Le plus grand combat

 

 

    Le plus grand combat     

                   ou

           « Père, sauve-moi

            de cette heure ! »

           Jean 12 : 20-34

 

Introduction :

 

Avant d’aborder le passage de l’évangile de Jean (ci-dessus), rafraîchissons notre mémoire concernant la personnalité du disciple bien-aimé. Son évangile révèle son identité. Parmi les apôtres, il est celui qui rompt avec les descriptifs des faits et gestes de Jésus de Nazareth. Il nous plonge dans une aventure plus intimiste. Jean procède par contraste. Il met en évidence les émotions et les sentiments. Il est le seul à décrire le Sauveur pleurant (cf. Jean 11 : 35, δακρύω= mouiller de larmes ; Sophocle, poète tragique, 5e siècle. av. J-C, traduisait : pleurer en gémissant) au tombeau de Lazare. (cf. Luc mentionne des pleurs de Jésus sur Jérusalem, mais il utilise un autre verbe κλαίω = pleurer.cf. Luc 19 : 41. Ce sont les deux seules fois, dans les évangiles, où Jésus pleure.). Jean présente un évangile de contraste, balancement entre le divin et l’humain, entre le spirituel et le charnel. Il y a certes l’assurance de la victoire du Christ, mais aussi questionnement sur la coupe qu’il doit boire. Il se dit Fils de l’homme, tout en se reconnaissant Fils de Dieu (cf. Jean 12 : 23,28)… Autant de descriptions qui nous rendent le Sauveur plus proche de notre humanité. Nos combats intérieurs ont aussi été les siens et cela nous aide. Il a vraiment été homme parmi les hommes. C’est en cela que le Seigneur est notre référence. Il est l’exemple par excellence à suivre (cf. 1 Pierre 2 : 21).

 

Développement :

 

Analysons maintenant le récit de l’apôtre Jean. Il nous repositionne dans les derniers évènements du parcours du Seigneur vers Golgotha. On va entrer dans la dernière semaine qui précède sa mort et sa résurrection. Le Sauveur vient de pénétrer dans Jérusalem sous les acclamations de la foule en liesse. On crie : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël » Jean 12 : 13. Le cortège est somptueux. Il est ouvert par Lazare, le ressuscité de fraîche date, avec un corps tout neuf. Il faut imaginer la scène grandeur nature, digne des péplums hollywoodiens. Tous ceux que Jésus avait guéris, les aveugles, les boiteux, les sourds et muets, les malades, tous les abimés de la vie devaient se faire une joie de montrer leur reconnaissance à celui qu’ils voulaient avoir pour roi. Ce cortège reste unique dans les annales de l’histoire humaine. Il n’a rien de comparable avec tous les grands conquérants défilant avec leur armée et leurs gueules cassées, laissant derrière eux des milliers de morts, de veuves et d’orphelins. La conquête du Christ est riche en réparations de toute nature. Il ne détruit pas, il restaure… Ce défilé est le marqueur de son amour.  Cependant, fidèle à son habitude, Jean va placer dans son récit un premier contraste.  

« Quelques Grecs, du nombre de ceux qui étaient montés pour adorer pendant la fête, s'adressèrent à Philippe, de Bethsaïda en Galilée, et lui dirent avec instance: Seigneur, nous voudrions voir Jésus. Philippe alla le dire à André, puis André et Philippe le dirent à Jésus. Jésus leur répondit: L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié. »  Jean 12 : 20-23, version de Genève. Cette apparition de quelques Grecs paraît insolite à cet instant précis. Il y a un peuple juif et une poignée de Grecs. Jean souligne le contraste entre ceux qui veulent célébrer le roi d’Israël et des païens (certainement convertis au judaïsme) qui veulent rencontrer Jésus. L’intervention de ces derniers paraît inopportune. D’ailleurs, aucune suite directe ne leur sera donnée. La demande paraît même incongrue. Les disciples semblent embarrassés. On s’adresse à Philippe, qui lui-même éprouve le besoin d’en parler à André ; enfin les deux s’accordent pour transmettre le souhait de ces Grecs à Jésus…

