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Les soupirs divins dans le temps des gémissements humains Marc 7 : 34 2 Corinthiens 5 : 2 |
Introduction :
Après avoir exercé un long ministère en Galilée, le Seigneur Jésus fit un petit détour en territoire païen du côté de Tyr et de Sidon. Il revint par la Décapole vers la mer de Tibériade. C’est là qu’il fut interpellé par une demande pressante : imposer les mains à un sourd-muet pour qu’il soit guéri. Comme à son habitude, Jésus fuyant la démonstration publique, prit à part cet homme (dont on ne connaît même pas le nom) et l’emmena loin de la foule. Dans un face à face émouvant, Jésus répondit à son attente, pourtant non formulée personnellement. Le procédé utilisé par le Seigneur sort de l’ordinaire. Le texte dit qu’il mit ses doigts dans ses oreilles et qu’il toucha sa langue avec sa propre salive (cf. Marc 7 : 32-33). En général, on aime s’attarder sur les particularités de cette action, toutefois essayons de porter plus particulièrement notre attention sur le verbe soupirer qui précède l’action miraculeuse. Le Seigneur a soupiré. Le fait est suffisamment rare pour qu’on s’y arrête. A ma connaissance, il est même unique. S’il est mentionné par Marc, c’est qu’il a son importance… Alors pourquoi le Seigneur a-t-il soupiré ? Par extension nous analyserons les soupirs divins en contraste avec les gémissements humains.
Développement :
« Puis, levant son regard vers le ciel, il soupira. Et il lui dit: «Ephphata», c'est-à-dire : « Ouvre-toi.» Marc 7 : 34, version TOB. Qu’exprime ce soupir en regardant vers le ciel ? Mais d’abord, qu’est-ce qu’un soupir ? Son fonctionnement biologique est bien connu… Physiologiquement, de même que le bâillement ou le rire, il représente différents types de respiration ayant pour finalité d’emmagasiner de l’oxygène. Mais le soupir sur un autre plan a souvent pour cause une forte expiration plus ou moins prolongée provoquée par une émotion positive ou négative. Observons dans ce récit que Jésus n’a encore exprimé aucune parole. Il inaugure la relation par un soupir. Ce n’est pas en regardant cet individu souffrant qu’il le porte, mais en se tournant vers le ciel.
Si le Seigneur a pris en compte, avec compassion, la triste condition de cet humain, n’est-ce pas parce qu’elle le renvoyait à la vraie raison de sa venue sur terre ? Le Christ n’est-il pas venu libérer les humains de tous leurs maux ? En regardant d’abord vers le ciel, il nous indique peut-être l’origine du mandat qu’il a reçu de son Père. « … la bonne nouvelle du royaume de Dieu; car c'est pour cela que j'ai été envoyé. » Luc 4 : 43, version NEG. Le Christ est avant tout l’envoyé du Père pour le salut de toute l’humanité (cf. Matthieu10 : 40 ; Marc 9 : 37 ; Jean 6 : 38). Ce soupir du Christ exprime peut-être avant tout sa solidarité avec la misère humaine. Devant la souffrance Jésus soupire, car cette souffrance le renvoie certainement à un combat spirituel antérieur à toute création. Jésus constate les dégâts de ce conflit séculaire entre les forces de Dieu et celles du mal. La souffrance de cet homme le ramène à cette (ancienne) réalité.
Ce soupir peut aussi être perçu comme une prière vers le trône de la grâce divine. Le Christ ne peut agir qu’en lien avec son Père (cf. Jean 5 : 19 ). Cette attitude instructive nous indique la bonne démarche à adopter avant toute demande d’intervention divine. Cette reconnaissance est un passage incontournable. L’ouverture, « Ephphatha, c'est-à-dire, ouvre-toi » Marc 7 : 34, version NEG, ne peut s’opérer qu’en regard d’une bonne disposition de notre part. Ainsi indirectement, ce récit nous renvoie à nos impuissances, tout autant qu’à la puissance illimitée de Dieu (cf. Matthieu 19 : 26). De ce fait, ce récit nous dit que tout espoir est permis quand on accueille l’aide précieuse du Seigneur Jésus, l’envoyé divin. Encore faut-il accepter de se laisser conduire loin de la foule. Encore faut-il se laisser faire sans douter et rester ouvert à l’action du Sauveur. Peut-être nous conduira-t-il là où nous n’aurions jamais pensé, ni souhaité ! Le Seigneur est venu nous aider à rétablir notre relation avec le ciel, il a le projet d’ouvrir nos oreilles pour que nous entendions la parole de Dieu et de délier notre langue afin que nous puissions publier ses louanges. Confions-nous en lui sans réserve : sa compassion est sans limite…
Mais, il n’y a pas que le Christ qui a soupiré !
