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La femme admirable ou l’onction de Béthanie Marc 14 : 3-9 |
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Introduction :
Tous les chapitres de l’évangile de Marc ont pour personnage central : Jésus, qu’on appelle aussi le Christ (cf. l’Oint.). Le récit que nous allons parcourir n’échappe pas à cette réalité. Le Seigneur est arrivé à Jérusalem pour célébrer la Pâque (ce sera la dernière à laquelle il assistera) avec ses disciples. Elle devait avoir lieu dans deux jours. Il a d’abord choisi le temple pour délivrer ses messages. Il a annoncé sa destruction. Il a parlé des signes annonciateurs de la fin du monde en précisant que son retour en gloire ponctuerait ces évènements… Mais pour les autorités ecclésiastiques de Jérusalem ses dernières paroles, dans ce haut lieu spirituel, sont une provocation de trop. Alors, dès à présent, ils cherchent le moyen de le mettre hors d’état de nuire, sans pour autant soulever une forte réaction de la population. Il faut bien se rendre compte que nous sommes à la veille d’une réjouissance festive. La liesse populaire témoigne que cette fête est très solennelle (cf. elle rappelle la délivrance de l’esclavage en Egypte).
C’est dans ce contexte que nous retrouvons Jésus à Béthanie, chez Simon le lépreux. Béthanie est un tout petit village qui surplombe Jérusalem. C’est le quartier général de Jésus. Il se rend souvent chez Marthe, Marie et Lazare. Mais là, Marc et Matthieu situent la rencontre chez Simon, appelé le lépreux. Examinons le récit…
Développement :
« Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu'il était à table, une femme vint, avec un flacon d'albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d'albâtre et lui versa le parfum sur la tête » Marc. 14 : 3, version TOB.
Jésus s’est arrêté pour voir ce Simon, dit le lépreux. Mais qui est ce Simon ? Ce nom grec était courant à l’époque du Christ (très répandu aussi bien dans l’A.T. que dans le N.T.). De fait, c’est son infirmité qui le qualifie : le lépreux. L’est-il à cet instant ? D’après les lois sanitaires ce n’était pas possible. Alors, a-t-il été guéri par le Seigneur lui-même ? Cette deuxième hypothèse est la plus certaine (le Seigneur a guéri plusieurs lépreux durant son ministère). Il est donc difficile de savoir de qui il s’agit, mais peu importe ! C’est certainement par reconnaissance que Simon, qui n’est plus lépreux, a invité le Seigneur et sa troupe…
Et, alors que le texte grec nous dit que ce lépreux est étendu à table (cf. position courante à cette époque : κατακειμένου de κατάκειμαι = katakeimai = être couché à table, idem cf. Luc 5 : 29 ; Actes 9 : 33), une femme arrive…
Marc veut mettre en lumière l’arrivée de cette femme. Elle entre dans la maison de Simon. C’est sûrement une femme connue, car il est difficile d’imaginer pareille intrusion. Le texte dit : « une femme ». On ne connaît pas son nom (cf. Matthieu n’en dit pas plus, lui aussi ! cf. Matthieu 26 : 7). Certains ont cru voir qu’il s’agissait de Marie la sœur de Marthe et de Lazare. Dans cette hypothèse, le récit de Jean situe (cf. Jean 12 : 1) l’entrevue chez Lazare et non chez Simon. Même s’il y a des similitudes dans la description des évènements, Jean ne parle pas de vase, Marie est déjà dans sa maison et avec le parfum. Elle oint les pieds et non la tête du Seigneur. A quelques jours d’intervalle, on peut très bien avoir deux récits concernant un même sujet : l’embaumement du corps du Christ avant sa mort. S’il avait été question de Marie, sœur de Lazare, on comprendrait mal que Marc et Matthieu qui suivaient Jésus dans tous ses voyages, ne saisissent pas l’opportunité de lui rendre témoignage…
Mais, restons sur le texte de Marc. Assurément l’auteur veut davantage diriger nos regards sur le déroulé de l’action, que sur l’identité de la personne. Cette femme arrive donc, pendant que tout le monde est à table. Elle tient dans ses mains un petit vase en albâtre contenant un parfum pur de grande valeur. Pour Marc, elle brise ce vase et le répand sur la tête de Jésus. Pour Matthieu, elle verse simplement le parfum sur sa tête.
