Sur le roc, je bâtirai mon église

 

 

« Sur le roc je bâtirai         mon assemblée »

        Matthieu 16 : 13-20

 

Introduction :

 

Après avoir exercé son ministère en grande partie en Galilée, Jésus fait une pause dans sa prédication publique. Il retourne en Phénicie (cf. Matthieu 15 : 21-28), puis revient près de la mer de Galilée (cf. Matthieu15 : 29), pour se diriger vers le Nord, dans le territoire de Césarée de Philippe (cf. Matthieu 16 : 13). C’est dans cette contrée que le Seigneur, lors d’un échange très intimiste avec ses disciples, les questionna sur leur perception de sa personne. La suite du texte nous montre qu’il ne s’agissait pas simplement de connaître leurs points de vue. Ce n’était guère plus une question de curiosité. L’objectif du Christ était clair. Il s’agissait d’éveiller leur attention sur la finalité de sa mission   : « À dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. »  Matthieu 16 : 21, version de Jérusalem. En regard de cette réalité, l’entretien a valeur de repère historique.  

 

Regardons de plus près ce passage unique chez Matthieu (cf. Matthieu 16 : 13-20) repris en partie seulement par les autres évangélistes.

 

Développement :

 

« Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : " Au dire des gens, qu'est le Fils de l'homme ? " Ils dirent : " Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres encore, Jérémie ou quelqu'un des prophètes. " Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? " Simon-Pierre répondit : " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. " En réponse, Jésus lui dit : " Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! Moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. " Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ. »  Matthieu 16 : 13-20, version Bible de Jérusalem.

 

Première observation. Après une année passée avec ses disciples, Jésus procède à un sondage d’opinion. Quoi de plus normal que de solliciter un retour d’informations sur l’enjeu de son intervention dans l’histoire d’Israël ! Que dit l’opinion publique sur le Fils de l’homme ? Matthieu ne fait pas dire « je » à Jésus, au contraire de Marc (cf. Marc 8 : 27) et de Luc (cf. Luc 9 : 18). De plus, curieusement, il utilise l’expression énigmatique de « Fils de l’homme ». Dans la culture du peuple, cette appellation fait référence aux écrits prophétiques d’Ezéchiel (cf. Ezéchiel 2 : 1, 3, 6, 8, idem dans tout son livre) et de Daniel (cf. Daniel 7 : 13 ; 8 : 17). On peut dire que l’on est dans un langage futuriste. Les théologiens l’appellent : le genre apocalyptique. Si Jésus a volontairement choisi d’être nommé ainsi (c’est l’appellation qu’il affectionnera le plus), c’est peut-être pour rester dans la tradition des prophètes, s’inscrire dans une perspective apocalyptique, signifier sa proximité avec l’humain et ne pas imposer sa messianité. Autrement dit, Jésus a instillé un processus de découverte de sa personne. Ce décalage, entre l’opinion populaire et la recherche personnelle, devrait nous éveiller à la nécessité de nous forger une conviction personnelle.

Le sondage révèle que les Juifs de l’époque pensaient plus à la survivance d’un personnage du passé (cf. Jean le Baptiste ; Elie ; Jérémie ou un autre prophète), qu’à un être vivant dans leur présent. C’était d’autant prégnant que les responsables juifs avaient classé Jésus parmi les gens ordinaires (cf. Matthieu 11 : 19).

 

En contraste, la question très personnelle du Seigneur (« mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ?), invite les disciples à se positionner individuellement. Et c’est Pierre (certainement le plus ancien parmi eux) qui répond : " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. " « ὁ χριστὸς ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ τοῦ ζῶντος ».  Le Christ en grec, comme le Messie en Hébreu, signifie l’oint de l’Eternel. Le mot Messie serait plus approprié, car Pierre a compris sous l’inspiration divine, que Jésus-Christ était l’accomplissement de toutes les promesses, la réalisation de l’alliance qui annonçait un libérateur. Pierre ne pense pas en Grec. Sa pensée est premièrement Juive. Souvenons-nous de la rencontre des premiers disciples… Quelle fut l’exclamation d’André, le frère de Simon Pierre : « Nous avons trouvé le Messie », ce qui signifie le Christ. » Jean 1 41,45. (L’apôtre Jean, comme d’autres traductions de la Bible,  confirme bien notre explication).

