Nous retrouvons les mêmes verbes d’action (que dans les deux premiers récits) avec les mêmes significations qui donnent cohérence à l’agir du Christ : εὐλογέω = en Français eulogeo = rendre grâces, bénir, louer. Κλάω  =  klao en Français = briser, rompre. Δίδωμι = didomi en français = donner. Mais alors que Jésus reproduit les gestes qui disent son action salvatrice, une illumination se produit dans le cœur des deux disciples. Ils reconnurent Jésus (ἐπιγινώσκω = epiginosko en Français= connaître parfaitement, précisément, bien connaître, devenir complètement familier avec). Quelle expérience sublime ! Le merveilleux de l’illumination intérieure peut aussi être notre expérience …

 

Conclusion :

 

Nous avons revisité trois récits différents retraçant les mêmes gestes du Christ, au début et à la fin de son ministère. Partant d’une rencontre avec une grande foule, nous avons cheminé et sommes entrés dans la chambre haute où Jésus a pris son dernier repas avec ses douze disciples, avant d’être conduit à Golgotha. Enfin, sur les chemins de Palestine, nous avons retrouvé le Seigneur dans une rencontre, encore plus intimiste, avec deux autres de ses disciples. Une foule, un groupe, des individus, tous les exemples sont cernés. Ils nous disent tous la même vérité : l’humain a été aimé de Dieu par Jésus-Christ. La symbolique des gestes du Sauveur nous imprime l’épaisseur et la densité de cet amour. Nous avons aujourd’hui l’opportunité d’en faire non seulement mémoire, mais d’accueillir et d’imiter l’agir de Jésus de Nazareth…

Le pain brisé, la vie brisée, la coupe partagée, le sang répandu, tout est symbole, et tout nous parle d’un amour ardent. Or l’amour ne meurt jamais ! « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » 1 Jean 4 : 8. « De crainte, il n'y en a pas dans l'amour; mais le parfait amour jette dehors la crainte, car la crainte implique un châtiment; et celui qui craint n'est pas accompli dans l'amour. Nous, nous aimons, parce que lui, le premier, nous a aimés » 1 Jean 4 : 18-19, version TOB ».

Quand nous participons au repas de la cène et que nous reproduisons les gestes du Seigneur de gloire, est-ce que nos yeux s’illuminent ? Est-ce que notre cœur brûle ? 

« Je t’aime d’un amour d’éternité, aussi, c’est par fidélité que je t’attire à moi », ainsi parle le Seigneur, Jérémie 31 : 3, version A. Chouraqui.    

               

                                                                                       Jacques Eychenne

 

PS : NEG, version  Nouvelles Editions de Genève ; TOB, Traduction Œcuménique de le Bible.

 

 

 

 

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