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La Vérité ? existe-elle encore ? Jean 18 :36 |
Introduction :
La quête de la vérité est devenue une chimère. Dans tous les domaines, y compris spirituels, la recherche de la vérité s‘est révélée être un parcours impossible. Certes, nous avons bien des concepts prêts à porter, des phrases toutes faites, des définitions bien alignées, mais la découverte de la vérité, de toute la vérité comme on dit dans les prétoires, est semblable à un mirage. Nous vivons dans le monde de « fake news », c’est-à-dire dans un entrelac d’évènements et de paroles où le vrai et le faux se confondent et nous sommes dans l’incapacité de démêler les écheveaux des informations. Chacun se contente de définir sa vérité, c’est-à-dire ce qu’il perçoit, ce qu’il ressent, ce qu’il comprend du sens de la vie en particulier. On a l’impression que la vérité nous devance toujours quand on la cherche, et nous regarde passer quand on pense l’avoir trouvée.
Depuis des millénaires, les êtres pensants cherchent à percer l’ultime raison d’être de ce parcours périlleux de la vie. Comme un feu d’artifice, les recherches partent dans toutes les directions, et chacun est content de ses propres mises à feu. D’où le dicton populaire : « A chacun sa vérité ».
La question est pourtant sérieuse. Le gouverneur romain Pilate, devant les accusations portées sur Jésus de Nazareth, a bien situé l’enjeu. On a conservé cette mémorable phrase historique. Il dit à Jésus-Christ lors de son interrogatoire : « Qu’est-ce que la vérité ? » Jean 18 : 38, version LSG.
En nous positionnant comme croyants et plus particulièrement comme chrétiens, y a-t-il une possibilité de concilier les domaines profanes et sacrés, philosophiques et spirituels ? Y a-t-il des ponts, des gués, des lieux de passage entre tous les hommes pour découvrir la Vérité essentielle ? Ou faut-il s’en tenir à la formule que Platon attribue au philosophe grec Socrate : « Tout ce que je sais, c’est que je sais que je ne sais rien » ?
Développement :
En préambule, considérons que ce concept de Vérité (1) ne relève pas uniquement du registre spirituel, il le déborde. Il va bien au-delà de tout ce qui gravite autour de la connaissance biblique intrinsèque. N’est pas toujours spirituel, celui ou celle que l’on croit ! Les apparences sont parfois trompeuses. Certes, personne n’est parfait, mais on trouve plus facilement des chercheurs d’une vérité accommodante et sur mesure, plutôt que celle d’une vérité vraie (pardon pour le pléonasme) ...
Désormais, ce ne sont plus les paroles qui comptent, mais les actes de vie. Ils traduisent une facette de ce que l’on est vraiment (encore que certains savent parfaitement jouer la comédie).
Bref ! Si nous sommes en vie, il est légitime de s’interroger sur l’origine de la vie, la réalité de la mort et ce qu’il adviendra dans la suite des temps. Et si nous sommes en marche pour savoir ce qui est vraiment, n’est-ce pas être en quête de Vérité ?
Aucune démarche philosophique ne peut échapper à ce passage obligé. On prête même à
André Malraux la phrase suivante : « le 21è siècle sera spirituel ou ne sera pas ». La philosophie, dans son sens étymologique (Philosophia, en grec) traduit aussi un sens général du spirituel. Philosophia est littéralement l’amour de la sagesse. Aimer (philéau) ou être l’ami (philos) de la sagesse (sophia). La contraction de ces mots, donne du sens à la quête de la Vérité. Marcel Conches dit que la philosophie ne tend qu’à la vérité. Toutefois, la tentation humaine est de vouloir tout expliquer. Montaigne a raison d’ironiser sur ceux qui prétendent soumettre Dieu aux catégories de la raison humaine.
Nous sommes tous des philosophes, nous qui cheminons vers une qualité de réflexion pour mieux vivre. Penser mieux, pour mieux vivre, c’est chercher des éléments de réponse à nos questions existentielles, et à notre devenir. Stendhal, écrivant à sa sœur Pauline dit : « Tout bonheur nous est procuré par la vérité » (Dans Correspondance, Paris, Gallimard, 1963-1968).
Sur ce sujet, l’apport du message du Christ est exceptionnel et unique. La raison profonde en est simple. Il est le seul à avoir été parfaitement cohérent entre ses paroles et ses actes.
