Le joyau des béatitudes

 

 

 

             Les béatitudes

                                   ou

 La marche vers le royaume des cieux

     Matthieu 5 : 1-12

 

 

Introduction :

 

L’évangile de Matthieu, à l’adresse du peuple juif, a pour objectif de présenter le Christ comme le roi d’Israël. Après avoir établi le lien historique avec Abraham et David, décrit sa naissance comme un moment unique, Matthieu présente le début du ministère public du Seigneur. Il est inauguré par son baptême et la confrontation avec l’auteur de la tragédie du mal : le diable. Puis, Jésus entame sa tournée en Judée prêchant la repentance et la proximité de l’avènement du royaume des cieux (cf. Matthieu 4 : 17). Dès le début de son livre Matthieu (le péager repenti) établit un saisissant contraste entre l’intervention du père du mensonge (appelé le diable et satan) et celle du Christ. D’un côté le diable transporte le Christ sur une haute montagne (cf. Matthieu 4 : 8) et de l’autre Jésus délivre son message fondateur, appelé sermon sur la montagne dans un endroit très bas (en effet, le lac de Galilée se situe dans une des plus fortes dépressions de notre planète à 200 environ au-dessous du niveau de la mer. Cette dépression se poursuit vers le Sud. La mer morte en 2015 a été mesurée à 429m  au-dessous du niveau de la mer). Ce positionnement géographique circonstancié symbolise le caractère de celui qui s’est toujours vu dans une position élevée et dominante alors que Jésus s’est plu dans un ministère de service. C’est donc des abords du lac, sur les flancs de la colline ouest que Jésus va délivrer son discours mémorable appelé le sermon sur la montagne (même de nos jours le cadre est majestueux). Il s’adresse en premier aux disciples qu’il vient d’appeler à le suivre (cf. Matthieu 4 : 18-22). Mais la foule est aussi présente (cf. Matthieu 5 : 1). Elle est dans l’attente d’entendre ses paroles. On imagine la scène : les disciples sont tout près du Seigneur et la foule tout autour en cercle.

 

Développement :

 

« Puis, ayant ouvert la bouche, il les enseigna, et dit: »  Matthieu 5 : 2. Le fait d’ouvrir la bouche est un hébraïsme que l’on retrouve souvent dans l’Ancien Testament (cf. Nombres 23 : 12 ; 1 Samuel 2 :1 ; Job 33 : 2 ; Psaume 19 : 14). Nous dirions simplement aujourd’hui que le Seigneur a pris la parole pour délivrer son  enseignement. Que dit-il ?

« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! Heureux les affligés, car ils seront consolés ! Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ! Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous. » Matthieu 5 : 3-12. Cette partie solennelle, appelée « les béatitudes », introduit son sermon, souvent appelé : le sermon sur la montagne. Examinons-le de plus près.

 

A neuf reprises la phrase est introduite par « heureux » (en grec Μακάριοι signifie heureux ou bienheureux cf. Luc 7 : 23 ; Tite 2 : 13.). Mais est-ce que cette traduction est satisfaisante ? Il faut garder à l’esprit que Matthieu s’adresse au peuple Juif. Les multiples références de l’Ancien testament révèlent son intention. Or Jésus ne parlait pas en grec, mais en araméen, langue assez proche de l’Hébreu ancien. Il est intéressant de remarquer que l’Hébreu est la seule langue morte conservée qui soit redevenue vivante ses dernières décennies. Cette résurrection linguistique est unique. De ce fait, nous n’aurions jamais pu saisir le sens hébraïque de ce mot grec. Jésus a très certainement utilisé un mot qui correspond à « ashréi » en Hébreu. Cette exclamation revient plus d’une quarantaine de fois dans la Bible Hébraïque. Elle aurait pour racine « ashar » qui traduit l’attitude d’un homme marchant droit sur la route menant à son Dieu (IHWH-Adonaï). Le fait d’être en marche est attesté par tous les dictionnaires étymologiques de l’Hébreu. André Chouraqui va dans ce sens, quand il dit dans son commentaire «  Iéshoua ne dit pas makaroï, il prononce le mot hébreux ashréi, premier mot des psaumes 1 et 119. Matthieu, imperturbablement fidèle  aux traductions du judaïsme hellénistique, traduit ashréi par makaroï selon l’équivalence imposée par l’usage de la LXX » (datation de cette version -270 av. J-C). L’évangile selon Matthieu, A. Chouraqui, Editions Jean-Claude Lattès, 1992, p. 93. Nous pouvons accepter la définition proposée par ce savant qui parlait couramment le français, l’arabe, l’hébreu, l’araméen, l’espagnol et l’anglais. La lecture du grec et du latin ne lui posait aucun problème. (Pour mémoire je rappelle qu’André Chouraqui est né en Algérie. Il a été le conseiller de Ben Gourion, maire adjoint de Jérusalem, président de l’Alliance française, traducteur de l’A.T et du N.T, poète etc…)

