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La résurrection de Jésus-Christ ou Christ nous attend dehors du tombeau Jean 20 : 1-18 |
Introduction :
Nous approchons de la fête de Pâques, et pour beaucoup, ce jour férié est un jour de repos. C’est souvent l’occasion d’avoir un projet en famille avec les enfants. Chacun conserve le souvenir heureux de ces moments joyeux… Mais que nous apprend cet évènement qui fonde la foi chrétienne (cf. 1 Corinthiens 15 : 17) ? Très simplement, il nous rappelle que la vie a triomphé de la mort. Transmettez cette bonne nouvelle dans un cortège de gilets jaunes et vous observerez le peu de crédit accordé à cette référence historique ! Les raisons de cette indifférence sont multiples, les vivants n’ont pas besoin qu’on leur parle de vie, ils l’ont déjà. Ils revendiquent prosaïquement un mieux vivre… Et puis, observons que nos sociétés sont plus préoccupées par tout ce qui peut attenter à la vie, par peur de la mort. Les Grecs du temps de Jésus trouvaient complètement absurde le concept de résurrection et en cela rien n’a vraiment changé… Dans les milieux chrétiens, il peut en être de même si on ne dépasse pas la célébration d’une tradition ancestrale. Alors que nous redit cet incontournable de la foi chrétienne ?
Développement :
Quand on prend le temps d’avoir un regard synoptique sur les textes relatant l’évènement de la résurrection du Christ, on est frappé par la variété des témoignages. Une femme cependant émerge au cœur des récits, il s’agit de Marie de Magdala souvent appelée Marie Madeleine. Elle est au centre des quatre évangiles.
L’apôtre Jean la présente, seule venant au tombeau, avant le lever du jour ce premier jour de la semaine (dimanche), alors que Matthieu et Marc parlent de plusieurs femmes. Ils nous disent que Marie de Magdala était accompagnée par la mère de Jacques et d’une certaine Salomé. Luc ne prend pas de risque. Il a fait des recherches sur la question et il se contente de nous dire que des femmes portant les aromates sont venues au tombeau. Et il les mentionne après coup (cf. Luc 24 : 10). Parmi ceux qui ont relaté le fait grandiose, seul Jean a été témoin oculaire, alors suivons son récit (cf. Jean 20 : 1-10).
Observons ce qui est écrit. « Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court, rejoint Simon-Pierre et l'autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit: « On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l'a mis » Jean 20 : 1-2, version TOB.
Marie ne rentre pas dans le tombeau pour vérifier si le corps est toujours là, comme le feront Pierre et Jean. Le simple fait de voir la pierre roulée l’a conduite à une interprétation certainement affective. Elle a traduit la pierre roulée = la disparition du corps de Jésus. Ce n’est que plus tard, certainement de nouveau seule, alors que Pierre et Jean sont retournés vers les autres disciples pour annoncer la nouvelle, que Marie tout en pleurant, se penche vers le tombeau et voit deux anges vêtus de blanc, assis à l’endroit même où le corps de Jésus avait été déposé, l’un à la tête, l’autre aux pieds (cf. Jean 20 : 11-12).
Marie de Magdala est traversée par une obsession « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l'a mis » Jean 20 : 13, version TOB. Ce comportement exprime des sentiments authentiques qui révèlent un amour profond pour son sauveur. La nouvelle de sa résurrection révèle une perception unique et différente de celle de Pierre et Jean. Eux s’empressent d’aller proclamer cette bonne nouvelle. Marie, elle, reste là, seule devant le tombeau. Pour elle, c’est presque une catastrophe, car elle a perdu le contact avec le corps du Christ, symbole de sa présence en elle. Certes ! Il est bien mort, mais elle veut prolonger sa proximité avec son corps, peut-être pour lui prodiguer des derniers soins et continuer de dire sa douleur dans cette séparation. Marie veut rendre, à travers ce corps qu’elle cherche, la présence du Seigneur éternelle dans son cœur de femme. Elle n’a pas eu besoin d’un fait avéré. La pierre roulée a tout de suite été interprétée comme un kidnapping, un vol inacceptable. Ses pleurs traduisent son désarroi.
