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Introduction :
Il y a bien des années, en tant qu’étudiant en théologie, j’ai été interpellé par un ouvrage de François Varone. Il s’intitulait : « ce Dieu absent qui fait problème » (1). Ce directeur du séminaire diocésain de Sion, à Fribourg, posait admirablement bien le dilemme entre athéisme et foi.
Deux citations étaient en préface. Elles traduisaient bien le positionnement de l’humain dans un contexte de modernité.
« Il est très difficile de croire en un Dieu qui aurait pu empêcher Auschwitz et qui l’a permis. Auschwitz et d’innombrables autres horreurs ! L’existence d’un Dieu omniscient, omnipotent, et qui ferait de l’amour son principe essentiel, est contredite par toute l’histoire de l’humanité » Arthur Koestler.
« Car enfin - et même si vous êtes adulte - pour qui dormir, si Dieu n’existe pas, et pour qui vous réveiller ? » Françoise Sagan.
Le temps n’obère pas le questionnement sur Dieu. Il impacte aussi les croyants. Ainsi s’insinue le doute. Mais le doute a deux visages, comme ceux de Janus, dans la mythologie romaine, un tourné vers le passé et l’autre vers l’avenir (il est à l’origine du mot de Janvier). Le doute peut être ouvert ou fermé. Il peut favoriser le questionnement et les interrogations, ou alors, il peut être recherché pour renforcer une conviction déjà établie. Ces deux types de doute se retrouvent dans les Saintes Ecritures à propos de l’action de Dieu lui-même, ou soit par son Fils, ou son Saint-Esprit. En bref, comme nous l’avons déjà vu dernièrement, il y a le doute qui favorise l’éclosion de la foi et celui qui l’en écarte radicalement.
Dès lors, assumer un parcours de foi, dans le contexte d’un monde en pleine effervescence n’est guère confortable. Il n’est pas facile d’être un croyant serein au milieu d’une génération sécularisée et ignorante des conseils de Dieu.
Et même, parmi les croyants, certains trouvent que les détériorations physiques et morales du monde ont assez duré... On laisse entendre que le spectacle traîne en longueur... Il serait temps que Dieu mette de l’ordre et installe son royaume !
Comme jadis les habitants de Jérusalem, nous voudrions que ce royaume se mette en place ici et maintenant, sur-le-champ. (cf. Luc 19 : 11).
C’est tout juste si on ne dit pas que le royaume de Dieu prend du retard, un peu, comme la construction de notre fameux EPR de Flamanville…
Devant l’accusation récurrente des non-croyants : « mais que fait votre Dieu devant tout ce bazar, cette misère, cette souffrance ! », les fidèles sont embarrassés... Ils ne comprennent pas pourquoi, Dieu, volontairement, laisse pousser ensemble l’ivraie et le bon grain ! (cf. Matthieu 13 : 24-30). Et quand quelques prétendument chrétiens se font spécialistes de l’arrachage de cette ivraie, les non-croyants refusent de croire à ce Dieu injuste et intolérant. L’obscurantisme a toujours desservi la cause de Dieu ! (cf. Le film : les éblouis). Les théologiens emboîtent le pas et parlent du langage abscons de Dieu (c’est-à-dire difficile à comprendre).
Pourquoi donc, Dieu semble si absent d’un monde en perdition ?
Pourquoi tarde-t-il à venir établir son royaume ?
Développement :
Disons d’emblée que la situation n’est guère nouvelle. Déjà au temps des premières communautés chrétiennes la question était posée. Essayons de comprendre les motivations qui ont conduit l’apôtre Pierre à clarifier le sujet : (cf. Lire : 2 Pierre 3 : 4-9). Pierre connaît bien le récurrent malaise spirituel des croyants, il le perçoit suffisamment profond pour y répondre clairement. Pourtant, il n’a aucune accusation à l’encontre des fidèles... Ce retard dans la réalisation des promesses divines ne leur est pas imputable. C’est déjà un premier aspect intéressant.
Mais Pierre n’esquive pas la difficulté, il met le doigt là où cela fait mal. Pour lui le problème réside dans la méconnaissance du plan de Dieu. L’ignorance est souvent en lien avec l’absence et réciproquement l’absence peut favoriser l’ignorance.
Que dit l’apôtre : « ils veulent ignorer... » La note de Scofield dit : litt.
