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La foi et nos peurs dans le réel, comme dans le spirituel Matthieu 14 : 22-33 |
Introduction :
Si la foi est un bien précieux qu’il nous faut chérir et entretenir, il faut bien admettre que nos craintes, nos peurs, nos angoisses sont autant de facteurs qui alimentent nos appréhensions, nos doutes et nos blocages. Le récit que nous allons aborder met en évidence nos difficultés existentielles, ballotés que nous sommes entre nos étincelles de foi et nos récurrentes dispositions à tout remettre en question dès que l’épreuve contrarie notre quotidien. En tant que chrétien, quel est alors le degré de résilience de notre foi ? Comment réagit-elle face aux grosses turbulences de la vie ?
Le texte que nous allons analyser est rapporté par trois évangélistes, Matthieu, Marc et Jean. En mettant en parallèle leur récit, nous pouvons dégager une description précise et intéressante de l’évènement qui s’est déroulé sur le lac de Galilée. Pour ceux qui ont eu le bonheur d’aller sur les lieux, on se rend très vite compte que sa géographie est spéciale. Le lac, en forme de poire, est encaissé entre falaises et collines. Par vent contraire, il n’y a pas d’endroit de repli, aucun port naturel, il faut avancer ou revenir. Ce lac, aux eaux claires et froides, est de ce fait dangereux. (Descendant des monts enneigés de l’Ermont, le Jourdain a creusé un couloir dans lequel les vents du Nord ou du sud s’engouffrent sous pression. C’est une véritable soufflerie naturelle… Les tempêtes sont aussi soudaines que redoutables). D’ailleurs, Marc nous rappelle que ce genre de phénomène s’était déjà produit. Jésus avait déjà eu l’occasion de calmer la tempête sur cette mer de Galilée (cf. Marc 4 : 35-41). Mais, revenons au descriptif de Matthieu, et voyons ce que cette expérience a enseigné aux disciples, et ce qu’elle peut nous dire aujourd’hui.
Développement :
Il est difficile, voire dommageable, d’isoler cet épisode de fin de journée, des séquences de vie qui l’ont précédé. Que s’est-il passé ? La nouvelle de la décapitation de Jean-Baptiste est encore toute fraîche dans les mémoires. Jésus éprouve le besoin de prendre du recul et de s’isoler avec ses disciples. Mais voilà, la foule le suit (cf. Matthieu 14 : 13). Elle attend encore de lui des paroles et des actes. Jésus est sensible à la persévérance de ces familles. Alors, le Seigneur ému de compassion, dispense son enseignement et l’accompagne de guérisons de malades (cf. Idem, v.14). Les heures passent vite, la nuit approche, le lieu est désert. Il n’y a aucune possibilité de se ravitailler, alors le Seigneur prononce, à l’adresse de ses disciples, cette phrase choc : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller ; donnez-leur vous-mêmes à manger » Matthieu 14 : 15. Nous connaissons bien la suite, Jésus procède au miracle de la multiplication des pains et des poissons. Plus de cinq mille personnes furent rassasiées. Les disciples heureux ont assisté à cette super-journée, et ils captent très vite le désir de cette foule. L’apôtre Jean nous donne l’information suivante : « Jésus, sachant qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi. » Jean 6 : 15. Cela nous permet de mieux comprendre la description des faits rapportés par Matthieu. « Aussitôt après, il obligea les disciples à monter dans la barque et à passer avant lui de l'autre côté, pendant qu'il renverrait la foule. » Matthieu 14 : 22.
Pourquoi cette précipitation et cet ordre cinglant ? L’adverbe grec ne laisse pas de place à une gestion paisible du temps (cf. εὐθέως = vite, tout de suite, aussitôt). Quant à l’ordre, il ne permet aucun atermoiement (cf. ἀναγκάζω =contraindre, forcer, obliger, imposer de force). Bien sûr la nuit est proche, et il fallait agir vite, mais n’y avait-il pas d’autres raisons plus profondes ? Si nous procédons à un deuxième niveau de lecture, on peut comprendre que l’heure n’était pas venue de couronner roi le sauveur du monde (cf. Nous sommes à peu près à mi-mandat de sa mission). Si louable que soit cette initiative, elle contrariait les plans divins. Malheureusement, les disciples ont participé à cette liesse populaire et ils se sont peut-être laissés bercer par le rêve de voir leur Maître reconnu et couronné roi. Cela devait être aussi gratifiant pour eux. Il est difficile d’évacuer le fait qu’ils ont dû penser à ce que serait la suite de leur vie (avec des portefeuilles de ministre, dirions-nous aujourd’hui). Le Christ a fait appel à toute son autorité pour briser ce rêve très humain.