Aussi noble et touchante que soit la démarche de Marie de Magdala, elle n’en est pas moins handicapante pour sa foi. Il faut qu’elle fasse le deuil de ce lien avec le corps de Jésus, sinon la résurrection peut, pour elle, perdre son sens. Le récit laisse supposer qu’un cheminement est nécessaire pour elle. Il faut qu’elle se dépossède de ce corps mort qu’elle s’est sentimentalement approprié. Et Jésus va l’aider à sécher ses pleurs et la faire marcher vers une relation nouvelle. C’est certainement pour cela que le Seigneur lui dit : « ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » Jean 20 : 17, version FBJ. La traduction pourrait tout aussi bien être : « ne me touche pas encore » (cf. l’adverbe de temps : οὔπω = ne…pas encore ex. Matthieu 24 : 6). A l’évidence la question n’est pas de toucher ou de ne pas toucher Jésus, c’est, simplement, que ce n’était pas le moment !
Après s’être révélé à elle, Jésus met aussitôt une distance. Ce n’est pas qu’une question de toucher… La version œcuménique l’a bien souligné en traduisant par : « ne me retiens pas car je ne suis pas encore monté vers mon Père ». La remarque pertinente de Jésus est très instructive.
Marie doit transiter d’une foi qui voit et qui touche à une foi qui fait confiance dans l’absence. Une foi qui n’a pas besoin de voir et de toucher. Marie, humainement, s’est attachée à Jésus, comme une femme s’attache à son mari. Son cœur de femme a été sensible à cette relation affective… Seulement, le Seigneur l’initie à un autre type de relation, moins charnelle et plus spirituelle. Le texte montre bien que Marie aurait aimé conserver la présence physique de Jésus. Son attachement est mêlé de crainte. Elle redoute de le perdre une fois encore. Elle dit aux anges : « Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais où ils l’ont mis » v. 13. C’est pourquoi Jésus lui dit où il va. Il fallait qu’elle comprenne qu’il y avait une impossibilité à le retenir. Le cordon ombilical devait être coupé. La douleur de cette épreuve a été connue de tous les intimes du Seigneur. Pour Marie, il fallait un passage entre le lien physique et humain et la dimension spirituelle. Un espace devait être créé pour transformer celle qui était proche par amour, en témoin d’un évènement d’une portée planétaire (Notons que Jean mentionne la présence de deux anges pour démontrer que l’absence du corps du Sauveur n’est pas le fait d’une action volontairement humaine. Cela aurait dû faire comprendre à Marie de Magdala qu’il ne pouvait en aucun cas s’agir d’une malveillance quelconque).
Pour la conduire dans ce cheminement, le Seigneur lui confie une mission de confiance. C’est elle qui est choisie pour être la première à annoncer sa résurrection. « Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » Jean 20 : 17, version Nouvelle Edition de Genève.
Proclamer la prodigieuse nouvelle de la résurrection du Christ, c’était pour elle accepter d’être dépossédée d’un lien privilégié. Désormais, le Christ appartient à tous, donc au monde entier. Le Christ a été donné au monde à cette fin, mais cette fin n’en est pas une, puisqu’elle nous dirige vers l’éternité (cf. Jean 3 : 16-17). Le Christ vivant va donner plus de sens à l’amour qu’elle lui porte en l’envoyant vers les autres. C’est vers eux qu’elle doit se diriger maintenant, forte de ce qu’elle a engrangé depuis ces dernières années. Le cheminement de Marie est bouleversant : celui qu’elle voulait continuer à chérir en son corps de mort, se mue en un envoi, comme première messagère, d’une nouvelle extraordinaire : Jésus-Christ est vivant !
Elle courut pour transmettre la bonne nouvelle (cf. Jean 20 : 2).
