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La prière de Jérémie ou notre relation à Dieu dans les difficultés Jérémie 20 : 7-18 |
Introduction :
La marche spirituelle de l’ayant foi n’est pas un parcours exonéré de difficultés. Après s’être engagé sur le chemin de la vie, à l’instar de notre modèle Jésus-Christ, nous sommes très rapidement confrontés à de multiples questions concernant notre compréhension de la volonté divine… Pour intégrer sereinement cette difficulté, il est bon de prendre en compte la réalité d’une tension présente : tension entre deux temps (le passé et l’avenir) et deux états viscéralement attachés à nos personnes. Comme le souligne l’apôtre Paul entre le vieil homme et l’homme nouveau (cf. Romains 6 : 3-8), il y a, comme disent les Anglais, un no man’s land, c’est-à-dire une zone entre deux frontières. Certes, nous avons adhéré de cœur à l’évangile, mais nous ne sommes pas encore totalement aboutis spirituellement. Pour être encore plus précis, notre corps mortel n’a pas encore revêtu l’incorruptibilité, ni l’immortalité (cf. 1 Corinthiens 15 : 54). Cette phase transitoire, cet entre-deux sollicite notre foi tout en mettant à nu nos difficultés à exprimer à Dieu, par la prière, nos incompréhensions. Force est de constater que l’on ne sait pas toujours ce qu’il convient de dire dans nos prières. Et encore, dans certaines épreuves, faut-il avoir seulement le désir de s’exprimer ! On peut être à ce point déprimer que plus rien ne nous satisfait. Parfois la confusion est totale. L’apôtre Paul l’a vécue (cf. Romains 7 : 18-19). Bien avant lui, Jérémie a connu ce clair-obscur de la prière. Que nous apprend-elle ?
Développement :
Cette prière de Jérémie est un concentré de tous les obstacles que nous rencontrons dans nos parcours de foi. La difficulté que nous éprouvons à nous adresser à Dieu est parfois liée à notre personnalité plus ou moins introvertie, ou à des circonstances passagères comme la maladie, la fatigue, la dépression, une déception, une impression de grande solitude, une sensibilité exacerbée… La prière de Jérémie met en évidence ces facteurs circonstanciels qui englobent l’émotionnel, le psychisme, le relationnel et le spirituel.
Mais d’abord, que savons-nous du prophète Jérémie ?
Son nom, d’origine hébraïque vient du mot « Yirmyahu » que l’on peut traduire par : « élevé par Dieu ». En français, son nom est à l’origine du mot jérémiade. C’est le trait de caractère de quelqu’un qui se plaint toujours, et qui n’en finit pas de se lamenter sur tout.
Mais, heureusement, la révélation biblique nous fait découvrir un autre personnage…
Jérémie reçoit l’appel de Dieu, alors qu’il n’est qu’adolescent, en 626 précisément (cf. la 13e année du règne de Josias, Jérémie 1 : 2). Il intervient dans un contexte historique difficile, alors que le peuple d’Israël, infidèle, va subir plusieurs déportations à Babylone. Jérémie dénonce la corruption qui règne au sein du peuple et avertit en énonçant les conséquences inévitables de leurs infidélités. Le livre de Jérémie nous apprend que c’était un garçon très sensible, amoureux de la nature. Il était fils d’une famille de sacrificateurs (cf. Jérémie 1 : 1). Certains commentateurs pensent que Jérémie avait un caractère dépressif, mais cela reste à prouver. Entre un profond abattement devant de grands obstacles et la dépression, il y a toute une palette de nuances. C’est principalement sa sensibilité spirituelle et la haute considération de sa mission qui ont attisé, à la longue, une douleur insupportable. Car il faut le dire et le souligner en caractères gras : Jérémie est témoin d’une des plus grandes faillites spirituelles de son peuple.