Stupéfaction autour de la table ! Puis réprimande véhémente :
« quelques-uns se disaient entre eux avec indignation : « à quoi bon perdre ainsi ce parfum ? On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d'argent et les donner aux pauvres ! », et ils s'irritaient contre elle » Marc. 14 : 4-5, version TOB.
Cette réaction impulsive est motivée, pour Marc, par des considérations purement financières. La version de Jérusalem traduit : « à quoi bon ce gaspillage de parfum ? » (Ἀπώλεια = apauléia = dans le sens actif en grec, il s’agit d’une dépense, d’une perte, d’un gaspillage). Quelques-uns sont indignés. Matthieu précise que ce sont les disciples (cf. Matthieu26 : 8). Il est vrai que nous sommes loin d’être dans un registre spirituel, ou à défaut chargé d’empathie ! La remarque était vraiment offusquante ! Cela fait bientôt trois ans que Jésus est pourtant parmi eux ! Quel décalage entre les sentiments de cette femme, du Maître, et ceux de ses propres disciples !
S’ils ont porté un regard si négatif sur cette femme est-ce parce qu’ils la connaissaient ou parce qu’ils ont trouvé inconvenantes son intrusion et sa précipitation à verser ce parfum de grande valeur ?
Essayons de comprendre le comportement des disciples.
Il faut bien se rendre compte que l’irruption imprévisible et déterminée de cette femme transgressait les codes de préséance de l’époque. Elle traverse, au sens propre et figuré, un univers d’hommes pour satisfaire un désir de femme. Souvenons-nous que l’activité des femmes en ce temps-là était cantonnée aux soins domestiques. Comme le rapporte l’historien John P. Meier, on donnait rarement aux femmes la possibilité d’apprendre à lire (1). Toute l’instruction religieuse était dispensée par le père ou par la synagogue, si le village en comptait une. Cette femme a osé. Son audace en dit long sur ses sentiments profonds pour le Maître ! Une telle qualité d’engagement devrait nous interpeller, n’est-ce pas ?
Cependant, au lieu d’analyser les motivations de cette femme, les disciples s’en sont tenus à l’observation de son comportement. Reconnaissons humblement que nous aurions pu facilement nous associer au jugement sévère des disciples. Dans bien des circonstances, prenons-nous le temps de chercher à comprendre les motivations de notre prochain ? Le jugement n’est-il pas plus facile que l’empathie ?
Pour apprécier la valeur d’un parfum, il faut être connaisseur. Trois cents deniers, c’était une forte somme. Quand on sait que le salaire journalier d’un soldat romain était d’un denier, on se rend compte du temps qu’il lui a fallu à cette femme pour pouvoir acheter ce parfum. Toutes ses économes se sont concentrées sur ce projet secret.
En opposition, observons le côté complètement déplacé de la remarque des disciples. Ils mettent en balance les pauvres et Jésus. S’ils tenaient qu’à eux, auraient-ils choisi les pauvres ? Cette remarque est parfaitement inappropriée, voire blessante pour le Christ. Alors que notre Seigneur va bientôt être porté en croix, quel désolant comportement humain ! Mais le texte de Marc va plus loin. Il décrit comme un acharnement sur cette femme : « ils s'irritaient contre elle » (cf ἐμβριμάομαι = embrimaomai = se courroucer, prendre un ton sévère, cf. Marc 1 : 43, rudoyer, s’emporter). Comme nous le constatons cette tension en un temps de fête nationale s’est présentée comme un anachronisme dissonant.
L’intervention du Sauveur devenait inévitable pour plusieurs raisons. La réaction des disciples déclinait un profond manque de respect vis-à-vis de Jésus, mais aussi vis-à-vis du maître des lieux, car Simon était bien chez lui. Mais encore vis-à-vis de cette femme. L’invocation d’une perte d’argent relevait de la pure hypocrisie. L’apôtre Jean dans un récit comparable attribue à Judas Iscariote la remarque sur la valeur du parfum. Il poursuit en disant « Il dit cela, non parce qu’il se souciât des pauvres, mais parce qu’il était voleur, et que, ayant la bourse, il dérobait ce qu’on y mettait » Jean 12 : 6, version de Jérusalem.
Dans ce contexte, Jésus se devait d’intervenir. Aussi dit-il :
« Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C'est une bonne œuvre qu'elle vient d'accomplir à mon égard. Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m'avez pas pour toujours. Ce qu'elle pouvait faire, elle l'a fait : d'avance elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement. En vérité, je vous le déclare, partout où sera proclamé l'Évangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d'elle, ce qu'elle a fait » Marc 14 : 6-9, version TOB.
