LE FILS DE
LA VEUVE DE NAïN
La grande consolation chrétienne
Luc 7 :11-17
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Introduction :
Nous sommes dans la première année du ministère de Jésus-Christ en Galilée. Sa popularité est maintenant importante. On peut dire qu’il est suivi à la trace dans tous ses déplacements... Le récit qui va retenir notre attention nous conduit à Naïn, petite localité au Sud de la Galilée, à 20 Kms de Nazareth et 40 Kms de Capharnaüm.
Les disciples et une foule nombreuse sont présents. Le Seigneur quelques temps auparavant, a superbement égrainé son discours sur la montagne. Il a marqué les esprits et les cœurs... De plus, il a opéré de nombreuses guérisons. De ces faits conjugués, les foules sont dans l’admiration de ce nouveau grand prophète. Du coup, on le suit partout dans son aventure humaine. Que va-t-il dire ? Que va-t-il faire ? Les questions fusent ! L’attention est chaque fois aiguisée et soutenue...
Développement :
L’évènement, nous transporte tout près de la ville de Naïn. Certainement non loin de la porte principale. Pour quelle raison sommes-nous là ? Parce qu’une mère, veuve, enterre son fils unique. (Il faut savoir que d’ordinaire, les morts étaient enterrés en dehors de la ville). Le cortège se dirige donc vers le lieu où on le porte en terre.
L’émotion est grande parmi la foule, on compatit à la détresse de cette mère. A la perte d’un mari est venu se surajouter celle d’un fils unique, sa dernière raison de vivre et de pouvoir vivre.
Le récit qui va suivre est prenant : En 7 versets, ce texte nous dit tout l’amour du Christ pour l’humain souffrant.
Ici, il n’y a ni synagogue, ni pharisien, ni esprit de polémique, mais seulement l’expression d’une souffrance intense, inqualifiable, insupportable et injustifiable.
Cette souffrance, tel un tremblement de terre, provoque une onde de choc au cœur de cette petite localité. La réaction de la population est à la mesure de l’évènement : Le soutien est total, la solidarité est entière.
« Le Seigneur la vit ; il fut ému par elle et lui dit : Ne pleure pas ! »Verset 13.
Le Seigneur est percuté par l’onde de souffrance de cette mère. Le récit utilise des mots simples ; l’intensité de la souffrance est criante. La description traduit l’empathie naturelle de Jésus-Christ. Il voit et cela suffit pour que cela résonne en lui. De spectateur de la mort, il va devenir acteur de la vie. Le mot grec parle d’une émotion aux entrailles, comme en Marc 6 :34, quand il réalise que cette foule est comparable à des brebis sans berger. Oui ! Le Christ est ému, mais son émotion ne reste pas en lui. Il va la mettre au service du bien, de cette mère souffrante et de ce fils sans vie, de cette foule en attente, de ses disciples en formation, de notre humanité en besoin d’espérance.
Son comportement est exemplaire, il devrait servir de repaire à nos fonctionnements. Trop souvent nous bloquons nos émotions par peur de nous laisser déborder, envahir, dépasser par les circonstances. Mais à vouloir tout contrôler, on ne vit plus vraiment. L’émotion fait partie de la vie, notre corps est réactif, et c’est bien ainsi. L’émotion doit être perçue comme une richesse et non un handicap, elle doit nous projeter dans une réactivité positive pour le bien de ceux qui nous entourent.
(Nous ne parlons pas ici de l’émotion désordonnée qui conduit à des états seconds ou cataleptiques).
Mais que dit l’émotion du Christ dans notre récit ?
Elle dit que cette veuve est frappée de la souffrance la plus forte.
En effet, en Israël, l’important est d’être mère. En ce temps-là, une femme ne peut se réaliser que dans cette perspective. C’est d’ailleurs encore vrai de nos jours, dans bien des pays, pour ne pas dire dans tous... le vécu d’amour de cette femme n’a eu de sens qu’en donnant la vie. Engendrer, et fonder une famille, voilà sa vocation. Ce n’est pas anodin si la stérilité était perçue comme une malédiction !
Or cette femme a perdu ses deux principales raisons de vivre :
- En tant que femme, elle n’a plus de mari.
