L'interprétation des Ecritures

« Commençant par Moïse… [Jésus] leur fit l’interprétation de ce qui, dans toutes les Écritures, le concernait» (Luc 24.27).

 

La Bible mérite notre confiance, notre attention, notre méditation et notre étude. Mais tout homme se pose à lui-même, un jour ou l’autre, peu ou prou, la question : «Comprends-tu ce que tu lis ? » Il doit souvent avoir l’humilité de répondre: «Comment le pourrais-je, si personne ne me guide?» En cela nous sommes en bonne compagnie. Nous pouvons aussi involontairement tordre le sens de l’Écriture. Deux mille ans de lectures et de commentaires, malgré les trésors considérables qu’ils ont révélés, n’ont pas simplifié la tâche, car les explications traditionnelles risquent parfois d’en falsifier le sens. S’impose donc à nous maintenant la question de la compréhension de cette parole, c’est-à-dire de son interprétation

 

Conditions morales et spirituelles

 

Lorsque nous avons introduit cette série d’études sur la foi chrétienne, nous avons posé comme fondement la Parole (logos) de Dieu qui « était au commencement». Jean nous révèle que ce logos s’est incarné, devenant Jésus de Nazareth, le Christ. En parfaite harmonie avec ce principe fondateur, il nous faut ajouter aujourd’hui que le Christ n’est pas seulement le point de départ de la Révélation, l’alpha, il en est aussi le but, la finalité, l’oméga (Apocalypse 22.13). Entre ces deux infinis, nul mieux que lui ne peut être notre guide. Non seulement parce qu’il a l’intelligence de l’Écriture, mais parce qu’il en est le corps, la réalisation: «Vous sondez les Écritures […] vous pensez avoir en elles la vie éternelle […] ce sont elles-mêmes qui me rendent témoignage.» (Jean 5.39) Fondement de la révélation chrétienne, le Christ est donc aussi le fondement de sa compréhension. Jamais on n’accordera trop d’importance à cette pierre angulaire de l’interprétation. C’est pourquoi il nous paraît essentiel de lui consacrer cette première étude.

 

1. Il est certes important de poser les règles intellectuelles de cette science, ou de cet art, de l’interprétation des textes qu’est l’herméneutique. Mais il existe un préalable. La personne et le message du Christ nous disent que la compréhension de l’Écriture est prioritairement un chemin de spiritualité, de prière, de foi, d’humilité, de renoncement à soi-même, d’obéissance, de fidélité. «C’est moi qui suis le chemin, la vérité et la vie […] hors de moi, en effet, vous ne pouvez rien faire.» (Jean 14.6 ; 15.5) La démarche explicative doit être la plus logique, la plus raisonnable, la mieux informée pour prendre en compte les savoirs linguistiques, culturels, historiques, théologiques qui éclairent l’écrit. Mais elle est seconde, même si elle n’est pas secondaire.

D’ailleurs, à sa manière, dans sa volonté de probité intellectuelle, ne rend-elle pas hommage à celui qui est la Vérité ? Son point de départ, c’est la rencontre avec le

Christ de Dieu, et son point d’arrivée, la rencontre avec le Dieu du Christ. « Je leur ai fait connaître ton nom» (Jean 17.26), disait Jésus, traçant ainsi le chemin annoncé :

«Prépare-toi à la rencontre de ton Dieu. » (Amos 4.12)

 

2. En dehors d’une recherche de communion avec le Christ, d’une découverte chaque jour renouvelée de sa personne, de sa présence dans nos coeurs, de son amour, de son message et d’un engagement, toute étude, fût-elle celle de la Bible, risque de n’être qu’une connaissance qui enfle, une fausse science, une gnose. L’Église chrétienne a considéré avec juste raison le gnosticisme comme une hérésie.

 

 

3. Le Christ a promis l’Esprit, le Paraclet, qui « conduira dans toute la vérité» (Jean 16.13). Le Saint-Esprit a inspiré les auteurs de l’Écriture, il est donc cohérent que ce soit l’Esprit qui guide le lecteur dans son interprétation. C’est pourquoi la première « règle » dans ce domaine est d’ordre moral et spirituel.

En cela l’herméneutique biblique, religieuse, malgré la grande proximité avec l’herméneutique séculière au plan des méthodes, est radicalement différente.

 

4. Il ressort de tout cela que le Christ est notre maître en matière d’interprétation. C’est bien ce qu’il a fait tout au long de son ministère, exhortant ses auditeurs et ses disciples à la compréhension, à l’intelligence. Jésus n’impose pas des choses à accepter, à croire sans réfléchir, au contraire, il s’efforce constamment de susciter une capacité de réflexion, une ouverture.

Il est particulièrement intéressant de se pencher sur l’épisode des disciples d’Emmaüs (Luc 24.13-35). Les deux hommes ne comprennent pas. Jésus leur explique les Écritures. Il ne cherche pas à leur fourrer «des idées toutes faites dans le crâne » mais les initie à un processus, les prépare à avoir les yeux ouverts et le coeur chaud.

 

5. L’affirmation « il leur fit l’interprétation des Écritures» montre bien la nécessité de cette interprétation. Elle suffit à elle seule à réfuter ceux qui prétendent qu’il n’y en aurait nul besoin. Ce sujet est si important qu’il mérite examen.

 

a) Il est vrai que de très nombreuses affirmations bibliques concernant la vie quotidienne (comme les exhortations sur l’amour mutuel, le pardon, la prière, etc.) n’ont guère besoin d’être interprétées ; elles ont beaucoup plus à être mises en pratique (Jacques 1.22).

Cependant, certaines de ces exhortations ne sont pas évidentes.

