|
Le chemin étroit ou apprendre à aimer Mattieu 7 : 14 |
Introduction :
« Les pensées dans le cœur humain sont des eaux profondes ! l’homme raisonnable y puisera. » Proverbes 20 : 5. A ces paroles attribuées au roi Salomon, on peut rajouter celle de Pascal : « Toute la dignité de l’homme est en la pensée » Pensées, VI, 365, (1670). Et pour faire bonne mesure, on peut aussi rappeler la célébrissime formule latine de Descartes, dans la quatrième partie de son discours de la méthode : « Je pense, donc je suis ». La pensée chrétienne peut très bien faire écho à cette dernière, en y insérant un concept novateur. Il revient à dire : « J’aime, donc je suis. » Autrement dit, pour citer une pensée Paulinienne : « Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien » 1 Corinthiens 13 : 2c. Ce cantique, cet hymne à l’amour glorifie l’agapé (ἀγάπη=agapé). Le mot est rare dans la littérature grecque profane, quoique connu. Le christianisme l’a choisi pour se démarquer de l’amour-aspiration et physique (ερως = éros) ainsi que de l’amour-amitié (φιλία= philia) sorte de sympathie naturelle humaine. L’ἀγάπη est l’amour d’essence divine (c’est celui qui est utilisé tout au long du chapitre treize de la lettre à l’église de Corinthe. Le traduire par le mot charité, c’est appauvrir le texte). Ce don surpasse tous les autres tant vantés par les Corinthiens.
Revenons à la force de l’affirmation de l’apôtre Paul et essayons d’examiner le texte qui développe sa pensée. A ses yeux, il dépeint la voie royale du christianisme.
Développement :
Parmi toutes les communautés chrétiennes naissantes, aucune n’a autant reçu en dons spirituels (charismes) que l’église de Corinthe. Et cependant, le vécu de cette communauté a été marqué par de nombreux problèmes graves (querelles, divisions, jalousie, pouvoir, débauche, inceste…) si bien que l’apôtre a été poussé à développer ce que le Christ avait qualifié de chemin étroit. « Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s'y engagent ; combien étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux ceux qui le trouvent. » Matthieu 7 : 13-14 (T.O.B).
Si Paul a cru bon expliquer le contenu du chemin qui mène à la vraie vie, c’est que cet enseignement faisait terriblement défaut dans cette assemblée de chrétiens. Pourtant, jamais communauté n’a autant été comblée d’attentions. L’apôtre y est resté plusieurs années. En raccourci, disons que Corinthe est l’Eglise qui a été la plus enseignée. Elle est la plus apostolique. Du coup, elle affiche une émancipation supérieure. Elle se pense très ouverte, elle manifeste une grande assurance, elle s’appuie sur les nombreux charismes qu’elle a reçus… Malgré tout cela, l’apôtre Paul va démontrer qu’il lui manque l’essentiel : « si tu n’as pas l’Amour, tu n’es rien ».
Avant d’aller plus loin, recevons à notre tour cette interpellation substantielle. On peut être très intelligent, très doué, extrêmement cultivé et le faire savoir à l’occasion, et passer à côté de la vraie vie. Soyons clairs, sans amour, la vie est vidée de sa raison d’être. L’amour est le moteur essentiel de l’estime de soi et de toute relation à autrui. Mais pourquoi est-ce le chemin le plus étroit et le plus difficile à vivre ? Est-ce parce qu’il réclame beaucoup d’humilité ? Parce qu’il est difficile de voir clair en soi ? Ou tout simplement parce que l’on ne sait pas ce que ce mot implique ?
Curieusement, le développement de l’apôtre Paul commence par mettre en lumière ce que l’amour n’est pas. Pourquoi n’a-t-il pas dit, tout de suite, ce qu’il est ?
Peut-être pour dénoncer les lieux communs. Sa démonstration nous dit avant tout qu’aimer ce n’est pas faire. C’est déjà une surprise ! Aimer n’est pas une course à la productivité, ni une démonstration de compétences.
« Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s'il me manque l'amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.» 1 Corinthiens 13 : 1 (T.O.B). On peut avoir la maîtrise de la communication dans tous les pays du monde, même être en lien avec les êtres célestes, sans amour on ne fait que du bruit, on attire seulement l’attention des autres.
« Quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j'aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s'il me manque l'amour, je ne suis rien. » idem, v. 2
Est-ce que l’apôtre ne pousse pas le bouchon un peu loin ! Il semblerait que ni la suprême connaissance, ni même la foi, ne nous soit utile s’il manque l’amour. Laïcs et croyants sont renvoyés dos à dos. Pour la connaissance soit, mais pour la foi, il nous faudra une explication satisfaisante !
« Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s'il me manque l'amour, je n'y gagne rien. » idem, v. 3.
Tous ceux et celles qui préconisent la mise en pratique d’œuvres méritoires doivent intégrer cette étonnante vérité. Il n’y a ni publicité, ni marchandage, ni autosuffisance, ni calcul dans la relation à Dieu. Il ne nous doit rien. Il n’y a pas de prime au mérite. D’après l’original grec, toute démarche de bienfaisance, si généreuse soit-elle, n’a aucune valeur devant Dieu, elle ne sert à rien, si elle est vidée de ce qui peut mettre en évidence sa beauté. Plus fort, le texte dit littéralement : « je ne sers à rien » (οὐδὲν ὠφελοῦμαι = ouden aufeloumai). Si l’amour n’est pas au rendez-vous, s’il n’accompagne pas la bienfaisance, c’est une action stérile.
Après avoir dénoncé ce qu’il n’est pas, Paul va développer les caractéristiques de l’amour, et dire ce qu’il est. C’est la voie infiniment supérieure dont il parlait en introduction du sujet (cf. 1 Corinthiens 12 : 31). D’autres versions, (autre que la T.O.B. que j’ai choisie,) traduisent : une voie par excellence (Louis Segond) une voie qui les dépasse toutes (Bible de Jérusalem) le chemin qui est supérieur à tout (Bible en français courant)…
« L'amour prend patience, l'amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il n'entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. L'amour ne disparaît jamais. » 1 Corinthiens 13 : 4-8a, version T.O.B. (περπερεύομαί= traduit par plastronner est un « hapax =seule utilisation » dans le N.T. il désigne un esprit vantard, manquant de tact).
En termes positifs, l’apôtre nous dit que l’amour est multiforme. Il est don de Dieu. Il est présenté par Paul, non comme un état, mais comme un acteur (l’amour est sujet de nombreux verbes qui ne sont pas des verbes d’état, mais d’action). En cela l’amour n’est pas un sentiment, une émotion, une sensation (le sentiment amoureux peut être redoutable, possessif et destructeur). L’amour - agapé nous repositionne dans une relation à autrui dynamique et constructive. Il nous parle d’un réel accueil de notre prochain en toute lucidité. Cet amour n’est pas de circonstance. Il n’est ni aveugle, ni passif. Il sait être geste de bonté, attitude empathique, accompagnement dépouillé de vanité, comportement empreint d’humilité et de désintéressement. Il mène à une relation pacifique et constructive dans un langage de vérité et de respect. Il convient de comprendre « il excuse tout » non comme un blanc-seing accordé avec une grande mansuétude (au bas duquel on apposerait notre signature), mais comme une disposition à comprendre l’autre, à lui pardonner, ou à éviter de faire mention de son véritable état (στέγω= sens fig, couvrir). Darby traduit par le verbe supporter. Il en est de même de l’expression : « il croit tout ». Il ne s’agit pas d’être ouvert à tout. Il n’est pas question de crédulité, de foi du charbonnier, mais d’un acte de foi dans la relation au prochain, même si la priorité de la foi est de se présenter d’abord devant Dieu.
Cet hymne à l’amour nous invite à prendre conscience que nous sommes incapables d’aimer vraiment. Dieu seul est Amour au sens le plus pur et le plus fort (cf.1 Jean 4 : 16b).
Comment pouvons-nous savoir si nous sommes sur ce chemin étroit de la vérité sur l’amour ? Deux points de repère peuvent nous aider : Dieu et notre prochain.
- Dieu à travers son envoyé Jésus-Christ. Il a ouvert cette voie de l’excellence. C’est assurément le chemin le plus difficile pour atteindre le plus haut sommet de notre existence. Mais c’est aussi le défi le plus excitant, le plus dynamique, le plus épanouissant. Il nous révèle la plus grande joie de la vie. « C’est à cela que vous avez été appelés, car le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces. » 1 Pierre 2 : 21 « Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » Jean 3 :16 Assurément, l’amour est don. Et parce qu’il est don (plus particulièrement don de Dieu), nous pouvons le transmettre même imparfaitement. Une seule condition : l’avoir accueilli comme grâce venant de Dieu. Pour Paul, c’est le fait de prendre conscience qu’on est d’abord aimé de Dieu. C’est Lui qui nous offre la possibilité d’aimer à notre tour. L’apôtre Jean confirmera : « Nous l’aimons (Dieu) parce qu’il nous a aimés le premier » 1 Jean 4 : 19, version LSG.
