ou
La libération par-don
Matthieu 6 :14
3ème Partie
Introduction :
Nous allons aborder la dernière partie de notre étude. Rappelons que notre objectif est de proposer des « légumes de vie » afin que chacun puisse faire son marché à sa convenance. Devant l’étendue du sujet et sa complexité, nous ne faisons qu’esquisser à grands traits quelques éléments de réflexion… humblement, notre souhait est de progresser ensemble dans l’apprentissage du mieux vivre un vrai pardon. Notre référence biblique nous a aidés à définir le sens des mots. La psychanalyse nous a permis de pointer des passages obligés… Nous avons donc déjà examiné les points suivants :
- la reconnaissance objective de l’agression subie.
- L’importance de la décision de ne plus vouloir souffrir.
- Cesser de se sentir coupable, se savoir pardonner, et savoir se pardonner.
- Chercher à comprendre les motivations de notre agresseur.
- Laisser du temps au temps.
- Les écueils au vrai pardon.
- Les autres options du non-pardon…
Nous avons ensuite développé l’importance de l’acte libérateur du pardon. Aujourd’hui nous poursuivons en soulignant d’autres facteurs complémentaires.
Le travail des historiens et de la justice :
Les faits de notre agression, comme toutes les autres agressions, s’inscrivent dans une histoire dont il convient de garder le souvenir. Il en va de même sur un plan collectif avec les guerres, les génocides etc. Le rôle des historiens et de la justice devient prépondérant.
En préambule, constatons que l’histoire récente du 20è siècle met à mal la notion du pardon. Les 2 guerres de la France en Europe, la guerre d’Algérie, les atrocités des pays totalitaires, les génocides, toutes ces atrocités mettent en constat d’échec la force du pardon.
Pardonner n’est pas oublier. Il faut faire mémoire.
Voilà pourquoi le rôle des historiens est incontournable. Dans ces cas, il s’agir d’honorer ceux qui nous ont quittés. La transmission est nécessaire, paradoxalement, elle contribue à la cicatrisation des blessures de nos cœurs. Je l’ai personnellement expérimentée avec le meurtre de mon père en Algérie. Le pardon est aussi se souvenir ensemble (d’où les commémorations) pour se rapprocher, se réconcilier et renouer avec la fraternité.
Les situations qui relèvent d’actes sadiques, vis-à-vis d’enfants ou de femmes, sont tout aussi complexes à gérer. Il est important que la justice dise le droit et rapporte la vérité des faits. Souvent dans ces circonstances, le pardon est reconnu comme impossible. Mais, c’est précisément là qu’il est bien nécessaire. Nicole Fabre à la fin de son livre déclare :
« à littéralement parler on ne pardonne que de l’impardonnable. On pardonne parce que justement c’est impardonnable et que seul le pardon permet de relancer l’histoire et de reconstruire le monde malgré la catastrophe. Mais si l’on ne peut parler de pardon que face à l’impardonnable…vers quels autres horizons sommes-nous conduits.» Op., déjà cité, p.146
On constate assez vite que le parcours du pardon nous conduit sur des chemins que nous n’aurions jamais empruntés… Il est vrai qu’il faut être deux pour pardonner. Mais là encore, même si le sentier est étroit et difficile, il faut aussi penser à soi. Il faut se remettre en dynamique de vie. Le pardon ne va pas à l’encontre d’une décision de justice. Bien au contraire, la peine encourue dit que l’agression (donc la douleur de l’agressé) a été reconnue.
C’est un élément à prendre en compte dans la marche vers le vrai pardon.
Reprendre le contrôle de sa vie :
La vie est trop courte pour se laisser gangrener par des sentiments corrosifs. Il est bienfaisant de reprendre le contrôle de sa vie en progressant dans la pratique du pardon. Non seulement le pardon cicatrise les plaies stockées dans la mémoire, mais de surcroît, il nous transfuse une énergie nouvelle. Il nous déconnecte de tout réflexe oblatif…
Maintenant, comment savoir si nous avons vraiment pardonné ?
