Ou
La prière de référence
Matthieu 6 : 9-13 ; Luc 11 2-4
8ème partie
Introduction :
Nous allons aborder aujourd’hui, la sixième et dernière demande formulée dans cette merveilleuse prière du « Notre Père ». Gardons en mémoire que la prière est avant tout désir de relation. On s’adresse d’abord à un Père. En plus d’un échange, la prière est geste de foi, relaxation du cœur. Elle exprime nos souhaits, nos attentes. C’est parce que nous croyons en Dieu le Père, que nous pensons qu’il exauce aussi nos demandes en fonction de ce qui est bon pour nous. La fois dernière, nous avons exposé le difficile sujet du pardon= remise de dettes. Nous avons vu qu’il était possible de voir nos comptes débiteurs remis à zéro, dans la mesure ou cette même attitude nous habitait pour autrui. Cette requête explicitait un attendu : faire un examen de nos propres motivations dans notre relation à Dieu et au prochain. Etre pardonné, voir nos dettes effacées, c’est un peu comme si un nouvel espace de liberté était devant nous. Dieu veut alléger notre marche sur ce chemin de liberté qui nous mène aux portes de son royaume. Mais pour bien avancer en sécurité, il nous faut une assurance, un accompagnement, une protection contre tout danger. C’est précisément ce que traite la sixième demande de cette prière. Examinons-là.
Développement :
Rappelons que pour établir un lien entre les demandes, le texte grec l’introduit par «Et=και ». La cohérence du texte n’en est que plus forte. L’essentiel est dit en peu de mot. Tout est concentré sur la relation de vie. C’est admirable de construction !
Voyons le détail de cette sixième requête dans les différentes traductions courantes.
« Ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin » Version Segond revue 1975
« Ne nous fais pas entrer dans l’épreuve, mais délivre-nous du Mauvais. » Nouvelle Bible Segond. N.B.S 2002 Matthieu 6 : 13
« Et ne nous expose pas à la tentation, mais délivre-nous du Tentateur » idem, Traduction Œcuménique de la Bible T.O.B. 1977
« Ne nous fais pas pénétrer dans l’épreuve, mais délivre-nous du criminel* » Chouraqui (* de crimen, qui signifie en substance : accusation)
Litt. « Et ne nous conduis pas dans l’épreuve, mais délivre-nous du Malin » idem, Nouveau testament interlinéaire grec/français p. 22
Avant d’esquisser le moindre commentaire, examinons comme à notre habitude le détail du texte grec, afin de voir ce que ces mots pouvaient bien dire au temps de Jésus, et comment ils ont été utilisés par les apôtres. Observons aussi que Luc est plus laconique : « Et ne nous emporte pas dans l’épreuve » Luc 11 : 4 idem, interlinéaire grec/français, p. 318
Outre la conjonction de coordination (καί) qui fait et renforce l’unité de l’ensemble des demandes, le mot le plus important est le verbe qui suit. Matthieu et Luc utilisent le même. Le
verbe, comme chacun sait, donne du rythme à la phrase. Alors qu’exprime-t-til ? εισφερω est un verbe composé, comme le souligne le dictionnaire grec-français de A. Bailly, p. 605.
Il est composé d’une préposition είς = dans ou sur (avec l’idée de mouvement) vers, jusqu’à. Au sens local elle indique une direction précise (Cf. Matthieu 26 :18) au sens figuré une destination (Cf. Romains 2 : 4 « la bonté de Dieu te pousse dans, vers, à (εις) la repentance.)
Et, il est composé de φερω dont la racine met l’accent sur le fait de porter (Cf. Luc 2 : 26 « Ils chargèrent Simon de Cyrène de porter (φερω) la croix de Jésus derrière lui ». Ainsi, la traduction de ce verbe expliciterait, avec la négation qui précède : à ne pas être porté vers, ne pas être conduit dans. Vers quoi ? Dans quoi ?
Le mot qui suit répond : πείρασμός = épreuve, essai, expérience.
Dans un contexte spirituel, et par extension de sens, le mot a été perçu comme exprimant une séduction ou une tentation. Pourtant, le mot épreuve semble plus approprié. L’apôtre Pierre l’utilise ainsi quand il parle « d’être dans la fournaise de l’épreuve » 1 Pierre 4 : 12 Pourquoi le mot épreuve est plus approprié ?
Parce que le mot tentation peut prêter à confusion dans ce contexte relationnel. Pouvons-nous demander à notre Père, en regard d’une relation de confiance, de ne pas nous tenter ? Est-ce lui qui nous induirait en tentation ? Est-ce lui qui placerait des obstacles sur notre chemin ?
