Le cas du couple Ananias et Saphira

Introd

 

 Le cas du couple

Ananias et Saphira

 Actes 4 : 32-5 : 1

 

Introduction :

 

L’histoire de la première communauté chrétienne nous révèle une expérience qui force notre réflexion, tellement elle est insolite et dérangeante. Insolite, parce qu’au cœur de cette église de Jérusalem en pleine démonstration d’amour fraternel, l’affaire Ananias et Saphira détonne. Elle peut aussi être dérangeante, parce que le beau climat d’unité a été mis à mal par le contre témoignage de ce couple. Ainsi, face au contexte dans lequel cette histoire s’est déroulée de nombreuses questions peuvent être posées.

Examinons cette communauté naissante de Jérusalem, et en particulier son fonctionnement.  Est-ce que la communauté de Jérusalem n’était qu’un cœur et qu’une âme ? La réponse de Luc est claire : « la foule des ayants foi n’était qu’un cœur et une âme » Actes 4 : 32, traduction libre. Pourquoi donc cela n’a pas perduré ! Malgré l’action du Saint-Esprit, l’aspect humain a très vite repris le cours normal de son histoire. La mise en commun de tous les biens et les partages équitables n’ont duré que l’espace d’une belle expérience. Des divergences se sont assez vite fait jour, au point que plus tard, un concile, en l’an 50, va s’imposer (pour trouver une position commune). La décision trouvée sera minimaliste et deux courants persisteront (cf. évangélisation réservée aux Juifs et celle tournée vers les païens). Le constat de cette expérience démontre une vérité facile à énoncer, mais pratiquement impossible à vivre : quand l’humain ne se laisse pas conduire par le Saint-Esprit, son penchant naturel reprend le dessus. L’unité n’est pas toujours un gage de réussite absolue, souvenons-nous de l’expérience de la tour de Babel ! Il convient de savoir si c’est Dieu qui la réalise, ou si elle relève d’une initiative humaine. Le vécu de ces premières communautés chrétiennes met en contraste les belles dispositions d’amour, de solidarité et de fraternité, initié par le Saint-Esprit, et la tendance naturelle de l’humain voulant prendre ses propres initiatives et vivre ses propres choix.

Mais que s’est-il passé à Jérusalem après la Pentecôte et la première persécution de la communauté chrétienne ? Et surtout, dans ce contexte particulièrement chaleureux et spirituel pourquoi le couple Ananias et Saphira a voulu « tenter l’esprit du Seigneur » ? Actes 5 : 9.

Le mensonge avéré d’Ananias et de Saphira nous renvoie au premier mensonge, celui de nos premiers parents en Eden. Si Dieu n’a pas mis à exécution une sentence de mort, comment comprendre que sous le régime de la grâce, on retrouve une démarche propre à une pratique de l’Ancien Testament ? N’y a-t-il pas une attitude spirituelle régressive en regard du parcours d’amour du Christ pour l’humain ?  Où s’est nichée la gravité du comportement d’Ananias et Saphira ?

Essayons ensemble d’examiner de plus près le récit, et commençons par nous poser cette question : Est-ce que la description de l’ambiance qui régnait au sein de la communauté de Jérusalem avait un caractère normatif ? Si oui, faut-il l’imiter de nos jours ? 

 

Développement :

 

Il est clair que l’action puissante du Saint-Esprit a conduit la communauté de Jérusalem à vivre une expérience unique jusqu’à ce jour et jamais totalement reproduite. L’ambiance rayonnante était soutenue par les apôtres. C’est avec une grande force qu’ils rendaient témoignage en proclamant haut et fort la résurrection du Seigneur Jésus (cf. Actes 4 : 33). Ce message extraordinaire intriguait les uns, bouleversait les autres. Pourtant, chacun restait libre de sa décision. Mais que dit le récit ?

 « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme, et nul ne considérait comme sa propriété l'un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient tout en commun » Actes 4 : 32, version TOB.

