Jésus et la politique

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Jésus et la politique

       Luc 20 : 25

 Matthieu 7 : 24-27

Introduction :

 

En tant que citoyen, mais aussi en tant que chrétien, il est normal de participer à l’ avenir de son pays. Notre devoir est d’assumer un choix politique, même si les vérités spirituelles enseignées par Jésus de Nazareth nous recommandent d’être prudents (cf. Matthieu 10 : 16). Mais, autant que faire se peut, il convient de se déterminer pour mettre à la tête de son pays des hommes ou des femmes de confiance, les plus proches de nos convictions spirituelles. Certes, ce n’est pas facile, car le décalage entre promesses et réalités est toujours prégnant.  De plus, le Seigneur a annoncé une détérioration de la moralité des personnes vivant à la fin des temps (cf. Matthieu 24 : 37-39 ; 2 Timothée 3 : 1-5). La perte des valeurs morales est une marque décadente de notre société contemporaine. Sous prétexte d’une aspiration à une plus grande liberté, notre société a délité ses valeurs. Dès lors, comment se positionner et quelle attitude adopter ?  Est-ce que l’histoire biblique peut nous éclairer ? comment cela se vivait du temps du Christ ?

A l’aune de notre siècle, la situation des citoyens n’avait rien d’enviable. L’Empire romain avait envahi la Palestine et le préfet Pilate était l’homme le plus puissant de la Judée. Rappelons que sous le  règne  des deux premiers empereurs romains, Auguste (63 av.J.C-14 après) et Tibère (14 à 37), le préfet était dépêché par Rome pour administrer publiquement la région sur les plans militaires et judiciaires. Sa juridiction comprenait géographiquement la Judée, la Samarie et l’Idumée palestinienne. On a dit que Pilate était un homme versatile. Les historiens le dépeignent dur, cruel, entièrement dévoué à l’autorité impériale, désirant être bien vu de l’empereur (sa femme Claudia Procura était vraisemblablement une petite-fille de l’empereur Auguste et une parente de l’empereur Tibère son successeur). Surtout, il était méprisant à l’ égard des juifs et avait fait de Caïphe son obligé. Pilate disposait d’environ trois mille hommes, dont six cents résidaient à Jérusalem dans la forteresse Antonia. « Plutôt qu’un tyran sanguinaire, il faut voir en lui un psychorigide, fort devant les faibles, faible devant les forts » (1). Comment le Christ s’est-il positionné dans ce contexte ?

 

Sa limpide réplique à propos de l’impôt est éclairante sur le sujet : « rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »  Luc 20 : 25. Autrement dit,  Jésus de Nazareth a établi tout au long de son ministère une nette démarcation entre le politique et le spirituel. Bien que les fidèles du Christ aient été sous domination romaine, le Seigneur n’a jamais fomenté une insurrection ou préparé une révolte. A aucun moment, on le voit préparer ses troupes pour renverser l’occupant et prendre le pouvoir. Il a simplement assigné à ceux qui voulaient le suivre une priorité cardinale. Elle relevait d’un registre éminemment spirituel. En quoi cela peut nous instruire, nous qui vivons avec le cycle récurrent des élections des responsables de notre pays ?

 

Développement :

 

