Ou
La prière de référence
Matthieu 6 : 9-13 ; Luc 11 2-4
5ème partie
Introduction :
Après avoir rappelé l’importance du nom de Dieu, et mis des mots précis derrière le terme « sanctifié », après avoir souligné la nécessité d’être cohérent dans notre demande « que ton règne vienne », nous allons aborder la troisième formulation de cette prière référente. Pour démontrer sa logique de construction, rappelons ce qu’implique le désir de voir s’instaurer le règne de Dieu. C’est avant tout, acter le fait que Dieu s’est engagé envers nous par une Parole. Elle a transité au travers des prophètes, et s’est incarnée en Jésus-Christ. Elle est langage d’Amour et de Vérité. Sa Parole appelle une réponse. Notre foi est l’adhésion à son projet. Il sera complet quand son règne sera à jamais rétabli, et que le mal ne sera plus. Cette réalité a été le levain de l’Espérance de l’Eglise chrétienne à travers les âges. Elle devrait se traduire dans nos vies par une attente active, heureuse et sereine.
Développement :
Troisième requête :
« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »v. 10
« Que ta volonté advienne sur la terre comme au ciel » idem. N.B.S
« Fais se réaliser ta volonté sur la terre à l’image du ciel » idem. T.O.B
Litt. « (Que) soit réalisée ou qu’arrive ta volonté comme dans le ciel, aussi sur la terre »
Comme à notre habitude, essayons de préciser les mots clés de cette demande. Si le mot volonté ne pose pas problème, examinons le verbe qui l’introduit.
γενηθήτω= impératif aoriste = arriver. Venir à l’existence, comme naître (Cf. Romains 1 : 3 ; 1 Corinthiens 15 : 37) En bref, c’est tous les évènements qui arrivent ou se produisent, comme l’arrivée d’une tempête, ou celle du jour (Cf. Marc 4 : 37 ; Luc 4 : 42). Notons que les deux premières demandes ont le même temps. Ce temps indique que l’action est ponctuelle. Elle ne s’inscrit pas dans la durée. On retrouve chez Matthieu le même verbe avec cette même forme. (Voire Matthieu 8 : 13 ; 9 :29 ; 15 : 28). Que faut-il déduire de cette observation ?
Il s’agit bien du présent de la relation entre Dieu et nous dans un climat de confiance.
Là, plus précisément, c’est la volonté de Dieu que l’on veut voir arriver. La traduction classique « que ta volonté soit faite » peut prêter à confusion. On peut l’entendre comme un présent passif qui renvoie à une soumission quotidienne, avec une bonne dose de fatalisme. Le « inshallah ! » traduit bien cette réalité. Ou alors, on verse dans une autre forme de soumission par le biais d’une obéissance méritoire et salvatrice. En fait, il faut comprendre que notre demande est centrée sur Dieu et non sur nous.
« Qu’arrive ta volonté » c’est être solidaire du plan de salut conçu par Dieu. Cette demande complète la précédente. Elle dit notre désir de voir l’accomplissement du projet de Dieu se réaliser complètement et définitivement. La suite du texte donne du crédit à cette explication. Il s’agit bien là d’une demande de notre part. Il n’est donc pas question d’être (dans une première lecture) dans un schéma d’obéissance. Matthieu l’abordera dans d’autres circonstances, quand il parle de ceux « qui font la volonté du Père » (Cf. Matthieu 7 :21 ; 12 :50 ; 21 :31).
Mais là, la priorité présentée par le Seigneur est différente. Elle met l’accent sur la puissance d’intervention positive de Dieu.
L’épisode de Gethsémané éclaire la formulation du « Notre Père ». La même expression est employée. Le seigneur, par son témoignage, montre qu’il est moins dans le domaine du faire (Cf. Obéissance) que dans celui de réaliser le grand projet de son Père. (Cf. Jean 4 :34 ; 5 :30 ; 6 :38-40) A ce moment crucial, le Seigneur demande « Que ta volonté soit faite » Matthieu 26 : 42 Jésus-Christ veut qu’en cet instant ultime du combat spirituel, ce soit la volonté du Père qui se réalise. C’est le total dépouillement de l’humain pour laisser place à l’action divine. C’est son œuvre de salut qui doit se produire en Christ à ce moment précis. Son obéissance n’est que le moyen de permettre la réalisation du projet de son Père.
Demander « que ta volonté arrive » c’est prendre conscience que c’est lui qui produit cette œuvre de salut en nous, et non nous qui l’obtenons par notre obéissance. Et, quand le Seigneur présente cette prière à ses disciples, c’est aussi pour les inviter à voir l’accomplissement de son œuvre de salut totalement accomplie. Notons que si Luc fait l’impasse de cette demande, c’est peut-être parce qu’elle est sous-entendue.
Ainsi, il y a harmonie entre les trois requêtes qui concernent nos sentiments les plus forts vis-à-vis de Dieu. Cette harmonie nous plonge dans la reconnaissance de la souveraineté du Créateur. Elle est totalement indépendante de la volonté des hommes.
