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L’onction de Béthanie ou Les secrets de l’amour Marc 14:3-9 |
Introduction :
Ce récit s’inscrit dans les évènements qui marquent le début de la passion et de la résurrection du Christ. Le début du chapitre est d’ ailleurs très explicite : « La fête de Pâque et des pains sans levain devait avoir lieu deux jours après. Les principaux sacrificateurs et les scribes cherchaient les moyens d'arrêter Jésus par ruse, et de le faire mourir. » Marc 14 : 1
En opposition à cet état d’esprit qui animait les responsables religieux du moment, l’évangéliste Marc met en évidence un sublime geste d’amour. Les faits qu’il nous rapporte nous livrent une description pleine de contrastes. La scène se déroule à Béthanie. Jésus connaît bien cette localité, il y a installé son quartier général. En effet, c’est là, chez Marthe, Marie, et Lazare, qu’il vient se reposer. C’est sa halte incontournable avant de descendre vers Jérusalem, distante de quelques kilomètres. L’évangéliste Luc précise que c’est aux alentours de cette petite localité que Jésus a aussi vécu son ascension (cf. Luc 24 : 50)
A Béthanie, il est invité chez un certain Simon, ancien lépreux, certainement guéri par le Seigneur, sinon il aurait été exclu de la ville comme le préconisait la loi (cf. Lévitique 13 : 45-46). Les synoptiques laissent entendre, par l’évangile de Luc, que Simon était aussi Pharisien (cf. Luc 7 : 36). Mais Jésus accepte l’invitation, il est au-dessus des partis et des étiquettes. C’est la relation vraie, la relation du cœur qu’il recherche. Or, pendant le repas un évènement imprévisible va bouleverser le déroulement du programme.
Développement :
Que nous apprend le récit :
« Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme entra, pendant qu'il se trouvait à table. Elle tenait un vase d'albâtre, qui renfermait un parfum de nard pur de grand prix; et, ayant rompu le vase, elle répandit le parfum sur la tête de Jésus. Quelques-uns exprimèrent entre eux leur indignation: À quoi bon perdre ce parfum ? On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres. Et ils s'irritaient contre cette femme. Mais Jésus dit: Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine ? Elle a fait une bonne action à mon égard; car vous avez toujours les pauvres avec vous, et vous pouvez leur faire du bien quand vous voulez, mais vous ne m’avez pas toujours. Elle a fait ce qu'elle a pu; elle a d'avance embaumé mon corps pour la sépulture. Je vous le dis en vérité, partout où la bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu'elle a fait » Marc 14 : 3-9
Le texte met au cœur de cette scène une femme.
Elle arrive alors que tous les convives sont à table. Elle surgit d’une manière insolite, surprenante, bouleversante. Mais qui est cette femme, et qu’est-ce qui l’autorise à s’immiscer, sans être invitée, dans le déroulement de ce repas ? Marc et Matthieu disent « une femme », est-ce une anonyme ? C’est peu probable ! On l’aurait éconduite sur le champ ! Faut-il dès lors, comme le font les synoptiques mettre ce récit en parallèle avec celui de Luc qui nous apprend que cette femme habitait la ville, et qu’elle avait appris que Jésus était à table avec ce Pharisien ? (cf. Luc 7 :37) S’appuyant sur un autre récit de Jean (cf. Jean 12 : 1-8), rapportant un repas similaire, beaucoup pensent reconnaître Marie, la sœur de Marthe et Lazare. Pourquoi pas ! Mais malgré la similitude de la description de la scène, on ne peut raisonnablement l’affirmer.
Quoi qu’il en soit, si Marc préfère choisir l’anonymat, c’est à dessein. Il veut certainement mettre davantage en valeur le geste qu’elle a prodigué.
Il faut croire que l’intrusion de cette femme a suscité une attention exceptionnelle, car on nous donne force détails.
Cette femme tenait un vase d’albâtre. Il faudrait plutôt parler de flacon. Les archéologues ont retrouvé ce genre de flacon au col étroit et allongé, se terminant par un embout bombé. Il devait être de petite contenance, un litre tout au plus. Le récit comparatif de l’apôtre Jean parle d’un demi-litre de parfum (cf. Jean 12 : 3). On précise un parfum de nard pur de grande valeur. Cette précision nous invite à penser que ce produit rare était souvent dilué avec des huiles ordinaires. Ici, aucune action de frelatage. Symboliquement, on ne peut être que dans le pur et le vrai. C’est pourquoi cet indice va nous permettre d’apprécier à sa juste valeur le geste fou de cette femme aimante.