- En tant que mère, elle n’a plus d’enfant.
Elle est privée de l’essentielle de vie : Aimer et être aimée.
Plus que toute autre souffrance physique, ce mal renvoie à la mort, par l’absence de bonnes raisons de vivre. Cette femme veuve est le symbole de la souffrance extrême, celle qui conduit au refus de vie. Ce fils unique était sa sécurité, son assurance vieillesse, une présence dans son quotidien... Elle n’a plus de proche à aimer. Cette privation est la plus forte souffrance…
Jean-Paul Sartre a évoqué un souvenir analogue. en 1964, dans les mots, il écrivait :
« Je garde le souvenir d’une atroce évidence : cette couturière, cette veuve, elle avait tout perdu. Ai-je vraiment étouffé d’horreur à cette pensée ? Ai-je entrevu le mal, l’absence de Dieu, un monde inhabitable ?
Je le crois ; Pourquoi, sinon dans mon enfance reniée, oubliée, perdue, l’image de Bénard aurait-elle gardé sa netteté douloureuse ? »
Oui ! Devant cette femme, cette veuve, cette mère privée de toute relation affective, Jésus a vibré. Il a partagé cette douleur qui le renvoyait à l’origine du conflit séculaire entre le bien et le mal. Lui, le Prince de la vie, par qui toute la création s’est mise en action (Cf. Jean 1 :1-5)… Lui, plus que tout autre, pouvait percer le sens de cette tragédie humaine… Lui, Fils unique envoyé du père, appelé à mourir sur le bois.
Dieu par Jésus-Christ avait créé toutes choses et cela était bon. Tout était très bon et très beau. Alors pourquoi un tel désordre, un tel gâchis, de telles souffrances ?
La réponse se doit d’être accueillie par la foi, car la raison est impuissante à cerner tous les aspects de cet enjeu entre le bien et le mal.
Or, notre foi repose sur la parole même du Seigneur. Et le Seigneur donne à nos cœurs meurtris par la souffrance des éléments de consolation et d’ espérance.
Dans la parabole des ivraies en Matthieu 13 : 27-30, Le Seigneur explique ceci : « Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? Il leur répondit : C’est l’ennemi qui a fait cela. »
Ainsi, nous avons un élément de réponse concernant l’origine du désordre, mais aussi une explication du pourquoi cela perdure. (Cf. v.30)
Certains trouveront l’argument léger ; mais, pour ma part la réponse du Christ me satisfait, d’autant que je suis incapable d’avoir tous les éléments d’appréciations pour me faire une conviction rationnelle. A ce stade, seule la confiance en Christ est apaisante et rassurante. La relation prime la compréhension intellectuelle. Dans le cas contraire, où serait la foi ?
Faut-il attendre de tout comprendre pour pouvoir aimer ? Si nous devions attendre de tout comprendre pour aimer, alors nous n’aimerons jamais ! Déjà dans notre quotidien, comment peut-on avoir la prétention de tout saisir du comportement de nos chers proches, quand on a du mal à se comprendre soi-même !
Mais revenons à notre récit. Le Christ est traversé par l’onde de souffrance de cette femme. Nous sommes en présence d’un choc de situation :
- Le prince de la vie face à la mort.
- Le porteur d’espérance face au désespoir.
Malgré la foule, malgré les cris des pleureuses, il y a rencontre entre 2 parcours de grande solitude. (Jésus aussi, lui le fils unique, sera amené hors de la ville pour y mourir et être porté au tombeau).
Le regard du Seigneur se porte uniquement sur cette mère déchirée.
« Le Seigneur l’ayant vue... » (Verset 13)
Prenons conscience que la même émotion traverse le Seigneur, lui qui voit nos grandes solitudes, nos cœurs blessés, nos êtres souffrants de mille maux. Prenons conscience que nous sommes compris et accueillis, car le Sauveur sait lire dans nos cœurs.
« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos. » Matthieu 11 :28 (lire aussi Hébreux 4 : 14-16)
Le Seigneur fut ému de compassion ( επ’ αυτή) pour ou par cette mère désespérée.
