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Augmente-nous la foi Luc 17 : 1-10 |
Introduction :
Le texte proposé ne nous paraît pas, de prime abord, cohérent. On nous parle de scandales, de la relation au frère qui a péché, du pardon qu’il convient de lui accorder, puis d’un coup, il y a la demande surprenante des apôtres : « Augmente-nous la foi ». On s’attend à une réponse claire et encourageante, et voici que Jésus répond avec une parabole sur le grain de sénevé, et poursuit avec une autre parabole mentionnant un laboureur et un berger. Qu’est-ce que cela veut bien dire !
Disons-le sans ambages, la réponse de Jésus semble complètement en décalage avec la demande pressante et sincère des apôtres. Décidément, le Seigneur a le chic de la provocation. Il nous surprend toujours… On dirait qu’il n’a pas bien compris le sens de leur requête ou qu’il cherche à les abaisser. Avoir une foi plus petite que la plus petite des graines, c’est plus fort que fort ! S’il nous paraît impossible que Jésus soit dans la dérision, alors que nous dit vraiment ce texte. En bref, que faut-il comprendre ?
Développement :
Si nous recadrons la demande des apôtres dans le contexte, on observe qu’elle est directement liée à des préoccupations relationnelles spirituellement fortes : le scandale et le pardon. Nous sommes au cœur de la vie quotidienne du chrétien, et Jésus pointe du doigt les faiblesses de la nature humaine. Le réalisme du Seigneur est patent. «Il est inévitable qu'il y ait des causes de chute » T.O.B, « Il est impossible qu'il n'arrive pas des scandales » Luc 17 : 1 version Darby et Nouvelle Edition de Genève. Actualisant, la Bible en français courant traduit : « Il est inévitable qu'il y ait des faits qui entraînent les hommes à pécher » (Le mot grec σκάνδαλα de σκάνδαλον = le piège, ce qui fait trébucher, occasion de chuter, ce qui fait pécher… Romains 11 : 9 ; 16 : 17, Matthieu 13 : 41)
Cette analyse de Jésus démontre sa bonne connaissance des travers humains, et c’est sur ce terrain pratique qu’il veut faire porter la réflexion des disciples. Cette intention du Maître nous interpelle aujourd’hui. La vie spirituelle ne se construit pas aux travers de belles envolées lyriques, mais dans nos quotidiens en relation avec les autres nos frères et sœurs d’humanité. Il serait bon pour nous de ne pas passer outre à cette théologie pratique.
Du coup, le développement du Seigneur prend sens et la mise en garde qui suit est bien à sa place.
« Prenez garde à vous-mêmes » ou « Tenez-vous sur vos gardes » Luc 17 : 3 T.O.B. Reconnaissons qu’il nous est plus facile d’attribuer cette mise en garde à notre prochain ! Le Seigneur veut responsabiliser chaque apôtre et son appel à la vigilance est fondé sur son expérience. A notre tour, nous sentons-nous concernés par cet appel à la vigilance sur nous-mêmes, nos motivations et nos pratiques dites chrétiennes ? Les appels du Seigneur ont été répétés tout au long de son ministère (cf. Matthieu 24 : 4 ; Marc 4 : 24 ; 13 : 33 ; Luc 8 : 18 ; Actes 20 : 28 etc…). Ils devraient éveiller notre attention…
Ce qui va motiver, semble-t-il, la demande des apôtres s’inscrit dans le contexte immédiat du développement du Seigneur sur le pardon. Que nous dit-il ?
Les apôtres sont certainement surpris par l’affirmation du Seigneur. Comment peut-on le même jour accorder 7 fois le pardon à autrui, sans penser quelque part qu’il est en train de se payer notre tête ! Ce n’est plus de l’amour, mais de la faiblesse !
Interloqués et surpris par le contenu du propos ex cathedra du Christ, les apôtres se sont sentis certainement dépassés, et leur demande est une conséquence logique de leur désarroi.
Est-ce qu’il n’est pas aussi le nôtre ? Ce que le Christ demande paraît irréalisable. (cf. Rappel de la réponse de Jésus à Pierre sur ce sujet Matthieu 18 : 21-22) Cette hauteur du pardon semble impossible à atteindre. Le Seigneur connaît bien notre nature humaine, il devrait bien le savoir, alors pourquoi met-il le doigt là où cela nous fait mal ? Veut-il nous faire comprendre que l’impossible n’est pas là où l’on pense ? L’impossible serait de ne pas accorder à notre prochain ce que Dieu ne cesse de nous accorder par Jésus-Christ. En d’autres termes, refuser au prochain, ce que Dieu ne cesse de nous donner. Ce que l’on revendique pour soi devrait aussi être accessible aux autres… Le pardon est indispensable et incontournable à toute relation humaine digne de ce nom.