Dieu engage son autorité. L’accomplissement de ses promesses n’est pas conditionnel à nos bons vouloirs. Esaïe l’a explicité :
« L’Eternel des armées l’a juré, en disant : Oui, ce que j’ai décidé arrivera, ce que j’ai résolu s’accomplira » Esaïe 14 :24
et, ailleurs
« Je suis Dieu, et nul n’est semblable à moi. J’annonce dès le commencement ce qui doit arriver, et longtemps d’avance ce qui n’est pas accompli ; je dis : Mes arrêts subsisteront, et j’exécuterai toute ma volonté » Esaïe 46 : 9-10
Redisons-le encore une fois : tous les grands axes du plan du salut sont totalement indépendants des comportements humains. Que l’on accepte cette volonté ou pas, rien, ni personne, ne pourra changer quelque chose à la programmation du salut de notre humanité. La Parole de Dieu est engagée.
Cette préséance divine doit être reconnue avec humilité dans nos vies. La célèbre formule de l’apôtre Jacques « Si Dieu le veut » a, à cet endroit, toute sa place. (Cf. Jacques 4 : 13-15)
Cette reconnaissance va bien dans le sens des trois requêtes de l’homme face à son Dieu.
Par contraste, notre compréhension est souvent opacifiée sur un point. Nous caressons toujours le rêve de croire que nos œuvres sont méritoires, que sans notre adhésion Dieu est bloqué dans sa démarche. Il n’en est rien. Certes, notre Père veut composer avec nous, mais il peut tout aussi bien faire sans nous. Souvenons-nous de la réponse de Jésus aux pharisiens, lors de son entrée triomphale à Jérusalem :
« Je vous le dis, s’ils se taisent les pierres crieront ! » Luc 19 : 40
Cette explication de texte a le coté très positif de redonner à ce Père la place qui est la sienne dans notre relation. Quand nous faisons notre cette prière référente du Seigneur, nous soulignons l’importance de la primauté de sa volonté. Contrairement à ce que nous pourrions penser de prime abord, c’est moins à son autorité ou à ses exigences que nous faisons appel, mais plus à son Amour, à sa Parole de Vérité, et à ses merveilleuses et réconfortantes promesses.
Dans l’original grec les trois demandes sont ponctuées à la fin de chaque phrase par « le nom de toi », « le règne de toi », « la volonté de toi ». Le nous de l’invocation de départ laisse place au toi (Dieu) comme pour nous rassurer et poser le socle d’une belle et vraie relation personnelle d’amour. La prière devient alors le lien de proximité. Elle concerne Dieu (toi) et nous (moi). Comme nous le disions au départ de notre étude, c’est vers une relation intimiste qu’il convient d’approfondir ce texte-repère de Jésus.
C’est aussi quelque part, la reconnaissance que c’est bien Dieu qui a pris l’initiative de notre rencontre. L’apôtre Jean dira fort justement :
« Nous l’aimons, parce qu’il nous a aimé le premier ».1 Jean 4 :19
C’est bien le Père seul qui peut réaliser ce qu’on lui demande ! (Cf. 1 Thessaloniciens 5 :23).
Ceci étant dit, il va de soi, qu’en reconnaissant la primauté de son amour pour nous, nous nous sentions concernés. Certes, on ne peut isoler le plan de Dieu de notre nécessaire adhésion. N’oublions pas que nous en sommes les heureux bénéficiaires ! Mais notre adhésion appelle plus une réponse d’amour que d’obéissance. Nous obéissons parque nous aimons et non l’inverse !
« Qu’arrive ta volonté » devient alors accueil dans notre quotidien de cette bonne nouvelle de salut. Oui ! Dieu agit pour rendre opérationnelle sa volonté dans nos vies. Au risque d’être rabat-joie, c’est moins une question d’obéissance au sens stricte, qu’une question d’amour et de reconnaissance. Car, redisons-le, nous obéissons de cœur parque nous aimons Dieu.
L’apôtre Jean a expérimenté cette réalité quand il déclare : « La crainte n’est pas dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour » 1 Jean 4 : 18
Or, nombreux sont ceux qui obéissent par crainte…
« Qu’arrive ta volonté » devient accueil de tout cet amour que Dieu a pour chacun de nous. C’est encore, aspirer de tout son être à être envahi par ce bonheur. C’est cela le grand dessein du Père. Paul rapporte avec justesse ces propos :
« Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, selon le bienveillant dessein qu’il avait formé en lui-même » Ephésiens 1 : 9
Il écrit encore à Timothée, son enfant spirituel :
« Dieu nous a sauvés, et nous a adressé une sainte vocation, non à causes de nos œuvres, mais selon son propre dessein, et selon la grâce qui nous a été donnée en Jésus-Christ avant les temps éternels… » 2 Timothée 1 : 9
Voyons la suite de cette troisième requête :
« (Qu’) arrive ta volonté, comme dans le ciel aussi sur la terre » (trad. Litt.)
L’incise « comme dans le ciel aussi sur la terre » ou « de même que dans le ciel, de même aussi sur la terre » tranche avec les deux demandes déjà examinées. Au point que la plupart des théologiens ont pensé qu’elle était sous-entendue dans les formulations précédentes.
