Christ, le brigand crucifié

 

 

 

 

 Christ, un brigand

sur la croix

        Luc 22 :37 ;

        23 : 33-43

 

Introduction :

 

L’évangile de Luc donne un récit particulier de la crucifixion. Il est interpelant sous plusieurs rapports. D’abord, le Christ est compté au nombre des brigands. Puis, il y a le côté pudique de la description de cette scène qui ne rend pas l’aspect horrible des   souffrances des suppliciés. Et comble de la situation, au lieu d’être centré sur l’horreur, le médecin bien-aimé focalise notre attention sur un sauvetage mémorable : celui d’un autre brigand. Face à l’énoncé des évènements notre questionnement est sollicité. C’est donc à dessein que nous allons analyser maintenant le compte-rendu présenté par le médecin-évangéliste Luc.

 

Développement :

 

Pourquoi le Christ a-t-il été rangé au nombre des brigands ?  Luc place dans la bouche de Jésus lui-même la réponse : « car, je vous le déclare, il faut que s'accomplisse en moi ce texte de l'Écriture : on l'a compté parmi les criminels. Et, de fait, ce qui me concerne va être accompli. »  Luc 22 : 37, version TOB. Observons l’embarras des traducteurs. Les uns parlent de « criminels », version Bayard ;  d’autres de « malfaiteurs », version de Genève ; de « scélérats » version de Jérusalem ;  « d’inique » version Darby. Mais que dit l’original grec. Il précise qu’il s’agit d’un « ἄνομος ». Ce mot est composé d’un a, (qui est un préfixe privatif) et du mot νομος qui signifie la loi, la tora. (En français nous avons le même sens grammatical, ex : anormal et normal). C’est quelqu’un qui agit sans loi. « Il a été compté parmi les sans-tora » traduira André Chouraqui. Comment comprendre que le Christ, soit venu défaire d’une façon anarchique ce que son Père lui avait transmis ? Le Christ n’avait-il pas dit : « si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour. » Jean 15 : 10, version TOB. Alors, pourquoi fallait-il que s’accomplisse cette parole du prophète Esaïe (cf. Esaïe 53 : 12) ?

 

Nous abordons là le cœur du combat du Christ ici-bas. Disons-le sans ambages, c’est grâce à une substitution de peine de mort que nous avons aujourd’hui la possibilité d’accueillir par la foi un salut éternel. En nous accordant la vie, Dieu a énoncé les conditions qui nous permettaient de la conserver.

Or, depuis Adam et Eve, personne n’a été en mesure de satisfaire les exigences, énoncées par la loi, pour garantir la pérennité de la vie (cf. Romains 3 : 10-12 ; 21-24). De ce fait, le Christ est venu relever le défi là où Adam et Eve l’avaient laissé. L’apôtre Paul va développer magistralement le sujet :

« et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation. Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même en n'imputant point aux hommes leurs offenses, et il a mis en nous la parole de la réconciliation. Nous faisons donc les fonctions d'ambassadeurs pour Christ, comme si Dieu exhortait par nous; nous vous en supplions au nom de Christ: Soyez réconciliés avec Dieu ! Celui qui n'a point connu le péché, il l'a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. »  2 Corinthiens  5 : 18-21, version de Genève. L’apôtre Pierre confirmera avec la même force cette réalité (cf. 1 Pierre 2 : 21-24).

 

Ainsi, ce qui s’est réalisé en Christ est une grâce de Dieu. Or la grâce émane de l’amour. Elle fait barrage à la justice. Les conséquences de nos transgressions de la loi ont été commuées en acquittement. Christ a apuré notre contentieux devant Dieu (la pensée chrétienne est unique au monde sur ce sujet). Humainement, cette démarche inattendue pouvait ne pas être comprise. D’ailleurs, l’un des brigands a demandé d’une façon ironique (voire injurieuse) : « l'un des malfaiteurs crucifiés l'insultait: « N'es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! »  Luc 23 : 39, version TOB. Dans l’original grec : « Sauve-toi toi-même et nous » sous-entendu « avec ». Le brigand confesse inconsciemment que le Christ (ou le Messie) peut sauver. C’est l’ironie ou le burlesque de la situation. Jésus est bien le Messie, et il a bien la capacité de répondre à toute demande visant le salut personnel. Or, historiquement, c’est ce qui est contesté par les responsables spirituels juifs. Pour eux, Jésus est un séditieux qui soulève la populace (cf. Luc 23 : 5,14). Son enseignement n’est pas acceptable. Il est vrai que le Seigneur a un plaidoyer très critique, voire virulent, à l’encontre de ces hauts dignitaires (cf. Luc 20 : 9-19). Sa popularité dérange. On cherche à le faire taire par tous les moyens (cf. Luc 19 : 47-48 ; 22 : 2).

