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Le pardon libérateur 2 Corinthiens 2 : 6-10 |
Introduction :
Un des éléments qui témoigne de l’authenticité de l’inspiration des écrits du Nouveau Testament est sans conteste la description sans complaisance des actes immoraux de ceux qui se disaient chrétiens. La communauté de Corinthe est assurément celle qui détenait le record de problèmes. Il faut dire que les membres de cette église de Corinthe vivaient dans un environnement dont les mœurs étaient proverbiales. Vivre à la Corinthienne signifiait vivre dans la licence. Cette grande cité commerciale jouissait d’une position privilégiée pour le commerce maritime. De plus, cette ville était chargée d’organiser les jeux isthmiques entre les cités grecques antiques dont les fameux jeux olympiques. Ce brassage de population et cette grande affluence activaient des pratiques païennes débridées. La ville était si gangrénée par la corruption que l’évocation du seul nom de Corinthe symbolisait la dépravation morale. Dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, l’apôtre Paul dresse un tableau de cette débauche (cf. 1 Corinthiens 6 : 9-11). L’inceste, même condamné par les païens, a fait l’objet d’un débat dans cette communauté. C’est dire que les nouveaux convertis au christianisme étaient loin d’avoir abandonné leurs anciennes pratiques. Il est important de bien comprendre ce cadre environnemental avant d’aborder le sujet du pardon.
Développement :
L’apôtre avait tissé des liens étroits avec cette communauté lors de son deuxième voyage missionnaire (cf. Actes 18 : 1-18). Il évangélisa cette ville pendant 18 mois (cf. Actes 18 : 11). Seulement après son départ la situation spirituelle s’est très vite dégradée et Paul en a été informé. Il a réagi en écrivant une lettre dont nous avons perdu la trace (cf. mentionnée en 1 Corinthiens 5 : 9). Il s’agissait vraisemblablement du cas décrit en 1 Corinthiens 5 : 1-5. Paul pensait restait plus longtemps à Ephèse mais la détérioration spirituelle de cette congrégation l’obligea à modifier ses plans. Il envoya d’abord Timothée (cf. 1 Corinthiens 16 : 8-11). Ce dernier a dû lui envoyer un rapport des difficultés présentes, et elles étaient nombreuses, jugez plutôt ! Paul mentionne des divisions, des querelles de personnes (cf. 1 Corinthiens 1 : 10-16), des problèmes de mœurs. La liste qu’il dresse est impressionnante : débauchés, idolâtres, adultères, efféminés, homosexuels, voleurs, cupides, ivrognes, outrageux, ravisseurs (cf.1 Corinthiens 12 : 1 ; 6 : 9-11). De surcroît, de faux apôtres ont pris le pouvoir (cf. 2 corinthiens 11 : 4,13-15). Le ministère même de Paul est remis en question par ces trublions venus de l’extérieur. Ils ont réussi à déstabiliser l’ambiance spirituelle de cette église… Nous sommes loin des sentiments qui animaient les premières communautés chrétiennes, ni de l’image d’Épinal que nous véhiculons aisément… Souvenons-nous des moments idylliques des premiers commencements ! Luc nous les rappelle : « la multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun » Actes 4 : 32, version de Jérusalem. Dès lors on comprend mieux les sentiments qui habitent Paul. Il les exprime sans pudeur : « Je décidai donc en moi-même de ne pas revenir chez vous dans la tristesse. Car si c'est moi qui vous attriste, qui peut alors me donner de la joie sinon celui que j'aurai attristé ? Et si j'ai écrit ce que vous savez, c'était pour ne pas éprouver de tristesse, en venant, du fait de ceux qui devraient me donner de la joie, persuadé à l'égard de vous tous que ma joie est aussi la vôtre, à vous tous. Oui, c'est dans une grande tribulation et angoisse de cœur que je vous ai écrit, parmi bien des larmes, non pour que vous soyez attristés, mais pour que vous sachiez l'extrême affection que je vous porte » 2 Corinthiens 2 : 1-4, idem FBJ.
Pour saisir la portée du message de l’apôtre sur le pardon, il était indispensable de replacer son enseignement dans ce cadre historique.
Nous venons de voir avec quelle empathie l’apôtre s’est saisi du délicat fonctionnement de la communauté de Corinthe, examinons maintenant quelles solutions il préconise, en particulier sur le cas de l’inceste.
« C'est assez pour cet homme-là du châtiment infligé par la majorité, en sorte qu'il vaut mieux au contraire lui pardonner et l'encourager, de peur que cet homme-là ne vienne à sombrer dans une tristesse excessive. C'est pourquoi je vous exhorte à faire prévaloir envers lui la charité. Aussi bien, en écrivant, je ne me proposais que de vous mettre à l'épreuve et de voir si vous êtes en tous points obéissants. Mais à qui vous pardonnez, je pardonne aussi ; car, si j'ai pardonné - pour autant que j'ai eu à pardonner - c'est à cause de vous, en présence du Christ. Il ne s'agit pas d'être dupes de Satan, car nous n'ignorons pas ses desseins » 2 Corinthiens 2 : 6-11, version FBJ.