 

Mais (δὲ= établit la transition) Jésus répond. On ne sait pas si c’est à André et Philippe ou aux Grecs. Toutefois,  le récit laisse à penser que ce n’était plus le temps des questions. « L’heure est venue où le Fils de l’homme devait être glorifié ». La démarche pourtant sympathique de ces Grecs s’est heurtée à une fin de non-recevoir. Quoi que ! Jésus répond d’une façon sibylline, utilisant la même méthode de recrutement de ses premiers disciples. Souvenons-nous, quand Jean et André ont posé la question à Jésus : « Rabbi, où demeures-tu ? » Jésus a répondu : «  Venez et voyez » Jean 1 : 38-39. Il n’est donc pas question dans ce texte-ci d’une rebuffade à l’adresse de ces Grecs venus adorer ; ce serait plutôt une question de décalage. L’heure n’est plus aux questions, mais à l’action. Venez et voyez, semble répéter le Seigneur à ses païens, fidèles aux traditions juives, qui symbolisent la grande nuée de témoins qui surgira en dehors du peuple d’Israël… Alors, le Seigneur saisit l’occasion pour définir le sens profond de sa mission par le biais d’une parabole. Elle va servir de base à un message universel. En répondant indirectement à ces fidèles grecs, c’est au monde entier que le Seigneur s’adresse :

« En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu'un me sert, qu'il me suive; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, le Père l’honorera. » Jean 12 : 24-26, version de Genève.

 

Le « venez et voyez » du début de l’évangile de Jean (qui correspond à porter en pleine lumière l’action du Christ), fait écho à ce dernier « venez et voyez », sous-entendu qui éclaire le dernier acte de la mission du Christ : sa glorification (synthèse de sa mort et de sa résurrection). Pour illustrer son propos, Jésus emploie le langage de la parabole. Cette dernière met en exergue le contraste entre la vie et la mort. Elle corrèle les deux actes et nous fait découvrir le sens caché de la mort. La pertinence du message est remarquable : la mort est indispensable à la vie. Autrement dit, la mort n’a de valeur que si elle s’ouvre à la vie. Sinon elle est non-sens et aberration. L’invitation est claire et éthérée : Ne vous attardez pas à la mort, voyez plutôt la vie, semble nous dire Jésus. C’est tout le langage de sa glorification. Il peut sauver, non pas parce qu’il est mort pour le monde entier (cf. 1 Jean 2 : 2), mais plus encore  parce qu’il est vivant, nous accompagne chaque jour et intercède pour nous (cf. Luc 24 : 5 ; Romains 14 : 11 ; Matthieu 28 : 20 ; Romains 8 : 34). Ayant ouvert la voie de la vie, le Seigneur nous dit que nous avons moins à déployer des efforts pour la sauvegarder que pour la répandre en don. Si nous imitons son exemple, l’appréhension face à la mort doit faire place à la foi en la vie pleine, appelée éternelle. Notre vie présente n’a de sens profond que dans cette projection vers la gloire.

 

Sans ambages, le récit déroule une scène surprenante. Il nous plonge dans le dramatique contraste entre cette glorification à venir qui révèlera la divinité du Christ et son angoisse de Fils de l’homme face à la mort. « Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c'est précisément pour cette heure que je suis venu. » Jean 12 : 27, version TOB.

C’est maintenant le Seigneur qui interpelle son Père ! Il se fait lui aussi demandeur comme les Grecs… Ces derniers voulaient le voir, lui, demande à être sauvé (σῴζω = sauver, toujours traduit ainsi dans tous les évangiles. Jésus l’a toujours utilisé dans ce sens. cf. Marc 3 : 4 ; 8 : 35 ; 10 : 52 ;13 :13,20 ;15 :31. Les disciples ont fait de même cf. Marc 10 :26. Dans nos versions modernes, le verbe est habituellement traduit par délivrer, or : deux verbes en grec sont traduits par délivrer, et ils sont différents : ἀπαλλάσσω, est utilisé une seule fois dans Hébreux 2 : 15 et ῥύομαι, est utilisé trois fois dans le N.T. Matthieu 6 : 13 ; 27 : 43 et 1 Thessaloniciens 1 : 10).  