Autant la philosophie est utile, autant elle est impuissante à satisfaire notre soif d’absolu. André Comte-Sponville le reconnaît quand il déclare : « La sagesse est le but de la philosophie. Mais à quoi la reconnaît-on ? A la possession de la vérité ? A la possession du bonheur ? Ni l’un ni l’autre, puisque ce ne sont pas choses que l’on puisse posséder. »
De ce fait, le parcours de Jésus-Christ présente, à tous ces « cheminants » que nous sommes, l’intérêt d’une cohérence entre la pensée et l’action, entre l’avoir et l’être.
Le Christ a montré que c’était dans la recherche de la vérité que se trouvait le vrai bonheur. On ne peut accéder au bonheur qu’en marchant vers le vrai pour soi et en soi. Cette vérité peut être aussi brève qu’une étincelle, mais aussi incandescente qu’un éclair. Il faut apprendre à saisir ces jets de lumière qui donnent sens à la vie. Se satisfaire perpétuellement de ces instantanés éphémères. La vérité comme le bonheur ne se possèdent pas. Ils se ressentent comme un parfum. On ne peut les emprisonner. Triste vanité de l’homme que de croire pouvoir posséder la Vérité !
Les institutions religieuses ont toutes voulu la codifier pour mieux la protéger. Se faisant, elles n’ont présenté que la surface des choses. Elles ont, le plus souvent, handicapé la recherche personnelle du vrai.
Le Christ a bien pris soin de ne rien écrire, afin que la perception de son message (en pleine cohérence avec son vécu), soit multiple dans l’unité, comme un arc en ciel après l’orage.
Le propre de la Bible, reconnue comme parole de Dieu, révèle cette gageure. Le même esprit a animé des êtres forts divers dans leur humanité, comme dans leur cheminement vers Dieu, parfois même en s’opposant à Lui. Ce qu’ils ont écrit est vrai, mais ce n’est qu’une approche de la Vérité intrinsèque. Christian Bobin a raison de dire : « La vérité tient sa lumière en elle-même, non dans celui qui la dit » (le Très-Bas, Nov.2006, p. 91).
L’apôtre Paul, philosophe émérite de la pensée du Christ, dans son hymne à l’amour déclare : « Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme je suis connu ». 1 Corinthiens 13 : 12, version LSG.
Le propre du vrai chercheur est de toujours laisser la place à une découverte encore plus importante que celle faite précédemment. A fortiori, dans le domaine spirituel ! L’humain peut-il appréhender vraiment la Vérité du Divin ? Personne n’a jamais vu Dieu, car dans l’état actuel de nos capacités, cela demeure une impossibilité. Mais a-t-on besoin de voir pour croire ? Rappelons-nous la réplique de Jésus à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu es convaincu ? Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! » Jean 20 : 29, version ?
Certains penseront qu’une telle réflexion est dangereuse et sape toute certitude. C’est tout le contraire ! La lucidité sur les moyens de sa propre marche est le gage d’un meilleur voyage. Mon propos est une invitation à voyager plus justement dans nos élans de découverte, afin de nous immuniser contre le fanatisme, le sectarisme, l’absolutisme. La quête de la Vérité est un parcours d’humilité...
La grande singularité du concept de la Vérité, le Christ l’a démontrée dans la vie simple. Il l’a inscrite ainsi dans le cœur de ceux qui marchent avec un esprit ouvert.
Observons l’émerveillement simple de l’enfant. Il relève d’un autre niveau de connaissance, celle du cœur. Proposition est faite de savourer ces instantanés de lumière dont le souvenir enrichit notre foi. Ces sublimes temps de grâce où le corps tout entier est visité par l’esprit de Dieu. Moments inoubliables où l’on trésaille de joie suivant l’expression biblique !
Jésus en a donné un aperçu dans son discours sur une vérité concrète pourvoyeuse de bonheur. Dans l’évangile de Luc au chapitre 6 : 20-23, le Christ décrit les grandes artères qui jalonnent la route du bonheur.
« Heureux êtes-vous, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous ! » v.20, version LSG.
Heureux celui qui se sait pauvre, non imbus de connaissance, dépourvu apparemment de l’essentiel, et pourtant riche de la joie de Dieu. Faut-il prendre conscience que l’on n’a rien pour recevoir, que l’on ne sait rien, pour connaître vraiment ?
