La clandestine

 

 

 

 La clandestine

   Marc 5 : 24-34

Introduction :

 

Le texte liminaire nous rapporte une histoire qui est enchâssée dans une autre histoire. Le fait unique dans les évangiles attise notre attention, d’autant qu’il établit un contraste singulier et signifiant entre un chef de la synagogue, nommé Jaïrus et une sans nom, nous dirions, une clandestine. Dès lors, comment comprendre cette interaction des faits. Jésus est en Galilée, il a déjà prodigué son amour pour l’humain au travers de nombreuses guérisons. Il est revenu sur la rive occidentale du lac de Galilée, quand il est abordé par un dignitaire qui le supplie d’intervenir pour sa fille de douze ans (cf. Luc 8 : 42). Elle était sur le point de mourir. Une foule nombreuse suit la scène. Il faut dire que la popularité du Seigneur a considérablement grandi depuis qu’il a libéré un homme possédé à Gadara (cf. Marc 5 : 1-20). Dans ce tumulte, une femme va troubler la procession qui était dans l’attente d’un autre évènement glorieux. Alors, pour notre édification, essayons de comprendre ce que ce texte veut nous dire.

 

Développement :

 

Observons que seul l’évangile de Jean ne mentionne pas cette rencontre.  Le texte lapidaire de Marc est complété par les récits de Matthieu et de Luc (cf. Matthieu 9 : 18-26 et de Luc 8 : 40 -48). En partant du présupposé que Jésus ne faisait rien sans but, que faut-il comprendre des deux situations qui se percutent (cf. celle de Jaïrus et celle de la femme). Pour retenir l’attention des gens, Jésus a souvent procédé par contraste pour mettre en évidence une vérité. Là, nous avons deux personnages de condition opposée. D’un côté, nous avons un dignitaire religieux respecté et bien entouré, et de l’autre une femme seule et anonyme. Autrement dit, se côtoient un pontife et une clandestine. Déjà là ces textes nous disent que le Seigneur ne considère pas le rang social ou le mérite. Pour lui le salut s’adresse indistinctement à tous. Ce contraste entre la réussite de Jaïrus et cette pauvre malheureuse nous apprend que le Seigneur a abordé tous les cas de figure qui se sont présentés à lui. Il n’a pas rejeté ceux qui ont fait la démarche de s’en remettre à la force de son amour. Il n’a jamais fait de choix éclectique ou exclusif.

La malheureuse clandestine a épuisé tous les recours humains pour soulager son mal. Elle a dépensé tout son argent pour rémunérer tous les médecins qu’elle a sollicités. Elle est seule dans son malheur. Elle est désespérée, car cela fait douze ans que cela dure. Sa seule espérance repose sur cet homme de Nazareth qui a guéri beaucoup de malades. Alors, pourquoi pas moi, se dit-elle !

Mais comment intervenir ? Quand la vie vous démunit de l’essentiel pour assumer votre indépendance, ce n’est guère psychologiquement aisé ! Jaïrus, lui, a des serviteurs et du prestige, elle, est privée par son anonymat d’un porte-parole, d’une aide bienveillante. Lui, est un homme connu, elle, est une femme clandestine. Et surtout, d’après la loi, dite de Moïse, comble de son malheur, elle est impure en regard de sa maladie (cf. Lévitique 15 : 25). Si elle touchait quelqu’un, elle le rendait impur à son tour. Bref ! Sa situation était vraiment désespérée. Notons en passant que le texte établit, là encore, un contraste entre la durée de la souffrance de cette femme et la rapidité de la mort de la fillette de douze ans. Le chiffre douze symbolise comme pour les tribus d’Israël ou pour les apôtres des situations complètes, bien définie. Entre la souffrance d’une longue maladie, et le deuil soudain, tous les malheurs du monde sont comprimés entre ces deux extrémités.

Cette clandestine est devant un dilemme. Comment aborder le Christ ? Ouvertement devant tous, ce n’est pas possible : elle est impure. Toucher rapidement le Christ l’est tout autant. Alors, sa foi biaise et trouve un moyen intermédiaire. « Si je touche ne serait-ce que ses vêtements, je serai sauvée ! » Marc 5 : 28, version NBS. Notons qu’elle emploie le verbe sauver et non guérir. Il faut entendre qu’elle désire plus qu’une guérison. Sa soif de bien-être va bien au-delà d’un simple aspect physique. Inconsciemment, elle aspire à quelque chose de plus…

Toucher le vêtement sans toucher le corps, c’est une foi qui allie la délicatesse et la subtilité. Luc précise : « s’étant approchée par derrière elle toucha la frange de son manteau » Luc 8 : 44, traduction littérale (cf. κράσπεδον = kraspedon = dans le NT, un petit accessoire fait de laine tissée, qui pendait au bord du manteau ou du vêtement. Ces franges étaient censées rappeler les commandements de Dieu // Mattieu 23 : 5 en lien avec les phylactères).

