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L’enseignement de Salomon Une sagesse oubliée Ecclésiaste 1 : 1 à 4 : 16
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Introduction :
Les paroles de Salomon ont traversé les siècles. Sa sagesse est devenue proverbiale. Plus encore, Salomon, fils de David, roi à Jérusalem, a enseigné, jugé, écrit pour son peuple, mais il a aussi examiné son propre parcours et celui des habitants de son peuple. Il a procédé à des recherches, et il a classé toutes ses observations (cf. Ecclésiaste 12 : 9). Son livre est un recueil de conseils judicieux. Ils sont toujours d’actualité. Plus que jamais, ce qui a été considéré par certains comme un manuel du bonheur, devrait nous interpeler sur nos conditions de vie. Salomon, ce prédicateur émérite, aborde tous les aspects pratiques de notre existence sous un angle spirituel. Pour lui, notre responsabilité nous place directement en face de Dieu, sans intermédiaire. Quand on lit d’un trait les douze chapitres de son livre, l’impression première nous incline à penser : « à quoi bon vivre ! ». Mais avec le recul nécessaire, propre à tout enseignement biblique, on s’aperçoit de la finesse de son propos. Il est sans complaisance, d’autant qu’une bonne partie est autobiographique. Son expérience nous renvoie à une réflexion personnelle sur la philosophie de la vie, sa raison d’être, ses espérances, ses déceptions, son avenir… il nous présente une approche très réaliste et pertinente de l’existence. Même si son propos peut être dérangeant, Salomon a pour objectif de nous conduire à la connaissance de Dieu, car pour lui, la plénitude du bonheur ne peut se trouver qu’en Lui.
Développement :
« Vanité des vanités, dit Qohéleth, vanité des vanités, tout est vanité » Ecclésiaste 1 : 2, version TOB.
C’est le thème récurrent et bien connu de Salomon, mais qu’exprime-t-il en fait ?
En premier, précisons que le Qohéleth est un collecteur de sentences qui parle en homme public. C’est le prédicateur qui s’adresse à une assemblée dans une enceinte religieuse. Le thème de son écrit fait référence à la vanité. Comment faut-il entendre le mot ? הֶבֶל hebel {heh'bel} הַבֵל habel {hab-ale'}, c’est la vapeur, la buée, la fumée, le souffle, par extension c’est ce qui est futile, inconsistant, vain, vide.
Sans préambule Salomon développe ce que contient cette vanité :
« Quel profit y a-t-il pour l'homme de tout le travail qu'il fait sous le soleil ? Un âge s'en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours » Ecclésiaste 1 : 3-4, version TOB. C’est son regard au soir de sa vie. A première vue, son leitmotiv (cf. vanité des vanités) semble pessimiste, mais il n’en est rien. Salomon ne tourne pas le dos à la vie, il la regarde en face pour mieux distinguer ce qu’elle cache. Son regard profond l’incite à regarder ce qu’il y a derrière une perception superficielle. Et derrière toute chose, pour Salomon, il y a Dieu. Il le cite trente-sept fois dans son écrit. Rappelons que les Juifs de son temps parlaient sous des formes imagées. Son slogan exprime une réalité profonde : plus l’humain prend ses distances avec l’auteur de la vie, plus cette dernière devient vide, inconsistante, sans vraie raison d’être…
Le Seigneur Jésus énoncera la même vérité, mais avec d’autres mots :
« Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » Jean 15 : 5, version TOB.
Propos inacceptable pour tous les épicuriens de la terre, et même pour tous ceux et celles (dont nous pouvons être) qui s’accrochent au visible, au spectaculaire, au matériel, à l’émotion, au paraître, au profit, sans discerner la fragilité de toute perception, car en fin des fins, tout partira en fumée. Son affirmation heurte nos civilisations de plus en plus sécularisées. Seulement, en réalité, Salomon veut nous éviter une désillusion ou une terrible méprise en passant à côté de la vraie vie. Pour lui, le bonheur sans Dieu est une chimère. (Albert Camus abordera le sujet sous un autre angle dans le mythe de Sisyphe, écrit en 1942. Il fait partie du « cycle de l’absurde » avec la pièce de théâtre, Caligula qu’il écrira en 1944).