Quoiqu’il en soit, l’intention du texte original est de partir du ciel vers la terre et non l’inverse, comme dans nos traductions courantes. Les exégètes font remarquer que deux conjonctions liées signifient dans la grammaire grecque « de même que… de même ». Faisons-leur confiance… mais de toutes façons l’ordre ciel-terre est suffisamment bien marqué.
La représentation des deux mondes, celui d’en haut et celui d’en bas, est très présente dans l’Ancien Testament, mais rien n’est étranger à l’action salvatrice de Dieu.
Le mouvement qui actionne la volonté de Dieu part du ciel vers la terre. C’est Dieu vers nous, avant d’être, nous vers Lui.
Pourquoi ?
Parce que cette volonté bienfaisante de Dieu pour chacune de ses créatures, s’est d’abord manifestée au ciel. Il symbolise l’harmonie. Le ciel est compris comme la demeure de Dieu. Là tout est parfait. Surtout, depuis que Satan a été chassé du ciel. C’est l’amour de Dieu qui a triomphé du mal. La place du diable n’a plus été dans le ciel. Le Christ a remporté la victoire au ciel, avant de l’achever sur la terre. (Cf. Apocalypse 12 : 7-12)
Désormais, l’amour, la paix, l’harmonie règnent au ciel. C’est là qu’est le royaume des cieux. Jamais nous ne trouverons l’expression royaume de la terre. Le plan de Dieu a commencé au ciel, et il se terminera sur la terre. L’action de Dieu part du haut vers le bas.
Et, de même que tout est devenu parfait au ciel, tout le deviendra aussi sur la terre.
L’apôtre Pierre déclare : « La terre avec les œuvres qu’elle renferme sera consumée… » 2 Pierre 3 : 10 et Jean dans son Apocalypse d’ajouter : « Elle sera consumée par le feu… » Apocalypse 18 :8b Et ailleurs : « Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu… » Apocalypse 21 : 1
Tout sera donc nouveau, pur, et parfait comme au ciel…
La souveraineté de Dieu qui a été reconnue dans le ciel, doit aussi l’être par ses fidèles sur la terre. Et de même que le dessein éternel de Dieu a commencé au ciel, il doit de même se poursuivre sur notre terre. Rappelons-nous l’invocation première : « Notre Père qui es aux cieux » …
Cette demande « comme au ciel aussi sur la terre » nous révèle que la volonté de Dieu fait lien entre le céleste et le terrestre, entre le haut et le bas, entre le parfait et l’imparfait, entre l’invisible et le visible, entre le spirituel et le matériel.
Mais par dessus tout, cette requête qui monte vers Dieu, véhicule une grande bouffée d’espérance.
Souvenons-nous du ressenti des apôtres Pierre, Jacques et Jean sur la montagne de la transfiguration. Le ciel a visité la terre. Du coup Pierre a proposé de prolonger ce moment solennel : « Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Elie. Il ne savait ce qu’il disait » Luc 9 : 27-36
Conclusion :
Cette troisième requête adressée à Dieu complète les précédentes. L’unité, la progression et la cohérence de ces trois demandes sont exceptionnelles. Dieu qualifié de Père est remis à la première place. Cette intentionnalité de remettre les choses dans le bon ordre est gage de notre fidélité. Si notre monde a défiguré son image, déformé son dessein, caricaturé sa volonté, il est important de se repositionner dans l’amour et le respect de ce Père. Notre première démarche est avant tout de nous tourner vers Lui.
Ce premier tronçon de la prière s’apparente à un témoignage. Il proclame depuis cette terre qui est Dieu. Aucune mesure, aucune description, aucune correspondance avec l’éphémère et le passager, ne peuvent cerner la révélation du Père. Mais, comme il est connu dans le ciel, il devrait l’être sur la terre. Qu’on sache ici bas qui est Dieu : « Saint, saint, saint est l’Eternel ! »
Ce premier tronçon de la prière parle encore de règne ou de royaume. Dieu est roi des cieux. Alors, qu’il soit reconnu comme tel par ses enfants sur cette terre.
En dernier lieu, la troisième requête appelle la réalisation du grand dessein du Père. De même que cette volonté a triomphé dans le ciel, elle doit de même se finaliser sur cette belle planète bleue.
Si ces trois requêtes sont des demandes au Père, elles sont aussi acte de foi et d’engagement. Bien sûr, il s’agit de voir advenir la volonté de Dieu sur notre terre, mais en la désirant, nous disons en conséquence qu’elle s’applique aussi à chacun de nous.
Dans ce même grand discours sur la montagne, Matthieu rapporte un peu plus loin ces paroles de notre Seigneur et Sauveur :
« Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! n’entrerons pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » Matthieu 7 : 21
Ailleurs, l’apôtre Paul énonce :
« Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » Romains 12 : 2
L’apôtre Jean dit à son tour :
« Le monde passe, et sa convoitise aussi ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » 1 Jean 2 : 17
Appliquons-nous donc à donner à notre Père la priorité qui lui revient dans notre relation, et aspirons à accueillir au quotidien son bienveillant projet de Vie.
Jacques Eychenne