Si nous voulons nous approprier ce récit, disons déjà que comme les disciples, nous nous illusionnons parfois à chérir des projets, qui non seulement ne sont pas bons pour nous, mais encore contrarient la volonté divine. Notre humanité a du mal à la discerner avec précision. Que de journées superbes se sont finies en queue de poisson sur le lac de nos entreprises !
Jésus a coupé court. Certes, il a cassé l’ambiance, mais ce type de comportement s’imposait. Il fallait procéder à un sevrage. Alors, il laisse les disciples monter dans la barque. Il les somme de passer de l’autre côté de la rive « avant lui ». On peut y voir plusieurs idées. Le sentiment d’abandon nécessaire pour qu’ils s’assument, le fait de les laisser en première ligne pour qu’ils s’aguerrissent des difficultés, le fait d’avoir une démarche pédagogique pour activer et renforcer leur foi…
Disons-le encore une fois, il est difficile de mesurer la portée de ce qui va advenir sur ce lac, si on ne saisit pas le puissant contraste qui est mis en évidence entre l’enthousiasme et l’ambiance festive sur la colline et la suite des évènements sur le lac. Lors de la multiplication des pains et des poissons, les disciples sont entourés par la foule et par Jésus. Puis, subitement, vient la solitude forcée sur ce lac déchaîné. Cette journée qui avait si bien commencé, s’annonçait périlleuse. Elle allait peut-être se terminer en drame… Cette expérience n’est-elle pas commune aux humains ?
« Quand il l’eut renvoyée, il monta sur la montagne, pour prier à l'écart; et, comme le soir était venu, il était là seul. La barque, déjà au milieu de la mer, était battue par les flots; car le vent était contraire. » Matthieu 14 : 23-24
Encore une fois, le contraste est saisissant entre l’attitude paisible et sereine d’un Christ priant seul sur la montagne, et ses disciples très affairés et ballotés par une mer en furie. Les termes sont précis. La barque est « battue » par les flots (cf. βασανίζω= les différentes utilisations du verbe sont fortes, ce sont de sérieux moments d’épreuve, voire de torture morale ou physique). Malgré tout, Jésus ne perd pas de vue ses disciples. L’évangéliste Marc précise : « Il vit qu’ils avaient beaucoup de mal à ramer » Darby et la Bible de Jérusalem traduisent : « les voyant se tourmenter à ramer » Marc 6 : 48.
L’épreuve a dû être douloureuse, bien que la plupart des disciples aient été de bons pêcheurs, habitués qu’ils étaient à manier fermement les rames. Mais Jésus a toujours gardé un œil sur eux. Cela nous remet en mémoire cette parole qui clôt l’évangile de Matthieu : « et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » Matthieu 28 : 20. Si nous pouvions garder présente à l’esprit cette réalité, nous économiserions bien des efforts et bon nombre d’insomnies…
« À la quatrième veille de la nuit environ, il alla vers eux, marchant sur la mer, et il voulait les dépasser. Quand ils le virent marcher sur la mer, ils crurent que c'était un fantôme, et ils poussèrent des cris ; car ils le voyaient tous, et ils étaient troublés. » Marc 6 : 48-50
La quatrième veille se situe entre 3 et 6 heures du matin. Autant dire qu’ils ont passé une nuit blanche à maintenir la barque à flot en souquant ferme. Pourtant, le lac ne fait que 12 km dans sa plus grande largeur. C’est dire la force des vents et la violence des vagues ! Dans le froid, le bruit assourdissant et l’obscurité ont-ils pensé faire demi-tour ? Pour couronner le tout, quand le Christ vient à leur rencontre, marchant sur les eaux, ils pensent voir un fantôme. Ce surgissement inattendu provoque une réaction de peur (cf. Matthieu 14 : 26). Ils hallucinent, complètement ébaubis et leur réflexe primaire les incite à hurler d’épouvante. Quel contraste avec la paisible journée, que dis-je, la merveilleuse journée qu’ils venaient de vivre !
