La Tour de Babel

ou                                        

Dieu tyran ou thérapeute


Genèse  11 : 1-9 

 

Introduction :

 

Ce récit fait partie des textes surprenants del’histoire biblique. Pour ne pas lui faire dire ce qu’il n’exprime pas, il convient de faire une brève récapitulation de la relation de Dieu avec les hommes (créatures de Dieu).

Nous venons de poser le mot important : RELATION. En effet, ce texte comme beaucoup d’autres doit se lire surtout sous ce rapport sinon on vogue dans le domaine de l’absurde !

Expliquons-nous : La bible définit Dieu comme le Créateur. Elle le révèle sous les traits d’un Père. Les évangiles l’attestent et développent largement cette réalité objective.

Il y a incontestablement une volonté de relation entre Dieu et nos premiers parents (Adam et Eve). Cette relation avec notre humanité va perdurer tout au long de notre histoire. Cela parait logique. Le Père n’a pas mis au monde des enfants pour les faire périr. Cela relèverait de l’absurde…

 

Développement :

 

Mais, comment est entendue cette relation ? Notre texte est significatif sur ce point :

Soit Dieu est un tyran, un despote qui n’aime pas être contrarié, et de ce fait interdit, sanctionne, supprime et disperse les humains pour mieux les dominer… Soit c’est un être plein d’amour qui sollicite une relation d’amour, responsabilise et invite à des choix relationnels clairs, en agissant comme pédagogue et  thérapeute.

 

Suivant l’a priori  que l’on a  au départ, on va aborder le texte de la confusion des langages différemment. Pour des raisons évidentes, fruits de l’expérience personnelle d’une myriade de chrétiens, écartons l’hypothèse d’un Dieu tyran et despote. Sinon, admettons que le dicton : diviser pour mieux régner est bien applicable à Dieu.

 

Mais alors, cette position serait totalement incohérente avec l’ensemble de la Révélation Ecrite. Ne qualifie-t-elle pas Dieu en disant : « Dieu est Amour ».1 Jean 4 :16.  Notre expérience humaine n’est-elle pas sur ce point une référence. En effet, est-ce que nous mettons  au monde des enfants dans le but ultime d’avoir la joie de les supprimer ? Ce ne peut être que l’acte d’un malade ou d’un déséquilibré !

Nous avons par contre toutes les raisons d’opter pour un Dieu d’amour qui voulant transmettre ce qu’il est, a choisi une démarche raisonnée et affective.

Une démarche qui intègre simultanément, volonté relationnelle de qualité, processus pédagogique et actions thérapeutiques.

 

Avant d’aborder le détail du texte de genèse 11, prenons conscience que, dès le premier chapitre de ce livre, le désir de relation est posé sans ambiguïté. Tout commence par la création d’un homme et d’une femme, puis d’une bénédiction assortie d’une responsabilité.  (Cf. Genèse 1 : 26-28)

Mais, cette responsabilité est accompagnée d’un interdit (Cf. Genèse 2 : 16-17). La question intéressante est de demander : Pourquoi ?

Dieu  veut une relation de qualité, pour cela, il faut que l’humain se construise.

La psychanalyse a largement démontré l’importance de l’interdit dans la structure de la personnalité.

C’est donc face à un vis-à-vis que l’humain est appelé à faire des choix libres et désirés. C’est le prix d’une relation adulte, donc mâture. C’est ainsi qu’il apprend à se construire...

Mais quand  l’humain fait acte d’indépendance, Dieu vient le rencontrer pour lui permettre d’expliciter son choix. (Cf. Genèse 3 : 8-10).

Ce processus pédagogique était appelé à faire grandir nos premiers parents. Curieusement, c’est à ce moment qu’ils prennent conscience de leur nudité. L’aspect physique est largement dépassé par tout l’enjeu psychologique et affectif. La nudité n’est que le révélateur d’un problème de fond qu’il convient de ne pas esquiver.  Mais Dieu, tel un bon Père, accepte fort bien leur refus momentané de relation !

Comme un pédagogue qui se remet en question, Dieu à partir de là, va tout mettre en œuvre pour donner à l’humain l’occasion de découvrir par lui-même que Dieu voulait et veut uniquement son bien. L’objectif avoué est clair, dès le départ. L’intention est précisément déclinée. Elle invite à une découverte personnelle :

         Vivre en adhésion avec le projet de Dieu devient l’objectif de vie.

