ou
l'introspection nécessaire
Marc 11: 12-26
Introduction :
Le Christ vient de faire son entrée triomphale à Jérusalem. Les espoirs les plus forts traversent les apôtres et la foule… Mais au beau milieu de cette liesse populaire un fait surprenant nous est rapporté. Il va servir d’amorce à un enseignement sur la prière. Regardons-le attentivement.
D’emblée, disons que nous sommes en présence d’un texte difficile à comprendre, voire dérangeant. En effet, prendre comme introduction au sujet de la prière, l’exemple d’un figuier maudit et séché jusqu’aux racines peut paraître surprenant. Ensuite dans les versions traditionnelles, on mentionne une foi sans doute, et on nous laisse croire que sans doute, on pourrait dire à une montagne de changer de place et cela s’accomplirait. Compte tenu du fait que personne n’a réalisé cette fantastique démarche, on peut en conclure que personne, en fait, n’a eu la vraie foi. Enfin, si on a tant de mal à voir clair en soi pour développer une telle foi, faut-il rajouter une condition supplémentaire en nous intimant le pardon du prochain.
Mais qui peut remplir ces conditions ? Le doute ne fait-il pas partie de nos vies quelque soit l’appréciation que l’on puisse formuler sur ce fait ?
N’entre-t-il pas dans nos raisonnements dès la genèse de l’histoire du monde ?
Et puis, si la prière du déplacement d’une montagne se produisait, ne serait-ce pas là le piège le plus fort qui flatterait notre ego ? Le piège de la toute-puissance ? (Il nous rappelle le problème du mal à son origine)
Les prétentions humaines ont-elles besoin d’être exacerbées ?
Mais d’autre part, le Christ nous demanderait-il l’impossible ? Nous proposerait-il ce que nous ne pourrions jamais atteindre ?
Toutes ces prières non exaucées, seraient-elles des chausse-trappes à la culpabilisation ? Un tel discours ne peut-il pas produire l’effet inverse à celui escompté ? Enfin, ne favoriserait-il pas un repli sur soi ? La non envie d’entreprendre ? L’acceptation du fatalisme ? Sommes-nous alors voués au dépit des déceptions ?
Développement :
Essayons de voir plus clair ensemble.
Partant du présupposé que rien dans le texte n’est écrit au hasard, pointons les faits qui introduisent cette réflexion sur la prière.
Rappelons que le chapitre 11 de Marcnous présente Jésus entrant triomphalement à Jérusalem, puis se rendant à Béthanie chez ses amis pour y dormir.
Le lendemain sur la route surplombant la vallée du Cédron et se dirigeant vers Jérusalem, Jésus exprime un besoin : il a faim. Il voit un figuier, ne trouve pas de fruit. Il prononce alors cette phrase : « Que personne jamais ne mange de ton fruit... »v.14
Il arrive au temple de Jérusalem et constate que le temple s’est transformé en marché. Il chasse tous les vendeurs et déclare : « Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations » v.17
Il retourne le soir à Béthanie et le lendemain, en revenant vers Jérusalem, les disciples constatent que le figuier maudit a séché jusqu’aux racines. Puis Pierre fait la remarque au maître, et c’est là que Jésus aborde dans sa réponse le sujet qui nous intéresse.
Comprenons que ce contexte met en lumière le fait que Jésus a eu faim. Il a exprimé un besoin élémentaire et vital. Hors, là où il pensait pouvoir se nourrir avec ce figuier, il ne trouve aucun fruit. Cet arbre avait une belle apparence, mais n’avait pas de fruit. En quoi tout cela nous intéresse !
Jésus en super pédagogue a préparé la compréhension du sujet qu’il allait aborder par une illustration vécue. A savoir :
Quand on parle de la prière, on exprime un besoin vital dans notre relation à Dieu.Intrinsèquement, le processus est identique à celui de la faim. C’est un des moyens privilégiés pour communiquer avec Dieu, en lui exprimant nos sentiments, nos besoins, nos demandes. C’est cette relation qui alimente et nourrit notre foi, au même titre que les aliments nourrissent notre corps. Encore faut-il ressentir ce besoin de relation avec l’auteur de la vie !