A cet endroit on peut se demander pourquoi le Seigneur les envoya dans l’orage et la tourmente ? Il semblerait que toute cette mise en situation ait eu pour sens d’accompagner les disciples (et Pierre en particulier) dans l’éveil de la foi. Pédagogiquement, c’était aussi les préparer à se souvenir de ce moment-là pour mieux affronter les difficultés à venir. Car, Jésus de Nazareth n’a jamais appelé ses disciples à le suivre dans la facilité, bien au contraire. Ne leur dira-t-il pas un peu plus tard : « Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage j’ai vaincu le monde. » Jean 16 : 33 (voire encore Matthieu 10 : 16-23 ; 2 Timothée 3 : 12 ; Jean 15 : 18-21). Cette expérience, inscrite dans l’histoire de l’humanité d’une manière indélébile, a pour vocation de rappeler à tous ceux et celles qui passent par l’épreuve des vents contraires, et qui sont sur le point de sombrer, que des solutions existent, spirituellement parlant. C’est de telles épreuves qui ont inspiré l’apôtre Paul. Il a écrit à ce sujet deux textes qui sont à graver dans le marbre de notre mémoire (cf. 1 Corinthiens 10 : 13, et 2 Corinthiens 4 : 17-18).
Le Christ ne reste pas neutre, il « inter-vient » : « Jésus leur dit aussitôt: Rassurez-vous, c'est moi; n'ayez pas peur ! Pierre lui répondit: Seigneur, si c'est toi, ordonne que j’aille vers toi sur les eaux. Et il dit: Viens ! Pierre sortit de la barque, et marcha sur les eaux, pour aller vers Jésus. Mais, voyant que le vent était fort, il eut peur; et, comme il commençait à enfoncer, il s'écria: Seigneur, sauve-moi ! Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit: Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? ». Matthieu 14 : 27-31. Notons que le aussitôt (εὐθέως = vite, tout de suite) de l’envoi des disciples sur l’autre berge, fait écho à cet « aussitôt » de son assistance dans le danger. Il vient stimuler leur foi (le verbe traduit par rassurer= θαρσέω, peut aussi être entendu comme : ayez bon courage). De plus, ce fantôme qu’ils ont cru apercevoir se révèle comme le « ἐγώ εἰμι = Moi, Je suis (cf. Comparer avec Exode 3 : 14). Le caractère éblouissant de cette révélation divine est attesté par l’attitude positive des apôtres, en fin d’expérience : « Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant Jésus, et dirent: Tu es véritablement le Fils de Dieu. » Matthieu 14 : 33.
Mais abordons maintenant la réaction de Pierre. Il s’exprime avec un SI. « Seigneur si c’est toi… ». Qu’ils sont légion les « SI » des humains qui rappellent les propos du tentateur (cf. Matthieu 4 : 3,6). Rappelons-nous encore la demande du père du garçon possédé : « si tu peux quelque chose, viens à notre secours… » Marc 9 : 22b. Aussi, celle d’un lépreux : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre pur… »Matthieu 8 : 2b. Ou encore la remarque amère de Marthe : « Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort… » Jean 11 : 21. Ou enfin, celle de la foule injurieuse devant le spectacle de la croix : « si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ! » Matthieu 27 : 40b. Nous pourrions ajouter nos nombreux « si » comme condition préalable à libérer notre confiance en Dieu et en son envoyé.