Mais alors comment expérimenter ce pardon inconditionnel ? Le défi semble irréalisable ? (cf. le chiffre 7 est symbole de la perfection, il fait référence à ce qui est complètement plein, totalement rempli. Alors, 77 fois 7, c’est la permanence du pardon) Et là, spontanément, les apôtres empruntent la seule voie qui était à leur disposition : la foi. Ils prononcent cette simple phrase, riche certainement d’un contenu émotionnel : « augmente-nous la foi » Luc 17 : 5
Avant de nous appesantir sur la réponse du Maître, essayons de comprendre la demande. Le verbe grec utilisé, a autant le sens d’ajouter que d’augmenter. Dans les deux cas, on part de quelque chose qui existe. La première observation repose sur l’affirmation des apôtres contenue dans leur demande. Ils reconnaissent avoir la foi. Seulement, elle leur paraît tellement insignifiante qu’il réclame une augmentation. Des revendications portant sur des augmentations nous connaissons bien…
Essayons de nous approprier ce récit et posons-nous la question suivante. Avant de prier et de présenter au Seigneur nos requêtes, est-ce que nous avons la conviction d’avoir la foi, même petite, insignifiante ? (peut-on augmenter ce qui n’existe pas, ou rajouter à rien !)
Arrivons maintenant à la réponse surprenante du Christ.
« Et le Seigneur dit : Si vous avez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à ce mûrier : Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait. » Luc 17 : 6 , version Darby.
A première lecture, on pourrait prendre cette phrase comme un reproche, surtout si l’on suit la version de la T.O.B. « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore: ‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait ». Mais, dans l’original grec, il n’est aucune mention de « vraiment » ni « gros ». Examinons donc la version Darby, suivie dans cette traduction par celle de Jérusalem, de Genève, etc…
Si c’est un reproche, alors Jésus peut se l’appliquer à lui-même, car jamais pareil miracle n’a été accompli par sa foi. Il est donc impossible de prendre la phrase à la lettre. Il nous faut prendre une autre grille de lecture. Cherchons à dégager ce que le Seigneur a voulu exprimer et vers quelle compréhension il a conduit ses apôtres.
Première observation :
La phrase est au conditionnelle. La grammaire française nous enseigne que le conditionnel marque un fait futur, présent ou passé, soumis à une condition non réalisée. Certains grammairiens précisent même que c’est le mode de l’imaginaire et de l’hypothèse (cf.www.assistancescolaire.com/eleve/6e/francais/lexique/M-mode-conditionnel-fc_m03). Nous sommes donc bien dans un langage en parabole.
Deuxième observation :
La comparaison utilise l’image de la semence. Or, chacun sait que posséder une semence est un investissement positif pour l’avenir. La semence est appelée à germer, à se développer et à porter du fruit. Ne serait-ce donc point une invitation à faire germer et à planter le peu que le Seigneur a déposé dans les cœurs ? De ce fait la formulation sibylline du Seigneur serait positive et accessible.
Troisième observation :
le décalage entre la demande des apôtres et la réponse de Jésus nous conduit à prendre en compte la fabuleuse puissance de la vie dans une semence (cf. une graine peut fendre un rocher). De même, la foi possède en elle-même une puissance qui défit la raison. Un tout petit grain de foi peut soulever une montagne d’obstacles et de préjugés (cf. Marc 11 : 22-23).
Quatrième observation :
La foi prend naissance dans la Parole « ainsi la foi vient de ce que l’on entend et ce que l’on entend vient de la parole de Christ » Romains 10 : 17. Le Christ n’est-il pas présenté par l’apôtre Jean comme le logos, c'est-à-dire, le verbe ? (cf. Jean 1 : 1-5) De même que la semence n’est utile que si on la plante, de même la foi n’a de valeur que si elle est proclamée et publiée.
La foi parle de mille et une façons. Elle est aussi variée que les personnes qui la possèdent, mais elle confesse toujours Dieu par Jésus-Christ. Là, les apôtres expriment un besoin de relation. Car la foi, comme la parole qui la nourrie, est lien de relation, avant d’être capacité à faire des miracles. Ils ont besoin d’aide pour comprendre et vivre les paroles du Christ…
Cinquième observation :
Jésus parle d’un déracinement d’un mûrier ou d’un sycomore. Dans l’original, le Seigneur le montre (celui-ci). Certainement cet arbre était à proximité, sur leur passage. Puis, l’ordre est donné de le replanter dans la mer. Cette précision montre, à l’évidence, qu’il s’agit bien d’une réponse en forme de parabole. Il serait impossible d’imaginer la faisabilité d’une telle transplantation surtout en eau de mer.