L’apôtre préconise la pratique de l’amour qui se manifeste par le pardon. Sa référence est en droite ligne semblable à celle de son Seigneur et Sauveur. L’amour dont il parle est d’essence divine (cf. ἀγάπη). Il fait appel à la plus haute vertu chrétienne, celle qui peut se vivre qu’avec l’aide de Dieu. Le pardon n’aurait jamais pu être possible sous l’angle humain. Nous sommes naturellement plus prompts à la condamnation qu’au pardon. Si Paul conseille aux Corinthiens de lui faire grâce (cf. χαρίζομαι= faire grâce, pardonner) c’est bien parce que tous les humains sont pécheurs (cf. Romains 3 : 9-12) et que tous sont sauvés par grâce (cf. Ephésiens 2 : 8). Que les Corinthiens accordent à cet homme ce dont ils ont eux-mêmes bénéficié, quoi de plus logique ! (cf. 1 Corinthiens 1 : 4).
Ce qui est remarquable dans la formulation de l’apôtre, c’est sa vision positive. Il nous fait découvrir les bienfaits du pardon.
En premier, le pardon est une puissance de libération : une condamnation sans appel n’aurait jamais pu donner à cet homme l’occasion de se repentir. Paul précise que le blâme, sans équivoque, donné par presque toute la communauté est suffisant, sinon cet homme peut basculer dans le suicide (cf. litt. Qu’il soit englouti par un plus grand chagrin). En accordant la grâce, en libérant la puissance du pardon, les Corinthiens (qui eux non plus n’étaient pas tout blancs) permettaient à ce pécheur pénitent de se reconstruire.
Plus généralement, la pratique du pardon libère autant celui ou celle qui le reçoit que celui ou celle qui le donne. C’est se donner la possibilité d’arrêter de souffrir. Le fait de ne pas pardonner entraine toujours, avec des intensités différentes, une souffrance. La première étape consistait donc à décider de ne plus souffrir du fait d’être témoin d’un scandale public, comme c’était le cas dans la lettre de Paul. Il fallait avoir la volonté d’enrailler l’action autodestructrice des deux côtés aussi bien pour le donneur que pour le receveur pour que l’ambiance ne devienne pas nauséabonde…
C’est parce que l’apôtre a grandement savouré la grâce du Tout-Puissant qu’il peut insister sur la puissance libératrice du pardon. Il ne cessera de le rappeler aux églises visitées : « Montrez-vous au contraire bons et compatissants les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » Ephésiens 4 : 32, version FBJ. « Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes et de l'incirconcision de votre chair, Dieu vous a donné la vie avec lui : Il nous a pardonné toutes nos fautes… Supportez-vous les uns les autres, et si l'un a un grief contre l'autre, pardonnez-vous mutuellement; comme le Seigneur vous a pardonné, faites de même, vous aussi » Colossiens 2 : 13, 3 : 13, version TOB.
La pratique du pardon libère, en ce sens qu’elle nous ouvre une porte alors que nous étions enfermés dans une perte de confiance envers autrui. Pour que la porte s’ouvre, il nous faut être visité par la grâce, car dans certaines circonstances cela dépasse nos compétences humaines. Des fois la porte se referme violemment et ce n’est pas le moment de forcer les choses. Mais advient toujours une occasion, un jour ou l’autre, ou la porte s’ouvre en grand, et là on peut respirer un air de liberté…
Mais attention ! Pardonner c’est tout sauf passer l’éponge...Un pardon vite accordé du bout des lèvres, ne soulagera ni celui qui le donne, ni celui qui le reçoit. Sur le chemin du mieux vivre, il est nécessaire de prendre son temps. Attendre la bonne opportunité, afin qu’elle s’impose presque naturellement. Laisser passer le temps est l’étape la plus délicate. Un excès de précipitations peut nous faire revenir à la case départ. Prendre son temps est crucial dans le processus du pardon, car il mobilise sans cesse notre concentration. Prendre son temps, ce n’est pas resté immobile, c’est resté mobilisé constamment. Il faut plus d’énergie parfois pour attendre, que pour agir vite. Il faut être quelque part éclairé, pour savoir discerner le bon moment, celui qui va être libératoire, et porteur d’espérance pour soi, et pour l’autre.
Un pardon trop vite accordé peut même conforter une personne à recommencer. Et puis, il faut pouvoir être sûr qu’il n’existe plus aucun ressentiment, sinon c’est un pardon trompeur, qui risque de se retourner vers celui qui l’a accordé. Prendre son temps permet de relativiser, de remettre à plat ses émotions, de faire taire tous nos questionnements lancinants. L’apôtre a pris le temps de la rédaction de sa lettre aux Corinthiens sachant qu’il fallait répondre avec douceur et fermeté malgré tous les outrages qu’il avait subis par cette communauté.