- Notre prochain : Nous ne sommes jamais sûrs de savoir si on est vraiment dans le langage de l’amour. Ce n’est que notre vis-à-vis, notre autre, qui peut seul nous le dire. En cela, l’amour, à l’instar du vécu de Jésus-Christ (cf. « doux et humble de cœur » Matthieu 11 : 28) est chemin d’humilité. Pour grandir dans l’amour, il faut donner la parole à ceux et celles qui ne se sentent pas aimés. Ce sont eux qui peuvent le mieux nous en parler en exprimant leurs manques. C’est en lien avec notre prochain que nous décelons ce qu’est concrètement l’amour… Le chemin est loin d’être aisé. Il est parsemé de chausse-trappes, de contrefaçons, de faux-semblants, de calculs pernicieux… Assurément, ce chemin ascensionnel est raide ! Mais l’évangile libérateur du Christ nous enjoint de ne pas renoncer à gravir la pente.
L’amour se découvre, se révèle à nous-mêmes. Grâce à Dieu, à son envoyé, à l’Esprit Saint. C’est en confrontation avec l’humain qu’on peut en prendre conscience. Cela devrait commencer dans nos relations avec notre famille. L’amour est une découverte, une marche vers soi, avant d’être « accueil du prochain ». Il faut croire en soi pour mieux croire en Dieu et en l’humain. Ce chemin est rendu difficile à cause de nos peurs, de nos forces de résistance, de nos appréhensions face au changement et au progrès. Les forces d’inertie qui nous traversent ne peuvent être surmontées qu’avec une intervention extérieure. A la prière des disciples demandant à Jésus de leur apprendre à prier (cf. Luc 11 : 1), devrait faire écho, en nous, une autre demande : « Seigneur, apprends-nous à aimer. »
Si le Seigneur Jésus nous a rappelé le commandement suprême : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » Matthieu 22 : 39, c’est assurément pour nous rappeler que nous devons commencer par nous. Partir de soi en premier est nécessaire. Comment pouvons-nous vivre l’amour, si nous ne nous aimons pas nous-mêmes. Comment transmettre, si nous n’avons pas eu conscience de recevoir ! Commencer par s’examiner soi-même, c’est être mieux à même de se projeter vers le prochain. Si nous nous respectons, nous respecterons autrui, si nous avons de bons sentiments sur notre personne, nous en aurons aussi pour les autres… Il est primordial de déceler ce qui en nous est impropre à l’amour. Il y a une vigilance à maintenir présente, afin de démasquer tout ce qui, en nous, peut être exploitation de l’autre. Dans cette analyse de nos motivations, nous avons besoin d’une aide extérieure. Puisque l’amour vrai est d’essence divine, il convient d’avoir des repères spirituels. En cela, le parcours inégalé du Christ est un repère sur lequel on peut s’appuyer solidement. Pourquoi ? Parce que les contrefaçons de l’amour sont multiples et variées. De ce fait, le parcours n’en est rendu que plus ardu. Comme pour les athlètes de haut niveau, cela sollicite une grande concentration.
Maintenant, pourquoi l’amour traversera le temps ? L’apôtre nous affirme que l’amour « ne périt jamais » ou plus littéralement : « Ne tombe jamais » (cf. ἐκπίπτω) l’apôtre utilisera ce verbe pour démontrer que la parole de Dieu n’est jamais caduque (cf. Romains 9 : 6). Cela a conduit les traducteurs à opter pour un sens pérenne. « L’amour ne disparaît jamais. », version T.O.B. « L’amour ne périt jamais » version Darby. Ou encore « l’amour est éternel » version Bible en français courant.
Essayons maintenant de répondre à notre question. Pourquoi l’amour est plus fort que la foi et l’espérance ?