Ce parfum est qualifié de grand prix. Quelques convives vont vite estimer, à la louche, sa valeur : 300 deniers. Quand on sait que le denier représentait la solde journalière d’un romain engagé dans l’armée ou du salaire quotidien d’un ouvrier, on mesure le temps qu’il a fallu… 300 deniers, c’est presque toute une année de salaire, donc plusieurs années d’économies ! (Son projet a peut-être pris naissance avant même de connaître son Sauveur.)
Notons au passage la délicatesse de Marc qui ne mentionne aucun nom des protestataires, tout en soulignant leur indignation.
Mais revenons à cette femme. Elle brise le col de ce flacon et d’un geste précis, répand le parfum pur sur la tête de Jésus, l’invité d’honneur. Démarche surprenante, geste insensé, action folle ou geste d’amour ?
Essayons d’imaginer les motivations de cette femme.
Son statut de femme pécheresse (cf. Luc 7 : 37) au sein même de cette petite localité de Béthanie nous permet d’entrevoir un rapport relationnel difficile. L’accusation est-elle justifiée ? Personne ne peut l’affirmer, même si certains la confondent avec Marie de Magdala, libérée de 7 démons par Jésus (cf. Marc 16 : 9).
Il faut comprendre sa souffrance, le poids du regard des autres sur sa vie.
Peut-être vit-elle encore mal sa situation présente de femme de mauvaise vie. En ce temps-là, être qualifiée de femme pécheresse, équivalait à parler de femme aux mœurs légères (le texte grec laisse entendre qu’elle est encore dans cette situation).
D’ailleurs faisant fi du regard des convives, ses gestes vont révéler ce qu’elle vit.
Son mal-être intérieur se traduit spontanément par une action d’une grande détermination. Elle brise le col du flacon et verse le nard pur sur la tête de Jésus. Luc apporte des détails :
« tout en pleurs, aux pieds de Jésus, elle se mit à baigner ses pieds de larmes; elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux du parfum. » Luc 7:38, version TOB.
Cette inconnue n’a pas tenu compte du regard des autres convives. Elle a agi comme si elle était seule avec son Seigneur. Elle a osé, dans un seul geste, tout donner. A travers ce parfum, c’est elle qui se donne. Le flacon brisé devient un symbole. Elle aurait pu éviter de le casser, il suffisait simplement de verser le parfum… Ce flacon brisé, ce parfum répandu, c’est l’image de sa vie. Contraste entre les chocs et les fêlures de son existence et son besoin de pureté symbolisé par la qualité de ce nard précieux.
Nous sommes tous appelés à nous reconnaître dans le parcours de cette femme.
Elle a osé ! Trop souvent nos comportements sont conditionnés par notre entourage. On ne fait pas ce que l’on veut pour ne pas déplaire, on ne veut pas faire de la peine, ou choquer, ou scandaliser… Occasionnellement cela ne pose pas trop de problèmes, mais cela peut vite devenir une habitude. On entre alors dans une relation sans avenir. On vit par procuration, conditionné par la perception des autres. Nos faits et gestes ne sont plus les nôtres…
Ce parfum recueilli patiemment depuis si longtemps laisse percer une grande intention. Cette femme avait dans son cœur un projet secret, il ne lui manquait qu’une circonstance pour passer à l’action. Le temps d’attente a décuplé son besoin d’aller jusqu’au bout de son accomplissement. De plus, c’est sûrement un geste prémédité. Le texte de Luc dit : « ayant su qu’il (Jésus) était à table dans la maison du pharisien… » Luc 7:37
Il est plausible d’admettre que cette femme a découvert en Christ, autre chose que ce qu’elle connaissait des hommes. Elle a été attirée par la qualité de son amour.
Est-ce que la tablée s’est réjouie devant ce spectacle merveilleux de cette femme aimante ? Elle a suscité un tollé d’indignations, et de la suspicion chez Simon.
« Le pharisien qui l’avait invité, voyant cela, dit en lui-même: Si cet homme était prophète, il connaîtrait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, il connaîtrait que c'est une pécheresse. » Luc 7:39
« Quelques-uns exprimèrent entre eux leur indignation: À quoi bon perdre ce parfum ? On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres. Et ils s'irritaient contre cette femme.