« C’est caché pour ceux qui le veulent... » Sous-entendu : « ceux qui volontairement ne veulent pas savoir ». C’est donc bien un refus de connaissance qui bloque la compréhension des choses de Dieu ! Il y a peut-être aussi, dans les propos de Pierre, une provocation salutaire. N’est-ce pas une invitation solennelle à transiter d’une religion de traditions à une spiritualité de convictions (cf. Romains 4 : 21 ; 14 : 5,23 ; dans l’original le mot conviction est en rapport avec la foi). Si la foi se fait ronger de l’intérieur, c’est de l’intérieur par l’expérience et en toute liberté qu’elle doit s’affirmer. En fait, ce texte traduit plusieurs perceptions, celles-là mêmes que nous retrouvons de nos jours.
- Première perception : verset 4 : « où est la promesse de son avènement ? »
Face à l’usure du temps, les promesses du Seigneur ont toujours été malmenées. Cela fait maintenant plus de deux mille ans que les promesses ont été faites ; deux mille ans que le Christ est mort et ressuscité et toujours pas de royaume de Dieu à l’horizon... Que dans ces conditions, certains chrétiens soient sceptiques n’a rien de surprenant. Il faut bien reconnaître que cela commence à faire long… Du coup, le doute s’installe. La confiance n’est plus au rendez-vous. La foi s’étiole, s’atrophie et se meurt lentement (cf. Luc 18 : 8) Conclusion de cette perception : le scepticisme.
- Deuxième perception : Verset 9 « le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de sa promesse comme quelques-uns le croient... ».
Si l’apôtre réagit avec vigueur, c’est bien parce que le danger était bien présent (et pourtant la plupart des chrétiens attendaient l’imminence de l’installation du royaume de Dieu de leur vivant ! cf. 1 Thessaloniciens 4 : 15,17). L’accusation de retard, pointée par l’apôtre est à peine voilée : elle concerne pourtant une promesse de Dieu. Quand la foi perd de sa force, elle commence par se nourrir d’excuses. On a besoin de justifier son comportement. Alors, on dénonce, on accuse. Bref ! On se déresponsabilise. Dans l’évangile de Matthieu, quand le serviteur de la parabole parle de retard, (cf. Matthieu 24 : 48), c’est que la confiance a disparu.
A quoi bon être fidèle à un maître qui ne tient pas sa parole et ne revient pas !
Aujourd’hui, il en est de même, devant l’apparente absence de Dieu, certains chrétiens démissionnent. Leur scepticisme franchit un autre palier : l’abandon de la foi. Ou encore, on s’en tient aux formes de la religion par convenance, mais le cœur n’est plus parti prenant du projet de Dieu. Conclusion de cette perception : l’abandon de la foi.
- Troisième perception : verset 4 « depuis que les pères sont morts, tout demeure comme dès le commencement de la création ».
Autrement dit rien n’a changé ! Que dit de nos jours le citoyen lambda: « arrêtons de parler de Dieu, cela ne sert à rien. Le constat est criant : rien n’a changé. Votre Dieu n’est qu’un mirage, une tentative d’explication métaphysique à notre monde. L’histoire objective confirme : il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Alors, penser que Dieu va venir installer son royaume, ce n’est pas sérieux, c’est même risible ! Et vous savez pourquoi il tarde votre Dieu ? Tout simplement parce qu’il n’existe pas. Il n’est donc pas prêt de revenir ! »
A force de se trouver des raisons pour ne pas croire, on rejette toute forme de spiritualité. Conclusion de cette perception : l’athéisme ou la négation de Dieu.
Nous venons de pointer du doigt facilement les différents types de comportement face à l’avènement annoncé, mais reconnaissons que tous les chrétiens sont devant une difficulté sérieuse. Car, si le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de sa promesse, comment dès lors expliquer cet apparent retard dans son programme ? Du coup, quels types de réponses pouvons-nous proposer ?
Nous trouvons des éléments de réponse dans plusieurs paraboles et passages concernant la fin des temps.
(Lire : Matthieu 24 : 45-51 ; 25 : 1-13 et 14-30 ; Luc 12 : 35-48, 19 : 12-27.)
Il en est du royaume des cieux « comme d’un homme qui, partant en voyage, appelle ses serviteurs et leur confie ses biens » Matthieu 25 : 14.
La réalité objective est que Dieu nous a confié une responsabilité, et puis s’en est allé en promettant toutefois de revenir.
Le maître est parti, et l’on sait que les voyages dans les temps anciens étaient longs, incertains et périlleux. Le maître est donc parti pour longtemps...
Le mauvais serviteur, très vite, va utiliser ce retard comme un prétexte pour s’affranchir et faire ce qui lui plaît. En ayant une telle perception des sentiments de son maître à son égard, il est facile de comprendre qu’il se place en rupture de relation et de responsabilité.