Le sujet n’est donc pas nouveau ! Seulement, Salomon le place en perspective avec son Dieu. Sa vision est à considérer. Il n’essaie pas d’anéantir tout espoir de l’être humain, il espère l’orienter vers Celui qui peut vraiment répondre à notre soif d’absolu.
Il a observé et acté les faits résultant des successions de générations et pour lui l’histoire est un éternel recommencement.
« Ce qui a été, c'est ce qui sera, ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera : rien de nouveau sous le soleil ! » Ecclésiaste 1 : 9, version TOB.
Toutefois, sa quête du vrai bonheur surmonte les éternels recommencements de l’existence. Reconnaissons que sous cet aspect son interpellation est pertinente ! Nous pouvons facilement observer de nos jours le même phénomène. Notre génération cherche désespérément, mais avec détermination à répondre au mystère de la vie pour conforter sa raison d’être. Jamais la science n’a été aussi performante pour sonder l’univers et comprendre les mystères de nos origines. Le sujet n’est donc pas en lien avec les moyens techniques de plus en plus efficients, l’essentiel c’est l’humain dans sa complexité.
« Moi, Qohéleth, j'ai été roi sur Israël, à Jérusalem. J'ai eu à cœur de chercher et d'explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel… J'ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ; mais voici que tout est vanité et poursuite de vent » Ecclésiaste 1 : 12-13, version TOB.
Salomon essaie de partager son expérience en nous disant que les humains cherchent le bonheur là où il n’est pas. Mais comment est-il parvenu à ce constat ? Quelles ont été ses investigations ? Quelle philosophie de la vie nous propose-t-il ?
La démarche qu’il s’est appliqué en premier a été d’expérimenter la joie comme expression du bonheur.
« Je me suis dit dans mon cœur : allons ! Essaie la joie et tu goûteras au bonheur ! J’ai constaté que cela aussi, c’était de la fumée » Ecclésiaste 2 : 1, version Segond 21.
Puis, Salomon est allé à la recherche de tous les plaisirs. Sa situation royale lui
permettait de satisfaire toutes ses envies, et il ne s’est privé de rien (cf. Ecclésiaste 2 : 10). Il a bu les meilleurs vins, il a construit des palais fabuleux (cf. 1 Rois 7 : 1-12 ; 9 : 15 -19) avec des jardins et des vergers comportant toutes sortes d’arbres fruitiers alimentés par des réservoirs et un système hydraulique remarquable. Il s’est entouré d’un nombre impressionnant de serviteurs et de servantes qu’il a logé. Il a possédé de grands troupeaux de bœufs et de brebis. Rendez-vous compte ! Pour un seul sacrifice d’action de grâce, il a immolé 22000 bœufs et 120000 brebis (cf. 1 Rois 8 : 63). Les écuries de Salomon étaient aussi prestigieuses (cf.1400 chars et 12000 cavaliers, 1 Rois 10 : 26) Il a amassé de l’argent et de l’or à profusion (cf. 1 Chroniques 1 : 15), les rendant aussi commun que les pierres de Jérusalem. Il s’est procuré des chanteurs et des chanteuses. Il a aimé beaucoup de femmes (étrangères), comme la fille de pharaon, mais aussi des femmes Moabites, Ammonites, Edomites, Sidoniennes, Héthiennes. En bref, Salomon a eu 700 princesses pour femmes et 300 concubines (cf. 1 Rois 11 : 1-3). Il déclare lui-même qu’il ne sait rien refusé à ses yeux. Il a tout essayé pour être dans la joie allant même jusqu’à aller aux frontières de la folie, et pourtant, il déclare qu’après avoir réfléchi, il a constaté que tout cela n’était que fumée et poursuite du vent (cf. Ecclésiaste 2 : 1-15, version Segond 21).
Parvenu à ce bout du bout, il a « détesté la vie. Oui, ce qui se fait sous le soleil m’a déplu, car tout n’est que fumée et revient à poursuivre le vent » Ecclésiaste 2 : 16, version Segond 21.
