La mort du Christ, sacrifice ou don ?

 

 

 

     Sacrifice

                Ou

Don d’amour

 Jean 15 : 13

Introduction :

Quand on veut aborder le sujet de la mort du Christ, on se trouve devant deux dominantes possibles. Soit la mort du Christ est un sacrifice expiatoire pour nos péchés, soit il est don d’amour pour engendrer un autre type de relation. Soit le Christ paie notre dette, soit il nous libère en vue d’un vivre avec, et autrement. Certains diront tout de suite : «  mais les deux orientations sont conformes aux écrits bibliques ! »Certes oui ! Mais en privilégiant une interprétation plutôt qu’une autre, les conséquences peuvent nous conduire à des conclusions diverses, voire même contradictoires. Les notions de sacrifice et de don n’ont pas la même résonance dans nos esprits. Inévitablement, notre compréhension nous entraîne vers des pratiques sensiblement différentes. Essayons donc d’avoir une approche plus approfondie de la mort en croix de notre Seigneur.

 

Développement :

 

  1. La notion de sacrifice :

L’homme du 21è siècle a beaucoup de mal à entrevoir une définition positive du sacrifice. En effet, de nos jours, dans les relations humaines, l’idée de sacrifice ne renvoie pas à des valeurs épanouissantes. Dans les analyses comportementales, tant dans le domaine des couples, que des familles, le terme est même suspect. Il masque des problèmes souvent personnels. En amour, la notion de sacrifice induit même un déséquilibre dans la relation. L’amour ne se sacrifie jamais, il se donne ou ne se donne pas. Il ne se calcule pas, ne se centre pas sur soi, ne s’attribue aucune valeur méritoire. L’amour tel que le Christ l’a vécu est don et partage.

 

Qu’exprime la notion de sacrifice ?

 

La notion de sacrifice remonte au fond des âges. Les civilisations les plus anciennes ont presque toutes pratiqué des sacrifices sanglants souvent en rapport avec la superstition et la peur des éléments de catastrophes naturelles. Les sacrifices étaient liés à une compréhension complètement déviante du divin. L’homme devait apaiser la colère ou le courroux des dieux. Ces pratiques sanglantes ont même conduit à l’immolation d’enfants. La Bible témoigne de ces pratiques archaïques qui ont déformé  la révélation du Dieu Yahvé-Adonaï. Avec Abraham, outre la symbolique du récit, nous avons le passage du sacrifice humain mimé, à la réalité du sacrifice animal.

L’Ancien Testament rapporte des pratiques sanglantes qui, certes, pouvaient correspondre à une époque, mais qui, aujourd’hui, sont perçues comme étant inacceptables et insupportables. Heureusement, de nombreux textes montrent que le grand désir de Dieu était en rapport avec la qualité de la relation du cœur et non dans la pratique rituelle des sacrifices d’expiation, de propitiation ou même d’action de grâces.

La notion de sacrifice n’est pas totalement absente du Nouveau Testament. Elle a migré et muté. On peut même affirmer que toute la théologie sacrificielle de l’Ancien Testament se retrouve dans la compréhension du Messie à venir. Quand Jésus surgit dans l’histoire des hommes, l’apôtre Jean n’hésite pas à faire le lien avec l’aspect sacrificiel encore en vigueur à son époque. Il rapporte cette parole de Jean le Baptiste : « Le lendemain, il vit Jésus venant à lui, et il dit : Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. » Jean 1 : 29 (l’agneau était l’animal type du sacrifice sanglant).

L’épitre aux hébreux nous rappelle cette vérité qui régit tous les comportements sacrificiels : « Presque tout, d’après la loi, est purifié avec du sang, et sans effusion de sang il n’y a pas de pardon » Hébreux 9 : 22

De la même manière les apôtres ont rapporté le détail de l’institution de la cène, à la dernière fête de Pâques à laquelle Jésus a assisté : « Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit: «Prenez, ceci est mon corps.» Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit: «Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, versé pour la multitude. En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu Marc 14:22-25, version TOB

Comme nous le constatons, les écrivains du Nouveau Testament ont hérité de cette vision sacrificielle qui appelait l’effusion de sang. Cette théologie que l’on peut qualifier de « sanguinolente » ne s’accorde plus avec nos conceptions modernes.