En grec, les deux traductions sont possibles. Les versions plus modernes utilisent par, ce qui semble plus conforme au déroulement des faits.
Ses entrailles ont été bouleversées par elle. Le Seigneur est ému par la souffrance humaine, mais il n’est pas, comme le commun des mortels le pense, inactif, impuissant et simple spectateur.
Ce récit symbolise aussi la position du Seigneur face à la souffrance de notre humanité toute entière.
D’où l’intérêt de prendre en compte la traduction première et plus ancienne du : Pour.
Il est ému pour elle. Ce processus d’identification éclaire tout le projet d’amour du Seigneur pour notre humanité... Pour chacun d’entre nous. Encore faut-il le croire ! Ce n’est pas parce que nous ne voyons pas le circuit des ondes sonores dans l’espace, que nous nions l’existence de la musique. De même, ce n’est pas parce que nous sommes incrédules que le Seigneur n’agit pas dans le monde. Seuls ceux qui vivent sur le registre de la relation de confiance (acte de foi) peuvent percevoir la réalité positive et bienfaisante de son action.
Oui ! Le Christ a pénétré la douleur de cette mère et l’a fait sienne. C’est la force attractive de son amour qui nous attire à le reconnaître comme Seigneur et Sauveur.
L’amour digne de ce nom est engagement vers l’autre.
C’est pourquoi le Christ prononce cette parole stupéfiante :
« Ne pleure pas ! » Verset 13.
Cette parole surprenante renverse les us et coutumes de la région. Elle va même à l’encontre du processus d’accompagnement du défunt. Ne paie-t-on pas des pleureuses professionnelles ! Elles avaient pour mission de raviver la douleur, non de l’apaiser ! Les cris et les larmes faisaient partie du cortège ! Les larmes n’ont-elles pas pour fonction de couler, n’est-ce pas légitime, voire nécessaire pour faire son deuil ?
Le Christ prend le risque de la désapprobation populaire, d’une réaction même violente. Il prend le risque d’être inconvenant, presque perturbateur. En un instant si solennel le respect ne s’impose-t-il pas ?
En contre-proposition, Jésus invite cette femme à l’aventure audacieuse de la foi.
Face à ces pleureuses spécialisées dans l’entretien de la douleur, le Seigneur propose d’y mettre radicalement fin. Quel contraste !
L’assurance du Christ apaise et dissipe nos craintes face à la mort, il rassure nos cœurs préoccupés et inquiets face au vide.
Pourquoi ?
- Parce qu’il est le Prince de la vie : N’a-t-il pas affirmé dans la parabole du bon berger en Jean 10 :18 « J’ai le pouvoir de donner ma vie (à fortiori la VIE) et j’ai le pouvoir de la reprendre. »
- Parce que la mort est l’ultime passage obligé de la foi.
- Parce que la mort n’est que la vie cachée, comme un passage de l’hiver au printemps. C’est la vie qui va triompher, pas la mort ! (Cf.1 Corinthiens 15 :54-57)
La Parole divine est formelle : « la mort ne sera plus ; il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur... » Apocalypse 21 :4
Voilà pourquoi le Seigneur stoppe la procession et brave l’interdit :
Il s’approche et touche le cercueil. Le livre des Nombres nous apprend qu’il était interdit d’avoir un quelconque contact avec un mort et tout ce qui le concerne (voire Nombres 19 :16)
Non seulement le Christ renverse l’interdit, mais il a l’audace de faire face au défi de la mort.Mais peut-il y avoir transgression, quand la mort cesse d’être la mort ? Question dérangeante qui va au-delà de la lettre des choses, et qui nous interdit pour le coup de juger notre prochain. Car sur le fond, si nous entendons cette réflexion, toute la compréhension de la loi est à réviser. Laissons des points de suspension pour que chacun se fasse une conviction, toutefois apprenons à examiner le fond des situations plutôt que leurs formes.
Mais revenons à l’audace de la foi du Christ, il touche le cercueil (seule occurrence=seule mention dans tout le nouveau testament) et déclare : « Jeune homme, je te le dis, réveille-toi ! » (v.14)
Dans l’original, le verbe έγείρω signifie bien, réveiller, s’éveiller, faire se lever, mettre sur pieds.