Le mot tentation est chargé d’une connotation négative. Il évoque le piège, le traquenard. Il contient déjà en germe l’idée du mal ou de mal faire. Des anciennes traductions disent même : « Ne nous laisse pas succomber à la tentation ». Quelle méprise ! Je m’inscris en faux contre ce fatalisme qui enfonce l’humain dans sa misère profonde. Dieu notre Père nous attendrait-il au tournant pour nous châtier ? C’est absurde ! Heureusement l’évangile (Bonne nouvelle en grec) dit le contraire dans ce passage. Nous y reviendrons plus loin.
Mais alors, qui tente ? La réponse des Saintes Ecritures est claire : « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente. (Πειραζω = éprouver, essayer) Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne » Jacques 1 : 13
A l’évidence, le coté négatif de la tentation ne vient pas de Dieu. Nous n’avons pas à lutter contre ce qui nous vient de Dieu. (Cf. Genèse 1 : 31 ; Romains 12 : 2) Ce n’est pas Lui qui cherche à nous maintenir la tête sous l’eau… Bien au contraire, il veut que nous le reconnaissions comme un Père attentionné et aimant. N’est-ce pas plus logique ?
Pierre révèle même que « Dieu sait délivrer de l’épreuve (πείρασμός) les hommes pieux… » 2 Pierre 2 : 9
Paul exprime la même idée : « Aucune épreuve (πείρασμός) ne vous est survenue qui n’ait été humaine, et Dieu qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces ; mais avec l’épreuve, il préparera aussi le moyen d’en sortir, afin que vous puissiez la supporter. » 1 Corinthiens 10 : 13
Soyons clairs, ni la raison, ni les sentiments affectifs ne peuvent admettre que Dieu est à l’origine de nos problèmes. Si Dieu est en désir de relation, comment peut-on le soupçonner d’être à l’affût de nos mauvaises dispositions (ou pire de les inspirer) pour nous piéger ? Redisons-le, c’est absurde !
Jadis, on chantait déjà en montant au temple de Jérusalem (cantique des degrés): « Le secours me vient de l’Eternel, qui a fait les cieux et la terre, il ne permettra pas que ton pied chancelle ; celui qui te garde ne sommeillera point… L’Eternel te gardera de tout mal, il gardera ton âme ; l’Eternel gardera ton départ et ton arrivée, dès maintenant et à jamais. » Psaume 121 : 2-8
Mais alors, qui tente ? Le texte répond : πονηρός= le Mal, le malin, le méchant, le mauvais. Matthieu utilise ce mot un peu loin pour décrire ce qui est en mauvais état, ce qui est défectueux (Cf. l’œil mauvais : Matthieu 6 :23 ; l’arbre mauvais : Matthieu 7 : 17). Pour rester dans Matthieu, au sens moral, il parlera de l’homme méchant et du méchant serviteur. (Cf. Matthieu 12 : 35 ; 18 : 32) Puis, il identifiera une personne. Elle agit en opposition aux bienfaits de la parole de Dieu reçue (Cf. Matthieu 13 : 19, 38-39). Mieux encore, Matthieu rapportant le combat du Christ avec l’ennemi, au début de son ministère (quand il fut conduit au désert), pose un nom précis pour définir qui est à l’origine de ce Mal : (πονηρός) = Le diable (διαβολός). Le diable est la puissance personnifiée du mal. L’apôtre Jean confirmera cette identification en parlant du serpent antique appelé Diable et Satan, celui qui égare les habitants de la terre. (Cf. Apocalypse 12 : 9) Sa triste fin est programmée (Cf. Apocalypse 20 :10). Réaffirmons que le projet de Dieu est de sauver, non de piéger quiconque. Celui qui est à cette manœuvre perverse est le Diable. (Une explication sur l’origine du mal serait intéressante à développer, mais elle nous éloignerait de notre sixième requête.)
Il nous reste à préciser un dernier verbe : ρυομαι = (arracher, délivrer, libérer, sauver Mat 27 : 43, Rom 7 : 24, 11 : 26, 1 Th 1 : 10. Dict. de Maurice Carrez et François Maurel, p. 217, éd. Labor et fidès, 1992).