La première phrase de sa réaction est très significative : « laissez-la, pourquoi lui faites-vous de la peine », version LSD (cf. le mot grec est au pluriel= des peines ; κόπος = kopos = acte violent, se frapper la poitrine de chagrin, de douleur, tracasser, importuner violemment etc.).
Dans un premier temps la parole du Seigneur concerne la motivation de cette femme, non son geste. Il perce l’intimité de son être, il dénonce la peine que son entourage lui inflige. Cette peine est synonyme d’une souffrance intérieure. Jésus discrédite sur le champ le jugement des accusateurs. Cette mise au point nous rappelle une fois de plus que l’humain ne peut avoir qu’un jugement faussé. Nous ne connaissons pas les motivations secrètes des personnes, c’est la raison pour laquelle nous devrions nous abstenir de tout jugement (cf. Matthieu 7 : 1-2 ; Jacques 4 : 12). Rappelons-nous que le jugement appartient au Christ (cf. Jean 5 : 22) et à Dieu le Père (cf. Esaïe 33 : 22 ; 1 Pierre 1 : 17).
Mais le Seigneur va plus loin en donnant du sens à son geste. Il parle comme si cette femme avait été inspirée. Il déclare : « elle a accompli une bonne œuvre pour moi », version de Jérusalem. Quand on sait que le qualificatif grec (καλός = kalos ) peut être traduit indifféremment par bon, beau ou bien ( ou encore par précieux, utile, louable, admirable etc.), on prend conscience du merveilleux témoignage que le Seigneur rend à cette femme. Cette antithèse établit un contraste encore plus fort avec l’accusation des convives.
Quant à la justification de donner cet argent aux pauvres, le Seigneur dénonce leur fausseté. Sur un plan relationnel, le Seigneur semble touché par leur remarque qui lui accorde si peu d’attention, alors que dans quelques jours, il donnera sa vie pour eux. Les disciples semblent donner inconsciemment plus d’importance aux pauvres qu’à lui. En leur disant : « mais moi, vous ne m'avez pas pour toujours », il essaie de leur rafraîchir la mémoire. Ne leur avait-il pas déjà dit qu’il devait venir à Jérusalem, qu’il serait maltraité et qu’il serait là crucifié ! (cf. Luc 9 : 22).
Cette femme a agi en fonction de sa motivation et de ce qu’elle avait mis de côté dans la perspective d’une occasion à saisir. D’où la traduction : « Elle a fait ce qu’elle a pu », versions LSG, NEG, BFC.
Elle a accompli l’œuvre qui était en son pouvoir, de tout son cœur. Elle s’est donnée tout entière dans un geste désintéressé. Voilà pourquoi il était irrecevable de lui faire de la peine !
Toutefois, l’expression : « elle a fait ce qu’elle a pu » peut laisser entendre que la forme de son agir pouvait être sujette à caution. N’étant pas invitée et surgissant au sein d’un monde d’hommes, elle aurait pu, peut-être, s’annoncer et demander la permission à Simon le maître des lieux… Bref ! Disons qu’il avait certainement de la place pour améliorer la forme quelque peu théâtrale de son action … Oui ! peut-être ! Seulement, pour le Seigneur la forme importe moins que le fond.
Cela m’amène à dire que notre Seigneur intègre parfaitement toutes nos erreurs de forme, et elles sont nombreuses ! Nous sommes souvent maladroits en voulant bien faire ! Et puis, répondre d’une façon très ajustée à l’attente de l’autre, ou des autres c’est tout simplement impossible… Il faut donc se concentrer sur ses motivations de cœur. Pourquoi ?
« L’Eternel ne considère pas ce que l’homme considère ; l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Eternel regarde au cœur » 1 Samuel 16 : 7.
Faire ce que l’on peut contient une redoutable exigence. Celle que l’on s’impose à soi-même pour être authentiquement vrai tout simplement (cf. 1 Jean 3 : 20). Seulement retenons aussi que faire au mieux doit intégrer inévitablement un droit à l’erreur (ou à une maladresse dans la forme).
« D’avance elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement ». Je ne suis pas sûr que cette femme admirable ait entrevu la portée prophétie de son geste. Cela met en exergue le fait que nos gestes d’amour peuvent avoir une portée insoupçonnée. Ce qui est clair, c’est qu’elle n’a pas tenu compte du regard des participants à ce repas chez Simon le lépreux. Quand on peut faire fi du regard des autres et agir tout naturellement avec son cœur, on a franchi un pas important dans la relation au prochain.