 

1) « Heureux les pauvres en esprit ». Bien entendu, il ne s’agit pas de ceux qui sont pauvres d’esprit, mais de ceux qui ont l’humilité du pauvre (dans la tête et dans le cœur). « Heureux les pauvres de cœur » traduit la TOB et « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre » traduit la Bible de Jérusalem. En correspondance avec les découvertes des manuscrits de la mer morte, et l’exégèse récente de ces textes, l’expression « les pauvres en esprit » serait à comprendre ainsi : ce sont ceux qui ont conscience de leur misère et qui héritent du souffle de Dieu, appelé Saint-Esprit. 

«, car le royaume des cieux est à eux ! ». Observons que dans les huit premières béatitudes, Jésus promet le bonheur. En creux, les pauvres en esprit sont conscients de leurs manques. Ils aspirent à la visite de l’Esprit. Cet état d’esprit les désigne comme des marcheurs héritiers du royaume des cieux.

 

2) « Heureux les affligés, car ils seront consolés ! ». οἱ πενθοῦντες = les affligés sont

ceux qui vivent un deuil (cf. Marc 16 : 10). Suivant l’historien Flavius Josèphe, les Romains menèrent des guerres très meurtrières contre les Juifs. Si on ajoute les déportations et les mises en esclavage, les situations de famille en deuil concernaient beaucoup de personnes. (L’historien Tacite rapporte qu’un âne valait plus cher qu’un Judéen). Ceux qui marchent dans la vallée de l’ombre de la mort (cf. Psaume 23) seront réconfortés par Dieu. Cette promesse était déjà annoncée par le prophète (cf. Esaïe 40 : 1 ; 61 :2). Le Seigneur invite ceux qui sont en marche vers le royaume, à traverser les temps de détresse avec confiance.

 

3) « Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre ! ». οἱ πραεῖς =  les doux (cf. 1 Pierre 3 : 4). La terre est promise à ceux qui marchent dans les pas du Christ. Il était « doux et humble de cœur »  Matthieu 11 :29. Cette terre promise est un thème que l’Apocalypse de Jean reprendra. A la fin des temps, l’apôtre voit «  un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus » Apocalypse 21 : 1.

 

4) « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ! ». οἱ πεινῶντες καὶ διψῶντες = Matthieu parle bien de la faim physique (cf. Matthieu 4 : 2), celle qui fait mal et torture le corps. Il en est de même de la soif (le Christ a employé le même terme avec la Samaritaine, Jean 4 : 7). L’absence d’eau entraîne une souffrance aussi physique. En bref, ce texte concerne tous ceux et celles qui souffrent d’une  justice humaine partiale et qui aspirent à la justice divine. A ceux qui sont en marche vers cet absolu est promise une complète satisfaction comme lors d’un succulent repas. 