Entre la foi ouverte de Jaïrus et la foi cachée de notre clandestine nous avons là toute une palette d’expressions de la foi personnelle. Pour les uns, elle est expressive, pour d’autre, elle plus intime et plus secrète. Mais le Christ accueille toujours…

Notons que notre clandestine n’a présenté aucune demande, alors que Jaïrus a supplié Jésus de venir chez lui. Cette femme a simplement agi comme son cœur le lui commandait. Ce simple fait laisse la porte ouverte à tous nos élans de foi. Sur l’instant notre clandestine « sut, dans son corps, qu’elle était guérie de son mal » Marc 5 : 29, version NBS. Sa foi a été confirmée sur le champ, alors que Jaïrus aura un chemin de foi. Pour l’une, le miracle est dans la rue, pour l’autre, il sera dans l’intimité d’une maison. Les réponses du Seigneur s’ajustent toujours à l’individu…

Cependant d’une façon curieuse, Jésus sent qu’une force est sortie de lui et il questionne : « qui a touché mes vêtements ? » v.30. Question que ses disciples trouvent inappropriée, car la foule le presse de tous côtés. Question que nous pouvons, nous aussi, trouver superflue, à moins qu’elle soit posée pour que la clandestine se dévoile. Et c’est ce qui s’est passé. « La femme, tremblant de peur, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité » v. 33, version NBS.

L’instant est solennel. Comment le Christ va réagir ? va-t-il dénoncer l’ambiguïté de son geste ? Va-t-il faire référence à loi de Moïse sur les impuretés ? Va-t-il sanctionner sa confession a posteriori ? Pourquoi tremble-t-elle ? Que peut-elle redouter ? Ne vient-elle pas d’être guérie instantanément ! Il y a un instant, sa foi était agissante sans prendre en compte le regard des autres, mais maintenant redoute-t-elle un jugement sévère qui remettrait tout son scénario en question ? Il semble qu’en quelques secondes tout se soit brouillé dans sa tête. Elan de foi, prostration ou adoration, frustration ou espoir, reconnaissance ou peur d’un jugement, attente d’un pardon ou accent de reconnaissance.

On ne sait pas au juste, ce que cette femme pense, ni ce qu’a été sa vie d’avant. C’est quand Jésus cherche qui l’a touchée, que se voyant découverte, elle se jette à ses pieds. Luc est plus précis : « voyant qu’elle n’avait pu passer inaperçue, la femme vint en tremblant se jeter à ses pieds ; elle raconta devant tout le peuple pour quel motif elle l’avait touché, et comment elle avait été guérie à l’instant même » Luc 8 : 47, version TOB. (Motif = αἰτίαν = aitia = la cause, l’origine. Cela peut être une faute, un délit cf. Jean 18 : 38 ; 19 : 4 ; Actes 23 : 38 ou une plainte, une accusation, un grief cf. Actes 25 : 18). Elle a parlé parce que les conditions l’incitaient à le faire. Elle a été surprise, alors qu’elle n’avait commis aucun mal. Cela peut illustrer toutes nos ambiguïtés, tous nos ressentis erronés.

 

Après que le miracle s’est accompli pour elle, Jésus a voulu volontairement donner à cette femme l’occasion d’expliciter sa foi. Après l’avoir entendu, il prononça ces paroles pleines de sens : « Fille, ta foi t’a sauvée : va en paix et sois saine de ta souffrance » traduction littérale. Matthieu rajoute : « Aie courage fille ! ta foi t’a sauvée » Matthieu 9 : 22. Traduction littérale (θαρσέω = tharseo = avoir du courage, avoir confiance, prendre courage, se rassurer).