En ressentant physiquement les bienfaits de cette libération. Elle concerne non seulement notre esprit, mais aussi notre cœur. Le pardon est un acte libérateur qui dissout la douleur avec le temps, au point de ne plus la rendre perceptible.
Concrètement, cela nous conduit à revisiter nos niveaux d’exigences dans notre relation à autrui. Un repositionnement dans notre relation à Dieu s’opère tout aussi naturellement. Alors, on découvre avec émerveillement, qu’avant d’être notre fait, le pardon est don de Dieu. C’est par le don (par-don) de Dieu que s’ouvre la porte du vrai pardon ! Ainsi l’impardonnable devient possible, justement parce qu’il est impardonnable.
Les évènements de la vie nous placent en situation de réflexions. On a besoin de découvrir la vérité sur soi. Le pardon, paradoxalement est lié à la vérité sur soi et sur autrui. Le pardon s’inscrit donc dans une recherche de vérité. Il s’agit de décider de se frayer un chemin pour se sentir bien avec soi- même. Dès lors la relation à autrui est facilitée…
Découvrir au travers de chaque humain un frère d’humanité, voilà vers quoi la notion de pardon nous dirige. C’est un défi considérable pour nous qui sommes engoncés dans le jugement concernant les races, les cultures, les religions, les fratries, les amis, les voisins etc…
Le pardon, dans la Bible, est présenté comme une redécouverte, un renouvellement d’attention. Il nous renvoie au projet initial de Dieu, notre Père. Quel est ce projet ? C’est avant tout un projet d’Amour. Cet amour développe l’estime de soi, la tolérance, l’absence de jugement, le respect, l’humilité, la solidarité de la condition humaine.
Pardonner, c’est grandir. C’est un précipité « chimico-spirituel » de l’amour. Car le pardon transforme, surmonte tout parasitage de relation, éveille à la reconstruction du possible, nous ouvre à la vraie liberté. Et comme le dit Nicole Fabre, à la conclusion de son livre : « Et peut-être au champ illimité du spirituel » p. 165
Même si le sens du mot spirituel peut être entendu dans son sens large, c’est aussi notre conviction.
Pardonner, en définitive, n’est rien de moins que renouer avec l’amour de la vie.
Redevenir acteur de sa vie, c’est prendre cette direction et faire le premier pas. L’accompagnement de Dieu nous permet d’aller même au-delà du pardon. La capacité de pardonner finit par se conjuguer avec le verbe aimer…
L’après-pardon :
Comment savoir si l’on a vraiment pardonné ?
Il n’y a pas de test fiable déterminant la réalité du pardon. Par contre, celui ou celle qui est concerné ressentira des bienfaits concrets : Une impression de légèreté. Un soulagement notoire. Une libération pouvant être pointée, même dans son corps. Une envie d’entreprendre, de passer à autre chose. La pratique du pardon revitalise le corps et l’esprit. Un regain d’énergie s’éveille. Il guérit la souffrance présente ou passée. Il met en évidence les disfonctionnements de nos appréciations sur autrui, les cotés erronés de nos jugements rapides, une envie de revisiter « nos exigences ».
Comment savoir si nous avons vraiment pardonné ?
Gabrielle Rubin écrit « lorsque tout sentiment de culpabilité pour ce qui s’est passé a disparu ». Cela laisse entendre que l’on ne ressent plus ni colère, ni rancœur à l’encontre de celui qui nous a fait souffrir. Pour Nicole Fabre, le point de repère est « le passage à l’acte, qui conduit au retour de sa mobilité dans sa vie ». Elle fait référence au pouvoir libérateur du pardon. La douleur se dissout. Elle permet à l’offensé ou l’agressé de redevenir acteur de sa vie.