Comment dès lors comprendre tous ces textes et avoir une perception moins macabre du plan de Dieu pour l’homme.

 

Comment concilier la création harmonieuse d’un Dieu qui œuvre avec amour, avec un Dieu qui réclame du sang et des sacrifices d’animaux innocents ?

 

Les essais de réponse sont moins évidents qu’on ne le pense, car on ne se défait pas si facilement d’une théologie qui a traversé les siècles.

Essayons quand même !

Il semble évident que le but de la création de nos premiers parents soit en lien direct avec un besoin de relation de la part de Dieu. L’amour possède cette impérieuse nécessité du partage, sinon il meurt. Dieu a donc voulu communiquer avec les humains. Mais comment sa Parole pouvait-elle être audible en ces temps-là ?

Dieu, dans sa prescience, connaissait les pratiques sacrificielles qui seraient utilisées  par des peuples, dits primitifs, pour apaiser leur conscience. Ces derniers n’avaient-ils pas une conception angoissante du divin. Il fallait répondre à ce qui avait été identifié, à tort, comme la colère et le courroux des dieux.

Un essai de réponse consisterait à énoncer le fait suivant : Pour être audible auprès de ceux qui étaient ouverts à son influence, Dieu aurait utilisé les mêmes pratiques des peuples vivant en Mésopotamie.

Précisons quand même qu’une démarcation nette avec ces démonstrations païennes mettait l’accent sur une compréhension différente du sacrifice. Pédagogiquement, Dieu aurait donc choisi des images familières pour faire passer un enseignement plus profond. Jésus n’a-t-il pas fait de même avec l’utilisation du langage en paraboles !

D’un autre côté, nous retrouvons la constante de la pédagogie de Dieu. Partir du concret, du visuel, pour inviter à aller au-delà des observations afin de délivrer un message plus profond. Cela s’imposait d’autant que les hébreux n’avaient pas une aptitude à percevoir les valeurs abstraites d’un sujet. Pour nous, qui manions sans cesse ces concepts, la compréhension des enseignements divins a évolué. Mais en réalité, nous n’avons fait que suivre la révélation progressive du plan de Dieu. Elle trouve son apogée en Jésus-Christ. Il est venu nous révéler le Père. (cf. Matthieu11 :27)

 

Au-delà de l’aspect rebutant du sacrifice sanglant, il est donc important de percevoir l’intention de Dieu. C'est-à-dire d’établir un passage entre une conception des dieux bourreaux réclamant du sang, avec un Dieu d’amour qui veut transmettre la vie. Cette migration du concept et sa mutation se retrouvent dans les textes bibliques.

 

Cette intention est déjà clairement exprimée dans l’Ancien Testament :

 

« Que m'importe la multitude de vos sacrifices ? dit l'Éternel. Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux; je ne prends point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs. »  Esaïe 1 : 11  

« Vos holocaustes ne me plaisent point, et vos sacrifices ne me sont point agréables»  Jérémie  6 : 20  

« Offre à Dieu la louange comme sacrifice et accomplis tes vœux envers le Très-Haut. Puis appelle-moi au jour de la détresse, je te délivrerai, et tu me glorifieras. » Psaume 50 : 14-15, version TOB

« Si tu avais voulu des sacrifices, je t'en aurais offert; mais tu ne prends point plaisir aux holocaustes. Les sacrifices qui sont agréables à Dieu, c'est un esprit brisé : O Dieu ! Tu ne dédaignes pas un cœur brisé et contrit. » Psaume  51 : 16-17   Et encore:

« Car j'aime la miséricorde et non les sacrifices, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes. » Osée 6 : 6  