Il nous semble retrouver la célèbre formule des trois mousquetaires d’Alexandre Dumas : « un pour tous, tous pour un ». Le bien commun primait les considérations personnelles. Il s’imposait comme une règle spirituelle normative. Pour autant, cette expérience, si idéale, si généreuse, a très vite connu des lendemains amers. Pourquoi cela n’a pas perduré et pourquoi cette expérience ne peut en aucun cas être normative de nos jours ?  La parole de Dieu prône l’union en Christ (cf. Jean 17 : 21), mais pas la fusion de toutes les individualités. Même si cette initiative a été conduite par le Saint-Esprit, nous ne trouvons nulle part ailleurs dans la Bible une directive invitant tous les croyants à vendre tout ce qui leur appartient pour le remettre à des responsables chargés d’une redistribution dans un souci d’égalité. Ce communisme n’a jamais porté de fruit arrivant à maturité. Ce projet a toujours avorté. C’est le Christ qui crée l’unité, et c’est par la foi et l’amour que cette unité peut être réalisée sous l’action de l’esprit de Dieu. L’humain en est incapable. Le texte parle bien d’unité, mais cette dernière n’est jamais au détriment de l’individu. Les nombreuses paraboles du Christ nous renvoient toujours à une responsabilité individuelle, jamais collective. Le phénomène de groupe, qui tend plus ou moins directement et subtilement à rendre contagieux une morale est absent du récit. Pourquoi ? Il a presque toujours des effets pervers. On en voit de nos jours les conséquences, et elles sont désastreuses dans le développement personnel, spirituel, et psychique de beaucoup. Un conditionnement malsain mène souvent les personnes les plus fragiles à la mise en place du pire (les génocides, épurations ethniques, assassinat au nom de Dieu restent malheureusement toujours d’actualité).

Certes, ce n’était pas le cas de la communauté de Jérusalem, car on observe que la fraternité ambiante a conduit à une très grande solidarité. Le fait est acté par la phrase : « aucun nécessiteux n’était parmi eux » Actes 4 : 34. Les apôtres étaient chargés de la redistribution des biens selon le besoin des familles. Un exemple positif nous est donné : « Joseph, surnommé par les apôtres Barnabas, ce qui signifie fils d'exhortation, Lévite, originaire de Chypre, vendit un champ qu'il possédait, apporta l'argent, et le déposa aux pieds des apôtres » Actes 4 : 36 -5 : 1, version NEG. Et l’on sait le rôle bienveillant que Barnabas joua en mission vers l’Europe. Grâce à son caractère paternel, il encouragea Jean-Marc et réalisa avec lui un travail à la gloire de Dieu. Jean-Marc aussi appelé Marc écrira par la suite un évangile qui portera son nom.

 

Dans ce contexte de bienveillance, de solidarité fraternelle et de chaleur humaine, comment comprendre le comportement d’Ananias et Saphira ? Pourquoi ont-ils résisté à l’action du Saint-Esprit ? Quel est le motif d’accusation porté par l’apôtre Pierre, porte-parole de la volonté divine en l’occurrence ?

Question subsidiaire : le mensonge d’Ananias et de Saphira, en quoi est-il plus condamnable que d’autres transgressions de la loi, à première vue, plus lourdes de conséquences ? Sans obérer le fait que le couple ait menti, nous ne savons pas pourquoi ils ont agi de la sorte. Nous avons seulement la question pertinente et accusatrice de Pierre : « Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ ? » Actes 5 : 3, version LSG.

Pourquoi Satan a conquis le cœur d’Ananias ? Nous n’aurons jamais la réponse. Cela nous reporte à l’origine du mal en Eden. Pourquoi Adam et Eve ont succombé à la séduction du serpent alors que tout était parfait jusqu’à cet instant. Nous ne pouvons connaître le fin mot de cette histoire, nous ne pouvons qu’acter ses conséquences.

Quelle a été la nature du délit de ce couple ? En d’autres termes quel mal ont-ils commis ?

L’apôtre Pierre répond à cette question : au lieu de remettre la totalité de la vente de leur terrain, le couple a décidé de garder une partie de son prix. Ce délit, inspiré par Satan selon Pierre, reposerait sur le fait supposé qu’Ananias et Saphira devaient remettre la totalité de la somme du terrain aux apôtres. Ce comportement tombe sous le coup de la tromperie, de la dissimulation et du mensonge. On ignore pourquoi ils ont conçu un tel projet, d’autant que le texte qui suit nous apprend que personne ne leur demandait de le vendre. La gravité de leur mensonge était censée entraîner de sévères conséquences, mais de là à ce qu’ils subissent une condamnation à mort dans l’instant, sans avoir eu l’occasion de se défendre, cela peut paraître choquant. A l’évidence, tout comme pour l’origine du mal en Eden, nous manquons d’informations.