En contraste, la glorieuse bonne nouvelle est que Dieu accueille tous nos « si ». Il accepte nos conditions dans le seul objectif de nous voir découvrir la force et le bonheur de la foi. Aucune remarque désobligeante n’a été faite à Pierre, cela devrait désarmer tout esprit de jugement sur notre prochain. Le Seigneur a simplement dit « Viens ! ». Qu’elle est belle cette invitation ! N’a-t-elle pas traversé les siècles ? Nous pouvons encore l’entendre aujourd’hui quand nous prenons un instant de pose, malgré le vacarme de tous nos vents contraires et le bruit assourdissant des vagues de nos illusions. Nos difficultés s’agrègent quand la confiance n’est pas au rendez-vous. Redisons que la foi est une confiance sans certitude, sans garantie. Elle a la pureté enfantine. Elle est gratuite et inconditionnelle. La foi est le moyen de nous surpasser en déplaçant nos limites habituelles…
Mais revenons au récit… Pierre audacieux, primesautier, et volontaire s’engage. Il répond positivement à l’appel de son Maître. Il franchit le rebord de la barque et avance. Il marche lui aussi maintenant sur les eaux. Mais face à la violence du vent, la peur le gagne, il perd pied, il s’enfonce et crie au secours. Là encore, quel édifiant contraste entre la belle assurance du départ et son délitement face au danger, entre son élan de foi et sa raison. Elle a repris vie face au phénomène physique. L’attitude de l’apôtre est émouvante, car elle nous ressemble tellement (Nous pouvons nous reconnaître aisément par nos incohérences). La vacuité de nos élans de confiance qui nourrissent la foi appelle la nécessité d’un réarmement spirituel. Quand la foi de Pierre a laissé place à sa raison, doute a surgi, le danger est soudain apparu. Heureusement, il en a pris conscience, et il a pu saisir la main tendue par son sauveur (cf. le troisième « aussitôt » fait référence au salut). Toute cette histoire a pour objectif de nous conduire à ce constat. La fragilité de la foi de Pierre nous renvoie à nos propres fragilités. Advienne un évènement douloureux, une épreuve plus rude et nos beaux élans de foi s’évaporent comme la brume face aux rayons ardents du soleil.
Pour Pierre cela s’est bien terminé. Ce n’est pas toujours le cas pour nous, aussi appliquons-nous à nous concentrer sur cette fin heureuse. « Ils montèrent dans la barque, et le vent cessa. » Matthieu 14 : 32. La tempête a cessé, le calme est revenu. La relation est rétablie. Le lien de la confiance est réactivé. La foi est de nouveau en marche.
Conclusion :
L’intentionnalité du rapporteur de cet évènement est de graver dans notre mémoire des vérités simples et accessibles. Si le descriptif procède par contrastes éloquents, c’est pour mieux nous instruire dans l’apprentissage des incontournables spirituels de la vie, principalement de l’importance de la foi. Ce récit est résumé par trois adverbes. Le premier « aussitôt » nous parle de sevrage, le deuxième d’accompagnement dans l’épreuve, et le troisième de salut. Ensuite, nous pouvons exploiter quelques idées fortes…
A savoir, prendre toujours du recul et ne pas se laisser bercer par les élans spirituels d’un groupe (cf. La foule veut le couronner roi). S’interroger sur la pertinence de telle ou telle action en sa finalité. Se pénétrer de l’idée que lorsque le Seigneur nous donne un ordre de passer sur une autre rive, il se porte aussi garant de sa traversée. Être vigilants sur nous-mêmes pour ne pas transformer nos élans juvéniles en désappointements et délitements de notre foi. Et si nous sommes au creux de la vague, se rappeler que notre Seigneur nous tend toujours une main secourable. Car son plus grand souhait est de nous réinstaller dans la maison du Père éternel. Armons-nous de foi, après l’orage vient le beau temps. Rien n’est totalement perdu, tout est en mutation.
Dieu nous accordera toujours son pardon, car il connaît fort bien la versatilité de notre nature.
« Le pardon est le parfum de la violette quand le talon l’a écrasé » Mark Twain.
Prenons conscience de la vacuité de nos engagements de foi, et faisons confiance à celui qui a pour nous un projet qui nous immerge dans une éternité heureuse.
« Ne crains pas, car je suis avec toi ; ne sois pas inquiet, car moi je suis ton Dieu. Je te fortifierai ; oui, je t’aiderai ; oui, je te soutiendrai » Esaïe 41 : 10
Jacques Eychenne