 

Tout le drame historique est contenu dans la parole de ce brigand. Sa question reflète une partie de la vérité : Jésus est bien le Messie. Mais sa question sous-entend un si ? C’est à l’évidence la manifestation du doute. Le brigand exprime le scepticisme de ceux qui n’ont pas voulu voir, comprendre, et croire. Sinon sa demande aurait fait l’économie de son exclamation : « sauve-toi toi-même ! ». Le paradoxe du seul récit des évangiles qui nous rapportent ces mots est édifiant. Ce n’est pas pour se sauver que le Seigneur Jésus est venu, mais bien pour se perdre à notre place. « C'est ainsi que le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Matthieu 20 : 28, version TOB. Le Seigneur n’avait-il pas déjà dit à Jacques et Jean : « Pouvez-vous boire la coupe que je dois boire ? » Jean 20 : 22. Puis aux disciples : « Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien il me tarde qu'il soit accompli ! »  Luc 12 : 50, version de Genève. Et enfin à  Gethsémané : « maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c'est précisément pour cette heure que je suis venu. »  Jean 12 : 27, version TOB.

 

Le brigand a dit vrai sans y croire.

 

Il n’a pas adhéré au projet de substitution de peine, appelé dans le langage théologique : la justification par la foi. Ce thème est magistralement développé par l’apôtre Paul (cf. Romains 3 : 21-28). Ce brigand sous un certain angle est le porte-parole d’un peuple déçu de ne pas avoir reconnu son Messie. Le Messie qu’il attendait ne pouvait avoir une fin horrible… Le brigand a dû se dire : « s’il meurt avec moi, c’est qu’il n’est pas le Christ ». Cette perception que l’on peut comprendre souligne le drame de l’histoire d’un peuple. Et l’on comprend que ce brigand n’ait pas compris la portée du sacrifice du Christ-Messie.

Mais, alors que ce premier brigand employait le « nous » (« sauve-nous »), voulant associer l’autre brigand à son désespoir, à ses injures et son mépris, il se voit morigéné avec pertinence par l’autre brigand. Ce dernier le renvoie à une analyse personnelle de sa situation. Par-delà l’interpellation, il témoigne  une autre perception des évènements. Puis suit un entretien surréaliste entre les deux brigands. (Luc, le médecin bien-aimé nous dit au départ de son évangile avoir fait des recherches sur les évènements de la vie de Christ, mais on se demande quelle source lui a permis de révéler cette conversation insolite. Mais après tout, qu’importe ! Elle a sa place et son contenu est édifiant !) Rappelons, comme le dit l’évangéliste Matthieu, que « Les brigands, crucifiés avec lui, l’insultaient de la même manière. »  Matthieu 27 : 44, version de Genève.

 

Qu’est-ce qui a généré une perception différente chez l’autre brigand ?

 

« Mais l'autre le reprenait, et disait : ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes; mais celui-ci n'a rien fait de mal. Et il dit à Jésus : souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne. Jésus lui répondit : Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. » Luc 23 : 40-43, version de Genève.

L’expérience de ce deuxième brigand est exceptionnelle. Elle illustre le sujet de la puissance de la grâce. Il a été miraculeusement éclairé au moment même où son incompréhension de la justice de Dieu  était certainement la plus forte. En effet, comment comprendre qu’un Dieu d’amour pratique une justice qui punit non celui qui fait le mal, mais celui qui est innocent ?  L’ouverture qui s’est produite dans le cœur de cet homme signe sa libération. Il n’accuse pas ses parents, la société ou le légalisme des chefs religieux ; il ne se trouve pas de circonstances atténuantes. Il n’accuse personne… Il s’accuse lucidement. Son problème n’est pas le « nous » du premier brigand, mais bien le « moi » qu’il va prononcer. Par là même, il se positionne dans la lignée d’Abraham : « espérant contre toute espérance, il crut… » Romains 4 : 18.

 

Le côté le plus prégnant de son témoignage repose sur un à-venir qui transcende sa souffrance présente et va donner du sens à son avenir. Soulignons son regard visionnaire qui à cet instant est unique. Les apôtres, certes, étaient convaincus de l’innocence de Jésus, mais leur compréhension de l’œuvre de salut de leur Seigneur ne dépassait pas la

vision d’une croix sur laquelle il allait mourir. Pour confirmer ce dire, observons que les apôtres ont eu beaucoup de mal à croire à sa résurrection (cf. Luc 24 : 41 ; Jean 20 : 24-29 ; Marc 16 : 14).

Or, notre brigand (il est en face d’un mourant), ose prononcer la phrase : « souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne ». Comment a-t-il pu avoir une vue si juste de l’espérance qui allait naître par la résurrection du Christ ? Pourquoi les apôtres ont-ils été repliés sur leur détresse au point de ne plus concevoir d’avenir, et pourquoi cet homme a percé le mur de l’incompréhension du sacrifice du Christ ? Pour les uns le ciel s’est fermé, pour lui il s’est ouvert… La demande de ce larron en croix n’est saisissable qu’à travers l’action de la grâce divine. C’est par l’illumination de l’Esprit que cet homme est entré dans une révélation unique. Le fait que le cœur de ce brigand notoire ait été touché par la grâce est un encouragement pour tous les pécheurs de la terre.

 

Cela dit, cette expérience relève du fantastique.