Dès lors, Dieu interpelle l’humain dans sa relation avec ses semblables et dans ses projets. Il indique qu’en relation vraie, il existe un point  limite. C’est ce que l’on appelle la rupture, la séparation, le divorce.

Tel un Père attentionné, Dieu ne cesse de recréer les bonnes conditions d’une relation d’amour. On le voit avec Noé et ses descendants... Et  cela nous conduit à notre texte.

 

Vous l’aurez bien compris, le récit de la tour de Babel, ne peut se lire qu’en reformulation relationnelle. Autrement dit, l’important n’est pas l’histoire en elle-même, mais plutôt la réflexion qu’elle suggère dans la relation de Dieu avec l’humain, avec les humains.

 

Le contexte de Genèse chapitre 10 montre en effet la diversité des peuples au travers des 3 fils de Noé, chacun ayant un nom, c'est-à-dire une identité qui lui est propre et unique.

 

La bible ne parle pas seulement d’un Dieu unique, mais aussi d’humains uniques dans une diversité de peuples et de races : « Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve, lui qui est le Seigneur du ciel et de la terre... D’un seul être il a fait toutes les nations des humains, pour que ceux-ci habitent sur toute  la surface de la  terre, dans les temps fixés et  les limites qu’il a institués, afin qu’ils cherchent Dieu, si tant est qu’on puisse le trouver en tâtonnant. Pourtant il n’est pas loin de chacun de nous, car c’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes ». Actes 17 :24,26-28 (version Nouvelle Bible Segond)

Même si les liens du sang sont importants, personne n’est identique à l’autre.

L’accusation de Freud contre les religions, disant qu’elles rassemblent les « hommes en foules uniformisées » (1) est donc infondée dans la bible.

C’est l’individu qui  est premier en relation, non le groupe. L’individu est appelé à se bonifier dans un groupe, non à perdre son identité. Les exemples montrant le caractère unique de chaque être vivant sont nombreux dans la bible. Ils soulignent l’intentionnalité de Dieu, et accentuent son désir de relation personnelle. Avec cette remarque nous sommes au coeur du problème posé par la construction de la tour de Babel.

 

Or que se passe-t- il dans le récit qui nous intéresse ?  Genèse 11 :1 

Ils ont une seule langue, les mêmes mots. Ils peuvent donc bien communiquer…  

Ce qui pose problème, c’est que ce seul parler, (dans l’original il est question d’un parler unique, Il est un comme Dieu. Le mot éhad est celui qui définit l’unicité de Dieu dans la prière traditionnelle du shema Israël, (Cf. Deutéronome. 6 : 4). Mais là, ce parler unique s’organise en force d’opposition à Dieu.

Si cette opposition avait servi à les faire grandir, Dieu ne serait pas intervenu !

Mais un énorme danger apparaît pour l’humain. Ce danger est illustré par le mot d’ordre :

« Allons ». Il y a manifestement la volonté de ne faire qu’un dans ce projet contraire au plan de Dieu. On s’unit pour exprimer une volonté contraire à celle de Dieu.

Le danger est de taille ! Cette belle unanimité est d’abord un péril pour l’homme, avant d’être opposition à Dieu.

La psychanalyse moderne nous dirait qu’elle gomme l’individu en faveur de la masse. L’un, l’unique, n’est plus différencié. Il est fondu dans la masse, donc il n’est plus. Ainsi,  tous sont appelés à être conformes, semblables. La personne n’est plus,  seul le groupe compte.

On en arrive insidieusement à la négation de soi, au profit  de l’avenir d’un groupe. Les idéologies anciennes (marxiste et léniniste) et nouvelles (dictature et ayatollah)  sont là pour raviver ce danger.

On ne pense plus pas soi-même, on répète des slogans, on récite une leçon façonnée par d’autres. Le péril aujourd’hui est plus spirituel, au sens fort du terme, que religieux. Les gens sont d’ailleurs de plus en plus religieux et de moins en moins spirituels.