Ce qui caractérise au contraire le bon serviteur, ce sont ses sentiments profonds pour son maître. Il ne prête, à son apparent retard, aucune mauvaise pensée.
Son absence ne pose pas problème…, lui demeure vigilant dans sa tâche et confiant dans le retour de son maître. Il croit en sa parole. Il ne peut, par respect et amour, à aucun moment la suspecter. Ce qui me semble significatif dans cette parabole, est la totale liberté que le maître accorde à son serviteur une fois l’objectif clairement défini. Il est totalement libre de gérer l’intendance de ses biens. Il est livré à lui-même et peut s’organiser comme il le veut.
C’est dans cette symbolique qu’il faut comprendre que nous sommes totalement responsables de la gestion de notre vie. Pour le bon serviteur, certes le maître est absent, mais il ne l’est pas dans son cœur. Il agit comme s’il était présent. Pour lui son maître est proche, l’amour qu’il lui porte gomme la réalité de la distance et du temps.
Quand l’amour est réellement présent, l’absence n’est jamais un prétexte à l’infidélité.
Un élément de réponse : notre positionnement dans l’attente est révélateur de nos vrais sentiments à l’égard du Maître.
Mais me direz-vous, le plus important reste l’absence du maître ! Comme elle est intentionnelle, il faut découvrir son secret. Il nous faut donc aller au-delà des apparences et c’est là que cela devient passionnant…
A examiner les textes de plus près, avec la réflexion et l’aide de l’esprit Saint, on entrevoit une pédagogie superbe. Elle fait de cette absence un passage obligé, une nécessité pour notre devenir.
Le maître se veut absent pour que naisse et grandisse en nous la foi en sa parole. Pour que nous réalisions l’importance du manque de sa présence. Alors peut s’éveiller en nous le désir pressent de son retour. Son absence fait office de révélateur de la profondeur de nos sentiments. Ou nous l’accusons, le nions, le dénions, ou nous lui faisons complètement confiance connaissant la finalité de ses intentions : « entre dans la joie de ton maître » Matthieu 25 : 21.
Autrement dit, la pédagogie du manque révèle la qualité de notre désir d’entrer dans cette joie, dans sa joie.
En fait, s’il y a apparente absence de Dieu dans le monde, ce n’est pas parce que Dieu n’existe pas (position athée), ni parce qu’Il est dépassé et impuissant devant la situation (position des sceptiques), ni même parce qu’Il considère qu’on ne le mérite pas (position de la religion), c’est tout simplement parce qu’Il a fait ce choix important pour de très bonnes raisons. A nous de les découvrir ! Faisons-lui confiance, il a fixé un terme à l’histoire de notre monde.
Dieu est donc apparemment absent afin que prenne forme en nous ce choix, ô combien déterminant, de la confiance en une parole. Elle engage notre vie présente et à venir.
Cette longue attente à travers les siècles, loin d’être négative, dérangeante, voire provocatrice, est bénéfique et salutaire pour chacun.
Le paradoxe nous amène à comprendre que ce n’est pas nous qui attendons le plus son retour... C’est aussi Dieu qui attend que nous le recherchions avec empressement.
Dans la plupart des versions, dans le passage de 2 Pierre 3 : 12, on laisse entendre qu’il appartient à chaque croyant « d’attendre et de hâter le jour de Dieu ». Or le verbe traduit par hâter (σπευδω) est utilisé à la forme pronominale (partout ailleurs) dans les Saintes Ecritures. (cf. Luc 2 : 16, 19 : 5-6 ; Actes 20 : 16 ; 22 : 18...). Il est donc plus question de se hâter, de rechercher avec empressement. Le dictionnaire Labor et Fidès traduit par : avoir du zèle pour, prendre au sérieux. (Quelle prétention tout humaine que de croire pouvoir amender, ou infléchir, ou modifier dans le temps, le projet de Dieu, décidé avant la création du monde ! cf. 2 Timothée 1 : 9 ; Hébreux 4 : 3c ; Ephésiens 3 : 9).