Il est bon de se rappeler que Jésus de Nazareth a aussi été confronté aux pouvoirs religieux et politiques. Il n’a pas vécu en dehors de son temps. Il a agi en réponse à des abus de pouvoir. Il a osé dénoncer les mensonges et les hypocrisies des dirigeants (cf. Matthieu 23). Par exemple, dans les derniers mois de sa vie terrestre, il a fait face aux responsables de son peuple. Souvenons-nous que le Sanhédrin, en complicité avec Pilate, avait accusé le Christ de mener des actions séditieuses : « nous avons trouvé cet homme excitant notre nation à la révolte, empêchant de payer le tribut à César, et se disant lui-même Christ, roi. » Luc 23 : 2. Comme nous le constatons, le chef d’accusation est d’apparence éminemment politique, mais il n’a pas convaincu le prudent Pilate : « dès ce moment, Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs criaient: si tu le relâches, tu n'es pas ami de César. Quiconque se fait roi se déclare contre César. » Jean 19 : 12 (César, titre que l’on donnait aux empereurs). Prenant le prétexte que le Seigneur avait parlé de son propre royaume, les Juifs responsables de Jérusalem ont fait pression sur Pilate pour qu’il soit condamné. Or, le Christ avait été très clair face à Pilate : « mon royaume n'est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne sois pas livré aux Juifs; mais maintenant mon royaume n'est point d'ici-bas. »  Jean 18 : 36. Est-ce à dire que le Seigneur s’est désintéressé des questions de la vie sociale de la cité ? Absolument pas. Sa pratique du bien envers tous en est la meilleure démonstration.  Pourtant, si Jésus de Nazareth a établi une nette démarcation entre le politique et le spirituel, il a aussi composé pour orienter les esprits vers d’autres préoccupations plus essentielles. Sa « politique » avait une autre finalité. Qu’est-ce qui nous permet de l’affirmer ? Son choix dans le recrutement des apôtres.

Les biographies récentes de Jésus de Nazareth sur le plan historique font remarquer à juste titre, que plusieurs apôtres avaient des engagements politiques forts. Simon, appelé le zélote (cf. Luc 6 : 15) faisait partie de la frange politique la plus radicale de la société juive. Il appartenait à un courant nationaliste extrémiste qui militait pour une action violente afin de chasser l’occupant. Il en était de même de Judas Iscariote très certainement.  Des experts en langues sémitiques mettent en exergue ce surnom d’Iskariot. Il serait la transcription grecque du mot latin sicarius. Or, on sait que les sicaires étaient des gens extrémistes violents, des terroristes avant l’heure, farouches partisans d’un nationalisme juif sans concessions (Ils s’organiseront entre les années 54-60, sous les procurateurs Félix et Festus (2). Et que dire de Matthieu, le collecteur d’impôts à la solde romaine, véritable collaborateur du pouvoir impérial. Les choix du Christ peuvent paraître surprenants, ils sont le reflet des différentes facettes de la société de l’époque. Le Seigneur a choisi des personnes fortes, différentes, bien ancrés dans la réalité politique de leur temps pour les faire évoluer vers un concept plus transcendant. Une sorte de nouvelle politique plus élevée, plus spirituelle, appelée à dépasser les aléas, les ambiguïtés, les mensonges, les abus de pouvoir d’une politique tout humaine. Son objectif : unir et rassembler autour d’un projet spirituel afin de transcender le temporel : « ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’ 'eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. »  Jean 17 : 20-21. Au travers du choix de ses disciples, Jésus a eu la sainte ambition de transformer les éléments disparates de la société en un collège apostolique uni vers un même programme, vers une même destinée à vision éternelle.

Mais, comment expliquer son acceptation de la domination romaine provocatrice et violente ?  La position de Jésus sur la politique est en harmonie avec la toute-puissance et l’omniscience de Dieu. Elle se résume ainsi : rien, ni personne ne peut se soustraire au fait que Dieu a la maîtrise générale de l’histoire  « Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ; il a tous les cœurs en sa main ; tantôt il retient les passions, tantôt il leur lâche la bride, et par là remue tout le genre humain (…) C’est ainsi que Dieu règne sur tous les peuples. » Bossuet, discours sur l’histoire universelle