Mais Jésus dit: Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine ? Elle a fait une bonne action à mon égard; car vous avez toujours les pauvres avec vous, et vous pouvez leur faire du bien quand vous voulez, mais vous ne m’avez pas toujours. Elle a fait ce qu'elle a pu; elle a d'avance embaumé mon corps pour la sépulture. Je vous le dis en vérité, partout où la bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu'elle a fait. » Marc 14:4-9 version de Genève.
Ces diverses réactions appellent un commentaire.
Parlons d’ abord de l’attitude de Simon. Il oublie dans quelle situation il était, et certainement qui l’a guéri de ce terrible fléau qui le marginalisait douloureusement. Aucune compassion ne semble l’effleurer, il reste droit dans ses bottes de Pharisien.
Jésus va le recadrer avec compassion. La façon dont Jésus le reprend est un modèle du genre : « Simon, j’ai quelque chose à te dire… » et Simon répond « Parle Maître » (cf. lire Luc 7 : 40-50)
Quant aux autres convives, certainement les disciples (cf. Matthieu 26 : 8) sous l’instigation de Judas Iscariote (cf. Marc 14 :10), ils crient au scandale. Ils sont indignés et ils énoncent le motif de gaspillage.
Quel contraste ! Ces hommes parlent d’argent alors qu’elle répand l’amour. Tout est résumé dans ce décalage.
Comment des esprits bassement mercantiles peuvent-ils percer les sentiments profonds de cette femme aimante ?
Seul le Christ pouvait la comprendre. Sa réaction est pertinente :
« Mais Jésus dit: Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine ? Elle a fait une bonne action à mon égard … Elle a fait ce qu'elle a pu; elle a d'avance embaumé mon corps pour la sépulture. Mar 14:6 et 8 version de Genève.
Cette attitude du Christ nous conduit à deux remarques :
« L’Eternel ne considère pas ce que l’homme considère ; l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Eternel regarde au cœur ». 1 Samuel 16 :7 Voilà pourquoi l’ensemble de la Bible met l’accent sur la priorité incontournable de l’amour. (Cf. Deutéronome 6 : 4-9 ; Marc 12 :28-34). Faire ce que l’on peut, non seulement, c’est être cohérent avec soi-même, mais c’est aussi, parfois, accepter de rester dans l’anonymat, le discret, voire l’invisible à l’œil humain.
L’important est d’être conscient que le Seigneur nous voit. (Cf. Marc 12 : 41-44)
Alors que Simon doutait de Jésus comme prophète, cette femme sans le savoir entre dans la prophétie en annonçant par son geste, sa mort.
Quel magnifique témoignage ! Son geste (et non son nom), sera toujours rattaché, désormais, à la prédication de l’Evangile. (La voilà la vraie postérité !)
Conclusion :
Nous sommes en face d’un des plus beaux récits des Evangiles. Il met en évidence le danger des jugements humains fondés sur l’apparence. Evitant cet écueil, il est une invitation, pour chacun de nous, à suivre l’exemple du Christ : investir positivement dans notre prochain. Déceler les étincelles d’amour qui apparaissent cachées au milieu de vies embourbées et pas très normatives. C’est un récit riche en contrastes et en symboles.
Contraste entre un Simon rigoriste et une femme légère, entre un homme nommé par son nom, et une inconnue qui deviendra célèbre, entre un invitant et une non invitée, entre un Simon qui était devenu pur extérieurement, mais pas intérieurement, et une femme qui semblait impure suivant les apparences, mais qui ne l’était pas intérieurement, entre des hommes mercantiles, et une femme libérée par l’amour, entre le regard réprobateur des disciples, et le regard plein de tendresse de Jésus, entre le côté bassement mercantile des disciples, et le don de ce parfum qui n’avait pas de prix, entre le doute des participants, et la foi de cette femme, à laquelle Jésus dira « Ta foi t’a sauvée, va en paix » … (La liste n’est pas exhaustive, à chacun de la compléter.)
Le flacon brisé, le parfum versé, l’amour pour Christ exprimé, resteront la marque de sa vie et de sa renaissance. En réalité dans un seul geste d’amour, au risque de déplaire ou de choquer, elle a donné tout ce qu’elle était, bien plus que ce qu’elle avait. C’est au travers de cet exemple que l’on peut grandir, en se rappelant qu’il n’existe aucune situation désespérée qui puisse rendre vain le sacrifice d’amour du Christ. Le regard du Sauveur pénètre chacune de nos vies. Il n’a qu’un seul désir, nous dire : « Va en paix, t’a foi t’a sauvé ».
Jacques Eychenne