Dans ce cadre relationnel, il est indispensable d’être vrai. Le figuier avait l’apparence du vrai, il était sensé porté du fruit. Il symbolisait les responsables spirituels de l’époque. Ils avaient l’apparence de la foi, mais ils reniaient Celui qui en était l’auteur. (Cf. Matthieu 23 :14) Au-delà de ces chefs, le peuple et nous avec eux, sommes concernés. (Cf. 2 Timothée 3 :5)
Si l’arbre a séché en une seule nuit (ce qui naturellement est impossible en un délai si bref), c’est que Jésus veut nous faire comprendre, en forçant le trait, que la relation avec lui ou avec Dieu, ne peut se bâtir que sur le vrai et non sur les apparences. Ne parlera-t-il pas, en disant au verset 23 : « En vérité, je vous le dis.. » (Ne devrait-il pas d’ailleurs en être de même dans nos relations les uns avec les autres ?).
Le fait de chasser les vendeurs du temple souligne l’importance de ne pas mélanger les genres. Il y a place pour ce qui relève des besoins humains, mais ailleurs que dans le temple, lieu où les humains ont décidé d’honorer le Créateur. Le temple est lieu de prière, lieu d’un vivre ensemble, et non lieu de commerce ou scène de théâtre.
A y regarder de plus près, on aperçoit la finesse de la progression des situations pour converger vers cette déclaration essentielle : « Ayez foi en Dieu » v. 22
Ayez foi en Dieu. On peut traduire soit par l’impératif, soit par l’indicatif présent, les deux sont possibles, seul le contexte détermine le choix.
Petit problème de traduction : le nom de Dieu est au génitif, càd, l’un des cinq cas de déclinaison en grec. Or le génitif marque le syntagme nominal complément d’un nom. En bref et plus simplement, il répond à la question : de qui ? De quoi ? Quel ? On parle alors du génitif déterminatif, possessif, descriptif, de provenance, de contenu.
Pourquoi nous ennuyer avec cette grammaire grecque ? Tout simplement parce que c’est important de connaître la provenance de la foi et d’être au clair sur ce point crucial. Dans notre cas il s’agirait de la foi venant de Dieu. Le texte mettrait donc en évidence l’origine, la source : Dieu. Ce serait la foi de Dieu.
C’est certainement ce qui a fait traduire le doyen de la faculté de théologie protestante de Montpellier, Elian Cuvillier : « Vous avez la confiance de Dieu ».
L’idée est intéressante. Elle nous fait prendre conscience d’un déplacement, d’un passage de témoin : l’important serait ce qui vient de Dieu et non de nous.
Rappelons-nous : « La foi vient de ce que l’on entend et ce que l’on entend vient de la parole de Christ ». Romains 10 :17
Comme Christ est l’envoyé de Dieu, la foi effectivement est produite et alimentée par Dieu. Nous ne sommes que les receveurs ! Il est donc essentiel de bien intégrer le fait que la foi est avant tout don de Dieu. Elle fait partie des dons spirituels pour le bien commun (Même si dans ce cas il s’agit d’une foi spéciale pour un projet commun). (Cf. 1 Corinthiens 12 : 7-9) Rappelons que la foi est accueil de ce qui vient de Dieu. C’est la démarche de confiance par excellence. C’est elle qui crée le lien de filiation naturel et légitime à Dieu. (Cf. Jean 1 :9-13)
Rappelons pour mémoire les 3 composantes de la foi :
-1) Un élément intellectuel : Notre pensée capte un message. On enregistre avec ou sans compréhension. Ex. Abraham entend la voix (Cf. Hébreux 11 :8)
-2) Un élément sentimental : C’est l’adhésion du cœur, la confiance, l’amour.
Abraham part confiant sans savoir où il va (Cf. Hébreux 11 :8)
-3) Un élément volitif, càd, faisant appel à la volonté. C’est la volonté en action.