En rassemblant ces observations, on peut voir un peu plus clair dans la démarche de Jésus. Il se positionne en formateur bienveillant. Il a pour objectif d’encourager ses apôtres à progresser dans le chemin de la foi. Le fait que les apôtres eux-mêmes aient formulé cette requête prouve qu’ils désiraient développer ce que Jésus avait déposé en eux. C’était peut-être au départ un ressenti confus, mais la verbalisation s’imposait pour eux. Est-ce qu’elle s’impose de même pour nous ?
Jésus a donc été positif. Sa réponse est donc à l’opposé de notre ressenti de première lecture. La foi est comme une graine, elle possède en elle-même toutes les possibilités liées à son plein développement. Suffit-il seulement de détenir une graine dans sa main ? Absolument pas, il faut agir… Et Jésus va l’illustrer encore une fois au travers de la parabole qui parle d’un serviteur qui laboure et paît les troupeaux. « Qui de vous, ayant un serviteur qui laboure ou paît les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs : Approche vite, et mets-toi à table ? Ne lui dira-t-il pas au contraire : Prépare-moi à souper, ceins-toi, et sers-moi, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu ; après cela, toi, tu mangeras et boiras ? Doit-il de la reconnaissance à ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ? Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. » Luc 17 : 7-10
Pour que notre foi se développe et que le Seigneur y rajoute du plus, il faut s’investir, mais de quelle façon ? La parabole parle de labour. Il faut retourner la terre avant de semer. Le texte juxtapose une autre image, celle du berger paissant les troupeaux. Les deux illustrations feront partie du développement de la foi des apôtres. Ils seront appelés à défricher et à retourner la terre du cœur des hommes, puis à prendre soin du troupeau des communautés naissantes. La voilà peut-être la belle réponse du Seigneur ! Cette parabole prophétise qu’ils rempliront cette mission. Mais attention ! la foi n’attend pas de reconnaissance, elle la contient en elle-même. Jésus directement semble leur dire : quand vous aurez vécu cette aventure merveilleuse de foi, ne pensez pas que vous avez fait quelque chose d’extraordinaire. Restez modestes. Votre récompense réside simplement dans le fait d’avoir vécu ces réalités. La notion de serviteur inutile obéit à la même règle observée tout à l’heure dans la réponse de Jésus. Il ne s’agit pas de dévaloriser les apôtres, mais de les repositionner correctement dans une foi non spectaculaire. Vivre la foi devient un bien partagé. Cette semence jetée en produira 10, 20, 100. La foi s’oppose au mérite, car nous ne pouvons donner que ce que nous avons d’abord reçu, et reconnaissons que nous avons tout reçu de Dieu. Nous avons la vie et le pouvoir de la transmettre. Ce service dépasse de loin l’aspect strictement physique et primaire. L’humain est aussi d’essence spirituelle.
Les apôtres devaient comprendre que leur bonheur de voir leur foi se développer devait se conjuguer avec la notion du service pour autrui.
Suivre l’exemple du Christ, c’était reconnaître et faire sien le titre que Jésus aimait, celui de serviteur (cf. Jean 13 : 14-15 ; Actes 4 : 30, 27 ; Marc 10 : 45).
L’expérience des apôtres a démontré que cet enseignement a bien été perçu.
« Simon Pierre, serviteur et apôtre de Jésus-Christ » 2 Pierre 1 : 1
« Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ » Jacques 1 : 1
« Jude, serviteur de Jésus-Christ » Jude 1 : 1
« Paul, serviteur de Jésus-Christ » Romains 1 : 1
Notons enfin la subtilité de la démarche du Christ : « qui de vous… » ou « qui d’entre vous ayant un serviteur » Luc 17 : 3. Autrement dit, le Seigneur place ses apôtres en situation de responsabilité. C’est un peu comme s’il leur proposait de se mettre à sa place. Si vous étiez en fonction de Maître que feriez-vous ? Vous trouveriez normal d’être obéis et vous ne récompenseriez pas cette obéissance, eh ! bien agissez de même envers moi en prenant conscience que vous n’êtes que serviteurs. (En grec Δοῦλος ἀχρεῖος = esclave inutile, bon à rien, non indispensable, quelconque, ordinaire…) Même si l’expression est forte, il s’agit moins de dévaloriser que de repositionner la mission des apôtres. Là encore il y a de la pédagogie, mais aussi du prophétisme, car bientôt Jésus appellera ses apôtres à le représenter parmi les hommes (cf. Matthieu 28 : 18-20)
Conclusion :
Ce récit qui nous paraissait échevelé et décousu tout à l’heure, prend sens dans une cohérence harmonieuse. Partant d’une observation qui interpelle d’ abord des disciples, Jésus se focalise sur la demande de ses apôtres. Sa réponse magistrale, et le développement qui s’ensuit, met en exergue les réalités suivantes :
Jacques Eychenne