Si cela n’est pas le cas, une justice qui prononce une accusation à charge sans que la personne puisse se défendre pose question… Assurément nous manquons d’éléments d’appréciation. Certes, nous pouvons dire que le comportement de ce couple était en opposition avec l’Esprit qui régnait au sein de cette communauté, mais nous ne pouvons apprécier la gravité de leur motivation. Si nous énonçons le principe : mensonge=la mort, combien d’entre nous pourraient rester debout ? Assurément, il nous est impossible de mesurer la gravité de leur acte…

Car d’autres, avant eux, ont aussi commis des actes répréhensibles, même au sein des douze apôtres. L’apôtre Pierre lui-même a été séduit par Satan. Le Seigneur a dû le remettre à sa place (cf. Matthieu 16 : 23). Et que dire de sa trahison lamentable alors qu’auparavant il avait, de concert avec tous les apôtres, affirmé : « Même s'il faut que je meure avec toi, non, je ne te renierai pas ». Et tous les disciples en dirent autant ». Matthieu 26 : 35, version TOB. En la circonstance, on aurait pu penser que Pierre se souvienne de l’attitude du Christ à son égard afin de la reproduire (cf. Luc 22 : 31,32). Dès lors, faut-il penser que Pierre n’a pas pu faire autrement que d’exécuter une sentence divine ? Dans ce cas, pourquoi a-t-elle été exécutoire dans l’instant ? Même Judas n’a pas subi le même sort, alors que ses motivations ont été plus lourdes de conséquence. De plus, pour un mensonge, le Seigneur n’a jamais prononcé une sentence de mort contre un pécheur.  

A froid, sans autres explications, la sentence de mort paraît bien sévère. La Bible énonce de nombreux cas apparemment aussi condamnables que celui commis par ce couple. Si la sentence de mort nous semble apparemment disproportionnée, c’est parce que nous n’avons aucun élément nous permettant de mesurer la gravité du mensonge du couple Ananias et Saphira. Comment ont-ils mûri ce projet ? Ont-ils été traversés par des pensées diaboliques pour discréditer l’ambiance du moment ? Ont-ils été pris de court par une nécessité impérieuse de vendre ? Se sont-ils rendu compte qu’il fallait tenir compte de leurs propres besoins ? Ont-ils manqué de foi ? Que s’est-il réellement passé dans leur esprit ?  Faudrait-il dès lors relier le mensonge de ce couple au péché contre le Saint-Esprit ? (cf. Matthieu 12 : 31-32 ; Marc 3 :28-30 ; Luc 12 : 8. Ce péché à la caractéristique d’être impardonnable)…

Seul Dieu pouvait connaître la réalité de leur mobile

Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ne peut-on pas leur trouver des circonstances atténuantes ? Si Dieu devait sanctionner aussi subitement et irrémédiablement toutes nos duplicités, où serions-nous ?  En effet, ne pouvait-on pas donner une bonne leçon à ce couple, ou trouver une autre solution que la mort ? Cette atmosphère spirituelle qui créait un conditionnement à tout mettre en commun, ne pouvait-elle pas générer une opposition ? N’ont-ils pas voulu faire comme tout le monde, alors qu’ils n’en avaient pas l’intention ? Qui peut affirmer ne pas se reconnaître dans ce genre de dilemme ? Si nos analogues ambiguïtés entraînaient une mort instantanée notre planète risquerait d’être déserte…  Sans remettre en cause le moins du monde le jugement divin sur ce couple, nous avons du mal à discerner la gravité de ses actes, car l’apôtre Pierre, s’adressant à Ananias, lui précise :

« Ne pouvais-tu pas le garder sans le vendre, ou, si tu le vendais, disposer du prix à ton gré ? Comment ce projet a-t-il pu te venir au cœur ? Ce n'est pas aux hommes que tu as menti, c'est à Dieu. » Actes 5 : 4, version TOB.

Notons que l’obligation, ou même la nécessité de vendre, et de donner la totalité de ses biens n’est même pas exprimée dans le texte. Elle est sous-entendue. Elle ne s’est imposée qu’envers ceux et celles qui étaient dans le bon état d’esprit. Dès lors, comment comprendre la sévérité du propos et de l’accusation, même si on prend en compte le fait que l’apôtre est inspiré quand il prononce ces paroles. N’appelaient-elles pas un peu de compassion, telle que Jésus l’a constamment exprimée face aux pécheurs ?  Qui, d’entre nous, ne s’est jamais senti parjure envers soi-même et a fortiori envers Dieu ?

« Trois heures environ s’écoulèrent ; sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre l’interpella : « Dis-moi, c'est bien tel prix que vous avez vendu le terrain ? » Elle dit : « Oui, c'est bien ce prix-là ! ». Alors Pierre reprit : « comment avez-vous pu vous mettre d'accord pour provoquer l'Esprit du Seigneur ? Écoute : les pas de ceux qui viennent d'enterrer ton mari sont à la porte ; ils vont t'emporter, toi aussi. » Aussitôt elle tomba aux pieds de Pierre et expira. »  Actes 5 : 7-10, version TOB.La démarche rappelle celle de l’accusateur en Eden : « Dieu a-t-il réellement dit ? » Genèse 3 : 1. La question peut avoir les mêmes accents. Certains peuvent penser que l’apôtre Pierre donne une dernière chance à Saphira, mais quand on sait qu’il connaît déjà la réponse l’argument ne tient pas. C’était assurément une question piège pour elle. Comment pouvait-elle répondre ?