Toute l’action bienfaisante de Notre Père est définie par ce verbe. Dieu est donc avec nous dans nos combats, et il est prêt à combattre pour nous. (Cf. Exode 14 : 14) Il nous délivre de tous les pièges sournois que nous tend l’adversaire. Il nous offre un nouvel espace de liberté. Dieu a libéré son peuple de l’esclavage égyptien. Il l’a aidé à sortir de cette pénible et douloureuse expérience. Il lui a ouvert un passage, une sortie glorieuse. Elle a marqué l’histoire. Elle demeure un marqueur des intentions bienveillantes de notre Père. C’est bien lui qui nous sauve de tragiques situations. Celles dans lesquelles nous nous sommes mises, et celles que nous subissons malgré nous. L’expérience spirituelle prouve que sans son intervention, notre posture demeurerait plus que fâcheuse, pour ne pas dire insoluble…
Ce message interpelle fortement notre confiance en Notre Père, et ravive notre foi…
Pour être complet, examinons la conjonction de coordination qui précède notre verbe mentionné ci-dessus.
Αλλα, d’ après les grammairiens grecs, sert à marquer une forte opposition entre une proposition affirmative et une proposition négative, soit entre deux propositions affirmatives. (Grammaire grecque de J.Allard et et E. Feuillâtre, librairie Hachette, éd. 1964, p. 214). D’autres grammairiens accentuent plutôt le fait de l’alternative. (Cf. Précis de grammaire grecque, de C.Maquet et F. Flutre, éd. Hachette, p.104, 1955).
La demande présenterait sous cet angle une bipolarité. Les deux possibilités ont été exploitées par les théologiens. Elles sont intéressantes :
Dans le premier cas, il faudrait traduire : « Et ne nous fais pas entrer dans l’épreuve, au contraire libère- nous (sous- entendu, de cette dernière)… »
Dans le deuxième cas, ce serait : « ou tu ne nous fais pas entrer dans l’épreuve ou tu nous en délivres… »
Bien que les deux possibilités soient intéressantes à approfondir, j’opte pour le premier cas. Il me semble plus en harmonie avec notre requête. On pourrait donc traduire plus justement :
« Et ne nous fais pas entrer (ou ne nous porte pas) dans (ou vers) l’épreuve, au contraire libère-nous (ou arrache-nous, délivre-nous, sauve-nous) du Malin (ou du mauvais, du méchant, du défectueux) »
Certains ont scindé la phrase en deux, argumentant qu’il y aurait deux demandes dans cette phrase. Mais sa construction grammaticale va à l’encontre de cette interprétation.
(Αλλα fait bien partie des conjonctions de coordination. Elle est sensée relier ou opposer les deux parties de ce texte.)
Maintenant que nous avons tenté de préciser le sens des mots, voyons ce qu’ils nous disent pour notre édification.
En nous suggérant une telle formulation de prière, le Christ nous repositionne dans la prise de conscience des bonnes intentions de notre Père. En effet, Dieu cherche à nous éviter, non les épreuves qui nous construisent, mais celles qui nous détruisent. Celles qui peuvent nous anéantir, et nous conduire vers un chemin de mort et non de vie.
Nous observons cette disposition pédagogique de Dieu pour l’homme dès le Pentateuque : Elle nous renvoie à un choix responsable. Mais l’alternative demeure :
« Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal. Car je te prescris d’aimer l’Eternel… Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité, pour aimer l’Eternel, ton Dieu, pour obéir à sa voix, et pour t’attacher à lui…» Deutéronome 30 : 15-16,19-20
Dieu nous laisse assumer nos choix. Mieux encore, il les encourage et les favorise. Il nous porte à oser. Souvent Dieu exhorte en disant « Lève-toi, va ou va » (Cf. Genèse 12 :1, 27 :13 ; Exode 2 :8, 3 :10, 1 samuel23 :2 ; Jonas 1 :2 etc.) De plus, Dieu balise notre route de panneaux indiquant danger. A nous de savoir ce que nous voulons faire de notre vie. Une chose est certaine, cette dernière requête nous renvoie, par le biais de notre demande, à la nécessité d’un accompagnement, d’une proximité de relation d’amour.
Notre prière pourrait être formulée ainsi :
Oui Seigneur, guide nos pas pour que nous évitions les zones trop dangereuses, les situations critiques pour notre vie, et place un filet de sécurité Seigneur, au cas ou nous tomberions lourdement. C’est l’esprit de cette demande.