Quel contraste avec la réaction de Pierre ! A la suite du témoignage de Marie de Magdala, Simon Pierre et Jean vont au tombeau. Jean plus jeune court devant. Il arrive et voit de dehors les bandes posées, mais n’entre pas. Il attend Pierre. Lui entre dans le tombeau et constate, comme un enquêteur sur une scène de crime, que des bandelettes sont déposées et que le linge qui avait recouvert la tête du Seigneur est plié à part. (Observons que la résurrection du Christ diffère de celle de Lazare. Lazare était ressuscité tout prisonnier encore des bandelettes qui entouraient le défunt (cf. Jean 11 : 44), alors que Jésus avec son corps glorifié s’en était totalement affranchi). Jean, dans son récit, nous dit qu’une fois entré dans le tombeau, Pierre a considéré l’état des lieux. Le verbe grec utilisé est θεωρέω qui signifie : être spectateur, regarder, observer, examiner, contempler, (voir Matthieu 27 : 55 ; Marc 12 : 41, 15 : 40 ; Luc 10 : 18 ; jean 6 : 19, 7 : 3, 8 : 51, 12 : 45). En français, ce verbe a donné : théoriser.
Malgré le choc de la découverte, on sent bien que Pierre rationalise l’évènement. Il cherche à comprendre ce qui a bien pu se passer. Qu’est devenu le corps de Jésus ? Qui est venu le chercher ? Pourquoi l’a-t-on déplacé ? (le Christ ressuscité n’est encore apparu à personne, il le sera bientôt à Marie de Magdala dans le récit de Jean). Il est vrai que la réalité d’une résurrection défiait la raison surtout dans ce contexte historique. Devant l’évidence d’un fait surnaturel, Pierre en a été le spectateur interrogatif. Reconnaissons que nous avons la même démarche lorsque survient dans notre vie ou notre champ de vision des choses surnaturelles. Pierre, qui jadis avait été visité puissamment par l’esprit divin, bute maintenant devant la compréhension de l’évènement (cf. Mathieu 16 : 16-17). C’est la raison pour laquelle Jean, le rédacteur de son évangile, prend soin de rajouter ce commentaire juste après : « en effet, ils n'avaient pas encore compris l'Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d'entre les morts » Jean 20 : 9, version TOB. Cela atteste bien que Pierre, tout comme Jean, ont dû s’interroger pour essayer de comprendre. Pourtant à maintes reprises Jésus avait été clair à ce sujet, n’avait-il pas déjà annoncé l’évènement ? (cf. Jean 2 : 19 ; Matthieu16 : 21 ; Marc 8 : 31, 9 : 31 ; Luc 9 : 22). Seulement, ils avaient toujours été hermétiques à cette éventualité (cf. Matthieu 16 : 22 ; Luc 9 : 44-45). A l’évidence, l’heure était plus à l’acte de foi qu’à la compréhension intellectuelle. Cette attitude de l’apôtre nous interpelle car nous nous posons souvent de nombreuses questions sur les textes bibliques rapportant des faits surnaturels, au lieu de les accueillir par la foi. Il en est de même dans nos parcours de vie…
Tout autre encore fut l’attitude de l’apôtre Jean qui se définit comme celui qui aimait Jésus ou que Jésus aimait (cf. Jean 20 : 2). Bien qu’arrivé le premier au tombeau, il eut la délicatesse d’attendre Pierre pour le laisser entrer dans le tombeau. A son arrivée, il s’est contenté de regarder par l’entrée du tombeau, et il a été uniquement frappé par les bandes qui étaient à terre (cf. Jean 20 : 4-5). Mais son comportement est différent de celui de son aîné ; Le texte précise : « C'est alors que l'autre disciple, celui qui était arrivé le premier, entra à son tour dans le tombeau; il vit et il crut » Jean 20 : 8, version TOB.
Jean ne s’est pas arrêté à sa vision des choses, il crut (πιστεύω = croire dans le sens d’avoir la foi = πίστις, cf. Hébreux 11 :1). Cette foi, telle qu’elle est définie dans l’épître aux Hébreux, fait appel à la confiance qui fait naître une conviction intérieure. Jean ne cherche pas d’explication rationnelle. Devant l’inattendu et la surprise d’un fait acté, il déploie sa confiance. Peu importe la question : « mais où est passé le corps du Seigneur ? ». Christ a tellement été associé au merveilleux de son cheminement spirituel, qu’il est sereinement confiant. L’absence du corps du Christ lui ouvre un espace, et c’est là, que sa foi-confiance peut se déployer. C’est le paradoxe de cette journée mémorable : l’absence ouvre pour Jean tous les possibles. Marie a exprimé le besoin de toucher, Pierre le besoin de comprendre, Jean n’a besoin que de faire confiance en l’avenir et en Christ. Il ne s’arrête pas à la disparition d’un corps, il n’a pas besoin d’explication, ni d’enquête à mener…
Il voit le vide et le vide ravive sa foi.