Quand Salomon fait le bilan de toutes ses activités, il est forcé de constater qu’il a un vide dans son cœur. Ses aspirations au bonheur sont un échec. Malgré l’ampleur des moyens déployés, malgré l’impressionnante palette de ses envies, malgré la variété de ses recherches, Salomon reste pour le moins insatisfait dans sa recherche humaine du plaisir et de sa pleine satisfaction. Mais ne nous trompons pas, si Salomon dépeint les profils illusoires et sans lendemain des jouissances telles que la richesse, la sensualité et le plaisir facile, c’est pour mieux nous laisser entrevoir des perspectives plus profondes, plus permanentes, plus véritables…
Sa sagesse prend alors le dessus et le conduit à considérer la notion du temps. Il faut du temps pour analyser toutes choses :
« J’ai vu quelle occupation Dieu réserve aux humains. Il fait toute chose belle au moment voulu. Il a même mis dans leur cœur la pensée de l’éternité, même si l’homme ne peut pas comprendre l’œuvre que Dieu accomplit du début à la fin » Ecclésiaste 3 : 10-11, version Segond 21.
rience ne repose pas sur des mythes fruits de l’imaginaire, mais sur la vie au présent. De ce fait, son témoignage est incontestable même si on peut ne pas le reconnaître.
Avant de poursuivre dans ses investigations, Salomon met en exergue deux principales observations :
Dieu a donné l’éternité dans leur cœur (cf. éternité : עוֹלָם`owlam {o-lawm'} or עֹלָם `olam {o-lawm'} 1) longue durée, antiquité, le futur, pour toujours, jamais, éternel, perpétuel, vieux, ancien, monde 1a) les temps anciens, il y a longtemps (du passé) 1b) (du futur) 1b1) pour toujours, à jamais 1b2) existence continuelle, perpétuelle 1b3) éternel, futur indéfini ou sans fin, l'éternité).
Que l’on soit croyant ou pas, tout comme Voltaire nous pouvons admettre l’harmonie qui règne dans la nature lorsqu’elle n’est pas perturbée par les humains. L’harmonie parfaite est une marque distinctive de l’action divine. A l’origine, la Bible nous dit que tout était très bon, beau et bien (cf. Genèse 1 : 4,10,12,18,25). Le grand ensemble de notre planète
obéit à des lois immuables qui ont permis la vie. Chaque habitant de cette terre devrait au moins reconnaître cette évidence (comme le psalmiste l’a sublimement décrite, cf. Psaumes 104). L’apôtre Paul a même été plus loin. Sous l’inspiration divine, il a écrit aux chrétiens de Rome :
« ce que l'on peut connaître de Dieu est clair pour tous : Dieu lui-même le leur a montré clairement. En effet, depuis que Dieu a créé le monde, ses qualités invisibles, c'est-à-dire sa puissance éternelle et sa nature divine, se voient fort bien quand on considère ses œuvres. Les humains sont donc inexcusables » Romains 1 : 19-20, version BFC
(Entre Salomon et Paul, il n’y a pas de contradiction. Salomon souligne que l’on ne peut pas comprendre toute l’œuvre de Dieu et l’apôtre affirme que ce que l’on voit et ce que l’on sait est suffisant pour croire en Dieu).
Puis, Salomon dit que Dieu a mis dans le cœur des humains la notion d’un temps perpétuel, appelé éternité. Autant dire que notre temps aura une suite au-delà de notre petite sphère. C’est fabuleux que Dieu, notre Père, ait pensé inscrire dans nos esprits et dans nos coeurs ce que nous ne pouvons pas objectivement saisir. Le langage humain est incapable de décrire la réalité de l’éternité. Nous savons classé les évènements de notre monde par le mot que l’on appelle l’histoire, mais au-delà, comme pour l’explication de l’origine de la vie avec le mur de Planck, personne ne peut dire ce qui va se passer. Si bien qu’au-delà de ce que ce célèbre physicien a défini, la science reste impuissante à décrire et expliquer ce qu’il y a derrière ce mur. Mais paradoxalement, c’est un bienfait qui facilite le choix libre de chacun. Personne ne peut dire que Dieu n’existe pas, et personne ne peut prouver qu’il existe. A chacun d’ouvrir les yeux et son cœur pour se faire une conviction personnelle. Mais n’oublions pas que cette notion d’éternité répond à un désir d’absolu. Il est inscrit, comme par hasard, dans nos gènes !
Pour le présent Salomon nous rappelle :
« Toute vie se termine de la même façon, tout être retourne à la terre à partir de laquelle il a été formé » Ecclésiaste 3 : 20, version BFC.
