Les deux disciples d' Emmaüs

 

 

Les disciples d’Emmaüs

                               ou

   inintelligence et révélation

        Luc 24 : 13-32

 

Introduction :

 

Luc, le médecin bien-aimé, nous dit au commencement de son évangile avoir fait œuvre d’historien. Il a fait des recherches, interrogé des témoins oculaires, écouté le témoignage des disciples, vérifié les faits, en deux mots, il a rassemblé toute une documentation pour construire un récit de la vie de Christ. Sa rigueur l’a conduit à nous révéler l’histoire fabuleuse d’une rencontre entre deux disciples (dont on ne connaît que le nom de l’un d’entre eux, à savoir : Cléopas, cf. Luc 24 : 18) avec le Christ ressuscité. Luc est le seul à nous rapporter le fait, et assurément, nous aurions perdu à le méconnaître.  La scène se déroule sur un chemin conduisant à un tout petit village nommé Emmaüs. Très certainement ces deux disciples quelque peu dépités par les circonstances de la disparition de ce Seigneur Jésus (Elle cristallisait toutes leurs espérances, cf. Luc 24 : 21), revenaient attrister dans leur petit village éloigné d’un peu plus de 10 kms de Jérusalem. Luc  raconte :

« Pendant qu'ils parlaient et discutaient, Jésus s'approcha, et fit route avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : de quoi vous entretenez-vous en marchant, pour que vous soyez tout tristes ? »  Luc 24 : 15-17, version de Genève. La suite nous est bien connue… Les deux disciples manifestèrent leur étonnement car le procès et la mort de Jésus de Nazareth avaient fait grand bruit à Jérusalem. Il avait mobilisé tous les médias de l’époque, tant du côté romain que du côté de la justice et des responsables religieux (cf. Luc 24 : 19, 20)…

 

Et puis, c’est le buzz de l’info avec un grand point d’interrogation : Quelques femmes sont allées au tombeau de grand matin et l’ont trouvé vide. L’étonnement est considérable. Il est corroboré par le témoignage d’autres disciples (cf. Jean 20 : 1-10).  Qu’est devenu le corps de Jésus ? Que signifie ce fait acté ? Mais où est passé le cadavre du Seigneur ?

 

Développement :

 

C’est alors que Jésus, qu’ils ne reconnaissent pas encore, prononce cette phrase choc : « Ô hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu'il entrât dans sa gloire ? » Luc 24 : 25-26.

Arrêtons-nous sur cette phrase du Seigneur et posons-nous la question : était-il facile de comprendre que la réalité du  tombeau vide signifiait clairement la résurrection du Christ ? Pourquoi aucun des proches de Jésus, pourtant très sensibles à la profondeur spirituelle de ses messages, n’a compris la portée de l’évènement ?

Le reproche est sévère. Il souligne l’inintelligence humaine (ἀνόητος =  Celui qui ne comprend pas, qui ne se rend pas compte, qui ne peut reconnaître… L’apôtre Paul utilisera ce mot pour parler des gens stupides, des insensés, dépourvus de sens, des ignorants : Romains 1 : 14 ; Galates 3 : 1,3 ; 1 Timothée 6 : 9 ; Tite 3 : 3). Non seulement le Seigneur met en évidence le manque d’intelligence, mais il met aussi en exergue la lenteur du cœur à développer la foi dans la parole des prophètes (βραδεῖς τῇ καρδίᾳ τοῦ πιστεύειν ἐπὶ πᾶσιν οἷς ἐλάλησαν οἱ προφῆται= lents de cœur à avoir foi dans tout ce que les prophètes ont dit). Est  βραδύς en grec, celui qui est lent à comprendre, plus familièrement nous dirions long à la détente…).