Bien que choisi par Dieu, et consacré comme prophète dès avant sa naissance (cf. Jérémie 1 : 5), Jérémie adolescent a eu du mal à accepter cette charge. Un peu comme Moïse, il a évoqué le fait qu’il ne savait pas parler (cf. Jérémie 1 : 6). Tout comme David, il ne comprenait pas la prospérité des méchants (cf. Jérémie 12 : 1). Son parcours est émaillé de nombreuses questions. Comment un Dieu bon et juste peut-il accepter tant d’injustices ? Jérémie a vécu une profonde solitude, privé même de concevoir une famille : « Tu ne prendras point de femme et tu n’auras dans ce lieu ni fils, ni filles » Jérémie 16 : 2. De plus, il a été trahi par les siens et il a abandonné sa maison et fait une croix sur son héritage (cf. Jérémie 12 : 6-7). Il a été pourchassé pour être mis à mort (cf. Jérémie 18 : 18). On l’a guetté, observé pour le surprendre. Il a vécu comme un homme traqué. C’est assurément le prophète le plus solitaire…
C’est dans ce contexte qu’il faut lire sa prière : Jérémie 20 : 7-18. Que nous apprend-elle ?
« SEIGNEUR, tu as abusé de ma naïveté, oui, j'ai été bien naïf; avec moi tu as eu recours à la force et tu es arrivé à tes fins. À longueur de journée, on me tourne en ridicule, tous se moquent de moi » Jérémie 20 : 7, version TOB.
La vocation de Jérémie traduit une évidence : jeune adolescent, il s’est senti forcé à accepter ce ministère. L’original parle même de séduction. On pourrait facilement se dire que quand Dieu parle, tout doit ou devrait se vivre normalement. Eh bien non ! L’injonction divine n’entraîne pas automatiquement l’adhésion humaine. Jérémie s’est senti contraint à vivre un parcours douloureux. Il l’exprime par ces mots : « je suis chaque jour un objet de raillerie, tout le monde se moque de moi. Car toutes les fois que je parle, il faut que je crie, que je crie à la violence et à l'oppression ! Et la parole de l'Éternel est pour moi un sujet d'opprobre et de risée chaque jour » Jérémie 20 : 7-8, version LSG.
Nous sommes dans l’impossibilité de percevoir le profond ressenti de Jérémie… Les messages dont il était porteur n’ont engendré que mépris et sarcasmes. N’est-ce pas un comble pour un prédicateur ! Nous qui nous plaignons de l’hermétisme de ce monde face au message divin, nous sommes loin d’avoir connu pareille hostilité ! Jérémie ne pouvait pas parler, il était obligé de crier pour se faire au moins entendre. Dire qu’il avait du plaisir à porter la parole de l’Eternel serait mal comprendre sa souffrance. Il était la risée de son peuple chaque jour. Comment vivre un tel ministère sans disjoncter ! Sa force de résilience spirituelle a été mise à rude épreuve.
Faire cesser sa douleur relevait d’une simple action. Il suffisait de ne plus parler de Dieu et de ses messages. Devant l’adversité, il aurait pu ne plus rien dire. A quoi bon parler quand le vis-à-vis ne veut rien entendre. Du coup, se taire n’était-ce pas la tentation ?
« Si je dis: Je ne ferai plus mention de lui, Je ne parlerai plus en son nom, Il y a dans mon cœur comme un feu dévorant qui est renfermé dans mes os. Je m'efforce de le contenir, et je ne le puis » Jérémie 20 : 9, version LSG.
Mais comment ne plus parler de Dieu, quand Jérémie ressent l’impérieuse nécessité de transmettre ce que Yahvé-Adonaï a déposé sur son cœur ? L’apôtre Paul a aussi connu ce dilemme : « si j'annonce l'Évangile, ce n'est pas pour moi un sujet de gloire, car la nécessité m’en est imposée, et malheur à moi si je n'annonce pas l'Évangile ! » 1 Corinthiens 9 : 16, version LSG. Comment dès lors persévérer quand apparemment la prédication demeure stérile et qu’aucune bonne écoute n’apparaît ? C’est le parcours dans le « clair-obscur » de l’ayant foi. Ce mélange d’ombre et de lumière, dans lequel il nous faut cheminer, doit laisser s’épanouir notre confiance en la Parole divine. Il faut être habité par une force qui ne relève pas de la volonté humaine pour faire face à la calomnie, aux propos accusateurs, aux pièges savamment tendus, à la malveillance qui ont pour projet de nuire et de détruire. C’est cela qu’exprime Jérémie au verset 10.
