Job
ou
le pari divin osé
Job 1 et 2
(2ème partie)
Introduction :
Après avoir brossé un tableau général du livre de Job, nous entrons maintenant dans l’analyse précise de la situation décrite dans le prologue de son livre. On nous relate l’histoire d’un homme réputé pour sa prospérité et reconnu pour sa droiture.
Suite à des circonstances particulières, Job passe des sommets de la renommée à la déchéance la plus insupportable. Au travers de cinq étapes bien définies, Job atteint le fond des fonds de la condition humaine.
Développement :
Première séquence mentionnée : Job est présenté comme le plus grand de tous les fils d’Orient. Il est intègre et droit. Il craint Dieu. (Cf. Job 1 :1-5)
Deuxième séquence : Dans les lieux célestes, un débat s’engage entre IHVH-Adonaï (Dieu) et un personnage nommé Satan. (Cf. Job 1 :6-12)
Troisième séquence : Job devient l’enjeu d’un débat entre IHVH-Adonaï et Satan. En conséquence : Il perd tous ses enfants, ses serviteurs et ses biens en peu de temps. (Cf. Job 1 :13-22)
Quatrième séquence : Nouvelle discussion entre Dieu et Satan. Job devient l’enjeu d’un pari pour le moins insolite, pour ne pas dire carrément fou. Dieu le livre physiquement à Satan qui le frappe dans sa chair d’un ulcère malin (Actualisé= sorte de cancer de la peau). Malgré le comportement négatif de sa femme, Job reste ferme dans sa fidélité à Dieu, même s’ il crie son innocence et son incompréhension. (Cf. Job 2 : 1-10)
Cinquième séquence : Trois amis de Job viennent le consoler. (Cf. Job 2 : 11-13)
Essayons de voir plus clair dans ce récit que Chouraqui décrit comme « le premier roman métaphysique de la littérature universelle ». (Bible de Chouraqui, introduction au livre de Job, éditions Desclée de Brouwer, p. 1278)
Première séquence :
« Il y avait au pays d’ Outs un homme nommé Job » Job 1 :1 Si dans le texte l’indéfini précède le nommé, c’est peut-être pour attirer notre attention sur l’aspect universel du propos. En effet, ce Job ainsi nommé, ne fait pas parti du peuple d’Israël. Il symbolise le croyant universel. Il se situe en marge du projet de Dieu pour un peuple, le peuple d’Israël, choisi pour transmettre la connaissance de son nom.
A première vue, nous dirions qu’il incarne bien une belle réussite sur les plans religieux, matériels, familiaux. Sa renommée dépasse les frontières.
Notons que dans l’Ancien testament les qualificatifs intègre et droit, accompagnés de la crainte (respect) de Dieu, sont l’apanage des grands serviteurs de l’Eternel.
Le comportement spirituel exceptionnel de Job le présente comme le champion de la fidélité à son Dieu. Si le livre de Job est le premier des trois livres de la Sagesse, c’est peut-être parce que la crainte de Dieu est définie comme le commencement de la sagesse. (Cf. Proverbes 1 :7 ; 14 :2715 :33)
Job est le type du croyant fidèle indépendant de toute notion d’appartenance au peuple élu. Ce choix de Dieu a donc une portée universelle. Il transcende toutes les appartenances à des communautés bien définies.
Job vit une spiritualité qui lui est propre. Il est dans l’esprit de l’idéal proposé aux croyants avec Abraham, puis aux Israélites avec Jacob, puis Moïse. Il peut être aussi le symbole de ceux « qui font naturellement ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-mêmes ; ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour. » Romains 2 : 14-15
Même si sa renommée s’étend dans tout l’Orient -ce qui n’est pas peu dire- sa spiritualité se vit, concrètement, au quotidien, au sein de sa famille. Job ne fait pas que faire la fête avec ses enfants, allant chez l’un, puis chez l’autre (Ces banquets étaient certainement de grandes réunions de famille). Il les rassemble pour les « sanctifier » (Cf.Trad. Ancien testament interlinéaire, hébreu-Français, éd. Alliance biblique universelle, p. 2176). Pour cela, il suit le principe ancestral des sacrifices de purification. Ils étaient bien connus en Mésopotamie. L’intercession de Job pour ses enfants avait pour objectif de les reconnecter avec Dieu, au cas ou leurs liens auraient été distendus, par ce que nous appellerions aujourd’hui, des mondanités.