Même si la formulation de Bossuet peut être amendée, disons qu’elle aborde un aspect concret. Ce dernier concerne le plan général du cours de l’histoire humaine. Dans la bénédiction rituelle du Qaddish, le Notre Père juif, il est dit : « que soit glorifié son Nom…Qu’il fasse régner son règne pendant votre vie, dans vos jours et du vivant de toute la maison d’Israël, que ce soit bientôt et en un temps proche. »(3). (cf. La notion du royaume de Dieu ou du règne de Dieu a un triple sens dans les Evangiles : il est à l’intérieur de chacun de nous, Luc 17 : 20-21, il est proche, Marc 1 : 15 et il est aussi à venir, Matthieu 6 : 33 ; 7 : 21 ; 13 : 11 ; Luc 22 : 18. Pour résumer il y a : a) il est là ; b) il est proche c) il doit venir. Il y a un balancement entre le déjà et le pas encore). L’ayant foi en Dieu à l’intime conviction que les agitations des humains si louables soient-elles en politique ne peuvent échapper à la réalité que Dieu aura le dernier mot. C’est cette vérité qui inspire confiance. Elle nous permet de positiver toutes les situations, même les plus dramatiques.

Ce point fondamental est à prendre en considération. Quelles conséquences observons-nous dans l’histoire biblique ? Quand le peuple d’Israël est amené en captivité à Babylone, quel message surprenant délivre le prophète Jérémie : « recherchez le bien de la ville où je vous ai menés en captivité, et priez l'Éternel en sa faveur, parce que votre bonheur dépend du sien. »  Jérémie 29 : 7. Autrement dit, si Dieu permet qu’il en soit ainsi pour son peuple, il importe de lui faire confiance dans toutes les circonstances. Et surtout, d’essayer de comprendre le pourquoi d’une telle situation dramatique. Le principe demeure pérenne pour notre époque, même si dans certaines parties du monde notre incompréhension demeure. Il faut aussi accepter de ne pas pouvoir tout expliquer…

L’apôtre Paul confirmera cette démarche surprenante et dérangeante : « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C'est pourquoi celui qui s'oppose à l'autorité résiste à l'ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. »  Romains  13 : 1-2.

Quand on promène son regard sur la situation politique de notre monde, on serait tenté d’être révoltés par de tels propos. Mais si on prend le temps d’une saine réflexion, on s’aperçoit que cette position offre plus d’avantages que d’inconvénients. Elle sous-tend deux grands principes.

En effet, deux grands principes ont été à l’origine de la conduite des serviteurs de Dieu à travers tous les temps. Si Dieu peut à chaque instant les activer pour infléchir le cours de l’histoire des hommes ; si sa finalité est de donner à chacun de ses fidèles «  un avenir et de l’espérance » Jérémie 29 : 13. Alors, Le maître mot qui s’impose se nomme : la confiance. C’est là le premier et incontournable principe. Le deuxième est de substituer au pouvoir de la force, celui de l’amour. C’est ce que Jésus a démontré devant Pilate quand ce dernier, très imbu de lui-même, le questionne du haut de son pouvoir politique. La réponse du Seigneur vaut son pesant d’or : « Pilate lui dit: Est-ce à moi que tu ne parles pas ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te crucifier, et que j'ai le pouvoir de te relâcher ? Jésus répondit: Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été donné d'en haut. C'est pourquoi celui qui me livre à toi commet un plus grand péché. » Jean 19 : 10-11.

Bien sûr, l’histoire nous apprend que l’Eglise chrétienne a été confrontée à la barbarie des dictateurs romains. Mais, par la grâce de Dieu, elle a conservé et pratiqué ces deux principes. Ils ont soutenu la posture chrétienne, tant à Rome, que dans l’empire. C’est dans ce contexte que l’apôtre Paul a recommandé à son disciple Timothée de faire passer la consigne dans les communautés traversées. « J'exhorte donc, avant toutes choses, à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. »   1 Timothée  2 : 1-2.

En analysant l’histoire chrétienne, on retrouve bien, tant au sein du collège apostolique que par la suite dans les communautés naissantes, cette attitude digne et cohérente. les implications des disciples du Christ dans les prises de positions politiques étaient transcendées par une autre visée spirituelle. C’est la raison pour laquelle tous les grands héros de la foi se sont positionnés dans l’attente heureuse et active d’une cité « qui a de solides fondements, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur… C'est dans la foi qu'ils sont tous morts, sans avoir obtenu les choses promises; mais ils les ont vues et saluées de loin, reconnaissant qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent qu’ils cherchent une patrie. S’ils avaient eu en vue celle d'où ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d'y retourner. Mais maintenant ils en désirent une meilleure, c'est-à-dire une céleste. C'est pourquoi Dieu n'a pas honte d'être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité. »  Hébreux  11 : 10, 13-16. Ainsi, les enseignements de Jésus de Nazareth ont été respectés, même dans les situations les plus tragiques des persécutions.