Dans le feu de l’épreuve, ou l’on est détruit, ou l’on ressort purifier et plus fort. Et c’est ce que découvre Jérémie : « mais l'Éternel est avec moi comme un héros puissant; c'est pourquoi mes persécuteurs chancellent et n'auront pas le dessus; ils seront remplis de confusion pour n'avoir pas réussi: ce sera une honte éternelle qui ne s'oubliera pas » Jérémie 20 : 11, version LSG.
Le prophète a été traversé par la conviction que Dieu était avec lui. Au travers des épreuves, sa foi s’est déployée comme les ailes d’un aigle. Il l’exprimera plus tard à d’autres occasions (cf. Jérémie 32 : 17-20 ; 27 : 5). Jérémie a comblé le fossé de sa frustration et des échecs de sa prédication par une confiance indéfectible en Dieu. N’est-ce pas la seule issue pour bien assumer nos « clairs- obscurs » ?
Jérémie poursuit : « L'Éternel des armées éprouve le juste, Il pénètre les reins et les cœurs » Jérémie 20 : 12, version LSG. Le prophète a bien perçu les intentions divines. Il reconnaît la sage autorité de Dieu. Il ne l’a conteste pas, même s’il ne la comprend pas… L’épreuve est un passage nécessaire pour nous permettre d’étalonner la vigueur de notre foi. Même si toutes les situations sont loin d’être confortables, il est bon de conserver en son cœur ce principe. Il sera repris plus tard par l’apôtre Jacques : « mes frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que l'épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse parfaitement son œuvre, afin que vous soyez parfaits et accomplis, sans faillir en rien » Jacques 1 : 2-4, version LSG.
Sans le recul de la foi ce message est inacceptable ! On entend généralement : « mais que fait votre Dieu face aux injustices, aux violences de toute nature, aux catastrophes naturelles, aux famines, aux viols, aux massacres ? Etc. ». Ceux qui posent ces questions ne peuvent entendre la réponse… Pourquoi ? Parce qu’il n’y en a, présentement, aucune qui soit satisfaisante. C’est la raison pour laquelle la foi a pour pilier central la confiance. Ce n’est pas parce que nous ne comprenons pas que nous devons faire l’économie de la foi, c’est précisément le contraire ! (Il en va de même dans les relations conjugales et parentales).
La démonstration se lit dans la prière de Jérémie. Après avoir exprimé l’assurance que Dieu était avec lui, après avoir découvert sa justice et s’être exclamé : « chantez à l'Éternel, louez l'Éternel ! Car il délivre l'âme du malheureux de la main des méchants » Jérémie 20 : 13, version LSG, le prophète ponctue sa prière par une longue et douloureuse plainte :
« maudit soit le jour où je suis né ! Que le jour où ma mère m'a enfanté ne soit pas béni ! Maudit soit l'homme qui porta cette nouvelle à mon père : il t'est né un enfant mâle, et qui le combla de joie ! Que cet homme soit comme les villes que l'Éternel a détruites sans miséricorde ! Qu'il entende des gémissements le matin, et des cris de guerre à midi ! Que ne m'a-t-on fait mourir dans le sein de ma mère ! Que ne m'a-t-elle servi de tombeau ! Que n'est-elle restée éternellement enceinte ! Pourquoi suis-je sorti du sein maternel pour voir la souffrance et la douleur, et pour consumer mes jours dans la honte ? » Jérémie 20 : 14-18, version LSG.