 

Mais, par l’illumination du Saint-Esprit, Pierre va plus loin. Il déclare que Jésus est « le Fils de Dieu, le vivant ». L’insistance de l’article sur celui qui vit est importante. La conception inspirée de Pierre tranche avec la compréhension de la survivance d’un prophète, fût-il le plus grand comme Jean le Baptiste. Plus tard, à la Pentecôte, Pierre opposera sa découverte du Christ, aux hommes qui adorent des idoles (cf. Actes 14 : 15 ; 17 : 29). Cette confession des apôtres dont Pierre se fait l’interprète, par son caractère unique, fonde la foi chrétienne. (C’est d’ailleurs à cette occasion, selon Jean,  que Jésus va solennellement changer le nom de Simon en celui de Pierre  «Πέτρος = une pierre, un caillou », cf. Jean 1 : 42).

Jésus répond à Pierre en le déclarant : « Heureux ». C’est la seule béatitude nominative des évangiles. Et le Maître précise que la chair et le sang (expression typiquement juive désignant l’humain dans son entier) sont étrangers à cette révélation. Cette révélation est d’origine divine. Elle fonde la foi en Christ. Il s’agit d’une révélation au sens apocalyptique. Le verbe ἀποκαλύπτω a son substantif  ἀποκάλυψις = « révélation de Jésus-Christ » Apocalypse 1 : 1. Pierre a vécu au sens étymologique une apocalypse, c'est-à-dire, d’un dé-voilement de ce qui était jusqu’alors caché aux humains. On comprend mieux que le Christ le déclare heureux. Jésus prolonge cette révélation par une autre apocalypse. « Eh bien ! Moi je te dis : Tu es Pierre (caillou), et sur cette pierre (roc) je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. » v. 18.

 

« σὺ εἶ Πέτρος, καὶ ἐπὶ ταύτῃ τῇ πέτρᾳ οἰκοδομήσω μου τὴν ἐκκλησίαν ». L’auteur utilise un mot masculin pour désigner un nom propre et un nom féminin pour désigner un nom commun. Notons que le jeu de mots en français peut être trompeur.  Πέτρος = une pierre ( Le dramaturge grec Euripide de Salamine dont la statuette est au musée du Louvre, utilisait ce mot pour montrer que l’on pouvait remuer toutes sortes de pierres.) πέτρα = la roche. (Plutarque, le célèbre philosophe et biographe qui vivait du temps des apôtres parle de la roche des Nabatéens. Pétra, en Jordanie, est un reste de cité construite dans le rocher de grès).

 

Ce texte important va être compris différemment par la chrétienté au cours des âges. La tradition orthodoxe de l’Eglise catholique, apostolique, et romaine considère que tous les évêques confessant la vraie foi sont dans le prolongement de la succession de Pierre (reconnu comme le premier souverain pontife) alors que les exégètes protestants (au sens large) pensent que Jésus met l’accent sur le témoignage inspiré de Pierre. C’est sur cette base que la communauté chrétienne est édifiée. Que faut-il en penser ?

 

Avant d’examiner le texte, on peut déjà affirmer que la confession de Pierre a déjà été précédée d’ après Matthieu par celle de Satan (cf. Matthieu 4 : 3), par celle des démons (cf. Matthieu 8 : 29), et par les disciples eux-mêmes (cf. Matthieu 14 : 33). L’originalité de sa confession est d’associer la divinité du Christ à notre monde du vivant. C’est un Dieu vivant ! Christ est son envoyé. La divinité habite notre humanité (cf. Mattieu 1 : 23). Elle est bien là, la nouveauté de sa déclaration inspirée : Un Dieu qui veut se rendre vivant par Jésus-Christ dans nos vies, n’est-ce pas la plus belle des découvertes ? C’est l’œuvre de la grâce qui fait éclore notre foi… Mais revenons au texte :