 

Nous accueillons avec humilité la sévérité de la remarque du Seigneur ; pour autant, est-ce qu’il était facile de comprendre avec précision la finalité du parcours du Christ à travers les écrits des prophètes ? Si nous répondons : oui ! C’est avouer que personne n’a été suffisamment intelligent pour décrypter leurs messages… Si nous répondons : Non ! Nous trouvons la remarque quelque peu sévère. Autant nous pouvons accueillir le fait que personne ne soit intelligent, autant on peut aussi s’interroger sur la clarté du communicant (cf. tous les profs vous le diront : se comprend bien ce qui s’énonce clairement !) A moins que le côté sibyllin des messages des prophètes exprimait une intention pour forcer notre recherche. Mais, reconnaissons que même les plus inspirés n’ont pas réussi à trouver la bonne interprétation (dans l’étude de tous les textes prophétiques).

 

Du coup, cela nous renvoie aujourd’hui à nos propres compréhensions concernant la finalité du projet de Dieu pour notre humanité. Sommes-nous tous inintelligents ? N’avons-nous pas assez de cœur pour laisser Dieu alimenter notre foi ? D’une façon plus personnelle, sommes-nous toujours au clair sur ce que Dieu attend de nous ? Si les fidèles qui ont accompagné  Jésus de Nazareth n’ont pas compris que dans les écrits de Moïse (par exemple) on annonçait la mort et la résurrection du Christ, pensez-vous que nous serons plus intelligents pour comprendre la suite du plan divin ?

La deuxième partie de la phrase est aussi pertinente :

« ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu'il entrât dans sa gloire ? » Luc 24 : 26

 οὐχὶ  ἔδει= Ne fallait-il pas ? Ne convenait-il pas ? N’était-il pas nécessaire de ? L’apôtre Jean nous rapporte une phrase semblable :

« et comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l'homme soit élevé. » Jean 3:14, version TOB. Les apôtres après la Pentecôte ont aussi parlé de la sorte :

« il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Actes 5 : 29. Si donc nous cernons bien le sens du verbe dans son usage courant, par contre le problème demeure quand on renverse la question : « Pourquoi fallait-il qu’il en soit ainsi ? ». Là, nous entrons dans le domaine des questions qui ont préoccupé la théologie chrétienne. Car en fait, il y a plusieurs approches possibles de la phrase. Et cela mène à des conclusions substantiellement différentes.

 

- Première compréhension : il fallait qu’il en soit ainsi… Autrement dit le plan divin a été arrêté de toute éternité, en vue du salut de notre humanité par Jésus-Christ.

- Deuxième compréhension : Il fallait qu’il en soit ainsi … Car c’était inévitable. La révolution portée par Jésus-Christ ne pouvait être acceptable par les autorités. Leur pouvoir était remis en cause. La mort devenait incontournable (il fallait éliminer le gênant).

- Troisième compréhension : Il fallait qu’il en soit ainsi … car le Seigneur avait décidé d’aller au bout du bout d’un engagement d’amour à partager. C’est par un choix libre et résolu que le Christ accepte le passage par la souffrance, jusqu’à la mort odieuse sur le bois de la croix (La liste n’est pas exhaustive !).  Mais suivant que l’on engage une dominante d’interprétation, nous pouvons parvenir à des conclusions presque opposées.

 

En effet reprenons la première. Elle nous renvoie à l’autorité souveraine de Dieu. Faisant référence à l’omniscience de Dieu, la mort du Fils était incontournable. Mais pourquoi, était-ce inévitable ? Ne pouvait-on pas imaginer une autre possibilité moins barbare ? Nous parlons de souffrances et de mort ! L’explication de l’expiation du péché est un peu courte. Alors, autant admettre qu’il nous manque des éléments pour notre compréhension. Si Dieu a tout prévu de toute éternité, indépendamment de la liberté humaine, on peut être écrasé par une telle autorité. Sommes-nous des marionnettes ?  Les jouets de Dieu ? Cette perspective n’obère-t-elle pas la place qui nous revient ?  Or, n’avons-nous pas été créés pour vivre en relation avec un Père et assumer des choix engageants ?