Ce ministère d’intercession est dans la ligne des grands hommes de foi. L’exemple de Job n’est-il pas propre à éveiller la responsabilité de tous les parents de notre 21ème Siècle ?
Deuxième séquence :
Un débat a lieu dans le ciel. De même que Job est entouré de ses enfants : 7 fils, 3 filles (Rappelons le symbolisme des chiffres : entre autres interprétations, 7 est celui de la perfection, 3 celui de l’unicité de Dieu) ; de même dans la famille céleste le Seigneur est entouré de ses fils (les créatures célestes plus simplement peut-être).
Alors que ces fils sont rassemblés auprès du Père, un intrus vint au milieu d’eux. (Cf. Job 1 :6)
Ce personnage inopportun est nommé l’Adversaire ou l’Accusateur (en hébreu le Satân)
Le lecteur est comme un spectateur devant lequel on joue une pièce de théâtre. Le décor est planté, les principaux personnages interviennent tour à tour.
Mais qui sont-ils ?
- Dieu : dans le livre de Job les commentateurs font remarquer que ce nom apparaît sous le vocable du tétragramme sacré YHWH. On le trouve uniquement dans le prologue et l’épilogue. Dans le reste du livre, c’est plutôt le nom d’ ELOAH, nom poétique d’ ELOHÎM .
YHWH prend l’initiative du dialogue. Il incarne l’autorité suprême incontestable. Mais il accepte aussi d’être contesté, et il va être contesté.
Job fait bien référence à la transcendance de ce Dieu d’ Israël.
- Satân : l’autre personnage est décrit comme un opposant à Dieu. La racine hébraïque signifierait un adversaire, un accusateur. Il est mentionné plus d’une trentaine de fois dans l’ Ancien Testament. Le nom propre de Satan a été conservé.
Satan dans les évangiles est celui qui tente le Seigneur Jésus au désert, ainsi que tout fidèle (Cf. Matthieu 4 :10 ; Luc 22 :31 ; Apocalypse 2 :20) L’action maléfique de ce personnage est associée à d’autres appellations comme Belzébul, le prince des démons, Bélial, Diable, Dragon (référence à la mythologie Babylonienne du chaos originel), le serpent ancien, l’Ennemi, le Malin, le Mauvais, le Menteur, celui qui séduit toute la terre etc...
Les prétentions de ce personnage sont démentielles. Non seulement il contrecarre tous les plans de Dieu, mais sa finalité est d’usurper, par tous les moyens, l’autorité et le pouvoir de Dieu.
En cela le prologue du livre de Job est très éclairant sur le conflit séculaire entre le Bien et le Mal …
Premier tableau : Le débat peut maintenant s’ouvrir :
Comme souvent, Dieu prend l’initiative du dialogue et questionne : « D’où viens-tu ? » Job 1 :7. L’Adversaire répond : « De parcourir la terre et de m’y promener ».
La première question n’est pas sans nous rappeler celle posée à Adam, en Eden (Cf ; Genèse 3 :9). Cette question fait lien entre un positionnement dans l’espace et une relation. Cela suggère une connexion. Est-ce que cela signifie que l’endroit où l’on se positionne ou celui d’où l’on vient n’est jamais neutre ?
De même, par cette phrase nous prenons connaissance des possibilités de liberté de Satan. Dieu n’a restreint ni son pouvoir, ni son rayon d’actions.
Mais, Dieu fait l’éloge, à cet intrus, de la fidélité de son serviteur Job. (Cf. Job 1 :8)
La pertinente réplique de l’Adversaire n’est pas sans nous rappeler, la séduction opérée sur Adam et Eve, en Eden. Satan interpelle Dieu en sous-entendant que son serviteur le sert par intérêt (Cf. Job 1 :9-11)
L’enjeu du débat est au plus haut niveau. L’accusation, à peine voilée, laisse entendre que si les créatures de Dieu (les humains) le servent, c’est par calcul, c’est par intérêt. Autant accuser Dieu d’utiliser un pouvoir dictatorial.