Le pardon entraîne donc en conséquence une modification dans nos rapports au prochain. Nos critères d’appréciations évoluent. On se sent grandir…
Pardonner, c’est vivre le plan de Dieu et imiter même imparfaitement l’exemple du Christ : c’est revisiter le sens de sa présence au cœur des humains. Le pardon est en correspondance avec la découverte d’une vérité sur soi. Pour nous chrétiens, le point de référence est le Christ. En nous repositionnant dans une relation de confiance, on referme petit à petit nos plaies émotionnelles. L’acte de foi qui prend au mot la parole du Christ : « je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » Matthieu 28 :20, ouvre de nouvelles perspectives sur soi et sur la relation à autrui.
Le pardon est une merveilleuse opportunité pour redécouvrir l’amour de Dieu. Il nous projette dans une réévaluation de nos fonctionnements. Concrètement on compte parmi les bienfaits de la pratique du pardon : l’absence de jugement, une progression dans l’humilité, une indulgence sans complaisance sur soi et sur autrui, une plus grande compassion vis-à-vis de la condition humaine.
Sur un plan spirituel, pardonner est une alchimie avec la foi, l’espérance et l’amour (Cf.1 Corinthiens 13 : 13). Cette force qui nous ouvre à l’autre, notre frère, est mystérieuse. Elle procède d’une transfusion de l’amour de Dieu dans nos vies.
Conclusion :
La pratique du pardon est l’expérience qui nous ouvre à la vie heureuse.
Essai de proposition d’un protocole dans l’élaboration du pardon :
Nous avons énoncé la vérité que le pardon cicatrise la mémoire. Ce pouvoir de guérison est réel. Ce n’est pas pour autant qu’il est remplacé par l’oubli ! Bien au contraire, le souvenir est essentiel, il agit comme la piqûre de rappel d’un vaccin pour une bonne protection contre l’agression éventuelle de virus ou bactéries. Nos vies portent les traces de ces marqueurs utiles…
Y a-t-il une démarche qui facilite la mise en pratique du pardon ?
Bien que les cas et les circonstances soient tellement variés et personnels, osons et proposons une démarche susceptible de favoriser le pardon chez l’agressé :
- a) Préparation : Créer les conditions pour se retrouver seul et faire le point. Se mettre au vert, au calme. Prendre de la distance avec les évènements. Se donner les moyens de se relaxer, de s’oxygéner pour mieux se concentrer.
- b) Ecrire avec précision les faits de l’agression subie. Le fait de coucher sur le papier les détails de la situation vécue, de repréciser le passage à l’acte, est un moment important. Il faut prendre son temps et définir avec soin ce qui, en nous, a été agressé.
- c) Décider : pour rompre avec la douleur, le ressentiment, l’amertume, la vengeance, il convient de faire acte de volonté. Décider de ne plus souffrir, refuser d’être brûlé de l’intérieur par une aigreur persistante, renvoie à la prise de conscience d’une aide extérieure. Mais l’important est bien de vouloir personnellement entamer un processus de résolution du mal.
- d) Reconnaître les faits sans chercher à se justifier : L’agression, l’offense, doit être reconnue sans appréciation de jugement. C’est une des phases les plus difficiles, car nos mécanismes de défense ont ce mal récurrent à être très réactifs.
- e) S’accepter et prendre soin de soi : La priorité est de se centrer sur soi. En général, dans les cas de faits divers, les agresseurs sont relativement sereins. Ils ne se posent pas de questions de conscience. Ils ont pour la plupart vécu un moment jouissif. C’est l’agressé qui est mal. Il vit une double peine : l’agression du moment, et la douleur qui suit. D’ où l’importance de prendre soin de soi pour des premiers soins, comme aux urgences d’un hôpital.
- f) Commencer par se pardonner : Il faut se pénétrer de l’idée qu’il n’y a rien d’impardonnable en soi. Se pardonner à soi-même, c’est se donner le droit à l’erreur. C’est accepter d’être envahi de sentiments négatifs. Dans un premier temps, c’est une réaction normale. Ce qui ne l’est pas, c’est de s’accommoder de cette situation, voire même de l’entretenir dans la durée.