Abraham avance envers et contre tout.
Si nous devions résumer succinctement la foi par 3 verbes, nous dirions que la foi est la synthèse de : comprendre, aimer, agir. Cela passe par la tête, le cœur et les jambes.
Tout l’être est concerné. La foi est donc la combinaison et la contraction subtile et mystérieuse de ces 3 éléments essentiels. Il suffit qu’il en manque un, et c’est le déséquilibre spirituel. Il peut mener à tous les déséquilibres et extrêmes.
Mais revenons aux faits :
En quoi cela change la compréhension du texte ?
D’abord si l’accent est mis sur Dieu et non sur l’homme, ce n’est que vérité !
Il faut aussi se rappeler que le socle de la foi est la confiance. Elle est l’élément central sur lequel repose toute la solidité de notre relation à Dieu.
Ayez foi en Dieu signifierait plus justement : Nous appuyer sur la personne de Dieu (car c’est bien lui au départ qui nous honore de sa confiance). La foi serait la confiance en la confiance de Dieu pour nous. J’aime cette foi qui repose sur un Père aimant ! Cela donne du sens à la relation.
Nous venons d’éclaircir la première difficulté du texte. Voyons la suite.
Abordons maintenant celle du doute auverset 23. Mais d’abord, s’agit-il bien du doute tel que nous le comprenons habituellement ? Si tel était le cas, nous nous trouverions devant un sérieux écueil à la relation à Dieu et au prochain. Pourquoi ?
Parce que le doute fait partie de notre nature humaine. Jésus nous proposerait-il quelque chose d’impossible ? D’irréalisable ? Comment résoudre cette sérieuse difficulté ?
Alors, que dit le texte : « S’il ne doute point en son cœur » Version Segond 1975 ou T.O.B. (Observons que les versions modernes préfèrent le verbehésiter à celui de douter) Mais qu’exprime Le verbe grec διaκρινω.C’est un verbe composé d’une préposition διa (exprime un mouvement à travers…) et d’un verbe κρινω (séparer, distinguer, juger, estimer, peser, en justice : condamner)
L’idée première serait donc bien de séparer, par la suite de distinguer, de discerner, par extension d’examiner pour décider.
Pour faire simple, le sens principal de ce verbe serait d’écarter ce qui est embrouillé pour voir clair. (Comme dans un sac de nœuds !)
L’intention serait moins de mettre l’accent sur le doute, que d’avoir la volonté d’examiner et de trier les difficultés de non confiance en Dieu, dans nos cœurs.
Autrement dit, ce serait faire le point avec et en soi. Ce serait clarifier son positionnement dans sa relation à Dieu.
En fait, ce texte pose la question fondamentale en relation de la confiance. Du coup, à notre tour, posons-nous la question : Sommes-nous au clair avec nous-mêmes et avec Dieu ? Si nous faisons le point sur la duplicité récurrente qui nous habite, alors quelque chose de vrai et de fort peut se vivre avec Dieu.
La préposition (διa) vient ajouter un plus dans la compréhension de l’intention de l’auteur. Elle souligne qu’il s’agit moins de pointer les difficultés du cœur humain (doutes, écartèlements, divisions, tiraillements...) que d’en chercher la cause.
Du coup cela éclaire le repère de la confiance (élément central de la foi). Il est posé en préambule à toute relation féconde avec Dieu.
En résumé Dieu veut investir par amour dans nos cœurs. Mais, pour accueillir ce qu’il veut déposer en nous, il nous faut avoir défait nos sacs de nœuds. (Cf. 1 Corinthiens 13 : 2)
Ainsi, pour celui ou celle qui aura un regard introspectif, ce sera non : « il le verra s’accomplir » mais plus exactement et plus littéralement dans le texte : « pour lui, ce sera » v. 23
Autrement dit, ce sera selon la motivation de son cœur et de sa volonté à débrouiller les obstacles à la réception de tout ce qui va alimenter sa foi. Nous sommes loin de tout schéma culpabilisant par rapport au doute humain !