Si on se place un instant dans sa position, on ressent vite le dilemme devant lequel elle a dû se trouver. En effet, l’alternative la plaçait devant un choix cornélien. Soit elle ne pensait qu’à elle en disant la vérité sur la transaction financière, soit elle trahissait son mari. En d’autres termes, soit elle restait solidaire malgré les conséquences inévitables en présence de tous, soit elle était prête par amour à subir les mêmes conséquences que celles de son époux. Reconnaissons que si cette femme aimait réellement son mari, elle ne pouvait faire autrement que d’être solidaire de son choix. Cela nous rappelle le choix devant lequel Adam s’est trouvé quand il constata que sa femme, malgré l’interdiction divine, avait mangé le fruit défendu. La question souvent caricaturée était pourtant lourde de conséquences : soit Adam perdait sa femme, soit il se perdait avec elle. Dans certaines circonstances ne sommes-nous pas défenseurs de l’indéfendable ? Surtout quand on y mêle le pouvoir des sentiments d’amour.

Notons, comme ailleurs dans les Saintes Ecritures, que Dieu a laissé l’apôtre aller jusqu’au bout de son action. Mais la conséquence directe est mentionnée dans le récit : « une grande crainte saisit alors toute l'Église et tous ceux qui apprenaient cet événement. »  Actes 5 : 11, version TOB. (φόβος μέγας = une grande crainte). On aurait pu traduire par une grande peur.  (φόβος = Ce mot est utilisé par les Grecs pour traduire une action qui fait fuir en effarouchant.  Cela peut aussi être assimilé à quelque chose d’effrayant qui crée l’épouvante. Une sorte d’épouvantail qui nous rapproche du régime de la terreur). Si l’objectif de Pierre était de renforcer l’unité, était-ce le meilleur chemin à suivre ? D’autant qu’à l’époque de l’apôtre les noms donnés correspondaient au caractère des personnes. Or, Ananias signifie littéralement : « La grâce de l’Eternel ». La loi aurait-elle tué la grâce ? De même Saphira fait référence au saphir, en hébreu comme en français. Le saphir symbolise la pureté du ciel (cf. Exode 24 : 10). (La vision du prophète Ezéchiel parle d’un trône de saphir (cf. Ezéchiel 2 : 26). De même dans l’Apocalypse concernant les fondements de la muraille de la nouvelle Jérusalem (cf. Apocalypse 21 : 19). La beauté et la pureté symbolisées par Saphira s’en sont allées dans la mort. Où se trouve la cohérence de cette histoire ? 

 

Conclusion :

 

Une relecture de la situation tragique de ce couple s’impose. Les chefs d’accusation sont pourtant précis : - Satan a rempli le cœur d’Ananias et ce dernier a trompé le Saint-Esprit (cf. Actes 5 : 4) - Saphira a tenté l’Esprit du Seigneur (cf. Actes 5 : 9). Ce ne serait donc plus une question de vente d’un terrain, mais quelque chose de beaucoup plus grave. Dans le cœur de ce couple, tout comme pour Judas Iscariot, Satan avait pris place et le salut gratuit en Jésus notre Seigneur s’en était allé. Nous avons peut-être là un élément de réponse à nos questions…

Les premières communautés chrétiennes ont suscité admiration et adhésion pour les uns, mais aussi crainte et rejet pour les autres. Les Romains ont d’ailleurs considéré les agissements de ces groupes comme comparables à ceux d’une secte. L’apôtre Paul a même été reconnu comme leur chef (cf. Actes 24 : 5 ; 28 : 22). Dans ce contexte, le jugement énoncé par l’apôtre Pierre à l’encontre du couple Ananias et Saphira peut être éclairant. Il clarifiait ceux qui adhéraient de cœur au message du Christ et les autres. Pour nous-mêmes, ce récit nous invite à penser que nos choix personnels doivent être sans ambiguïté. Chacun rendra compte à Dieu pour lui-même.

                                                                                                Jacques Eychenne

PS : TOB, version Traduction Œcuménique de la Bible ; NEG, version Nouvelles Editions de Genève ; LSG, version Louis Segond.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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