 

5) « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ! ». οἱ ἐλεήμονες = les miséricordieux. Le mot n’a pas de lien avec la misère. Il s’agit de celui qui est étreint d’une forte émotion. Il est saisi aux entrailles. Luc, le médecin bien-aimé parle de  « grâce aux entrailles de la miséricorde de notre Dieu, en vertu de laquelle le soleil levant nous a visités d'en haut » Luc 1 : 78 (cf. aussi 1 Jean 3 : 17 ; Apocalypse 10 : 9-10). Les miséricordieux sont des marcheurs ouverts aux émotions compassionnelles pour Dieu et leur prochain. Ceux-là seront accueillis, comme ils ont accueilli dans leurs relations ici-bas.

 

6) « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! ». οἱ καθαροὶ  = les purs. C’est la caractéristique de ce qui n’est pas souillé. Lorsque Joseph reçut de Pilate la possibilité de préparer le corps de Jésus, le texte grec original dit « Joseph l’enveloppa dans un linceul pur (καθαρᾷ) » Matthieu 27 : 59. L’apôtre Jean écrira : « si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes mutuellement en communion, et le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché. »  1 Jean 1 : 7, (voire aussi 1 Pierre 1 : 19). Ailleurs, l’apôtre Jean précisera : « Celui qui est lavé n'a besoin que de se laver les pieds pour être entièrement purs ; et vous êtes purs, mais non pas tous. Car il connaissait celui qui le livrait » Jean 13 : 10-11. Ce qui est pur dans le rituel cérémoniel doit être sans tache. L’agneau devait être sans défaut (cf. Exode 12 : 5). Cette pureté concerne symboliquement tous les actes de notre vie (cf. Tite 1 : 15 ; Luc 11 : 41). Dans notre texte, il est question du cœur, siège des sentiments. Etre pur rejoint l’état d’esprit qui motive nos actions.  Il caractérise ceux qui marchent avec de réels sentiments d’amour pour Dieu et leur prochain. La promesse les

réjouira au bout du chemin.

 

7) « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! ». οἱ εἰρηνοποιοί = créateur ou faiseurs de paix (appellation unique dans le Nouveau Testament). Le mot « paix » s’oppose à la guerre. On dépêche un ambassadeur pour négocier la paix (cf. Luc 14 : 32). La paix se définit comme une absence de conflit (cf. Actes 24 : 2), c’est le sens basique. Ensuite vient la paix spirituelle. Elle est absence de conflit avec Dieu et le prochain. L’apôtre Pierre dans la maison de Corneille dira « Dieu a envoyé la parole aux fils d’Israël, en leur annonçant la paix par Jésus-Christ, qui est le Seigneur de tous. » Actes10 : 36. Ailleurs : «  soyez en paix les uns avec les autres » Marc 9 : 50. Jésus dira aux apôtres : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde donne. » Jean 14 : 27. Quand on observe l’histoire de notre planète, on prend conscience que l’être humain, par nature, ne sait pas gérer la paix. C’est la raison pour laquelle, elle est don de Dieu par Jésus-Christ. Ce texte met en évidence la nécessité de se réconcilier avec Dieu devenir porteur de paix. Ici, il est donc question de ceux qui marchent en portant le message de paix. L’apôtre Paul dira : « par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ. » Romains 5 : 1. Une merveilleuse promesse est attachée à ceux qui sont des messagers de paix, ils feront partie de la famille céleste.