 

La deuxième esquisse de compréhension peut nous satisfaire davantage. Toutefois, elle comporte aussi des écueils. Bien sûr, le côté révolutionnaire du message du Christ a posé problème. Mais comment admettre que la puissance divine soit mise en échec par la volonté d’une petite poignée de dirigeants mal intentionnés, imbus d’eux-mêmes et de leur pouvoir de domination sur le peuple. Une vérité proclamée mais étouffée par un pouvoir humain nous rappelle des heures tristes de notre histoire. Là encore, on pourrait dire que cet enjeu, vieux de plus de deux mille ans ne nous concerne pas.  Si Dieu et son envoyé se laissent déposséder de leur mission par un groupuscule d’adversaires, ne peut-on pas remettre en cause leur pouvoir de transformation de notre humanité ? Dans ce combat séculaire entre le bien et le mal, comment percevoir notre place dans ce projet ? Là encore cette deuxième tentative d’explication demeure insatisfaisante.

 

Reste, la dernière proposition... Le Christ est venu porteur d’un projet d’amour à partager. C’est dans la nécessité de ce partage que nous trouvons notre place. Le choix libre et souverain du Christ est prodigué afin qu’il trouve un écho dans les cœurs de ceux et celles qui veulent y répondre. C’est au travers d’un don que nous avons accès à son amour. Il a été élevé en croix sur le bois pour nous faire adhérer à son projet. Il a accepté d’être broyé par la souffrance afin de nous rendre acteur de nos propres vies. Son implication sublime appelle une réponse, elle ne nous laisse pas indifférents. Le témoignage des larrons sur la croix fait foi : l’un accueille, l’autre rejette ce dont Christ est porteur. Il en sera de même jusqu’à la fin des temps.

On aurait pu penser que la phrase :

« ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu'il entrât dans sa gloire ? » subodore notre liberté humaine, il n’en est rien. Nous ne pouvons faire fi de nos réalités quotidiennes. La souffrance fait partie de nos voyages. Comment l’intégrons-nous positivement ? L’engagement chrétien nous dit qu’il nous faut composer, accepter et dépasser cette réalité de la souffrance par le don. Oui ! Le don de ce que nous avons de meilleur et qui devrait nous rendre solidaires les uns des autres.

Le Seigneur ne nous plante pas au beau milieu du chemin comme dans la légende de l’âne de Buridan selon laquelle l’âne meurt de faim et de soif à égale distance d’un picotin d’avoine et d’un seau d’eau. Il meurt faute de parvenir à se déterminer vers quel côté aller… Le libre arbitre, caractéristique essentielle de la nature humaine, est une invitation à faire des choix, mais il fallait avoir l’occasion de les faire ! Nos choix, nous voulons bien les assumer en construisant des convictions, même si nous prenons souvent conscience de nos limites, de nos erreurs et de notre absence de résilience face à la difficulté souvent appelée douleurs.

Par contre, la décision assumée du Seigneur doit nous interpeler dans nos choix non assumés. Ceux que l’on subit pour plaire, pour faire plaisir ou pour éviter une parole vraie. Il nous faut oser le bien, même si on ne sait pas où cela peut nous mener. Les disciples d’Emmaüs, après s’être entendu décrits comme des hommes sans intelligence et au cœur lent au développement de la foi, ont quand même pressé Jésus de rester avec eux (cf. Luc 24 : 29). Ces deux hommes ont rangé leur amour propre au placard et ont fait le choix positif d’en savoir davantage sur le personnage qui les avait accompagnés. Quelle émouvante et sage attitude !

 

Quand l’humain parvient à surmonter les rebuffades qu’il subit, à dépasser les rodomontades de ceux qui savent tout, à vaincre les apories inévitables dans le domaine spirituel, alors une foi prégnante peut éclairer son chemin… Et c’est ce qui va se passer avec les deux disciples de notre récit.

Quand le cœur bien disposé, s’ouvre aux dimensions de l’imprévisible et de l’indicible, alors le miracle s’opère. Le Christ entre dans la maison des deux disciples et surprise, surprise ! Il prend l’initiative de rompre le pain. Après avoir prononcé un bénédicité, il le leur distribue…

« Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent; mais il disparut de devant eux. »  Luc 24 : 31.