« De même aussi l'Esprit nous aide dans notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu'il convient de demander dans nos prières. Mais l'Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables » Romains 8 : 26, version NEG.
Toute la compassion céleste est résumée dans ce soupir. Il est vrai que nous avons de la difficulté à définir avec précision ce qui est bon pour nous. Non seulement nos attentes ne sont pas toujours en conformité avec les conseils divins, mais plus encore nos indécisions, nos visions à court terme, nos clairs-obscurs, masquent ou rendent confus nos bons choix. Que l’Esprit vienne à notre aide, n’est-ce pas une belle découverte ? στεναγμοῖς ἀλαλήτοις = les soupirs inexprimables.
De quoi s’agit-il ?
Le qualificatif grec =ἀλάλητος, peut aussi être traduit par indicible, voire par ineffable (cf. version de Jérusalem). Ces soupirs, au pluriel, nous renvoient à un langage qui n’appartient qu’à la divinité. Il sort du champ de notre communication. Même si on pouvait l’entendre, il resterait pour nous obscur et incompréhensible.
Le Saint-Esprit, appelé par le Seigneur Jésus, le Consolateur, saisit dans nos vies ce qui est confus pour le traduire auprès du Père en supplications précises (n’est-ce pas l’œuvre d’un excellent avocat ! Le Saint Esprit prolonge l’action du Christ sur ce point, cf. 1 Jean 2 : 1, Jésus est appelé le παράκλητος= le consolateur, l’intercesseur, l’avocat). Il décèle l’état d’esprit qui nous anime et prend le relai d’une formulation ou reformulation. Elle sera entendue par Dieu, non pas qu’Il est besoin d’un relai pour être bien informé ! C’est afin que saisissions que Dieu organise tout en synergie (cf. Romains 8 : 28) en vue de notre bien-être ici-bas et pour l’éternité.
Toutes les bonnes pensées, tous nos bons sentiments, tout ce qui nécessite la mise en mots, tout cela est repris par l’Esprit Saint, car nous sommes incapables très souvent d’une formulation adéquate.
N’est-ce pas merveilleux d’acter le fait suivant : lorsque nous avons de la peine à mettre en mots nos angoisses, nos craintes, nos appréhensions du lendemain, nos doutes, nos peines secrètes, le Saint-Esprit vient nous consoler et nous rassurer en formulant à notre place ce que le nous avons du mal à mettre en mots.
En avons-nous vraiment conscience ?
Mais si Dieu met en place un tel accompagnement pour nos vies, n’est-ce pas aussi parce que nous n’arrêtons pas de gémir ?
Ce que nous avons traduit par soupir, peut tout aussi bien l’être par gémir. Que ce soit le mot grec στεναγμος ou son verbe στενάζω les deux ont été traduits par gémissements ou gémir (cf. Actes 7 : 34 ; Romains 8 : 26 ; 2 Corinthiens 5 : 2).
Cependant entre les soupirs divins et les gémissements humains, il y a un océan plus ou moins agité. Ce n’est pas pour rien que le vocabulaire grec en ajoutant une préposition au mot gémissement traduit : murmures. Cela nous renvoie à cette longue litanie de murmures en Israël (cf. Exode 16 : 7-9 ; Nombres 17 : 5,10 ; Philippiens 2 : 14 ; 1 Pierre 4 : 9).