Le jeu de mots en français concernant  Pierre ne peut être satisfaisant  pour au moins quatre bonnes raisons :

  1. La différence des 2 mots (traduits par Pierre et pierre en français) grecs est évidente. (L’onomastique (étude des noms), branche de la lexicologie, nous indique même que le prénom Petros n’existait pas dans le monde grec). D’après l’apôtre Jean, Le nom de Pierre serait la transcription de Céphas ou képhas cf. Jean 1 : 42. Quoi qu’il en soit, entre un nom propre et un nom commun la différence est faite. On ne peut confondre ce qui peut être déplacé, roulé, avec ce qui ne peut bouger. Entre un caillou et un rocher la nuance est de taille !
  2. De plus, Jésus nous dit lui-même que ce ne sont pas « la chair et le sang » qui sont à la source de sa confession de foi… Jésus n’a pas construit sur l’humain, il a composé avec lui. L’apôtre Pierre l’a bien compris ainsi :« Approchez-vous de lui (J-C), pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu; et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d'offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus -Christ. Car il est dit dans l'Écriture : Voici, je mets en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse; et celui qui croit en elle ne sera point confus ».  1 Pierre 2 : 4-6, version de Genève.  
  3. L’histoire confirme que si l’apôtre a eu un rôle important après la Pentecôte, il n’a jamais été considéré comme le premier évêque de Jérusalem. Ce n’est pas lui qui a convoqué le premier concile chrétien à Jérusalem en 48, c’est Jacques, le frère du Seigneur, (cf. Actes 15 : 13).
  4. Sur un plan grammatical enfin, sans être un grand spécialiste de la langue grecque, on peut comprendre que l’utilisation du pronom démonstratif (ταύτῃ τῇ πέτρᾳ) ne peut concerner la personne de Pierre, sinon la phrase serait formulée autrement (comme par ex. « Tu es Pierre et c’est bien sur toi que je bâtirai mon Eglise »).

C’est à l’évidence sur la confession de Pierre, qui est en fait  inspirée par Dieu le père, que le Christ prophétise le bâti de L’église… Pierre n’a pas reçu une qualification particulière pour reconnaître l’origine de l’identité véritable de Jésus. Sous l’inspiration divine, il a eu le bonheur et le privilège d’en témoigner. Pierre fait partie de ces humbles, de ces tout-petits à qui Dieu s’est révélé (cf. Matthieu 11 : 25-27).

 

Mais, laissons de côté les différentes perceptions que l’on peut avoir sur ce texte et examinons la suite : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux ».  Matthieu 16 : 19, version de Genève.

Là, le texte est sans ambiguïté, Jésus s’adresse bien personnellement à Pierre. Jésus explicite le contenu de la mission qu’il lui confie (Le verbe λύω = délier, détacher, relâcher, délivrer). Le sens de ce verbe est discuté, mais le plus couramment accepté est : accueillir ou exclure d’une communauté (l’apôtre Jean l’utilisera dans le sens de laisser partir, Jean 11 : 44). Notons toutefois que cette mission n’est pas uniquement confiée à Pierre. Jésus la confiera aussi au collège des disciples, cf. Matthieu 18 : 18.

« Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ » v.20. Cet ordre qui semble contradictoire au témoignage à rendre peut s’expliquer par le fait que le Christ n’était encore qu’à mi-parcours de son ministère. La vérité sur sa divinité devait laisser place à son humanité. Pour être entendu, être semblable aux hommes (cf. Hébreux 2 : 17 ; Philippiens 2 : 8), Jésus a préféré se présenter comme le fils de l’homme. C’est dans ce chemin d’humanité qu’il bouleversera les cœurs.