Peut-être avait-il en mémoire la question pertinente de l’apôtre Pierre ? N’avait-il pas posé une question osée au Seigneur Jésus : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu'à sept fois ? ». En formulant ainsi sa question, le bouillant serviteur de l’Eternel pensait voir sa formulation généreuse être vivement approuvée. La réponse du Seigneur a dû le désarçonner : « Jésus lui dit: «Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois » Matthieu 18 : 22, version TOB. Autant dire que la pratique du pardon n’a pas de limite, sinon celle que l’humain veut lui-même lui donner. Le Seigneur a prolongé son développement en présentant la parabole d’un roi qui demande des comptes à ses serviteurs. L'un d’entre eux ayant bénéficié d’une remise de dette refusa d’agir de même envers son compagnon. La réaction du roi fut radicale. La conclusion de l’enseignement du Seigneur ne l’est pas moins: « C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur » Matthieu 18 : 35, version TOB.
La grâce actionne le pardon et le pardon active la grâce :
L’apôtre Paul parle en homme d’expérience, il sait ce que c’est que d’agir contrairement à la volonté divine. N’avait-il pas du sang sur les mains pour avoir pris part à la persécution de chrétiens ! Il en témoigne humblement en l’écrivant à son disciple Timothée : « Je suis plein de reconnaissance envers celui qui m'a donné la force, Christ Jésus notre Seigneur: c'est lui qui m'a jugé digne de confiance en me prenant à son service, moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur et violent. Mais il m'a été fait miséricorde, parce que j'ai agi par ignorance, n'ayant pas la foi. Oui, elle a surabondé pour moi, la grâce de notre Seigneur, ainsi que la foi et l'amour qui est dans le Christ Jésus. Elle est digne de confiance, cette parole, et mérite d'être pleinement accueillie par tous: Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis, moi, le premier » 1 Timothée 1 : 12-15, version TOB. Quand on a eu le bonheur de goûter les bienfaits de la grâce divine, peut-on la refuser à d’autres pécheurs ? Aux accusateurs, venus trainer devant Jésus une femme surprise en flagrant délit d’adultère, le Seigneur a osé leur dire : « que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » Jean 8 : 7, version TOB.
Avant même que tous les thérapeutes modernes mettent en évidence les bienfaits du pardon comme principe de libération, les apôtres comme Paul ont eu le bonheur de faire retentir cette prédication. Déjà du temps de David le message était entendu : « du fond de la détresse, je t'appelle au secours, Seigneur. Écoute mon appel, sois attentif quand je te supplie. Si tu voulais épier nos fautes, Seigneur, qui pourrait survivre ? Mais c'est toi qui disposes du pardon, c'est pourquoi tu dois être respecté. De toute mon âme, je compte sur le Seigneur, et j'attends ce qu'il va dire » Psaume 130 : 1-5, Bible en français courant.
Dans les conseils donnés par l’apôtre Paul ce qui est remarquable, c’est qu’il aide cette communauté de Corinthe à retrouver son unité. Non seulement sa recommandation devrait aider le pécheur à se reconstruire, mais la communauté tout entière peut saisir l’occasion de progresser dans les pas du Christ. Paul n’invite pas seulement à la pratique du pardon, il y ajoute un plus : « lui pardonner et le consoler » 2 Corinthiens 2 : 7. Ce deuxième verbe est précieux. Quelle est sa signification en Grec ?
(παρακαλέσαι, verbe à l’infinitif aoriste actif de παρακαλέω = le temps du verbe exprime une action qui commence et qui doit se poursuivre). L’idée première de ce verbe est d’appeler positivement quelqu’un auprès de soi. Par extension il peut être traduit par consoler, réconforter, encourager (cf. Matthieu 2 : 18 ; Luc 16 : 25 ; 2 Corinthiens 1 : 6 ; 7 : 6 ; 1 Thessaloniciens 3 : 2 ; 4 : 18).
Qui peut prétendre atteindre ce sommet dans la relation fraternelle ? Qui est suffisant pour viser un tel objectif ? Paul écrira plus loin dans sa lettre : « maintenant donc, achevez de réaliser cette œuvre. Mettez autant de bonne volonté à l'achever que vous en avez mis à la décider, et cela selon vos moyens » 2 Corinthiens 8 : 11, version BFC.
Conclusion :
L’injonction à pardonner, à savoir pardonner et se pardonner est un bienfait qui libère et aide à se reconstruire. Il n’y a pas de petits ou de grands péchés. Le péché est une rupture de relation avec Dieu, une déclaration d’indépendance qui nous coupe de la source de la vie. Le pardon donne à celui ou celle qui l’offre et à celui ou celle qui le reçoit un nouvel espace de liberté et de bien-être. Ce serait fort dommage de s’en priver !
« Sans pardon, il n’y a aucun avenir » Desmond Tutu.
« Les faibles ne peuvent jamais pardonner. Le pardon est l’attribut des forts ». Mahatma Gandhi
Jacques Eychenne