Satan met en avant le fait suivant : Sans les bénédictions et les bienfaits que Dieu accorde à Job, celui-ci ne pourrait lui être fidèle, pire il le maudirait. (Cf. Job 1 : 11)
La pertinence de la remarque pose le vrai problème de fond de la relation à Dieu…
En d’autres termes, quelles sont les vraies motivations de Job dans sa fidélité à Dieu ?
L’argument invoqué par Satan consiste à dire que c’est la bénédiction qui entraîne la fidélité, comme dans une sorte de marchandage ou chacun trouve son compte.
Le rapport « donnant-donnant » remettrait en question (s’il était fondé) tout le projet de Dieu dans la conception d’une relation d’amour désintéressé. Dans ce schéma, point n’est besoin de parler de confiance, ce ne serait qu’un problème mathématique : « J’agis de cette façon, et toi tu augmentes mes biens et te porte garent de ma prospérité ! »
L’argument de Satan est tellement fort qu’il continue aujourd’hui à nous séduire et à jeter la confusion. « Est-ce pour rien que nous servons Dieu ? »
Dans toutes les communautés chrétiennes la théologie de la rétribution est encore bien présente. N’est-ce pas un calcul déguisé pour marchander son salut éternel ?
Mais Dieu accepte le défi posé par l’Adversaire Satan :
Attitude à la fois sublime et incompréhensible du Père. Il accueille et force son interlocuteur à la réflexion…
Il répond : « Soit ! Tous ses biens sont en ton pouvoir. Evite seulement de porter la main sur lui. » Job 1 : 12 (version la T.O.B).
Ok ! dit Dieu, le tout de ses biens est dans ta main… Autrement dit : « je te permets d’aller jusqu’au bout de ta logique. »
Mais, pourquoi Dieu accepte-t-il ce défi apparemment insensé ? Pourquoi ce défi est-il un élément de réponse à la tragédie du mal qui frappe notre humanité depuis l’Eden ?
Le texte nous place ensuite devant le déroulement des malheurs qui fondent sur Job. Tout disparaît, tout est réduit à néant. Tout son héritage et son travail. Ses propres enfants, ses serviteurs, ses troupeaux, rien n’est épargné ! Séquence terrible et dramatique (Cf. Job 1 : 13-19).
Devant ce constat de désolation, la réaction de Job est émouvante :
« Alors Job se leva, déchira son manteau, et se rasa la tête ; puis, se jetant par terre, il se prosterna, et dit : Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je retournerai dans le sein de la terre. L’Eternel a donné, et l’Eternel a ôté ; que le nom de l’Eternel soit béni ! » Job 1 :21
L’attitude exemplaire de Job appelle quelques remarques :
- Comme tout humain, Job exprime sa douleur. Déchirer ses vêtements était signe d’une grande souffrance, d’une grande désapprobation ou d’un blasphème contre Dieu. (Cette attitude va perdurer jusqu’au temps de Jésus. Cf. Matthieu 26 :65 ; Actes 14 : 14, voire encore Lévitique 10 :6)
- Job ne comprend pas ce qui lui arrive. Il n’a aucune explication satisfaisante.
- Malgré tout, Job reste invariable dans son adoration à Dieu. C’est sa seule consolation dans la situation présente.
- Malgré la douleur de la perte de ses serviteurs et troupeaux, Job stoïque entame un propos philosophique. Il est venu nu dans ce monde, il est prêt à en repartir nu. Que nous inspire son comportement ? Qu’en est-il de nos attachements aux biens de ce monde ?
- Plus surprenant encore, Job considère que c’est Dieu qui est à l’origine de ce désastre. « L’Eternel a ôté ». Que penser de sa compréhension ? Ne donne-t-elle pas l’impression que ce Dieu tout-puissant reste inaccessible, inflexible ou arbitraire dans ses décisions ?
- A-t-elle un fondement positif ? Si oui, lequel ?