Ma question est simple : Pourquoi lui enjoindre de prendre courage, alors qu’elle n’en a pas manqué ? En fait, le contexte de Marc est éclairant pour mieux comprendre le sens de ce mot. Notre clandestine, une fois démasquée est venue tremblante s’agenouiller devant le Christ. Le verbe tharseo est à entendre comme une invitation à être rassurée. Le Seigneur veut apaiser sa crainte, comme il désire le faire pour toutes nos angoisses. Les raisons de ses inquiétudes étaient légitimes et le Seigneur a été le seul à les entendre. Quand l’humain ne voit rien et n’entend rien, il est réconfortant de savoir que notre Sauveur est au clair sur notre situation. Il est important de souligner que le Seigneur ne prononce aucune formule de pardon, voulant bien démontrer qu’en aucune façon cette femme a commis une faute en prenant l’initiative de toucher son vêtement. Pourtant, quand elle se jette à ses pieds et lui dit « toute la vérité », on pourrait s’interroger sur ce qu’elle place derrière ce mot. De quelle vérité parle-t-elle ? Si c’est bien la sienne, on sait combien ce mot peut être perverti. Ne dit-on pas : à chacun sa vérité ! Autrement dit, notre conception de la vérité est souvent une couverture qui masque nos conceptions plus ou moins erronées. Jésus ne lui fera aucun reproche, aucune réprimande, rien qui soit de nature à endeuiller sa foi. Notons que la démarche d’accueil du Seigneur n’a jamais varié. N’a-t-il pas dit : « Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos » Matthieu 11 : 28, version LSG. Certes, si Jésus de Nazareth est venu nous parler de son royaume à venir, il est aussi venu pour nous donner repos et paix, ici et maintenant.

De plus, l’invitation à prendre courage peut aussi concerner la suite de sa vie. Après avoir été exaucée, qui peut croire que c’est en touchant un bout de tissu que sa guérison a eu lieu ! Le corps médical pousserait des cris d’orfraie. On parlerait plutôt dans ce cas de sorcellerie. Le témoignage qui devait suivre sa guérison, même auprès de ses amis, n’était pas de nature à être reçu facilement…

 

Mais revenons à l’appellation : fille ! (Le possessif est absent du texte). Jusqu’à présent dans le récit synoptique des évangiles, il est question d’une femme. De plus, si cette femme a ce problème depuis douze ans, à partir peut-être de sa puberté, nous sommes en présence d’une femme qui a au moins plus de vingt-deux ans. Alors pourquoi cette apostrophe insolite : fille ?

Est-ce que le Seigneur veut placer la détresse de sa souffrance au même titre que celle de la fillette de Jaïrus ? Les situations parallèles nous conduisent peut-être vers ce développement (cf. dans les deux situations, c’est le même mot grec qui est utilisé par Matthieu : θυγάτηρ = thugater = une fille ; dans Luc c’est encore plus fort, le même mot suit les deux situations ; cf. Luc 8 : 48 et 49).

Autrement dit, la honteuse maladie pour l’époque est mise sur le même plan que le sujet de la mort. Dans les deux cas, on est dans une situation extrême dans laquelle tous les recours humains sont épuisés. On est bien dans un climat anxiogène et tragique. Luc précise que la fille de Jaïrus est unique, tandis que la femme n’a personne pour la guérir. Elle aussi vit une ambiance de mort. Dans les deux cas, la foi est mise à l’épreuve. Pour Jaïrus, sur le chemin, on vient lui dire que sa petite fille est morte. Indirectement cela veut dire concrètement : « arrête d’importuner le Maître ! ». Et, dans le cas de notre clandestine son anonymat est éventé. Elle est forcée de se justifier, donc de redire sa foi en Christ. D’ordinaire, dans la population, une telle maladie ne pouvait qu’être la conséquence de péchés cachés. Pour le peuple, elle ne faisait que subir les dommages de ses transgressions. Seulement, le Seigneur avait su lire dans son cœur…

De plus, en utilisant le mot, très signifiant, de « fille », le Seigneur lui redonne une place positive au sein de la société. Désormais, elle a un statut. Elle fait partie de la grande famille spirituelle. Elle a tacitement un Père. Dépassant les ordonnances légales, la grâce du Christ devient transgressive. Elle illustre le passage spirituel entre la loi et la grâce. En nous accueillant comme des enfants de Dieu, nous devenons participants de la grande famille spirituelle, dans laquelle il n’y aura plus de classe sociale, ni de degré de souffrance. Les cris, les larmes, la souffrance, la mort, ne seront plus (cf. Apocalypse 21 : 3-5).

« Ta foi t’a sauvée… ». Les spécialistes du grec nous diraient que la forme du verbe au parfait indique une action dont la portée est infinie. Notre clandestine n’est pas simplement guérie (c’est le verbe qui serait de circonstance), non ! il est question d’un salut complet. Il défie l’espace-temps. En réalité, ce n’est pas sa foi qui l’a sauvée, mais le Christ. Seulement, le Seigneur met sur le même plan la confiance de cette femme en son pouvoir d’amour, et la réalité du salut qu’il dispense. L’apôtre Paul nous expliquera « c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie » Ephésiens 2 : 8-9, version LSG.