Mais revenons à nos gémissements. Déjà au temps de Moïse. Dieu lui parla et lui dit :
« Oui, j'ai vu la misère de mon peuple en Égypte et j'ai entendu son gémissement; je suis descendu pour le délivrer. Et maintenant, va, je veux t'envoyer en Égypte » Actes 7 : 34, version TOB.
Dieu accueille les gémissements de son peuple en Egypte sous une rude servitude. Ce peuple n’avait aucun moyen de contester les ordres des Egyptiens, encore moins de se rebeller contre eux. Il ne pouvait que gémir, c’est-à-dire laisser échapper de ses lèvres une plainte plus ou moins audible. Mais Dieu a entendu et a délivré. Ce récit historique nous rappelle que les gémissements sont le propre de l’humain.
Ce sont les conditions de vie qui entraînent les gémissements de toute nature. L’apôtre Paul en parle à plusieurs reprises…
« Nous savons, en effet, que si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l'ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n'a pas été faite de main d'homme. Aussi gémissons-nous dans cette tente, désirant revêtir notre domicile céleste, si du moins nous sommes trouvés vêtus et non pas nus. Car tandis que nous sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés, parce que nous voulons, non pas nous dépouiller, mais nous revêtir, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. Et celui qui nous a formés pour cela, c'est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit » 2 Corinthiens 5 : 1-5, version NEG.
L’apôtre compare notre corps à une tente (σκῆνος = désigne au fig. le corps humain). Cette tente n’a pas la capacité de résister à l’usure du temps. Paul emploie le verbe grec καταλύω qui peut se traduire par : détruire, démolir, démanteler (cf. il est utilisé dans ce sens dans les Evangiles et les Actes : Matthieu 27 : 40 ; Marc 14 : 58 ; Actes 6 : 14). Quoi de plus vulnérable, précaire, sujet aux intempéries, qu’une tente ! L’apôtre veut nous sensibiliser au contraste entre le maintenant et le plus tard, entre la tente et l’édifice, entre le fragile et le solide, entre ce qui relève de l’humain et du divin, c’est-à-dire une construction bâtie par Dieu lui-même. Elle est l’œuvre de Dieu, et elle est éternelle.
Entre l’éphémère d’une tente vouée à sa destruction et le bâti parfait d’une vie éternelle, tout le projet de Dieu est là synthétisé.
Mais pour l’heure la tente nous procure bien des tracas… Nos gémissements jaillissent tout naturellement…
« Au-dessous des attitudes de tout homme est un fond qui peut être touché, et penser à sa souffrance en laisse pressentir la nature » André Malraux (1901-1976) écrivain, aventurier, homme politique et intellectuel français, dans son roman d’aventures et d’engagement : la condition humaine (1933).
Quand on prend en compte le lot de souffrances d’une vie, on ne peut que gémir et c’est normal… L’apôtre prend soin d’ajouter un qualificatif à nos gémissements. Il précise « βαρούμενοι » de βαρέω = c’est quelqu’un chargé d’un fardeau, part ext. au passif = être accablé. Paul utilisera ce terme au début de sa seconde lettre pour décrire son degré d’accablement au point d’en perdre la vie (cf. 2 Corinthiens 1 : 8). Il dit même que cet accablement a été au-delà de ses forces… Comme nous le constatons l’apôtre ne plaque pas un message, il colle à son quotidien laborieux, il parle par expérience. Même si notre Père a prévu une finalité heureuse à nos parcours sous tente, il n’en demeure pas moins que la souffrance ou les souffrances rebutent toujours la marche de la foi. Que les épreuves de la vie nous soient nécessaires pour grandir nous pouvons l’accepter, mais la souffrance mortifère semble être de trop. Elle provoque chez l’humain des réactions violentes de rébellion. Elles bloquent tout élan de confiance envers Dieu. Pourtant violences, souffrances et morts font partie du cycle normal de la vie dans notre univers…
« Ne disputons à personne ses souffrances ; il en est des douleurs comme des patries, chacun a la sienne » Chateaubriand (1768-1848) écrivain et homme politique français.
C’est pourquoi au lieu de se cogner la tête contre un roc de granit, l’apôtre Paul, après avoir légitimé nos gémissements, nous repositionne dans une attitude constructive.
