Job 4ème partie

JOB

Ou

Le processus

d’un deuil

Job 3

(4ème  partie)

 

 

Introduction :

 

Au chapitre premier, nous laissons Job dans sa profonde douleur. Mais sa foi reste imperturbable. « L’Eternel a donné, et l’Eternel a ôté ; que le nom de l’Eternel soit béni » Job 1 :21. Au chapitre deux, Job se retrouve seul, et même si ses trois compagnons viennent le retrouver, tous demeurent  terrés dans le silence. Sa douleur est à ce point vive, que personne n’ose lui dire un mot (Cf. Job 2 :13). On est réellement dans un processus de deuil. Tous ceux et celles qui professionnellement de nos jours traitent le sujet parlent d’une progression en plusieurs étapes. Peut-on pointer cette réalité dans le parcours de Job ?

 

Développement :

 

Pour simplifier, disons que les professionnels du  deuil énoncent 5 grandes étapes :

1)     Le choc et le déni de la réalité ; 2) La réaction de colère et de révolte face à la nouvelle situation ; 3) La réflexion et le retour sur soi ; 4) L’acceptation ; 5) La reconstruction. (Cf.développement inspiré des étapes sur le processus du deuil d’ Elisabeth Kübler-Ross)

Ces observations intéressantes vont nous permettre de mieux comprendre les réactions de Job. Toute la mise en scène des deux premiers chapitres nous projette dans une atmosphère de deuil. Job est sous le choc du cataclysme qui le terrasse. Il est prostré comme un mort-vivant, incapable de donner la moindre explication satisfaisante à son malheur. Son incompréhension profonde peut s’apparenter au déni de réalité. La suite du récit va confirmer ce fait. Sinon, comment expliquer le nouveau Job que l’on découvre au chapitre 3 ? On a l’impression d’être en face d’un autre homme. On est loin de sa belle profession de foi « L’Eternel a donné, et l’Eternel a ôté ; que le nom de l’Eternel soit béni » Job 1 :21.

Comment comprendre, si ce n’est en actant que le deuil est un processus actif ? Après le choc et le déni, c’est maintenant la réaction de colère et de révolte. Job ne peut supporter davantage de rester dans ce silence de mort. De son cœur souffrant sort ce cri lugubre qui contraste violemment avec sa belle assurance. Du coup, on peut se demander si sa remarquable résignation n’était pas un peu instinctive et surfaite… C’est humain : On peut très bien réagir positivement dans un choc violent, et s’écrouler ensuite… Qu’exprime Job très concrètement :

Le cri de Job est puissant, il maudit le jour de sa naissance : « Périsse le jour où je suis né, et la nuit qui dit : Un enfant mâle a été conçu ! Ce jour-là, qu’il soit ténèbres, que Dieu ne le recherche pas de là-haut et que la lumière ne brille pas sur lui ! » Job 3 : 3-4

Le chapitre 3 nous fait découvrir un homme pour le moins désemparé. Sa seule façon de se prouver qu’il existe, est d’exprimer sa colère. Il avait refusé devant sa femme de maudire Dieu, et maintenant, c’est ce qu’il fait indirectement. Car qui est à l’origine de la vie ? En maudissant sa naissance, ne maudit-il pas celui qui en est l’auteur ? De plus, en créant la lumière Dieu avait surtout pour projet d’éclairer l’homme de l’intérieur. (Cf. 2 Corinthiens 5 :5 et 1 :22) Que serait  l’homme sans l’illumination intérieure ? Non seulement Job refuse que Dieu le cherche, mais aussi indirectement qu’il l’éclaire dans la compréhension de sa douleur. Le temps de la révolte a sonné !

Cela nous rappelle aussi le prophète Elie. Souvenons-nous de sa belle assurance et de sa foi imperturbable face aux 450 prophètes de Baal et 400 d’ Astarté ! Puis sa déroute spirituelle devant la menace de la terrible Jézabel. Il fuit dans le désert et demande la mort. (Cf. 1 Rois 18 : 18-24 ; 19 :4) La similitude des situations révèle la même progression du processus de deuil. Le plus grand des prophètes est terrassé et transpercé par la menace insupportable d’une femme. Suivrons le temps de la réflexion, du retour sur soi, de l’acceptation, et de la reconstruction.