 

  1. La notion des mots  don et offrande :

Le don a aussi pour synonyme l’offrande. (Προσφορά = prosphora  = 1) l'action d'offrir, d'apporter 2) ce qui est offert, un don, un présent)

La nette démarcation (ou mutation) entre les coutumes rituelles sacrificielles des peuples anciens et la signification positive nouvelle que Yahvé-Adonaï a voulu nous transmettre repose sur la notion du don. Parmi les textes les plus connus de la Bible, nous trouvons celui-ci : « Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. » Jean  3 : 16, version  TOB

« Et voici ce témoignage, c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et que cette vie est dans son Fils. » 1 Jean 5 : 11  « Le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l'ôte, mais je la donne de moi-même; j'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la reprendre: tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père. » Jean 10 : 17-18

 D’autre part, en examinant  le texte de l’épître aux Hébreux, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas seulement d’une question  de terminologie entre les mots sacrifice et don. Il  est question d’une compréhension nouvelle du terme sacrifice. Il y a comme un passage de témoin entre le mot sacrifice qui fait référence à la loi, et les mots don et offrande qui font référence à l’amour. (cf. action migratoire et mutante)

L’épitre aux hébreux explique et détaille le pourquoi de la venue du Christ.

« Tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché. Alors j'ai dit : Voici, je viens (Dans le rouleau du livre, il est question de moi) pour faire, ô Dieu, ta volonté. » Hébreux 10 : 6-7, 9-10   « il dit ensuite: Voici, je viens pour faire ta volonté. Il abolit ainsi la première chose pour établir la seconde.  C'est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l'offrande du corps de Jésus-Christ, une fois pour toutes. » « Car, par une seule offrande, il a amené à la perfection pour toujours ceux qui sont sanctifiés. C'est ce que le Saint -Esprit nous atteste aussi ».   Hébreux  10 : 14-15   

Et tandis que tout sacrificateur fait chaque jour le service et offre souvent les mêmes sacrifices, qui ne peuvent jamais ôter les péchés, lui, après avoir offert un seul sacrifice pour les péchés, s'est assis pour toujours à la droite de Dieu ».  Hébreux 10 : 11-12 

 

Pourquoi la distinction entre sacrifice et don ou offrande est importante ?

 

Parce que l’une fait rappel de la loi. Elle invite à une pratique rituelle. Elle agit pour obtenir, même si c’est le pardon…

L’autre nous dépossède de toute initiative, de tout mérite. Nous ne sommes plus dans le faire, mais dans l’être. Car, avec le don, le seul bon positionnement est l’accueil, même si la qualité de l’accueil est importante, puisque Dieu regarde les motivations de notre cœur.

Dans l’ancien Testament, aucun sacrifice ne pouvait se pratiquer isolément, il fallait nécessairement passer par l’intermédiaire d’un prêtre. Avec la notion du don ou de l’offrande que l’on reçoit, tout vient directement de Dieu par Jésus-Christ. Et si l’on veut à tout prix trouver un intermédiaire, c’est Dieu lui-même qui se présente en son fils. Il n’y a plus d’intermédiaire, et la notion de mérite si chère à la conscience humaine est rangée au placard.  

Jésus  déclara à ses disciples avant de les envoyer en mission :

« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. »  Matthieu 10 : 8

De ce fait, un nouvel espace de liberté s’ouvre à nous. Désormais :

« approchons-nous avec un cœur sincère, dans la plénitude de la foi, les cœurs purifiés d'une mauvaise conscience, et le corps lavé d'une eau pure. Retenons fermement la profession de notre espérance, car celui qui a fait la promesse est fidèle ».  Hébreux 10 : 22-23 

 

Ainsi, comme l’avait annoncé le prophète Daniel, le Christ est venu par sa mort faire cesser le sacrifice (cf. Daniel 9 : 27). Le Christ ne s’est pas sacrifié, sinon il aurait fallu qu’il soit égorgé suivant le rituel, il s’est donné justement pour le faire cesser. La nuance est considérable. Par sa mort le Christ a aboli la nécessité sacrificielle.