N’est-ce pas parce que la foi ne fait que s’appuyer sur une parole donnée par Dieu ? (cf. Hébreux 11 : 1). Une fois l’acte vécu, il convient de l’intégrer dans nos quotidiens. La foi est une conviction profonde qui s’installe dans le cœur et l’esprit. La foi a une valeur dans notre temps présent, mais quand elle saisira la réalité de la présence de Dieu et de son Fils, elle n’aura plus lieu d’être. Elle disparaîtra devant la concrétisation de notre relation avec Dieu. Quand le visible supplantera l’invisible, la foi sera caduque.
Quant à l’espérance, elle soutient notre désir d’être en sa présence. La parabole des dix vierges (cf. Matthieu 25 : 1-13) met en évidence l’importance d’être vigilants dans l’attente. Ailleurs Paul aura cette expression lapidaire : « Christ notre espérance » 1 Timothée 1 : 1. Cette espérance est salutaire tout le temps de l’attente de la venue du Christ, mais quand il apparaîtra sur les nuées des cieux (cf. Matthieu 24 : 30-31), l’espérance aura atteint son objectif. Elle aussi n’aura plus lieu d’être. En fait, la foi met en évidence une certaine distance entre Dieu et nous. Elle active et alimente par là-même l’espérance. Mais quand la présence objective et visuelle remplacera l’absence, la foi et l’espérance n’auront plus le même sens. La foi qui saisit la grâce divine nous rend justes par Jésus-Christ devant Dieu, l’espérance nous rend dynamiques et confiants, mais l’amour demeurera à jamais. Il traversera le temps et rendra féconde notre relation à Dieu. En conséquence, rien ne peut remplacer l’amour d’essence divine. Il est irremplaçable. Même si aujourd’hui ce mot est galvaudé et lié à toutes les sauces. L’amour tel qu’il a été manifesté en Jésus-Christ demeure la Vraie Solution aux problèmes de notre humanité. Les alternatives ne sont qu’emplâtres sur jambes de bois. Souvenons-nous que Dieu n’est ni la foi, ni l’espérance, il est l’Amour. En lui l’Amour est commencement et fin.
Conclusion :
Dire que ce chemin étroit n’est pas un long fleuve tranquille est une gageure. Devant la beauté du défi, nous nous sentons tout petits. L’humilité doit être au rendez-vous de notre histoire avec ce Dieu-Amour. Mais, notre quête d’absolu trouvera, soyons-en certains, sa pleine satisfaction, car au bout du chemin de l’amour, il y a Dieu, et rien d’autre. Ce chemin de l’amour qui nous conduit en sa présence fait aussi partie des incontournables de l’humain pour accéder à la maturité. Cet appel du Christ nous permet d’assumer le plus authentiquement notre vocation d’homme et de femme. (Certains la vivent sans le savoir, mais Dieu reconnaîtra les siens.)
Quand on reprend l’analyse des versets 4 à 7, on s’aperçoit que l’amour est un puissant agent de libération. Le sentiment amoureux peut nous rendre aveugle, mais l’amour (ἀγάπη) nous rend la vue. L’amour nous ouvre un espace de liberté qui nous permet d’entreprendre. Par exemple, il nous permet d’être dans une attente active de l’évènement planétaire, qui mettra un terme à toutes les gesticulations débridées et désorganisées des humains. La grande découverte réside dans la formule : aimer c’est connaître. (Cette connaissance n’est ni de surface, ni superficielle, elle est profonde, sereine et gratifiante) Il nous permet d’aller au-delà de nous-mêmes. L’Amour en Dieu est un principe de vie.
Le retour du Christ en gloire (cf. Matthieu 24 : 30-31) révèlera cette vérité, et de plus, il mettra un terme à toutes violences, prises de pouvoir, besoins de domination. Le christianisme ne verse pas dans l’utopie, il parle de réalité. Les premières communautés chrétiennes se reconnaissaient non par un enseignement extraordinaire (quoique !) mais par la qualité d’amour qui les liait les uns aux autres (sans que tout soit parfait). Nous sommes en chemin, poursuivons notre route dans l’apprentissage de l’amour. Malgré nos faux pas, nos erreurs, nos absurdités, nos inconstances et nos trahisons, poursuivons avec l’aide de l’esprit, car au bout du bout, il y a la rencontre avec l’intraduisible, l’indescriptible, le seul extra-ordinaire : Yaweh-Adonaï. « Celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.» 1 Jean 4 : 16c. « Fais-moi connaître le chemin où je dois marcher… » Psaume 143 : 8
Jacques Eychenne
PS : TOB, version Traduction Œcuménique de la Bible ; LSG, version Louis Segond 1976.