« Heureux êtes-vous, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés ! » V.20a. Heureux ceux qui sont en manque d’une nourriture extra matérielle, qui prennent conscience de ce besoin, et demeurent l’esprit et le cœur ouverts. La quête de la vérité dans l’amour passe par le recensement de notre manque. Un proverbe chinois dit : « Les vérités qu’on aime le moins à apprendre sont celles que l’on a le plus d’intérêt à savoir ».
« Heureux êtes-vous qui pleurez maintenant, car vous rirez ! » V.20b.
Heureux ceux qui compatissent avec la misère humaine et demeure dans sa proximité, dans l’aide et le partage. Nous nous enrichissons à chaque fois que nous donnons en nous impliquant au travers du don !
« Heureux êtes-vous lorsque les gens vous haïssent, lorsqu’ils vous excluent, vous insultent et rejette votre nom comme infâme, à cause du fils de l’homme ». V.22
Heureux lorsque l’on sait en qui on met sa confiance, et pourquoi on fait ce choix. Heureux ceux qui sont au clair sur leur combat au point d’intégrer l’adversité comme une force positive. Ne nous renvoie-t-elle pas à la profondeur de notre engagement ? A notre conviction ? A notre volonté de nous en remettre à Dieu ?
Le Christ ne présente pas la quête de la vérité comme nous l’aurions pensé. Il nous propose un parcours insolite, truffé d’obstacles et d’oppositions. C’est comme une course au trésor, pleine d’embûches, mais parsemée de la force de l’envie de connaître et d’aimer. Le Seigneur décrit cette vérité, quand il compare le royaume des cieux à un trésor caché dans un champ. L’homme qui le trouve vend tout ce qu’il a pour acquérir ce champ (cf. Matthieu 13 : 44).
Faut-il se satisfaire de promesses, fussent-elles données par le Seigneur lui-même ? Ne caressons-nous pas l’utopie ? Un refus d’assumer notre humanité ? Quand on décide de partir en randonnée dans un terrain accidenté, il est important de savoir où l’on veut aller, et comment on pense y aller, même si on ignore encore la réalité de ce que l’on va trouver.
Sur un plan spirituellement large, il en est de même. Le chemin de la vérité sous-tend
un choix d’orientation qui répond à un besoin personnel. Au fil des expériences de
vie, au cours desquelles on peut être déçu de soi-même, des autres et du monde, notre soif d’absolu s’amplifie avec le temps. Nous aspirons à un affranchissement de tout ce qui nous handicape dans notre marche vers la connaissance de la vraie vie.
Pour utiliser un langage informatique, l’image de notre égo surdimensionné a besoin d’être écrasé pour être transportable dans notre communication. Redimensionner l’image de notre moi permet de mieux approcher la vérité ...
C’est bien là que les promesses du Christ deviennent des moteurs de recherches. Elles sont nécessaires, car elles sollicitent notre adhésion, notre engagement, notre confiance vis-à-vis de Lui. Le fait de s’élancer, au départ, peut-être comme Pascal, un pari. Cela peut relever du domaine inexplicable de la naissance de sentiments amoureux. Mais très vite cela fait référence à l’expérience personnelle de la foi en un sauveur en qui on a pleinement confiance. Mais se nourrir de promesses n’est pas suffisant, le présent a aussi besoin d’être nourri par ces étincelles de lumière qui sont de vrais moments de grâce. La Vérité illumine l’action.
Marie, cette jeune adolescente, a connu ce bonheur quand l’enfant qu’elle portait a tressailli en son sein (cp. Luc 1 :41). Moment de grâce incomparable, indéfinissable, intransmissible qui place l’humain en contact avec une autre dimension de la vie.
Ce fut encore le cas d’une autre Marie, lors d’un souper à Béthanie. Poussée par une force d’amour irrépressible, Marie prend un vase contenant un parfum de grand prix, mis à part depuis certainement plusieurs années, s’agenouille et le verse sur les pieds de Jésus. Geste fou, insensé, déplacé, penseront les disciples ! Et pourtant, instant de lumière où deux êtres se comprennent, dans le langage silencieux de l’amour. Geste merveilleux dont la portée va au-delà du parfum... Marie épand en un seul geste tous les sentiments de son cœur contenus pudiquement jusqu’alors... (cp. Marc 14 : 3-9 ; Matthieu 26 :6-13 ; Luc7 :36-50 ; Jean 12 :1-8).