 

Elle laisse entendre que cet homme, aux mœurs dissolues, a saisi non seulement que le Christ était un crucifié innocent, mais encore que son sacrifice avait valeur de rachat pour tous les humains (cf. ce thème sera développé plus tard par les apôtres : voire 1 Corinthiens 6 : 19-20). Plus encore, pour que le Christ puisse se souvenir de lui quand il viendrait dans son règne, il fallait qu’il intègre sa résurrection et son règne dans un royaume divin. C’est hallucinant ! Sommes-nous bien conscients que ce brigand est le seul au monde, à cet instant, à avoir percé  le sens prophétique de la mort du Christ ?

 

Quel contraste incroyable entre les chefs religieux, les grands prêtres qui au pied de la croix se moquaient du Christ (cf. Luc 23 : 35 ; Matthieu 27 : 41 ; Marc 15 : 31) et ce brigand qui découvrait la justification par la foi !

Ce tableau est un type de ce qui se produira à la fin des temps : « sachez avant tout que, dans les derniers jours, il viendra des moqueurs avec leurs railleries, et marchant selon leurs propres convoitises. Ils disent: Où est la promesse de son avènement ? Car, depuis que les pères sont morts, tout demeure comme dès le commencement de la création. » 2 Pierre 3 : 3-4, version de Genève.

Les hauts dignitaires du temple se drapaient dans une justice légaliste qui avait une odeur de mort, alors que la justice découverte par notre brigand traduisait l’espérance d’un acquittement, d’une libération en vue d’un avenir radieux. Pouvions-nous imaginer que le plus libre de tous était celui qui était pendu au bois !

 

Jésus va répondre à cet homme agonisant par ses mots : « Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ». L’ouverture de la foi a trouvé sa réponse. L’éventualité d’une réponse positive devient promesse, et cette promesse rend présent dans son cœur son accomplissement. Pour ce brigand les mots « aujourd’hui » et « paradis » s’assemblent. C’est pour lui, à cet instant, le jour du salut. Sa foi confiante a percé le mur du doute, de l’incrédulité et du désespoir. Qui aurait pu penser que ce brigand pouvait être habité par une telle qualité de relation à Christ. Alors que les

ténèbres vont s’abattre sur cette scène d’horreur où trois corps nus sont pendus (cf. Luc 23 : 44), la plus puissante des lumières a jailli. A l’instant où plus rien n’était  à espérer, l’espoir a donné naissance, dans son cœur, à une autre vie. Même si le verbe « tu seras » est au futur, sa foi a rendu vivante son espérance dans le présent.

Les premières comme les dernières paroles du Christ nous disent combien il désire que nous soyons avec lui. Aujourd’hui, chacun pour son compte peut aussi entendre les paroles du Seigneur : « tu seras avec moi ».

 

Conclusion :

 

Ce récit est un concentré d’expériences entre le pécheur et son sauveur. Il nous parle de la relation entre l’humain et le Divin, entre Christ et chacun de nous. La valeur rédemptrice du sacrifice du Christ vient mettre un terme à l’absurdité de la mort, dorénavant vaincue (cf. 1 Corinthiens 15 : 51-58). La substitution de peine que le Christ a consentie par amour a été ennoblie par un accompagnement du brigand repentant. Le don de sa personne et son partage avec la souffrance humaine confèrent à son action un caractère unique et inégalé.

En conséquence, en présence du Christ, il est impossible de rester neutre. Les positions des deux larrons en témoignent.

Pour l’un la simple jouissance est l’élément réducteur de sa vie, pour l’autre la vie a un présent et un avenir transcendant. Pour l’un, la justice humaine n’est qu’ineptie, pour l’autre elle est tremplin à la prise de conscience des conséquences de ses actions. Pour l’un, la perception du salut est un retour à la vie normale selon ses envies, pour l’autre, le salut est un dépassement de la condition humaine vers un ailleurs qui répond à une soif d’absolu. Pour l’un, la vie se ferme, pour l’autre, elle s’ouvre à nouveau encore plus riche. Pour l’un sa demande est « sauve-nous », pour l’autre « souviens-toi de moi ». Pour l’un, point de relation avec le Christ, il est simplement demandeur, pour l’autre, c’est le départ d’une aventure de la foi qui transcende les notions d’espace et de temps.

Le Christ, en acceptant d’être classé au rang de brigand, a déjoué les plans de l’implacable logique de la justice. La porte qu’il ouvre ne se referme plus sur la mort, mais sur la vie. Grâce au Christ, une voie nouvelle est ouverte. Le Seigneur l’avait laissé entendre, quand répondant à la question de ses disciples : « qui peut être sauvé ? », il les regarda et leur dit « cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu : car tout est possible à Dieu » Marc 10 : 27. Un brigand au paradis en est la démonstration…

Une vision moraliste présente le bon et le mauvais larron, mais le Christ ne s’est pas positionné dans le jugement. Il a offert une porte de sortie vers le haut. Alors, plus de deux mille plus tard, la bonne question qui nous est posée est la suivante : « mais qui est Jésus-Christ pour Moi ?

                                                                                 Jacques Eychenne

 

 

 

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