 

8) « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! » οἱ δεδιωγμένοι  = les poursuivis, les chassés, les persécutés. Dans l’esprit de cette parole, il s’agit de ceux qui ont une marche de souffrance. Ils sont poursuivis et persécutés pour leurs convictions religieuses. Elles reposent sur la notion de justice, celle qui fait référence à la loi divine (cf. Matthieu 3 : 15 ; Philippiens 3 : 6), plus précisément à la bonne conduite à vivre (cf. Ephésiens 6 : 14 ; Philippiens 1 : 11). Cette justice n’est pas celle des hommes, elle est avant tout révélation par Dieu. Elle s’accueille par la foi « la justice de Dieu se révèle de la foi à (εἰς=sens temporel= pour ; sens figuré= vers, en vue d’atteindre un but ou un résultat) la foi, comme il est écrit : Le juste vivra de la foi »  Romains 1 : 17, version Bible de Jérusalem. Le texte fait référence à ceux qui marchent avec des convictions spirituelles fondées sur la révélation divine. Ce sont des personnages gênants dans un monde où tout est permis. La variété des persécutions qu’ils subissent, fait partie de leur combat spirituel pour le triomphe du bien. La promesse est réconfortante. Un jour, la justice impartiale sera rendue, et chacun rendra compte devant Dieu pour lui-même (cf. Romains 14 : 12).

 

9) « Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous ». Cette dernière béatitude est un prolongement de la précédente. Toutefois, l’injonction de se mettre en marche passe de la troisième personne du pluriel à la deuxième. C’est le mouvement qui part du général vers l’intime. Les béatitudes se ponctuent ainsi par un message plus personnel. Il met l’accent sur l’outrage et la calomnie (ὀνειδίζω= faire des reproches injurieux, Romains 15 : 3. πονηρός= dire du mal, des méchancetés. Cela est identifié au malin 

Matthieu 13 : 19 ; Ephésiens 6 : 16, sa technique : pratiquer le mensonge ψεύδομαι= mentir, tromper, abuser, Actes 5 : 3). Ces agressions verbales s’adressent à ceux qui ont foi en Jésus-Christ. Ces fidèles sont invités à dépasser l’opprobre présent pour lancer leur regard vers la récompense céleste  (μισθός = c’est d’abord concrètement un salaire dû, Luc 10 : 7 ; Romains 4 : 4 ; puis par extension une récompense Apocalypse 11 : 18).

Dépasser les épreuves, c’est être solidaire du combat spirituel  mené par une pléiade de croyants à travers tous les siècles.

 

Conclusion :

 

Cette ouverture du sermon sur la montagne présente l’itinéraire du marcheur ayant foi aux promesses divines. Le chemin du bonheur n’est pas pavé de pétales de roses. Le mot « heureux » peut même être perçu comme une provocation. Il ne semble pas être en adéquation avec l’âpreté du combat quotidien. Les huit premières orientations de la marche présentent tout un programme. C’est le parcours ascensionnel vers le bonheur. Il ne fait pas l’économie des difficultés relationnelles. Seulement, quand on est pauvre de cœur, on n’est pas encombré par mille projets, on va à l’essentiel vital. Les pleurs, le besoin de douceur, la soif de justice, le désir empathique ou la bonté naturelle, la pureté des sentiments, la recherche de la paix, font partie du voyage. Nous sommes en transit vers un absolu proposé par Dieu en Jésus-Christ. Ce texte fulgurant éclaire tous les coins obscurs de l’existence humaine. Il fait partie des plus beaux morceaux choisis de l’Evangile.

Le Christ a ouvert la voie du bonheur, ces béatitudes dessinent son autoportrait avec une finesse remarquable. A nous de choisir cet itinéraire, conscients de nos imperfections et de nos limites, mais heureux de pouvoir nous reposer sur la puissante manifestation de sa grâce et de son amour.

« Nous donc aussi, puisque nous sommes environnés d'une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau, et le péché qui nous enveloppe si facilement, et courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, ayant les regards sur Jésus, le chef et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui était réservée, a souffert la croix, méprisé l'ignominie, et s'est assis à la droite du trône de Dieu. Considérez, en effet, celui qui a supporté contre sa personne une telle opposition de la part des pécheurs, afin que vous ne vous lassiez point, l'âme découragée. » Hébreux 12 : 1-3

« Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu. » Romains 5 : 1-2

                                                                                     

                                                                             Jacques Eychenne

 

 

 

 

 

 

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