David a fait cette expérience :
« Garde-moi, ô Dieu ! Car je cherche en toi mon refuge » Psaume 16 : 1, 8 ; « Tu es mon aide et mon libérateur. » Psaume 71 : 6
Il a prononcé cette merveilleuse prière que nous pouvons faire notre :
« Mon âme, bénis l’Eternel ! Que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ! Mon âme, bénis l’Eternel, et n’oublie aucun de ses bienfaits ! C’est lui qui pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes maladies ; c’est lui qui délivre ta vie de la fosse, qui te couronne de bonté et de miséricorde ; c’est lui qui rassasie de biens ta vieillesse, qui te fait rajeunir comme l’aigle. » Psaume 103 :1-5
Dieu, notre Père, a un grand projet d’éducation d’une portée éternelle. Il n’agit pas pour nous piéger, bien au contraire, il fait concourir toutes choses pour notre bien. (Cf. Romains 8 : 28) En cela, cette sixième demande complète la précédente. Elle nous disait que notre passif a été soldé, nos dettes ont été comblées. Nos comptes ne sont plus débiteurs. Tout ce qui perturbait notre marche vers le royaume nous a été ôté. Fini les encombrants ! Maintenant il faut avancer.
Cette sixième requête traite donc moins du mal que l’on ferait, mais plutôt de celui que l’on subit. En simplifiant, nous demandons à Dieu de nous protéger de tout ce qui peut nous éloigner de Lui. Il ne s’agit pas de demander d’être immunisé du mal, mais d’en être délivré. La question n’est pas de faire l’économie des épreuves, mais d’en sortir vainqueur. Ainsi, nous sommes tous sur un même pied d’égalité.
Normalement notre prière révèle deux aspects complémentaires :
- D’une part, la reconnaissance que nous sommes fragiles et vulnérable.
- D’autre part, que le mal a sur nous une puissance de pénétration remarquable.
Restreindre le mal à des actes mauvais évidents peut nous égarer. Nos yeux sont toujours captivés par les faits grossiers du mal, mais il est plus subtil. Notre jugement a donc besoin d’être éduqué, notre perception plus affinée.
Le mélange entre le bien et le mal est très bien maquillé. Notre intelligence a besoin d’être éclairée par le discernement divin. Pour faire court, disons que le mal est autant physique, moral que spirituel. C’est un cancer sournois, mais pas de panique, ce n’est pas parce qu’il est présent et qu’il sommeille en nous, qu’il est obligatoirement mortel.
C’est là où le deuxième tronçon de notre demande est réconfortant. Notre Père désire que nous fassions l’expérience de son accompagnement et de sa protection dans nos vies.
Toute la Bible révèle les 4 définitions possibles du verbe ρυομαι.
- Dieu arrache du danger tous ceux qui lui font confiance. « L’ange de l’Eternel campe autour de ceux qui le craignent, et il les arrache au danger » Psaume 34 :8
- Dieu nous délivre de tous les pièges du malin. « Maintenant, Seigneur que puis-je espérer ? En toi est mon espérance. Délivre-moi de toutes mes transgressions ! » Psaume 39 : 8,9 (Cf. 2 Pierre 2 : 9, Psaume 44 : 27, 119 : 134)
- Dieu nous libère de tout ce qui peut faire obstacle à une saine relation. « L’Eternel est mon rocher, ma forteresse, mon libérateur… ma haute retraite et mon refuge » 2 Samuel 22 : 2-3
- Dieu nous sauve en soldant nos êtres et nos avoirs de tous comptes débiteurs.
« Voici, c’est notre Dieu, en qui nous avons confiance, et c’est lui qui nous sauve » Esaïe 25 : 9 (Jean 3 : 17 ; psaume 145 : 19 ; 1 Pierre 3 : 21)
Le Psaume 23 résume bien l’action bienveillante de Notre Père. David l’a bien traduite…
Du coup, nous ne sommes plus dans la crainte ou la peur de voir le cancer du mal s’agiter en nous. Notre demande de foi explicite que Dieu, Notre Père, restera toujours vainqueur du mal. L’adversaire pourra toujours utiliser tous les sophismes possibles de séduction et de contamination, par la beauté, l’intelligence et mêmes les vertus chrétiennes, il ne sera jamais vainqueur de la foi en Jésus-Christ.
Conclusion :
Cette dernière requête se ponctue par la reconnaissance de la victoire de Dieu sur le mal. Indirectement, elle nous invite à repenser notre relation avec ce Père. A la fois, nous prenons conscience de son immense Amour, et à la fois nous devons assumer notre présent et notre avenir par des choix, chaque jour, renouvelés. Ce balancement entre notre fragilité dans le combat quotidien et notre force dans l’assurance d’une victoire communiquée, constitue la plus belle épopée de notre existence. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » et plus loin « Mais dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés » Romains 8 :31b, 37
Cette conviction doit nous cheviller au corps. Elle est message d’espérance à partager comme un bon repas…
Jacques Eychenne