La compréhension des symboles de la cène est à revisiter sous cet angle du don. « Manger sa chair et boire son sang » ne jettent pas les bases d’une théorie qui évoque le cannibalisme. Les supports concrets invitent à une ouverture spirituelle (cf. c’est  La mutation des compréhensions).

C’est la raison pour laquelle Jésus précisera : « C’est l’Esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites (concernant la cène, Jean 6 : 52-54) sont Esprit et vie » Jean 6 : 63. Autrement dit, ces paroles sont à comprendre spirituellement  en rapport avec le don de sa vie. Jésus nous transmet sa vie. Par la foi, sa vie devient la nôtre  (cf. témoignage de Paul, Galates 2 : 20).

Cette nouveauté révolutionnaire n’a pas été comprise par les contemporains de Jésus, ni même par de nombreux disciples (cf. Jean 6 : 52, 60-61). Il n’est donc pas étonnant qu’elle ne le soit pas plus aujourd’hui, certains éprouvant le besoin de reproduire le sacrifice du Christ concrètement. Or, il s’est donné une fois pour toutes (cf. Hébreux 9 : 28 ) Nous n’avons pas à revivre son sacrifice, mais seulement à accepter ce qu’il signifie.

Le sens profond du dernier repas pris avec ses disciples, appelé cène, est de nous conduire vers une relation d’amour à Dieu.  « En effet, le Christ lui-même a souffert pour les péchés, une fois pour toutes, lui juste pour les injustes, afin de vous présenter à Dieu, lui mis à mort en sa chair, mais rendu à la vie par l'Esprit. »  (C’est moi qui souligne) 1 Pierre 3 : 18, version TOB. (présenter=Προσάγω prosago  =

   mener, conduire, apporter 1a) ouvrir une voie d'accès, pour quelqu'un à Dieu.)

 

Conclusion :

 

 La révélation de Dieu étant progressive, il me semble important de comprendre le passage de relais entre une pratique spirituelle sacrificielle à une relation du cœur. Il serait plus approprié que notre interprétation théologique reformule les éléments de la cène non en termes sacrificiels, mais en termes relationnels.

 

Il convient plus de mettre en évidence la vie que la mort. Le Christ a vaincu la mort pour nous transmettre la vie et non la mort. Même dans l’Ancien Testament le sang=vie (cf. Deutéronome 12 : 23), centrons-nous donc sur la vie (ne faisons pas du sang du Christ un produit de lessive qui lave plus blanc que blanc, comme dans certains de nos cantiques).

Rester rivé à la notion de sacrifice (et la nécessité faire couler le sang) renvoie à une conception de Dieu insupportable. On ne sait plus s’il est Père ou bourreau. Cette vision archaïque d’un Dieu qui fait peur est aux antipodes de sa révélation d’amour par Jésus-Christ, son fils.

Le Seigneur n’a-t-il pas énoncé la vertu cardinale de toute relation :

« Je vous ai montré de toutes manières que c'est en travaillant ainsi qu'il faut soutenir les faibles, et se rappeler les paroles du Seigneur, qui a dit lui-même: Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ».  Actes 20 : 35 (paroles rapportées par l’apôtre Paul).

Le sacrifice (si l’on veut employer ce vocable) du Christ doit être compris comme un acte d’amour qui n’est pas seulement don dans l’instant, mais offrande de vie qui traverse le temps infini.

«  Mais, lorsque la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes ont été manifestés, il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous aurions faites, mais selon sa miséricorde, par le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint -Esprit, qu’il a répandu sur nous avec abondance par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par sa grâce, nous devenions, en espérance, héritiers de la vie éternelle. »  Tite 3 : 4-7  

  

Que le souvenir prégnant de ces paroles d’espérance demeure en nous…

                                                                                              

 

                                                                                        Jacques Eychenne

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