Observons que le Christ ne s’adresse pas à la mère, mais au fils mort.
Cette précision souligne une priorité : Le Seigneur est moins dans un schéma de consolation vis à vis de cette mère, que dans celui d’une éradication de la cause de sa douleur, donc de la mort. Et, c’est ainsi que nous découvrons la finalité de son combat sur cette terre. Repositionner ses créatures dans l’harmonie du premier printemps. De ce fait, ce que le Seigneur a fait pour cette mère et ce fils, éclaire avec une incroyable intensité tout son projet de salut et de restauration pour chacun de ses enfants.
Quand, par la foi, nous laissons le Christ agir dans nos vies, il se passe toujours des choses étonnantes et sublimes. Mais cela est de l’ordre de l’expérience, non de l’équation mathématique.
En prolongement de ce récit, nous découvrons le remède à nos peurs existentielles face à la mort : Il s’agit de l’acte de foi, ce lâcher-prise et cet abandon dans la confiance en Christ (le vainqueur de la mort). Combien c’est libératoire de s’en remettre complètement à sa puissance de vie ! Du coup, la mort ne devient qu’un passage obligé vers la vie, au point de n’être plus qu’une brume dissipée par l’ardeur du soleil... Oui, La mort ne fait que servir de tremplin au triomphe de la vie. (Cf.1 Thessaloniciens 4 : 13-17) La résurrection du Christ devient alors le gage inaltérable de la notre. (Cf. Romains 6 : 5,8-9,11) La vie aura le dernier mot...
Conclusion :
Il y a dans ce récit la manifestation d’un double miracle :
- Le Seigneur redonne la vie au fils de cette mère.
- Le Seigneur redonne la vie à la mère de ce fils.
Ainsi le lien de la famille est rétabli. C’est là, symboliquement, toute la finalité du projet de Dieu pour notre humanité : En donnant sa vie, le Seigneur nous a redonné vie, et elle s’accueille à tout moment par la foi. C’est ainsi que la famille sera réunie à jamais.
Son grand projet est de rassembler, après avoir donné vie, la grande famille de toutes ses créatures humaines et célestes. (Cf. Marc 13 : 26,27)
C’est le grand message d’espoir pour notre humanité. Si le monde pouvait le reconnaître, il arrêterait sa folie !
N’hésitons pas à nous sentir concerné par ce récit. Françoise Dolto a écrit : « Quel que soit son âge, quel que soit son désir, son niveau de souffrance et son évolution psychique, chacun peut se projeter. La clé de la lecture des Evangiles, c’est qu’il faut se projeter pour recevoir. Si l’on reçoit sans avoir rien projeté de son imaginaire, c’est une fausse réception. C’est une réception d’intellectuel. Le contenu vivifiant, le contenu mutant des paroles bibliques est privé des avenues qui peuvent véhiculer l’effet créatif dans le lecteur ». (1)
Se sentir concerné et impliqué revient donc à accueillir le message d’espoir du Christ. Il veut réveiller en nous cette assurance que ce n’est pas la mort physique qu’il faut redouter. Elle n’est que parenthèse dans la relation ; l’essentiel est bien la suite que veut donner le Sauveur à notre histoire.
La foi, synthétiquement, devient lien et confiance en une parole donnée par Celui qui a ouvert la voie de la liberté et de la vie. Dans toute tragédie, Christ peut faire renaître l’espoir.
Comme ce fils perdu pour sa mère, nous avons tous besoin d’être réveillés, pour que s’éveille en nous le désir d’une relation nouvelle, porteuse d’espérance et de vie. En d’autres termes, il y a nécessité à faire mourir en nous le futile, le superflu et l’éphémère, pour que la vraie vie ne soit ni étouffée, ni marginalisée, ni occultée. (Cf. Luc 8 : 4-8,13-14) Alors, nous pourrons faire notre cette phrase, apparemment insensée, de l’apôtre Paul : « Christ est ma vie et mourir m’est un gain » Philippiens 1 :21
Jacques Eychenne
(1) Françoise Dolto, Les évangiles et la foi au risque de la psychanalyse, éd. Gallimard, p.50
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