Que faut-il en penser de nos jours ? En faisant un effort d’actualisation, on peut dire que nous devons maintenir cette nette démarcation entre notre implication politique et notre spiritualité personnelle. Certes, nous devons nous impliquer dans le paysage politique, mais avec prudence en tenant compte de tous les conseils donnés par le Christ et ses apôtres. Notre priorité est moins d’être préoccupés par des élections de dirigeants que par notre propre élection. Elle est adhérence au grand projet divin, annoncé par le Christ, son envoyé.

Nous ne sommes qu’en transit vers un autre royaume où toutes les questions de justice, de paix, de liberté ne se poseront plus. Notre soif d’absolu sur le plan spirituel devrait relativiser considérablement notre implication dans l’ici et le maintenant. La recommandation de l’apôtre Pierre est significative à ce sujet : « C'est pourquoi, frères, appliquez-vous d'autant plus à affermir votre vocation et votre élection; car, en faisant cela, vous ne broncherez jamais. »  2 Pierre 1 : 10.

Précisons que si nous donnons la priorité  aux valeurs spirituelles, ce n’est pas pour esquiver notre implication dans la cité. Bien au contraire… Seulement, il y a un espace sidéral entre les propositions humaines et celles qui émanent de Dieu par Jésus-Christ. La vraie question est la suivante : Est-ce les structures de la société qu’il faut changer ou le cœur de l’homme ? L’utopie est de croire qu’en réformant les structures de la société l’homme va changer. L’histoire démontre l’incapacité des gouvernants à gérer intelligemment les ressources de notre belle planète. Notre réalisme est d’accepter de faire partie d’un monde imparfait. Certes, il existe des hommes de bonne volonté, mais afin de ne pas être déçus, il vaut mieux porter notre confiance sur le projet de Dieu.

 

Conclusion :

 

Citoyens au cœur de nos cités, il est bon de réaffirmer qu’avant tout, nous sommes chrétiens. S’il est utile de choisir les responsables les plus en conformité avec les principes et les valeurs du christianisme, il est encore plus vital de se préoccuper de sa propre élection spirituelle. Si l’apôtre Paul nous conseille de prier pour nos dirigeants, il est cohérent d’aller voter pour soutenir ceux qui prônent des valeurs chrétiennes. Toutefois, nous ne sommes pas naïfs au point de croire aux solutions-miracles. Le prophète Esaïe, dénonçant la mauvaise alliance politique de son peuple avec la puissance dominante de l’Egypte a écrit : « car ainsi a parlé le Seigneur, l'Éternel, le Saint d'Israël: c'est dans la tranquillité et le repos que sera votre salut, c'est dans le calme et la confiance que sera votre force. Mais vous ne l'avez pas voulu ! »  Esaïe 30 : 15.

Certes, notre responsabilité s’impose au sein de la cité, et nous devons transformer notre liberté en engagement, mais sans oublier le conseil du Christ.  Il nous recommande qu’en toutes situations  nous apprenions à construire sur le roc  de son enseignement et non sur le sable mouvant des bonnes volontés bien humaines (cf. Matthieu 7 : 24-27). Sa prière est lumineuse :

« Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du malin. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Sanctifie-les par ta vérité: ta parole est la vérité. » Jean 17 : 15-17 .

 

                                                                                    Jacques Eychenne

 

  1.  Jésus de Jean-Christian Petitfils, éd. Fayard, 2011, p. 335
  2.  Jésus de Jean-Christian Petitfils, éd. Fayard,  2011, p. 348
  3.  Jésus et l’histoire de Charles Perrot, éd. Desclée, 1979, p. 228

 

                                                                 

 

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