Dieu, dans l’absence, invite chacun et chacune à vivre dans le besoin de sa joyeuse rencontre et de continuer à cultiver ce désir jusqu’à son retour. C’est quand l’être aimé nous manque que nous réalisons le mieux le bonheur qu’il nous apporte ! Toutefois Dieu est loin d’être silencieux et inactif. C’est nous qui n’entendons pas et ne voyons pas son action. C’est bien nous qui ne le reconnaissons pas… l’exemple de Marthe soutient cette affirmation. Marthe n’a pas pu s’empêcher de faire à Jésus la remarque : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ... » Jean 11 : 21. En d’autres mots, c’est l’absence de Jésus qui est pour Marthe la cause du décès de son frère ! Le reproche est à peine voilé, mais pour Marthe, il y a méprise. Elle est due à son ignorance, car c’est précisément ce que Jésus a décidé de faire : être absent ! Quand il a appris que Lazare était malade, Jésus a pris son temps pour venir... (cf. v. 6). Pourquoi ? Pour attirer l’attention de Marthe, de Marie, et après eux, de tous les croyants, non sur la mort en elle-même, mais sur la puissance du Christ sur la mort, (gage de notre propre résurrection). Attirer l’attention sur la victoire de la mort plus que sur la mort elle-même. « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, même s’il meurt » v. 25.
En réalité, cette absence voulue traduisait la profondeur de son amour pour Marthe et Marie, alors même qu’elles percevaient son contraire… Mais cela n’était pas évident pour elles.
Il en est de même pour nous. Nous devons assumer le temps de l’absence de la réalisation de sa promesse, confiants et sereins. Le temps de Dieu n’est pas le nôtre ! Il en est de même dans la parabole des 10 vierges (cf. Matthieu 25 : 1-13 ). Le temps de l’absence est là pour révéler la qualité de notre vigilance. Elle-même, traduit la profondeur de notre foi et de notre amour pour Dieu.
Jésus a dit à Thomas : « heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru » Jean 20 : 29 La foi, dans la permanence de son retour, a cette vertu de nous maintenir éveillé et responsable. A la limite qu’importe le « Quand il reviendra ? », si pour nous le royaume de Dieu commence maintenant, et malgré les difficultés. Jésus a dit : « le royaume de Dieu est au milieu de vous » Luc 17 : 21 (L’adverbe grec εντος = au milieu est un adverbe de lieu. Il signifie en dedans de, à l’intérieur, en vous). La réalité de l’espérance se passe dans le cœur de l’homme avant tout. « Vous êtes maintenant dans la tristesse ; mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie » Jean 16 : 22.
Conclusion :
Nous vivons dans un monde où l’apparence est érigée en vérité première. Pourtant, elle est, non seulement trompeuse, mais souvent fallacieuse.
On veut faire naître en nous des besoins qui ne correspondent pas à de vraies nécessités.
Placés en spectateurs d’un monde qui part à la dérive, nous sommes tentés de ne plus prendre en compte les promesses de Dieu... Le danger est bien là !
Et pourtant, en réfléchissant bien, au fond de nous-mêmes, nous reconnaissons un appel vers un ailleurs plus conforme à nos attentes, à nos aspirations, à nos désirs. Mais cet appel nous renvoie aussi à une qualité d’être au présent dans la sérénité. La confiance en Christ dans l’instauration de son royaume à venir est ravivée par l’espérance. La foi fait le pari de la crédibilité des paroles du Sauveur. Sinon son sacrifice pour nous n’aurait aucune valeur !
Alors, ne regardons plus à l’apparente absence de Dieu. Faisons-lui confiance pour notre présent et notre avenir.
Laissons sans pudeur grandir en nous, ce désir d’aimer Dieu après avoir été aimés par Lui. Laissons-nous pénétrer par cette pensée bienfaisante, que nous sommes tous, les bénéficiaires de sa bonté et de sa tendresse.
Nous ne sommes pas nés sous X, nous avons un père. Il nous a désirés et il souhaite que nous entrions à notre tour dans ce merveilleux chemin du désir de sa présence.
Pour faire jaillir en nous le désir fort de sa présence, il est momentanément absent, il nous laisse gérer notre vie comme bon nous semble, comme dans la parabole des serviteurs. Mais Il reviendra chercher ceux et celles qui ont expérimenté sa rencontre. (cf. Hébreux 11 : 39-40).
Oui ! L’absence révèle la sublime pédagogie de nos manques... Elle a pour finalité de faire émerger dans nos vies le désir de Dieu.
Dieu est donc absent pour celui qui veut le savoir absent, mais il est présent pour celui qui a expérimenté les incalculables bienfaits de sa rencontre…
« Et voici, je viens bientôt. Heureux celui qui garde les paroles de la prophétie de ce livre ! Oui, je viens bientôt. Amen ! Viens, Seigneur Jésus » Apocalypse 22 : 7,20 .
Jacques Eychenne
PS : « Ce Dieu absent qui fait problème » François Varone, les Editions du Cerf, 1981.