 

Conclusion :

 

Ce texte est d’une richesse insoupçonnée. Matthieu présente l’heureux Pierre comme la figure de proue du collège apostolique. Le respect qu’il inspire fonde sa préséance. Cette autorité spirituelle, attestée par la révélation divine, est un type du parcours de l’humain. Parcours qui oscille entre grandeur et petitesse (cf. Matthieu 16 : 18,23), foi et doute (cf. Matthieu 14 : 22-33), conviction et trahison (cf. Matthieu 26 : 70).

Matthieu nous révèle encore que Jésus-Christ est le seul « propriétaire » de l’Eglise. C’est lui seul qui donne les clefs, c'est-à-dire qu’il transmet à Pierre un message d’ouverture au monde (il le comprendra à la Pentecôte) et une mission de clarification  (le message du Christ dont Pierre et les autres disciples sont porteurs. Il liera ou déliera par rapport au choix d’adhérence au salut proposé). La remise des clefs définit en filigrane l’identité et la mission de l’Eglise (cf. Matthieu 28 : 18-20). L’Eglise est construite sur le roc, sur la pierre angulaire qu’est le Christ (cf. Matthieu 21 : 42). « Car personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ. »  1 Corinthiens 3 : 11, version de Genève. L’apôtre Pierre invitera ses auditeurs et lecteurs à être dans la Maison habitée par l’Esprit (l’Eglise), des pierres vivantes (cf. 1 Pierre 2 : 5).

Ce texte a la particularité de rendre Dieu vivant, par Jésus-Christ, dans la vie de chacun et chacune. Ainsi est née l’Eglise. Son fondement jaillit d’une révélation. Elle est offerte et doit être accueillie au quotidien dans le ministère, l’intercession et l’accompagnement d’un Jésus Vivant (cf. Matthieu 28 : 20 ; Romains 8 : 34 ; Hébreux 7 : 25). L’Eglise est le bien exclusif de Jésus-Christ (cf. Colossiens 1 : 15-19 ; 1 Corinthiens 12 : 27). Le mot ἐκκλησία = assemblée, église (mot grec utilisé pour la première fois et reproduit que deux autres fois en Matthieu 18 :17) désigne ceux qui ont adhéré de cœur au message de Christ.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, chacun doit prendre conscience que la volonté divine est de maintenir unies les pierres rendues humainement vivantes. C’est la manifestation de la grâce. Ainsi, nous avons à comprendre que l’Eglise n’a pas vocation de détenir un pouvoir ou d’être la seule dépositaire de la connaissance divine. Elle se doit de témoigner en proclamant une Parole. Elle a pour objectif de maintenir présent Jésus-Christ. C’est lui qui doit constamment être le sujet cardinal de son existence.

L’Eglise est appelée à prendre part au débat initié par le Seigneur lui-même. La solution, préconisée par le Sauveur met à mal les sages et les bien-pensants de notre temps, surtout quand elle est portée par des tout-petits, des humains conscients de leur faiblesse. L’apôtre Pierre est l’un d’entre eux. Sachant que son heure était venue (cf. 2 Pierre 1 : 14), ce héros de la foi a écrit sa dernière lettre en ces termes :

« Syméon Pierre, serviteur et apôtre de Jésus Christ, à ceux qui ont reçu, par la justice de notre Dieu et Sauveur Jésus Christ, une foi de même prix que la nôtre: que la grâce et la paix vous viennent en abondance par la connaissance de Dieu et de Jésus, notre Seigneur. En effet, la puissance divine nous a fait don de tout ce qui est nécessaire à la vie et à la piété en nous faisant connaître celui qui nous a appelés par sa propre gloire et sa force agissante. Par elles, les biens du plus haut prix qui nous avaient été promis nous ont été accordés, pour que par ceux-ci vous entriez en communion avec la nature divine… »  2 Pierre 1 : 1-4, version TOB.

 

Comme l’apôtre Pierre, nous pouvons nous aussi être déclarés « heureux »

 Gloire à Dieu !

                                                       

                                                              Jacques Eychenne

 

 

 

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