Ainsi, paradoxalement, ce texte de Jacques dit dans l’original «Soyez les “poètes (réalisateurs, artisans) de la Parole». J’ai rencontré des chrétiens authentiques osant s’ouvrir à moi parce qu’ils étaient bloqués et culpabilisés par le chapitre 13 de 1 Corinthiens (l’amour croit tout, supporte tout). Ces textes peuvent-ils être compris à la lettre, comme une sorte de dépersonnalisation et de fatalisme ? Faire cela, c’est déjà les interpréter… de manière malsaine. On ne doit pas tout croire ! On ne doit pas tout supporter, par exemple, dans une relation, au point d’être avili ou détruit. Une interprétation évitant les faux sens s’impose donc.

 

b) Il est vrai aussi qu’une certaine méfiance à l’égard du phénomène interprétatif est légitime. Par « effet de l’art », et donc par artifice, on peut arriver à faire dire à la Bible un peu n’importe quoi. Mais ce risque – très grand, l’histoire peut le confirmer – d’interprétation farfelue ou tendancieuse rend absolument nécessaire une méthode sage et rigoureuse d’interprétation.

 

 

Nous avons souvent de la vérité une conception très dogmatique et intellectuelle, celle d’une saine doctrine, par opposition avec l’erreur. C’est juste, mais insuffisant…

 

 

Dans le texte de Luc 24.27, le mot grec traduit par expliquer ou interpréter provient du verbe hermêneuô. On reconnaît dans ce mot la racine Hermès (Mercure), nom du dieu interprète, ou porte-parole, de Zeus (Jupiter). C’est ce mot qui a donné le terme «herméneutique », nom de la science de l’explication des textes. Sans entrer bien sûr dans toutes les considérations théoriques fort complexes de cette discipline, ce sont les règles pratiques, le plus souvent règles de simple bon sens, que nous reprendrons dans les prochaines études.

 

Conséquences

 

Si priorité est donnée à la dimension spirituelle de la lecture et de l’étude de la Bible, soulignons-en quelques conséquences, afin de ne pas faire de cette recherche de l’Esprit du Christ quelque chose d’éthéré et d’exagérément mystique.

 

1. Le Christ est la Vérité. Il l’est non seulement parce qu’il dit vrai, mais parce qu’il est vrai, en lui-même, dans sa relation au Père, dans sa relation aux hommes. Nous avons souvent de la vérité une conception très dogmatique et intellectuelle, celle d’une saine doctrine, par opposition avec l’erreur. C’est juste, mais insuffisant, car si j’établis un point de « vraie » vérité par une argumentation discutable, voire intellectuellement malhonnête, est-ce vraiment la vérité que je sers ? À côté de la vérité doctrinale, celle du contenu, il y a la vérité de la démarche, du processus qui est elle aussi très importante, car la fin ne justifie pas les moyens. On lit habituellement l’expression « dans toutes les Écritures» de Luc 24.27 en termes de contenu : tout l’Ancien Testament rend compte, d’une manière ou d’une autre, du Christ. C’est exact. Mais peut-être y a-t-il aussi une indication de méthode : l’étude d’un sujet biblique, quel qu’il soit, ne doit pas se faire sur une sélection de quelques textes qui vont dans le sens de notre idée, en faisant l’impasse sur d’autres déclarations. De partiel, on risque vite de devenir partial.

 

2. On pourrait aussi parler du but. Défendre une vérité pour « avoir raison», peut-être même pour « taper sur l’autre » n’est pas dans l’esprit du Christ.

 

3. La vérité comporte de nombreuses facettes. Ainsi, la « vérité » de l’expression c’est la sincérité, la « vérité » des formes c’est la beauté, la « vérité » des actes c’est la justice, la « vérité » de l’amour c’est la reconnaissance de soi en autrui…

 

4. Si la communion avec le Christ précède et motive la recherche intellectuelle, cela veut dire que l’augmentation de nos « connaissances » ne devrait s’opérer que parallèlement à une « connaissance » au sens biblique du terme, une connaissance expérimentée et un développement de notre personnalité. Le disciple précède l’« étudiant » (Jean 8.31, 32) et le « savant » devrait d’abord être un « sage ». C’est un renversement complet de la perspective moderne, où n’importe qui ayant des compétences intellectuelles peut acquérir des savoirs puissants, donc potentiellement dangereux et monnayables (quelle que soit la discipline, biologique ou physique, par exemple), avec les conséquences catastrophiques, à plus d’un titre (éthique, écologique, sanitaire, économique, etc.) que l’on sait.

 

5. Enfin, si le Christ est le centre et la clé des Écritures, il convient, entre plusieurs lectures possibles d’un passage, de choisir celle qui va dans le sens de la révélation qu’il a donnée. Certaines pratiques de l’ancienne alliance, comme la polygamie ou les sacrifices, sont perçues à juste raison à la lumière du Nouveau Testament, non comme des principes toujours valables mais comme des éléments à dépasser.

Mais peut-on en dire autant d’autres conceptions comme l’apologie de la violence, de la guerre, de la peine de mort, etc. qui restent souvent partie prenante de la théologie « chrétienne»?

En conclusion, est-ce que je lis toujours la Bible dans l’alliance, dans « l’herméneutique », du Christ ?

Une fois posé ce fondement spirituel et moral, qui ouvre déjà, nous l’avons vu, des pistes interprétatives, il nous est loisible désormais d’aborder les principes d’herméneutique, c’est-à-dire les principales règles « techniques » de la compréhension des textes. Nous essaierons de dépasser leur côté un peu rébarbatif en les illustrant d’exemples concrets pour les rendre plus évidentes, montrer leur intérêt et faire en sorte qu’elles deviennent des instruments de travail utiles et efficaces.             A suivre...

                                                                                                                                                    Philippe Augendre

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