 

Mais alors, sauvé de quoi ?, puisque le mal n’avait pas eu d’emprise sur lui ? (cf. Jean 14 : 30 ; Jean 8 : 46 ; 1 Pierre 2 : 22-23) Celui qui est venu nous sauver avait-il besoin à son tour, d’être sauvé ? Mais d’abord, pourquoi le Christ au très fond de lui-même a-t-il été troublé ? Autrement dit, quelle peut être la nature de son trouble ? (τετάρακται = forme passive du verbe ταράσσω = a été troublé. Le sens premier est : remuer. C’est être mis dans un état d’agitation intérieure). A notre tour, posons-nous la question : s’il a été troublé, quelle est l’origine de ce trouble ?

Est-ce la proximité de la mort qui a mis le Seigneur dans cet état-là ? (ce que l’on pourrait très bien concevoir sur un plan humain !). Mais, Jésus élimine cette hypothèse. Il dit lui-même que : «  c’est pour cette heure qu’il est venu ».  Et puis, cette angoisse ne s’harmonise pas à ses autres déclarations :

« Le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même; j'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la reprendre: tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père. »  Jean 10 : 17-18, version de Genève.

« Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien il me tarde qu'il soit accompli ! »  Luc 12 : 50. « J’ai désiré vivement manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir; car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. » Luc 22 : 15-16.  Et ailleurs :

«  Jésus dit à Pierre: Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire? » Jean 18 : 11. Le Maître avait déjà dit à ses disciples:

« Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je dois boire, ou être baptisés du baptême dont je dois être baptisé ? » Marc 10 : 38, version de Genève.

 

Si le Christ a été troublé (cf. la forme passive du verbe), quels évènements récents ont pu contribuer à nourrir ce trouble ? Est-ce la résurrection de Lazare ? Ou le comportement des disciples à Béthanie lors du souper en l’honneur de Lazare ? Est-ce encore la haine des principaux sacrificateurs voulant faire mourir Jésus et Lazare (cf. Jean 12 : 10). Ou encore l’interpellation impromptue de quelques Grecs ? Ou alors, un peu de tout cela ?

 

Il est vrai que le concentré de tous ces évènements renvoie à la détresse humaine. On ne se réjouit pas de ce que le Christ veut apporter à ce peuple, on parle constamment de mort. Or, dans notre récit, Jésus ne se présente pas comme le Fils de Dieu, mais comme le Fils de l’homme : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. » Jean 12 : 23. Le trouble est à comprendre en lien avec cette humanité. Solidaire de notre condition humaine, le Seigneur avec sa sensibilité a très certainement ressenti au plus profond de son cœur le poids sa responsabilité face au mal. Il a été profondément ému par cette tension entre ceux qui voulaient le faire mourir, et ceux qui le voulaient pour roi. Son émotion a dû être activée par cette demande de quelques Grecs qui voulaient en savoir plus sur lui. La tension a dû être extrême entre la réalité brutale et cruelle qui était devant lui, et la glorieuse perspective de tous les rachetés de la terre (dont ces Grecs devenaient le symbole). Tension entre le présent et l’avenir, entre la détresse humaine et l’univers céleste, entre son regard visionnaire et la nécessité de traverser le mur de la souffrance extrême. Quel enjeu ! Quel combat intérieur !

C’est assurément dans ce contexte qu’il faut relire la demande du Christ : « Père sauve-moi de cette heure ? ». En épousant complètement notre humanité, en se faisant son porte-parole, le Christ avait besoin d’être sauvé avant d’être le Sauveur. Seul, l’apôtre Jean expliquera ce fait :

« Il est lui-même une victime expiatoire pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. »  1 Jean 2 : 2, version de Genève.

« L'amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’ 'il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés. » 1 Jean 4 : 9-10.