- La bénédiction du nom de l’Eternel semble en opposition avec ce qui précède. In fine, Job considère que la souveraineté de Dieu transcende toute autre considération. Même s’il ne comprend pas, il s’abandonne dans une confiance inconditionnelle.
- Par contre, si Job est convaincu que Dieu est à l’origine de ce qui lui arrive, il se positionne fermement dans le respect et ne porte aucune accusation contre lui.
Le récit se poursuit par l’énoncé d’un constat : « En tout cela, Job ne pêcha point et n’attribua rien d’injuste à Dieu. » Job 1 :22
A cet instant, et à vue humaine, nous dirions que la preuve par neuf vient d’être faite. La fidélité de Job à son Dieu est une évidence. Accepter de tout perdre, y compris tous ses enfants, n’est-ce pas suffisant comme démonstration de fidélité ? Mais alors pourquoi, toujours dans le même propos de déraison, Dieu n’est-il pas intervenu pour mettre fin au débat ? Dieu aurait très bien pu, de sa propre initiative, considérer que l’épreuve était suffisante et que Satan était disqualifié dans ce combat… Il n’en fut pas ainsi.
Une deuxième séquence encore plus terrible va s’ouvrir. Elle a au moins pour mérite de dévoiler complètement les intentions des deux parties en présence.
Deuxième tableau : Bis repetita … Même introduction, même questions de la part de Dieu. Mais cette fois, la réponse de l’Adversaire est différente, plus perfide.
Satan répondit à l’Eternel : « Peau pour peau ! Tout ce qu’un homme possède, il le donne pour sa vie. Mais veuille étendre ta main, touche à ses os et à sa chair. Je parie qu’il te maudira en face ! » Job 2 : 4-5 (version T.O.B)
(La Nouvelle Bible Segond (N.B.S) met en note que l’expression « peau pour peau » devait sans doute faire référence à un proverbe populaire qui rappelait la loi du talion. Cf. Exode 21 :23-25. N.B.S 2002 p. 652.)
Cette fois l’argumentation de Satan va plus loin. Il laisse entendre que l’homme est prêt à tout pour sauver sa vie. Cela fait partie de ses réactions normales. C’est tout juste si Satan ne dit pas à Dieu : « Mais, c’est banal que Job te reste fidèle, seulement touche à son être profond, atteint le dans sa chair, brise-le, et je fais le pari qu’il te maudira ». Satan laisse entendre que Job n’a pas été personnellement touché « en plein cœur ». De ce fait, il est logique qu’il veuille aller jusqu’au bout de l’épreuve.
Et Dieu accepte ce pari injuste, inhumain, insensé, voire risqué : « Soit ! Il est en ton pouvoir ; seulement respecte sa vie » Job 2 :6 (version T.O.B)
Observons la graduation de l’épreuve subie injustement par Job. Après avoir été subitement privé de tout ce qu’il possédait, de tout ce qu’il avait de plus cher, exceptée sa femme, Job est atteint lui-même. Les psy diraient : après s’en être pris à l’Avoir, satan s’attaque à l’ Etre. Sur un plan plus tactique, voire même géométrique, Satan attaque d’abord l’extérieur pour atteindre l’intérieur. Il part de l’extérieur du cercle pour en viser le centre. Cette démarche est révélatrice des ambitions complètement aberrantes de L’Adversaire contre Dieu. L’Antagonisme les situe aux antipodes l’un de l’autre. Qui aura le dernier mot ? Pour l’instant c’est Job qui est le cobaye. C’est lui qui est le jouet du pari. Et cerise sur le cake, sa femme l’enfonce un peu plus. Au lieu d’être en soutien pour le moins moral, sa recommandation est mortifère. « Maudis Dieu et meurs ! » Job 2 :9 Plus que jamais Job est seul, tout seul avec ses questions sans réponse…
Quant à nous qui sommes encore sous le choc de ce récit, laissons passer une semaine et nous reprendrons notre propos en revenant sur la maladie de Job, la réaction de son épouse et l’arrivée de ses amis.
Pour l’instant nous avons plus de questions que de réponses mais attendons la suite… A SUIVRE…
Jacques Eychenne