Nous avons vu tout à l’heure que les participants étaient fort irrités contre elle. Cela nous démontre à quel point cette femme devait être forte dans son for intérieur et dans sa relation à Christ. Alors, qu’elle entend qu’on lui reproche de gaspiller de l’argent, elle, dans son cœur, est dans le registre de l’amour simple et pur. Quel contraste ! Il interpelle tous nos comportements… Les accusateurs parlaient d’argent, tandis qu’elle vivait l’amour. Quelle superbe invitation à faire jaillir de nos vies ces étincelles d’amour qui peuvent enflammer nos cheminements…
Et enfin, le Seigneur solennellement va prophétiser :
Après avoir rappelé aux convives que le Christ ne resterait pas toujours avec eux (sous-entendu sur cette terre), il annonce : « en vérité, je vous le déclare, partout où sera proclamé l'Évangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d'elle, ce qu'elle a fait ».
Quel éloge exceptionnel et unique dans tous les évangiles (cf. Marc et Matthieu sont les seuls à avoir conservé ce bijou). Pourquoi cette insistance du Seigneur ? Parce que la proclamation de la grande bonne nouvelle au monde repose sur le socle de l’amour. Cette femme a su convertir la notion de sacrifice, en don de soi. C’est exactement ce que le Christ a vécu en donnant sa vie par le sacrifice en croix. Si le monde entier à cette époque ne recouvrait qu’une partie de notre planète, le Seigneur annonce que dans les moindres recoins de notre belle sphère bleue, le chant d’amour de cette femme résonnera. Elle a su traverser tous les obstacles pour atteindre le cœur du Seigneur. Son geste d’amour éclaire le sens du don du Christ pour notre humanité. On aurait pu canoniser son nom, mais son anonymat s’harmonise parfaitement bien avec son état d’âme. Désormais, ce qu’elle a fait s’inscrit dans la mémoire collective des humains. Le verset 10 révèle le contraste entre un amour qui s’ouvre au monde entier, et la trahison de Judas Iscariot qui va se situer, non loin de là, dans un jardin (il a pratiquement totalement disparu de nos jours).
En fait, le geste de cette femme en dit plus long que ce qu’elle a voulu elle-même exprimer. Jésus témoigne : elle a anticipé de parfumer son corps pour sa sépulture. Autrement dit, elle a été inspirée car elle beaucoup aimé. Disons-le sans détour, Elle a été traversée par une pulsion d’inspiration irrépressible …
Conclusion :
Le récit de cette femme admirable, dont le nom est resté caché, force notre réflexion. Ce nard pur de grand prix, qu’elle a conservé certainement longtemps, a été en un instant et par un seul geste donné au Christ pour toujours. Ce vaste brisé traduit l’expression de son cœur. Elle n’a rien voulu garder pour elle. Tout ce qu’elle avait de plus précieux, elle l’a offert à Christ. Derrière ce geste il y a certainement toute une histoire. Sa profonde gratitude s’est exprimée au-delà de ce qui n’a pas de prix. Rien n’a été si précieux à ses yeux pour exprimer au Sauveur ses sentiments intérieurs. Aucun obstacle n’a pu arrêter sa détermination. Elle s’est invitée dans cet univers d’hommes, elle a bravé leurs regards et leurs paroles désobligeantes pour exprimer ce qui essentiel en relation : l’amour.
A l’heure de la trahison qui va mener le Seigneur à l’échafaud, le parfum répandu sur la tête du Seigneur a valeur de symbole. C’est l’amour, non la haine, non la trahison, ni la mort qui aura le dernier mot. A la fin des fins, c’est sur cette valeur irremplaçable qu’une nouvelle histoire d’un monde nouveau se construira.
« L’amour ne périt jamais… Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour, mais la plus grande de ces choses, c’est l’amour » 1 Corinthiens 13 : 8,13. version Darby.
« L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime » Alfred de Musset.
Jacques Eychenne
Ps : (1) John P. Meier « Un certain juif JESUS », les données de l’histoire, vol. 1, Les sources, les origines, les dates, éd. du cerf, p.176.
TOB, version traduction œcuménique de la Bible, LSD, version Louis Segond ; NEG, version Nouvelles Editions de Genève. BCF, version Bible en Français Courant.
PsPs