Son réalisme est impressionnant, rien n’échappe à son observation. Puis, il poursuit ses analyses. Il constate que le droit est toujours du côté de la force. Elle est utilisée pour oppresser les plus faibles. Il voit que le succès des entreprises humaines est en lien avec la jalousie vis-à-vis de son prochain, et il s’interroge sur le travail quotidien quand il prive l’humain du bonheur.
Et là, Salomon énonce une mesure sociale d’avant-garde.
« Mieux vaut une poignée pleine de repos que deux poignées pleines de travail et d’une activité qui revient à poursuivre le vent » Ecclésiaste 4 : 6, version Segond 21.
Autrement dit, le repos est aussi essentiel que le travail. Encore faut-il éviter l’exploitation de l’homme par l’homme ! (cf. Jacques 5 : 4). Le travail doit être un bienfait. Cette activité fait référence à une notion d’équilibre ! Il ne faut pas croire qu’en travaillant plus, on augmente son bonheur. On voit de nos jours une planification de productivités effrénées, très souvent au détriment de la santé d’exécutants, parfois très jeunes (dans certains pays). Une activité équilibrée est source de joie, son trop-plein mène au surmenage et à la dépression. Près de 30 siècles avant l’ère dit moderne, ce conseil appelait à un travail raisonnable et un repos nécessaire. Dieu l’avait inscrit, dès le départ, dans un code de bonne conduite, en enjoignant à nos premiers parents de respecter le septième jour comme jour de repos. Ce devait être un bienfait pour le corps, l’esprit et le cœur. Il n’avait pas pour vocation d’engendrer l’inactivité ! Il invitait à un changement d’état d’esprit dans une recherche empreinte de spiritualité en lien avec le Créateur.
« Mieux vaut un enfant pauvre et sage qu’un roi vieux et stupide qui ne sait plus se laisser avertir » Ecclésiaste 4 : 13, version Segond 21.
Salomon met en évidence la question de la condition sociale. La question de nos origines et la situation matérielle de nos parents a moins d’importance que notre capacité à pratiquer la sagesse. Dans le cas d’un enfant, c’est estimer sa propension à accueillir les conseils des parents afin de les mettre en pratique. Le cas de Jésus de Nazareth fait ici, pour nous, référence.
« Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce » Luc 2 : 52, version Segond 21.
Là encore nous serions bien inspirés d’avoir l’humilité de toujours accueillir des conseils…
Conclusion :
Ces quatre premiers chapitres du livre de Salomon nous invitent à une prise de conscience de nos fonctionnements. Pris dans le tourbillon de nos programmes quotidiens, le recul nous manque parfois pour savoir où nous voulons aller, ce que nous voulons, et comment mettre nos projets en équilibre de vie. Le fait de s’activer en permanence, sans faire des poses nécessaires, est considéré par Salomon comme une perte de temps. Le psalmiste s’inspire d’une prière de Moïse qui disait déjà :
« Enseigne-nous à bien compter nos jours, afin que notre cœur parvienne à la sagesse ! » Psaume 90 : 12, version Segond 21.
Le roi David, père de Salomon avait lui aussi exprimé une pensée similaire :
« Eternel, fais-moi connaître quand finira ma vie, quel est le nombre de mes jours, afin que je sache combien je suis peu de chose ». Voici, tu as donné à mes jours la largeur de la main, et ma vie est comme un rien devant toi. Oui, même vigoureux, l’homme n’est qu’un souffle » » Psaumes 39 : 5-6, version Segond 21.
Une certaine forme de sagesse fait défaut partout dans notre monde. Le fait n’est pas nouveau, mais il semble que les situations s’aggravent. L’apôtre Paul avait déjà, lui-aussi, pointer ce déficit de sagesse humaine :
« Que peuvent encore dire les sages ? ou les gens instruits ? ou les discoureurs du temps présent ? Dieu a démontré que la sagesse de ce monde est folie ! » 1 Corinthiens 1 : 20, version BFC.
Tout ces remarques tentent de nous amener à prendre en considération les conseils judicieux de Salomon. A ce dessein, nous poursuivrons l’analyse de son livre la prochaine fois… Moi-même, comme nous tous, faisons-en bon profit !
« Que ta vision soit à chaque instant nouvelle. Le sage est celui qui s’étonne de tout ».
André Gide, écrivain français (1869-1951).
Jacques Eychenne
PS : TOB, version traduction Œcuménique de la Bible ; Segond 21 de 2009 ; BFC, version Bible en Français Courant.