Ce fut aussi le cas pour le brigand sur la croix. Apparemment, dans cette position, guère idéale pour entamer une réflexion, à quoi pouvait-t-on s’attendre ? Au début du procès, il injuriait aussi le Seigneur, comme son voisin. Et puis, l’étincelle a jailli, la lumière s’est faite dans son cœur. Il fut le seul à prendre la défense du Christ, et à reconnaître - hypothèse incroyable - son origine divine. Le premier vrai témoin de l’amour du Christ pour notre humanité fut un brigand, qui aurait pu le penser ? Il crut à sa résurrection avant tout le monde…
Le temps use nos tâtonnements dans la recherche de la vérité, mais il révèle aussi ces moments fugaces de bonheur intense, ces scintillements de lumière qui éclairent nos chemins et dissipent nos petits parcours en clair-obscur. A l’instar de tous ces héros de la foi dépeint dans l’épître aux Hébreux, au chap.11. La Vérité nous est extérieure et présente à la fois dans nos vies.
En effet, Il s’agit moins de posséder la Vérité que d’être dans l’authenticité du vrai en soi d’abord, et vis-à-vis du prochain ensuite. Cette quête harassante, bien décrite par Albert Camus (le Mythe de Sisyphe, 1942), entretient pourtant le désir de connaissance et le projette dans l’espérance. Mais elle donne aussi le droit à l’erreur, au faux pas, à l’initiative malheureuse. L’amour de Dieu accueille, car c’est l’intentionnalité qui est prise en compte, pas le résultat. La vie de David en est une parfaite illustration.
Ainsi, la philosophie est un parcours dans lequel on jongle avec les concepts, mais le message de Christ est un sommet de vie concrète et de Vérité. La philosophie pose de vraies questions sur la condition humaine, mais c’est le Christ qui donne les bonnes réponses.
« Quiconque est de la Vérité écoute ma voix » Jean 18 : 37, Version LSG.
De ce fait, nous expérimentons un mieux-être, un mieux vivre. La raison d’être du sentier de montagne est de nous mener généralement au sommet, la raison d’être du message du Christ est de nous mener dans la voie de l’éternité.
Nous sommes présentement sur le sentier, la réalité du sommet existe, quelques éclairs dans nos nuits d’orage nous le montrent majestueux et resplendissant. Alors, ne nous décourageons pas, et soyons les uns pour les autres des compagnons de voyage.
Conclusion :
Nous avons commencé notre réflexion en nous demandant s’il y avait des ponts entre le profane et le sacré, entre le philosophique et le spirituel. On peut maintenant répondre oui ! sans hésiter. Car, qui que nous soyons, et d’où que nous venions, nous sommes confrontés aux mêmes interrogations sur l’essentiel de nos conditions de vie.
Certes, la quête de Vérité renferme son potentiel d’excès, et chacun cherche à tirer la couverture à soi, mais plus généralement cette démarche sérieuse invite au respect. Un point est certain : personne ne possède la Vérité comme un bien acquis, précisément détaillé, défini et fini. Certains peuvent avoir la conviction de s’en approcher plus que d’autres, mais tous, nous sommes en marche sur ce chemin. La Vérité ne se possède pas, elle se vit dans la diversité de nos expériences et le respect accordé à tous ces authentiques chercheurs qui sillonnent notre monde. Nous reconnaissons pour vérité ce qui nous traverse et nous rend meilleur. Quand le cœur est visité par la grâce divine, il demeure en paix. Kierkegaard a écrit : « la vérité, c’est ce qui ennoblit ». Elle se reconnaît par l’illumination du cœur. C’est une expérience personnelle, non transmissible. Elle ne relève pas du scientifique. Mais sa qualité première est qu’elle ne trompe pas. On peut en témoigner.
« L’espérance ne trompe point, parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné ». Romains 5 : 5, version LSG.
La vérité peut aussi être déconcertante ; pour autant « se plaindre est plus aisé que se vaincre. La vérité n’est jamais du côté des découragés et des mécontents » A. de Gasparin.
Le Christ est la personne vers laquelle convergent tous les concepts philosophiques touchant à la quête de l’amour, de la sagesse, de la Vérité, et du bonheur. N’a–t-il pas dit de lui-même : « Je suis le Chemin, la vérité, et la vie » Jean 14 : 6. L’humanité a perçu l’importance de son passage terrestre, puisqu’il y a un avant, et un après J.C, dans tous nos livres d’histoire. Cette marche a un prix. Ces découvertes, ces fragments de Vérité et de bonheur en ont aussi. A nous de savoir où nous voulons aller, et sur qui nous pouvons compter pour avancer coûte que coûte sur le chemin de la Vie.
Jacques Eychenne