Cette foi nous redit la proximité de sentiments profonds de ce jeune apôtre pour son Seigneur et Maître. Il a vu (et ce fut le seul) Jésus mourir sur la croix. Il a entendu les paroles que Jésus lui a dites afin qu’il prenne soin de sa mère… Tout cela est en lui. C’est parce qu’il a engrangé toute cette confiance du vivant du Christ qu’il peut maintenant franchir le seuil de l’absence. Elle ne crée pas son désespoir comme on aurait pu l’imaginer, et comme ce sera le cas des disciples d’Emmaüs qui seront effondrés par la nouvelle, non ! Pour Jean le vide, l’absence, réactive la confiance. Cela est bien cohérent avec les paroles que Jean se plaira à nous restituer quelques versets plus loin. Retraçant les propos de Jésus dans son dialogue avec Thomas l’incrédule, il nous dira : « parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru » Jean 20 : 29, version TOB. Toute l’expérience de l’apôtre bien-aimé est ici synthétisée. Face au tombeau vide, face à l’absence, au manque d’information, à rien pour s’accrocher et se rassurer, Jean a utilisé la seule force qui était disponible en lui : sa foi, sa confiance en Jésus qui avait promis de les retrouver (« mais une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée» Marc 14 : 28, version TOB). La foi de Jean a fait résonner en son cœur des paroles d’espérance. Comment oublier les paroles rassurantes du Seigneur Jésus ? Près de 60 ans après, Jean les a consignées soigneusement :
« que votre cœur ne se trouble pas: vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures: sinon vous aurais-je dit que j'allais vous préparer le lieu où vous serez ? Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi. Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin » Jean 14 : 1-4, version TOB.
Assurément, c’est ce chemin-là que Jean a dû percevoir, peut-être confusément, dans son cœur, ce dimanche matin devant le tombeau vide…
Conclusion :
Que veut nous dire ce récit de la résurrection, au travers des trois témoins : Marie de Magdala, Simon Pierre, et Jean ?
Devant le surnaturel, le merveilleux, l’incompréhensible, est-il besoin d’entrer dans un labyrinthe de questions ? N’est-ce pas stérile au niveau de la foi ? L’important est moins de savoir comment l’évènement s’est passé dans le détail, que de comprendre pourquoi il a eu lieu ! L’apôtre Pierre l’a bien compris, lui qui affirmera à la Pentecôte publiquement à Jérusalem : « C’est ce Jésus que Dieu a ressuscité ; nous en sommes tous témoins » Actes 2 : 32, version Louis Segond. Accueillir avec foi la résurrection du Christ, c’est croire en sa propre résurrection (cf.1 Corinthiens 15 : 13-22). Même si sentimentalement Christ nous est proche, nul besoin de le voir et de désirer le toucher comme Marie de Magdala. L’essentiel est d’être percuté par cette nouvelle et d’avoir le désir de la transmettre. L’attitude de Jean ouvre une autre perspective. :
l’absence fortifie la foi-confiance en l’être aimé.
Pâques n’est pas la célébration d’un tombeau vide, c’est l’annonce faite à Marie de la montée du Christ vers son Père et son Dieu (cf. Jean 20 : 17).
Le mystère de la fête de Pâques, c’est l’ouverture pour sortir d’un tombeau vide vers un ailleurs : un monde en devenir. Le tombeau de nos vies a besoin d’une ouverture spirituelle qui défie la raison et réjouit le cœur. Nous devons prendre conscience qui si Jésus est absent de nos tombeaux, c’est parce qu’il nous attend dehors pour nous confier une mission de libération. Nous sommes appelés à diffuser une fraternité nouvelle, fondée moins sur des bonnes volontés ou bons sentiments, que sur une espérance vivante et permanente. Elle nous parle de vie et non de mort.
Joyeuses Pâques à tous !
Jacques Eychenne