 

Dieu a crée l’unité dans une prodigieuse diversité. Chacun est unique, semblable à Dieu dans son caractère unique. Quand on entend unité  dans les églises, on confond souvent les mots : uniformité et unité. L’uniformité est le penser tous pareil. Sinon, on nous fait comprendre que nous n’avons rien compris à la Parole de Dieu. La suite logique est l’exclusion. Pour cela des individus ou des petits groupes définissent ce qu’il faut penser et croire. C’est le fait des hommes, avec leur ambition, leur prétention, leur soif de pouvoir...

L’unité est la convergence de nos individualités vers Dieu. C’est avant tout un état d’esprit. Certes, il procède d’une volonté humaine, mais si cette dernière n’est pas sanctifiée, le résultat est le même que pour l’expérience de Babel. Dans sa forme la plus noble, l’unité ne peut-être que le résultat de l’action de l’Esprit de Dieu dans nos vies.

 

Mais revenons à notre récit... Le texte insiste : « bâtissons pour nous, faisons pour nous… » Genèse 11 :4

Que devient une communauté religieuse quand l’individu n’est plus pris en compte dans ses attentes et ses espérances ?

Quand les interdits, les anathèmes, les culpabilisations, les menaces d’exclusion sont là pour le maintenir domestiqué et totalement dépendant du bon vouloir des responsables.

Certes la notion du scandale publique doit être sanctionnée, mais si elle n’est pas attestée par deux ou trois témoins, la présomption d’innocence doit l’emporter, la confiance en l’autre, le frère, doit triompher…

De grâce, n’allons pas fouiller dans la vie des gens en pensant que nous sommes meilleurs ! (En agissant ainsi on se met en danger, on se place au même niveau que ce que l’on dénonce, se faisant accusateur de son frère. Si nous ne sommes pas convaincus relisons : Romains 3 : 9-12).

 

Toute l’histoire humaine n’est que répétition d’un désir de pouvoir et de domination, dissimulé souvent par une responsabilité de maintient de l’ordre. Il dessert   l’humain et le place en  opposition à Dieu. Les conséquences de cet état d’esprit dans l’histoire, ont été négatives pour l’homme. Elles sont à l’origine de la mise en place de la royauté en Israël et des institutions supra-structurées dans le monde religieux.

Or, la proposition de Dieu le Père était claire : Dieu se proposait d’être le conducteur d’Israël  et  le chef de l’église par l’action du saint-esprit.

 

Qui dirige aujourd’hui ? Et par qui veut-on être dirigé ? N’y-a-t-il pas danger à suivre aveuglément ceux qui disent : «  allons et bâtissons »

Allons ! bien sûr, faisons des projets ensemble, mais où ? Pourquoi ? Et comment ?

 

Dieu avait confié une responsabilité à l’humain fidèle : Celle de remplir la terre (Cf. Genèse  9 : 1). Dieu voulait une dispersion, il s’en portait garant. Les descendants de Noé ont fait l’inverse, ils se sont rassemblés en un seul lieu, avec un seul projet  opposé à celui de Dieu.

 

La dispersion sur la terre avait pour valeur pédagogique de maintenir la nécessaire confiance en Dieu, face à cette aventure vers l’inconnu. Abraham en est le parfait exemple.

Le texte dit : «  Faisons nous un nom de peur que nous soyons disséminés »  Genèse 11 :4, traduction littérale proposée par Marie Balmary) (2).

La peur a conduit les descendants de Noé dans la direction inverse à celle ordonnée par Dieu.

Au chapitre précédent chacun avait un nom différent, là, ils veulent se faire un nom commun par peur de perdre leur identité. Avec la construction de la tour de Babel, c’est pourtant ce qui va  arriver !

La peur nous conduit souvent à faire des choix contraire à notre bien !

L’apparence étant souvent trompeuse, il nous faut rester vigilant. Le groupe peut être une aide, tout autant qu’un handicap pour notre foi. Il peut être un frein à notre progression dans la mesure ou la solidarité passe avant le penser par soi-même. L’adhésion à l’enseignement du groupe  peut anesthésier la pensée personnelle. D’ailleurs, si on persiste dans une compréhension différentes des textes sacrés, on finit par être marginalisés. De plus, sous prétexte d’unité, toute institution, pour asseoir son autorité va définir le politiquement correct des attitudes et pratiques.