Le merveilleux de l’acte de foi de notre clandestine a été de croire qu’un simple effleurement de la frange de la tunique du Christ pouvait la guérir. Sans parole, sans un bruit, sans étalage de sa souffrance, elle a agi en toute discrétion. Le geste semble dérisoire par rapport à ses conséquences. Sommes-nous conscients que nos gestes de foi si frêles soient-ils peuvent avoir une portée d’éternité ? Quel sublime message d’amour ! Jaïrus et notre clandestine sont tous deux en souffrance sur le chemin de la vie, mais c’est notre clandestine qui sera la première exaucée. Toutefois, le miracle renforce aussi la foi de Jaïrus. Le Seigneur interagit pour le bien des deux prétendants à son action. Le Christ donne ainsi de l’importance à l’insignifiant pour l’étalonner à la hauteur des valeurs spirituelles les plus conséquentes. Il rehausse le dérisoire pour le porter au niveau du sublime.

« Va en paix et sois saine de ta souffrance » Marc 5 : 34.

Cela peut surprendre, mais le premier objectif de Jésus est de donner la paix. Ailleurs, il dira clairement : « Je vous laisse la paix, je vous donne la paix, je ne vous donne pas, moi, comme le monde donne. Que votre cœur ne soit pas troublé, ni craintif » Jean 14 : 27, version DRB. Et encore : « Je vous ai dit ces choses, afin qu’en moi vous ayez la paix. Vous avez de la tribulation dans le monde, mais ayez courage, moi j’ai vaincu le monde » Jean 16 : 33, version DRB.

Le seigneur veut nous sortir de toutes nos angoisses existentielles. Il est vrai que nos vies portent un sac à dos plus ou moins lourd, physiquement, psychiquement et moralement. Nous pouvons avoir la tentation de déposer le fardeau sur le bord de la route. Il est des jours où l’envie, le désir, la joie, tout semble être parti en fumée. C’est dans ces moments-là que la paix peut être le préalable de la guérison.

Après avoir énoncé ce qui est indispensable à l’équilibre de notre psychisme, le Christ aborde l’aspect physique. Le Seigneur, en tant que médecin de l’âme, a mis en place une analyse holistique de la personne humaine. Il a éradiqué le mal dans son entier. La guérison du corps n’en est qu’une étape. Nous n’avons pas été créés pour souffrir et mourir, ce serait complètement absurde ! Concrètement notre clandestine vise sa guérison, alors que Jésus vise son salut…

Le texte relève un détail qui en dit long sur les motivations de chacun. Il y a la foule qui presse le Seigneur et il y a le délicat effleurement de notre clandestine. D’un côté il y a la curiosité, le suivi moutonnier, le voyeurisme, l’attente du spectaculaire, de l’autre l’humble et profonde démarche de la foi. D’un côté on suit pour voir, de l’autre on veut à tout prix exprimer un besoin fondamental : être bien, en entier, dans son corps. Superficialité et profondeur de sentiments se sont côtoyées, mais le Seigneur, notre grand médecin, a su faire, sur le champ, la différence. Il n’a jamais été dupe des intentions humaines.

 

Conclusion :

 

La parénèse (exhortation spirituelle) que nous offre l’évangéliste Marc, complétée par Mattieu et Luc, nous fournit une opportunité pour déclencher en nous une réflexion salutaire. La concision spectaculaire du récit de Marc peut nous y aider.

Notre clandestine nous ouvre un chemin. Elle met l’accent sur l’indispensable nécessité de faire acte de foi, un jour ou l’autre. Après avoir tout essayé et couru après tous les mirages de notre monde moderne, force est de constater que nous sommes profondément insatisfaits de nous-même et des autres. Notre société moderne ne nous laisse pas le temps de la réflexion. Tout s’accélère au point que l’on perd de vue l’essentiel en courant chaque jour. C’est quand on fait une pause dans sa vie qu’il est utile de se rappeler qu’une initiative parfois insignifiante peut changer le cours de notre existence. Notre clandestine a osé, simplement osé mettre sa confiance en celui qui ne déçoit jamais… Et Jésus de Nazareth l’a accueillie, guérie, réconfortée et sauvée. Qu’en sera-t-il de nous ?

                                                                         

                                                                             Jacques Eychenne

 

PS : NBS, version Nouvelle Bible Segond ; TOB, version Traduction Œcuménique de la Bible ; LSG, version Louis Segond ; DRB, version Darby.

 

 

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