Les deux hommes de Dieu ont la même réaction. Ne pouvant se révolter directement contre Dieu, ils retournent cette révolte contre eux en implorant la mort. Que de situations analogues ne trouvons-nous pas dans nos quotidiens ! Les actualités abondent en réactions de ce genre… Ne pouvant atteindre Dieu ou les personnes aimées, beaucoup retournent leur colère contre eux-mêmes…

Toutefois, on peut aussi renverser notre réflexion. Si fort que soit le cri de douleur de Job, n’est-il pas appel d’un homme qui cherche à comprendre, et qui dit implicitement ne pas pouvoir vivre sans Dieu ?

Curieusement Job ne mentionne ni sa maladie, ni la perte de ses êtres chers, ni même de toute sa richesse. Ce qui lui est insupportable et qui n’est pas exprimé, est le fait d’être abandonné de Dieu. Ce n’est pas la difficulté du combat qui a posé problème à notre Seigneur Jésus-christ, c’est aussi le sentiment d’avoir été abandonné par son Père. (Cf. Matthieu 27 :46)

Certaine colère ne sont-elles pas des cris d’amour ? N’est-ce pas le cas de Job ?

Quoiqu’il en soit entre l’homme très spirituel et paisible du prologue, et l’homme maudissant le jour de sa naissance, le contraste est stupéfiant …

De plus, pas un mot de bienvenue à ses amis venus de loin. Cela parait futile en la circonstance, mais quand même ! Job va crier sa douleur, se parler à lui-même, se centrer uniquement sur lui, comme si ces compagnons de route n’étaient pas là. Bonjour l’accueil ! On peut tout mettre sur le compte de la colère et de la révolte, mais essayons de nous mettre un tout petit instant à la place d’un de ses amis.

 

D’une manière générale, ce chapitre 3 présente 3 séquences :

1) le profond regret de sa naissance

2) l’apologie de la mort

3) questions sur le sens de l’existence.

 

1)     Job ne se satisfait pas de maudire le jour de sa naissance, il englobe aussi la naissance de la création.

 

Les expressions : « Ceux qui maudissent le jour… Que s’obscurcissent les étoiles… La référence au Léviathan, monstre qui (d’après Chouraqui) dévore le soleil et la lune… (Cf. Job 3 :8-9)Tout semble nous renvoyer au chaos originel ou le temps n’était plus compté. (Cf. Job 3 :6)

En creux, cela dit que si sa vie est un non-sens, la création l’est aussi. Sa révolte contre lui-même, et contre tout ce qui l’entoure, l’entraîne dans  une spirale de néant. Il voit tout en noir. Sa douleur est telle que toute possibilité de lumière a disparue. Cette phase de réflexion et de repli sur soi va se poursuivre par d’autres « Pourquoi ? ». Il y a de la résignation. Job est dans le noir du tunnel. Il n’a aucune visibilité de ce qu’il peut faire. Autrement dit, il ne voit aucune porte de sortie à sa terrible condition de souffrance permanente. Cette résignation intègre aussi une forme de rejet de vie. Ainsi s’explique sa phase dépressive et son désir de mort.

Dans le processus de deuil, on observe, dans cette étape de colère et de révolte, une pensée qui se nourrit de fortes contradictions. Ici sa foi s’est comme évaporée… Job est confronté à l’impossibilité d’un retour à sa position première, celle du bonheur.

De nos jours face à des chocs affectifs semblables, la réaction qui consiste à voir tout en noir est assez courante. Cette observation nous renvoie à la fragilité de notre nature humaine. Elle a pour mérite de nous aider à mieux comprendre nos limites. Elle nous permet encore d’avoir de l’empathie pour Job dans sa prostration ou son courroux.

 

2)     En pleine logique, Job va faire l’apologie de la mort.

 

Il l’introduit par les questions qui le traversent : «  Pourquoi ne suis-je pas mort dans la matrice, du ventre sorti pour agoniser ? » Job 3 :11 (version Chouraqui)

Ce qui revient à dire : A quoi bon vivre, si c’est pour souffrir de la sorte ?

Actons le fait que cette question est toujours d’une brûlante actualité !