Il nous conseille d’aspirer ardemment à revêtir par-dessus tout, notre habitation céleste.
Les verbes utilisés sont forts :
ἐπιποθέω = avoir le vif désir. Quand l’apôtre exprime ce désir d’aller voir les chrétiens de Rome, il utilise ce verbe pour traduire ses profonds sentiments affectueux à leur égard (cf. Romains 1 : 11). L’apôtre Pierre fera de même dans ses pertinents conseils (cf. 1 Pierre 2 : 1-2). Le verbe n’est donc pas neutre, on parle d’un désir ardent, d’une aspiration impérieuse.
ἐπενδύομαι = se revêtir encore par-dessus. Ce verbe, repris au verset 4, est la seule mention du Nouveau Testament, on parle alors d’hapax. Plutarque, philosophe et biographe grec, rapporte une ruse d’un célèbre stratège thébain, Pélopidas (5e s. av. J.C). Il demandait à ses soldats de revêtir des habits de femme par-dessus leurs cuirasses pour tromper l’ennemi. A cette ruse stratégique, il nous faut substituer spirituellement l’essentiel à nos parcours chaotiques : revêtir avec empressement la justice du Christ.
Si l’apôtre emploie des mots chocs, c’est parce que lui- même a connu cet entre-deux existentiel. N’a-t-il pas dit aux chrétiens de Philippe :
« Je suis pressé des deux côtés : j'ai le désir de m'en aller et d'être avec Christ, ce qui de beaucoup est le meilleur; mais à cause de vous il est plus nécessaire que je demeure dans la chair. Et je suis persuadé, je sais que je demeurerai et que je resterai avec vous tous, pour votre avancement et pour votre joie dans la foi ». Philippiens 1 : 23-25, version NEG.
Chez Paul le bien commun a primé son intérêt. Son ardent désir a été soumis a été subordonné à la volonté de Dieu. Cela mérite réflexion, car reconnaissons-le c’est souvent notre propre volonté que nous mettons en action. Et pourtant, quand nous relisons ce que l’apôtre Paul a enduré, on ne peut que comprendre son désir d’être auprès du Seigneur (cf. relire 2 Corinthiens 11 : 21-33).
L’apôtre a arrêté de gémir, quand la réponse divine est venue. Il nous laisse un témoignage difficile à imiter, mais son message est toujours prégnant :
« mais Il (Dieu) m'a déclaré: « ma grâce te suffit; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.» Aussi mettrai-je mon orgueil bien plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. Donc je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions, et les angoisses pour Christ! Car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort » 2 Corinthiens 12 : 9-10, version TOB.
Cette positive attitude a été expérimentée par l’apôtre. Il nous montre le chemin. Dieu en toutes circonstances console. Actons cette bonne nouvelle, comme en témoigne Paul : « en conséquence, frères, dans nos angoisses et nos épreuves, nous avons été consolés à votre sujet, à cause de votre foi ». 1 Thessaloniciens 3 : 7, version NEG.
Conclusion :
Les malheurs de notre monde ne laissent pas Le Père, le Fils et le Saint-Esprit indifférents ! La divinité tout entière est mobilisée pour faire échec à l’usurpateur. Les soupirs divins expriment cette réalité. Ils nous transmettent empathie, affection, compréhension de notre condition humaine. Le fait d’être aimé, compris et consolé est déterminant pour notre bien-être présent et futur. Quant à nos gémissements, ne soyons pas culpabilisés, ils sont légitimes ! Nous n’avons aucune crainte à avoir pour notre avenir. Le seul danger est d’occulter la nécessité d’aspirer ardemment à revêtir par-dessus tout, et dès à présent, notre symbolique habitation céleste.
« Le paradoxe de la condition humaine, c’est qu’on ne peut devenir soi-même que sous l’influence des autres » Boris Cyrulnik, médecin, psychanalyste, psychiatre, scientifique. Pour nous, chrétiens, nous pouvons rajouter : « avec l’aide du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».
Jacques Eychenne
PS : NEG : Nouvelle édition de Genève, TOB traduction œcuménique de le Bible.