Qui aurait pu penser à une telle conclusion dans sa prière ! Comment est-ce possible de passer si rapidement de la lumière aux ténèbres ? Et pourtant, toutes les grandes figures de la Bible ont connu cette expérience. Pensons au prophète Elie au carmel. Soutenu par l’esprit de Dieu, il fait face et supprime les faux prophètes de Baal et d’Astarté au service de Jézabel. Mais cette dernière, furieuse, décide d’attenter à ses jours et Elie fuie devant cette femme. Qui plus est, il ne veut plus servir Dieu et réclame la mort. Quel coup de déprime ! (cf. 1 Rois 18 à 19 : 7). Et que dire de l’histoire de Job… David aussi a eu de sacrés coups de déprime :
« aie pitié de moi, Éternel ! Car je suis dans la détresse; j'ai le visage, l'âme et le corps usés par le chagrin. Ma vie se consume dans la douleur, et mes années dans les soupirs; ma force est épuisée à cause de mon iniquité, et mes os dépérissent. Tous mes adversaires m'ont rendu un objet d'opprobre, de grand opprobre pour mes voisins, et de terreur pour mes amis; ceux qui me voient dehors s'enfuient loin de moi. Je suis oublié des cœurs comme un mort, Je suis comme un vase brisé » Psaume 31 : 9-12, version LSG. Et que penser de l’apôtre Pierre qui pleure amèrement (cf. Matthieu 26 : 75 ) ou de Jésus lui-même qui passe par un trouble que personne n’a pu sonder (cf. Jean 12 : 27). L’apôtre Jean utilise le verbe grec ταράσσω= troubler pour décrire cet instantané du Seigneur, mais on aurait pu le traduire aussi par remuer, agiter (cf. Jean 5 : 4,7) ou même bouleverser (ce verbe est traduit ainsi par Luc dans Actes 17 : 8).
Jérémie a voulu traduire par des expressions fortes, propres au style des anciens (cf. Comparer avec Job 3 : 3-10) son profond malaise, voire son découragement et sa lassitude devant la succession des épreuves endurées.
Jérémie ne va pas reprocher à Dieu sa naissance, comme le fera Job, mais sa relation à Dieu est telle qu’il n’éprouve aucune retenue à épancher sa profonde et permanente douleur. Pourquoi Dieu semble apparemment sourd à sa requête ? A vu humaine, c’est difficile à comprendre, sauf si on a confiance en Dieu. Le Créateur sait très bien qu’il est nécessaire de laisser l’humain exprimer sa douleur, ses doutes, ses questions, ses colères… Les clairs-obscurs de la prière sont un passage incontournable.
Rappelons-nous le texte de Salomon :
« Dieu fait toute chose bonne en son temps; même il a mis dans leur cœur la pensée de l'éternité, bien que l'homme ne puisse pas saisir l'œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu'à la fin » Ecclésiaste 3 : 11, version LSG.
Conclusion :
La conclusion de la prière de Jérémie nous laisse perplexes, mais elle n’est qu’un instantané dans sa vie. La vérité est que sa foi va triompher. Des accents de joie, des rayons de lumière vont éclaircir sa vie. Sa grande douleur intérieure va aussi laisser place à un homme transformé qui retrouve du bonheur dans sa relation à Dieu. Il prophétisera sur Babylone en lançant à son peuple cet appel : « Venez, attachez-vous à l’Eternel, par une alliance éternelle qui ne soit jamais oubliée ! » Jérémie 50 : 5b. Mais dans sa bouche, il n’y a aucun propos triomphaliste. La vie chrétienne est bien une traversée de nos clairs-obscurs. Le parcours est loin d’être confortable, mais il a un double objectif : faire de nous des hommes et des femmes dignes et matures, aujourd’hui, afin que demain, chacun et chacune, soient bénéficiaires d’un héritage éternel. Nous n’avons rien à craindre de l’avenir, si ce n’est d’oublier comment Dieu a déployé son amour pour nous. Retenons le témoignage de David :
« Eternel tu as changé mes lamentations en allégresse, tu as délié mon sac, et tu m'as ceint de joie, afin que mon cœur te chante et ne soit pas muet. Éternel, mon Dieu ! Je te louerai toujours » Psaume 30 : 11-12, version LSG.
Ce clair-obscur est magnifiquement illustré par cette phrase de David :
« Le soir arrivent les pleurs, et le matin un cri de joie » Psaume 30 : 6b, version Nouvelle Bible Segond.
Jacques Eychenne
PS : TOB = Traduction œcuménique de la Bible ; LSG = Traduction Louis Segond.