En conséquence, Job dépeint la mort comme une solution positive d’avenir. Faisant écho à ses « Pourquoi ? » déchirants, Job présente la mort comme un lieu de paix et de repos. « Je serai couché maintenant, je serais tranquille, je dormirais, je reposerais… »Job 3 :13  « Là ne s’agitent plus les méchants, et là se reposent  ceux qui sont fatigués et sans force ; les captifs sont tous en paix… » Job 3 :17-18

Esaïe, décrivant la chute de l’empire babylonien, emploiera un vocabulaire semblable. (Cf. Esaïe 14 :1-19) De même l’ Ecclésiaste, en des termes plus poétiques, décrira la même réalité. (Cf. Ecclésiaste 12 : 3-10)  

Vanités des vanités s’exclamera-t-il en conclusion de sa réflexion !

Mais à écouter Job, on a le sentiment que sa maladie, non seulement l’a enfermé dans une prison, mais encore qu’elle l’a frappé d’amnésie. Toutes les bonnes années ont été oubliées. Sa douleur est si vive, qu’elle occulte tous les bienfaits de Dieu. Aucune mention du temps du bonheur et de la prospérité est relevée. Comme dans un bassin de décantation,  tous les bons moments sont au fond, seule surnage sa douleur intense. Elle explique son désir de mort…

 

Ce qui est toutefois instructif, c’est sa vision positive de la mort. C’est un lieu intemporel de tranquillité, de sommeil, de repos, de paix, d’absence de relation avec l’oppresseur, de justice, de liberté (Cf. Job 3 :13, 17, 18, 19)

Mais à y regarder de plus près, l’auteur du livre de Job nous présente une vision singulière : la mort serait préférable à la vie, si cette dernière n’était que litanie de douleur. Accorder une vertu positive à la mort n’est pas hors de sens. Elle peut être libératrice dans de nombreux cas. Et même spirituellement et idéologiquement !

L’épître aux hébreux nous explique que le Christ a épousé notre condition humaine «  pour réduire à rien, par sa mort, celui qui détenait le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le diable, et délivrer tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient retenus dans l’esclavage toute leur vie » Hébreux 2 :14-15 (Version Nouvelle Bible Segond). La mort devient l’antidote du mal… C’est par la mort du Christ que la mort, en tant que séparation d’avec Dieu, ne sera plus.

La mort annonce donc la victoire sur le mal, voilà une bonne nouvelle.

De même, tout le processus de deuil aboutit à une reconstruction. Se reconstruire face à des évènements dramatiques conduit à mieux se connaître, à découvrir son potentiel de ressources, à donner un sens positif à sa vie. Le sentiment de vulnérabilité est salutaire. Il permet la découverte de nouvelles énergies. Il nous fait   grandir dans la relation de confiance en Dieu.

 

3)     Questions sur le sens de l’existence :

 

Le chapitre se termine par une série de « Pourquoi ? ». Examinons-les…

A quoi bon vivre une vie de souffrance ! « Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui souffre, et la vie à ceux qui ont l’amertume dans l’âme, qui espèrent en vain la mort, et qui la convoitent plus qu’un trésor… » Job 3 :20-21

Après un passé qu’il semble avoir oublié, un avenir qu’il ne voit que par la mort, Job s’interroge sur les intentions de Dieu. Dans une réflexion toute humaine, il pointe les contradictions apparentes : A quoi sert la lumière, si on est enfermé dans l’obscurité de la douleur et de la souffrance ? Question pertinente qui ne peut trouver de réponse satisfaisante, si ce n’est dans le lâcher-prise, l’abandon, la confiance. L’incompréhension de la volonté de Dieu ne doit surtout pas nous conduire à l’abandon de la foi.

Même si la question nous traverse un jour ou l’autre, rien ne peut expliquer notre  rejet de Dieu. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas les tenants et les aboutissants de tout. Nous sommes conditionnés par les évènements de la vie : soit faire confiance à Dieu, soit le rejeter. Notons cependant que le concept de l’amour nous permet d’ouvrir une fenêtre vers la lumière. En effet, s’il nous fallait aimer nos conjoints, enfants, amis, qu’après les avoir totalement compris, nous n’aimerions jamais… Toute vraie relation intègre la confiance. Une vie permanente de défiance n’est-ce pas une non-vie ? La confiance doit rayonner, tel le soleil au dessus des sombres nuages. Le soleil brille même si le ciel est bouché et menaçant…

Pourquoi donc ne pas agir de la sorte vis à vis de Dieu, révélé par Jésus-Christ comme notre Père ? Si la mort est considérée comme un trésor, n’est-ce pas aussi un appel à la confiance dans un au-delà que nous ne pouvons maîtriser !