- g) Chercher à comprendre les motivations de l’agresseur : Cette démarche peut paraître incongrue, elle n’en est pas moins utile. Comprendre n’équivaut pas à excuser. Le sens de cette proposition est de renouer avec le concept d’humanité. Sur un plan chrétien, rappelons nous que nous sommes tous pêcheurs, c'est-à-dire, tous égaux devant les agressions.
- h) Donner un sens à sa blessure : les conflits et les agressions font partie malheureusement ou heureusement de nos marches. On ne peut les mettre de coté, faire comme si ils n’existaient pas. Les affronter, c’est apprendre à grandir. Surmonter l’obstacle, c’est entrer dans une dynamique de vie positive. On ne gagne rien à ressasser ses erreurs ou ses malheurs. Il faut cesser de s’apitoyer sur son sort.
- i) Renoncer au pardon facile : Vouloir classer l’agression d’un revers de main est peine perdue. On peut se croire supérieur ou se donner l’impression d’être plus intelligent en accordant un pardon facile... En fait, le déni de la réalité fera surgir un peu plus tard la profondeur de la blessure. On ne gagne rien à faire l’économie d’un vrai pardon.
- j) Accepter une aide extérieure : au lieu de nous épuiser à refuser le pardon ou à vouloir le pratiquer sans conviction, ouvrons-nous à une aide extérieure. Pour nous chrétiens, appuyons-nous sur la bonté de Dieu. Accueillons les bienfaits de sa grâce. Le Christ nous a invité à pratiquer le pardon. Il l’a lui-même accordé dans des circonstances dramatiques. Il a franchi la frontière de l’impossible. (Cf. Luc 23 :34) Dans toutes les situations, même extrêmes, l’apôtre Jacques nous dit :
« la prière agissante du juste a une grande efficacité » Jacques 5 : 15
Evitons de croire que nous pourrons par nous-mêmes solutionner tous nos problèmes…
- k) Accueillir le pardon de Dieu pour soi : Laissons-nous envahir par la manifestation concrète de l’amour de Dieu. Laissons-nous aimer et pardonner par notre Père céleste. Cette démarche si insolite pour le non-croyant est pourtant porteuse de bienfaits inestimables. Quand on se sent vraiment aimé et pardonné, il est plus facile d’accorder à autrui ce que l’on a déjà reçu. Aimer, c’est apprendre à pardonner. On mesure sa capacité d’aimer à sa force de pardon.
- L) Quel est mon projet dans ma relation à autrui : Puisque nous sommes des humains appelés à vivre en lien les uns avec les autres, quel est mon projet de vie ? Quels sont mes choix : Guerre ou paix ? Usage de la force ou maîtrise de soi ? Tensions permanentes ou apaisements ? Séparation ou réconciliation ? Prouver que l’on a raison à tout prix, ou prendre en compte d’autres ressentis ? Il est quelque part nécessaire de pointer tout ce qui peut parasiter une relation épanouissante et heureuse.
Il y a de merveilleux trésors à découvrir sur l’île du pardon. Cette aventure vers l'inconnu réserve bien des surprises. Le pardon sur cette île est le parfum qu' exhalent les fleurs sous les pieds de ceux qui les écrasent en marchant.
Jacques Eychenne
Notes :
- Du bon usage de la haine et du pardon, de Gabrielle Rubin, éd. Payot, 2007
- Les paradoxes du pardon, de Nicole Fabre, éd. Albin Michel, 2007.
- Les textes clés du pardon :
Psaumes 129 : 4, 64 :4, 86 : 5, 25 :18. Esaïe 55 :7. Néhémie 9 :17. Matthieu 6 : 12, 26 :28 ; Marc 1 :4 ; 3 :29 ; Luc 1 :77, 4 :18, 7 :47, 9 :17, 23 :24 ; Actes 5 :31, 10 :43 ; Ephésiens 1 : 7, 4 :26,32 ; Colossiens 3 :13. Hébreux 9 : 22 ; 10 :18