Ainsi le v.24 est à entendre avec ce regard. Le « tout ce que vous demanderez » est en correspondance avec le tri préalablement opéré en nous, afin que rien ne vienne perturber le bon fonctionnement de notre relation à Dieu.
Sinon ce « tout » est équivoque, car comme l’enfant, reconnaissons que nous demandons tout, et son contraire, assez facilement. Ce serait trahir le texte que de croire que Dieu va donner suite à tous nos caprices d’enfant ! Ne serait-ce point la porte ouverte au n’importe quoi ! Où serait alors le projet pédagogique de Dieu ?
En nous centrant sur ce qui vient de Dieu, notre père, et après avoir fait le point en nous, nous sommes mieux à même d’accueillir ce qui va alimenter notre foi : la certitude d’être aimé sans l’avoir mérité. (Cf. 1 Jean 4 :19 ; Romains 5 :1-8)
Alors pour nous, ce sera moins : « vous le verrez s’accomplir » que la reprise du verset 23, mais au pluriel cette fois : Littéralement « Pour vous, ce sera »v.24
Qu’il en soit ainsi pour vous, semble dire le Christ à ses disciples, et à travers eux à chacun de nous.
La suite devient limpide. Si nous sommes au clair dans notre relation à Dieu, nous devons l’être tout autant dans notre rapport à l’autre, mon frère. On retrouve là, les 2 volets des 10 paroles données solennellement au Sinaï. On rejoint du même coup cette autre parole du Christ :
« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements sont suspendus toute la loi et les prophètes ». Matthieu 22 :37-40
Alors, si nous sommes en prière et que l’on se souvienne que l’on a quelque chose contre quelqu’un, il vaut mieux arrêter de prier et aller trouver cette personne (si elle veut bien nous recevoir bien entendu !). Faire tout ce qui dépend de nous pour être en paix avec son prochain ! Voilà l’objectif.
Certes dans quantité de situations, ce n’est pas chose aisée, mais il convient de cultiver le jardin de l’empathie, car nous sommes tous égaux devant la misère humaine.
Conclusion :
Une transcription libre m’amène à vous proposer le texte suivant :
« En réponse Jésus leur dit : Ayez confiance dans la confiance que Dieu dépose en vous. En vérité, je vous dis, si quelqu’un dit à cette montagne : Soulève-toi et jette-toi dans la mer, et s’il a le vouloir de démêler le sac de nœuds dans son cœur, ce sera comme il l’aura voulu. C’est pourquoi je vous dis : Tout ce que vous demandez et réclamez, prenez le de vos mains, saisissez le, et ce sera pour vous. Et quand vous êtes debout adressant votre demande, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, allez le trouver, laisser tomber le contentieux et redonner lui un espace de liberté comme Dieu vous l’a accordé et il fera de même pour vous, il ne tiendra plus compte de vos échecs. Sinon, Dieu appliquera pour vous la même démarche que vous aurez appliquée à votre prochain ». v. 22-26
Ainsi, tout a donc bien sa place dans ce récit :
Le contexte parle de relation vraie et dénonce indirectement les hypocrisies des apparences. Dans une relation saine, il faut parfois faire le vide pour chasser ce qui fait obstacle. Jésus l’a illustré en chassant les vendeurs du temple !
L’accent est mis sur la valorisation d’une démarche de confiance. Sans elle, nous pouvons nous dessécher comme le figuier. Cette confiance, vraie socle de la relation, invite à vérifier sur qui elle repose : l’homme ? Ou Dieu ?
Si notre foi est en Dieu, si elle est centrée sur lui, ce dernier opérera des déplacements, (aussi spectaculaires que le déplacement d’une montagne dans la mer) pour nous aider à démêler nos états d’âme ; tout ce qui bloque une marche heureuse...
Alors, nous découvrirons nos vrais besoins, aurons de vraies demandes, avec de vrais sentiments.
Jacques Eychenne