Les «  Pourquoi ? » de Job  interrogent sur «  l’homme dont la voie est cachée, et que Dieu cerne de toutes parts ? » Job 3 :23 (version N.B.S)

D’autres versions traduisent : « un homme qui ne sait où il va, que Dieu a enfermé comme derrière un mur » (Version français courant)

« Pourquoi ce don de la vie à l’homme dont la route se dérobe ? C’est lui que Dieu protégeait d’un enclos » (Version T.O.B)

« Pour le brave dont la route est cachée et qu’ Eloha cloisonne » (Version Chouraqui)

Job laisse entendre qu’il est placé sur un chemin sans issue. Il est encerclé par Dieu comme sa maladie encercle son corps. Il se définit comme prisonnier d’une situation pour laquelle il n’y est pour rien. La protection de Dieu mentionnée par Satan (Cf. Job 1 :10) s’est transformée pour Job en prison, en enfermement.  

Pour l’instant, nous sommes loin de l’expérience faite par David lors du pardon divin pour son crime :

« Tu es un asile pour moi, tu me garantis de la détresse, tu m’entoures de chants de délivrance. Je t’instruirai et te montrerai la voie que tu dois suivre ; je te conseillerai, j’aurai le regard sur toi. » Psaume 32 : 7-8

 

A cet endroit, posons-nous la question : Est-ce que la force de la douleur ne pervertit

pas notre bonne capacité de jugement ? Pouvons-nous être lucides dans de pareilles circonstances ? Si  la réponse négative s’impose, ne faudrait-il pas en conséquence relativiser considérablement nos états d’âme, et éviter de prendre des décisions importantes dans ces moments là ?

L’auteur du livre de Job cherche (en conclusion de ce chapitre) à nous faire prendre conscience de l’état d’esprit qui envahit Job. Il décrie son ressenti. Les peurs ancestrales de l’être humain surgissent. «  Ce qui me remplit de frayeur, c’est ce qui m’arrive ; ce qui fait mon effroi, c’est ce qui m’atteint. Je n’ai ni calme, ni tranquillité, ni repos ; c’est l’agitation qui survient. » Job 3 : 25-26 (Version N.B.S)

Ce psychodrame nous présente Job comme un être tourmenté et incapable d’entrevoir quelque issue à son grand malheur. La description de son tourment pose aussi la question de sa compréhension de la volonté de Dieu. Il ne comprend plus rien, et n’arrive pas à se sortir de cette lancinante douleur physique, morale et spirituelle.  

Les mots du verset 26 sont forts : « Pour moi, ni tranquillité, ni cesse, ni repos. C’est le tourment qui vient. » (Version T.O.B) «  Je ne m’apaise pas, je ne me calme pas, je ne me repose pas : l’exaspération est venue » (Version Chouraqui)

Dans l’original, le verset 25 parle même de peur, de terreur, d’être terrorisé.

Comme nous le constatons l’épreuve que subie Job est à la frontière du supportable. Aucune injection de morphine ne peut lui être administrée. Si nous superposons son sentiment d’injustice, on saisit mieux pourquoi sa compréhension du plan de Dieu est réduite à néant.

De nos jours, n’en est-il pas de même ? Dans plusieurs parties du monde des chrétiens sont torturés, dépecés, brûlés vifs. D’autres sont persécutés dans leur chair et leurs biens. Des églises sont brûlées, comme récemment en Egypte. Et que penser de ces moines dévoués qui ont consacré leur vie aux habitants de ce petit village d’Algérie et qui ont été massacrés ? Sans parler de toutes les injustices du monde moderne, comment concilier ces faits avec l’amour et la bonté de Dieu ?

 

Sans une expérience personnelle, qui intègre à la fois l’enjeu du problème du mal, et la perception de la finalité heureuse de toutes choses, ne sommes-nous pas aussi en danger de voir notre foi vaciller ?  Surmonter le mal par le bien, n’est-ce pas faire confiance envers et contre tout ? Si nous doutons relisons Hébreux 11 en entier

 

                                                                                         Jacques Eychenne

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