Le « il fallait » n’engageait pas seulement le libre choix du Christ, il donnait à la foi son terreau ; celui dans lequel elle pouvait se développer, c’est-à-dire, croître pour parvenir à maturité. Le sacrifice du Seigneur, don de sa personne au monde, proclame la nécessité d’un partage. L’institution de la sainte cène l’atteste admirablement bien. Ce partage mobilise en retour des choix… C’est parce que les deux disciples invitent le Christ que leurs yeux s’ouvrent, qu’ils identifient leur invité et le reconnaissent, qu’ils trouvent une explication aux vives émotions ressenties en sa présence « notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu'il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ? »  Luc 24:32, version TOB.

Luc nous dit ensuite que le Christ devint invisible (ἄφαντος ἐγένετο). Que nous apprend ce détail ? Il nous dit que le Christ n’impose pas sa présence pour qu’elle devienne une évidence absolue. Son objectif est de faire naître en nous la foi en sa personne et en son projet… Dès que la foi s’éveille à la vie, l’absence du Seigneur s’impose pour permettre à cette foi de grandir harmonieusement.

 

Conclusion :

 

Cette simple histoire met en évidence un pan de compréhension encore plus profond de la mission du Christ sur notre planète. Elle nous ouvre à l’acception de réalités qu’il nous faut surmonter et positiver. Le Seigneur a eu raison de dire que nous sommes inintelligents et lents à une éclosion de la foi dans la révélation transmise aux prophètes. L’apôtre Paul nous le redira (cf. Romains 3 : 9-12). Mais ne soyons pas décontenancés par cette vérité, elle nous renvoie à une réalité : personne n’a pu décrypter le symbolisme des images des prophètes pour nous faire comprendre le « ne fallait-il pas ? » (Concernant la mission du Christ).  Du coup, cela recadre toutes nos prétentions sur la signification des prophéties qui restent à s’accomplir. Prudence, simplicité et humilité sont de rigueur. Nous ne comprendrons que quand tout le plan divin sera accompli, et encore il nous faudra être éclairés comme les disciples l’ont été. Symboliquement nous devons retourner à Jérusalem (cf. Hébreux 11 : 13-16 ; 12 : 22). Les Juifs disent : « à l’année prochaine à Jérusalem ! » ; nous, nous disons : « retournons aujourd’hui à Jérusalem ! »

 

Cette histoire nous dit encore que si notre intelligence est en constat d’échec, une révélation personnelle peut réactiver la compréhension de vérités intangibles. Seule, une rencontre personnelle peut servir de tremplin à notre foi. Ce ne sera plus une question d’intelligence, mais de cœur, d’un cœur qui s’ouvre à une dimension spirituelle. C’est quand le cœur brûle pour une noble cause que la vie trouve son  vrai sens, a fortiori, dans le domaine qui échappe à toute rationalité. Malheureusement l’humain n’aime pas ce qu’il ne peut contrôler, c'est-à-dire, ce qui lui échappe et ne peut maîtriser. Cet aveu d’impuissance l’insupporte au plus haut point…

 

Seulement ce récit nous apprend que lorsque le cœur brûle dans la rencontre avec Jésus de Nazareth, on est capable de faire demi-tour et de repartir annoncer une bonne nouvelle de vie. La tristesse se change en joie, le désenchantement en bonheur activé au présent. Que ce feu embrase nos cœurs pour annoncer la vie…

« Ne fallait-il pas ? », certes oui ! Il nous fallait à notre tour comprendre que le projet de Dieu était un projet d’amour à partager. Projet dans lequel nous allions trouver notre place en adhérant à son programme de vie, sans faire pour autant l’économie de la souffrance (cf. à lire : 2 Corinthiens 1 : 6-7 ; Philippiens 3 : 10 ; 2 Timothée 4 :5 ; 1 Pierre1 : 6,7 ; 1 Pierre 4 : 13 ; 5 :1,9). Ce vaste plan, que nous ne comprenons qu’en partie, a pour finalité de nous faire faire un demi-tour (cf. C’est l’image de la conversion) pour nous repositionner en marche dans la bonne direction, celle de la vie tout simplement. Que peut-on souhaiter de mieux à cette humanité qui se perd dans ses illusions, sinon de faire l’expérience sublime des deux disciples d’ Emmaüs…

                                                                           Jacques Eychenne 

 

 

 

 

 

 

 

 

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