Quand une institution religieuse est plus préoccupée d’elle-même, de sa réputation, de son rayonnement que de porter le message du Christ qui l’a fait naître, il y a danger pour la relation personnelle de ses  fidèles  avec Dieu.

 

Rien ne remplacera la confiance personnelle en Dieu et la liberté de la pensée dans le respect des convictions de chacun. Cette autonomie est un plus, pour soi et pour le groupe.

 

C’est l’objectif pédagogique que devrait avoir chaque responsable

 « Ce nom » qu’ils ont cherché à se faire a donné la première place au collectif par rapport à l’individuel.

Le Christ a fait la démarche inverse, il  a laissé le groupe pour rencontrer l’individu.

(L’ex. de la brebis perdue est significatif ! Cf.Matthieu 18 :11-14, Luc 15 :3-7).

Le groupe n’a de sens que dans la mesure où il fait grandir l’humain, le responsabilise, et lui fait découvrir les outils de son autonomie. Aimer, c’est accepter la différence comme une richesse, c’est accueillir le parcours de chacun comme un cadeau.

Tout ce qui attente à la liberté individuelle, surtout et avant tout sur le plan spirituel, est un danger.

 

Gardons toujours en mémoire que le but premier des apôtres a été d’annoncer une bonne nouvelle de salut et non de créer des églises. D’ailleurs, à l’origine, les réunions des fidèles se passaient dans les maisons. (Cf. Colossiens 4 : 15).

Force est de constater aussi que  les évènements de la diaspora ont largement contribué à transmettre la connaissance de Dieu.

Dieu agit en merveilleux thérapeute, même si l’humain ne comprend pas où comprend mal.

Dans l’exemple de la tour de Babel, Dieu agit pour démasquer l’hypocrisie de la belle unanimité, celle qui repose en fait sur une caricature d’unité. Dieu agit pour que cette fausse unité ou cette unité négative ne fonctionne plus.

Et cela dans le but de protéger l’être, l’individu, afin qu’il ne se perde pas.

Comme un bon père, Dieu a vu (v. 5) que ses enfants étaient en danger.

Il fallait dénoncer avec force le mensonge d’une harmonie sans différences et sans nuances. Ce délire collectif négatif niait inconsciemment  l’être profond et unique. Dieu a agi  en  thérapeute dans le vrai sens du terme : En dispersant le tout, il sauve le un. On est à l’opposé des visées du séducteur : Lui disperse, divise, mais  pour mieux régner ! Le résultat est patent.  Dieu sauve l’individu en dispersant le groupe¨anthropophage¨comme disent les psychanalystes. L’Eternel a dispersé pour sauver.

 

Conclusion :

 

Le paradoxe de ce récit est résumé par la finalité de Dieu dans la mise en place d’un royaume nouveau, en vue d’une relation nouvelle, fondée sur la confiance et l’amour. Le clin d’œil de l’histoire, c’est le mot de Babel, porte du Dieu. A ne pas confondre avec Babylone : porte des dieux.

Cette dispersion est une porte ouverte pour une nouvelle aventure, une nouvelle expérience avec Dieu, fondée sur la confiance. C’est ce qu’ont expérimenté les disciples dans le sens inverse et positif. Ils sont expérimentés une Babel nouvelle.   «  Ils étaient tous ensemble dans le même lieu » Actes 2 :1  et Dieu a agi avec l’effusion historique du Saint-Esprit.

Ils étaient rassemblés non pour faire, en s’opposant à Dieu par peur, mais au contraire pour se laisser conduire dans une aventure ou chacun aurait une place, sa place. C’est cela la véritable Eglise ! Ce type de situation ou l’humain se positionne dans la relation de confiance est la meilleure garantie pour son épanouissement. Cette démarche responsabilise dans le présent et l’avenir. Mais, cette garantie est dans le pouvoir de Dieu, non dans le vouloir de l’homme  si bien intentionné  soit-il !

                                                                                  

 

                                                                                                                      Eychenne Jacques

 

 

       (1) le sacrifice interdit, Freud et la Bible, Marie Balmary, éd. Grasset page 79,75 

(2)  Idem. Page 83

 

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