 

Le Christ en tant qu’homme devait expier nos péchés. Il fallait que ce sacrifice expiatoire soit agréé par Dieu, le Père. C’est à ce prix que le salut de l’humanité pouvait être rendu possible. Sans la foi, il nous est impossible d’accepter cette notion repoussante du sacrifice sanglant. Cela paraît bestial et sorti d’un autre âge… Le prophète Daniel avait en son temps prophétisé en annonçant la venue d’un oint (cf. Christ). Il devait faire cesser les transgressions et mettre fin aux péchés, expier l’iniquité, et amener une justice éternelle (cf. Daniel 9 : 24-26). Mais attention de ne pas regarder cette expiation avec nos yeux du 21e siècle ! Ce que Dieu a permis s’inscrivait dans une pratique courante chez tous les peuples de cette époque.  Les notions de culpabilité et d’expiation font partie de l’histoire de tous les peuples de la terre. En s’interrogeant sur ce fait avéré, on comprend mieux la démarche divine. Si Jean nous dit que désormais « nous vivons par lui »(le Christ), il nous faut assurément repenser le combat intérieur qu’il a livré. Nous n’avons qu’une toute petite idée de la tension qu’il a dû porter. Gardons-nous des simplifications et des raccourcis.  La réalité du mal-être récurrent des humains a été portée par le Seigneur afin de nous en délivrer. Ceux qui expérimentent cette bonne nouvelle dans leur cœur peuvent en témoigner… Vu leur nombre, il serait absurde d’imaginer que ces témoins ne véhiculent que ragots, méprises ou illusions. Cette vérité intérieure ne sert pas de béquilles, elle n’en a cure ! Elle donne à la vie un sens nouveau.  Il transcende  le temps et cela n’a pas de prix.

 

Conclusion :

 

 L’apôtre Jean, le plus intimiste des apôtres, nous révèle merveilleusement un Christ-Sauveur. Non seulement, il nous dit que les contemporains de Jésus ont été séduits par sa Parole profonde - au procès de Jésus, les huissiers n’ont-ils pas avoué : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme »Jean 7 : 45 - mais encore que le Seigneur a affronté le plus intense combat  humain, au point d’éprouver le besoin d’être sauvé par Dieu le Père. Les apôtres confirmeront la force extrême de ce combat intérieur. Ils expliquent pourquoi le Seigneur a présenté sa demande au Père : « lui (Jésus) qui a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois, afin que morts aux péchés nous vivions pour la justice; lui par les meurtrissures duquel vous avez été guéris. »  1 Pierre 2 : 24. En acceptant d’être porte-parole de notre humanité pécheresse, le Christ ressentait la nécessité de voir le Père accueillir son sacrifice. Christ n’a pas demandé un salut pour lui-même, mais pour l’humanité qu’il incarnait. L’apôtre Paul dira : « Celui qui n'a point connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » 2 Corinthiens 5 : 21. En dehors de la question du salut, l’intensité du combat que le Christ a mené jusqu’à l’extrême est pour nous, aujourd’hui, un puissant encouragement à assumer nos propres combats.

« Car nous n'avons pas un souverain sacrificateur qui ne puisse compatir à nos faiblesses; au contraire, il a été tenté comme nous en toutes choses, sans commettre de péché. Approchons-nous donc avec assurance du trône de la grâce, afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être secourus dans nos besoins. »  Hébreux 4 : 15-16.

Toute notre reconnaissance à ce Père qui nous a suscité un puissant Sauveur «  Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu’il a visité et racheté son peuple, et nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur, comme il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens. » Luc 1 : 69. Béni soit ce Père qui nous a rendus sensibles aux perspectives heureuses de ses promesses :

« Ayant donc de telles promesses, bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, en achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu. » 2 Corinthiens 7 : 1.  

 

« Une grande âme doit livrer les plus terribles combats pour conserver sa liberté. » Citation de Cicéron ; Le traité des devoirs - env. 44 av. J.-C. 

« La pire des défaites, celle d’avoir refusé le combat » Gérard d’Aboville, homme politique, Navigateur, skipper, sportif.                                                                               

                                                                                   Jacques Eychenne

 

 

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