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Jésus a-t-il été violent ? ou la question de la violence Luc 16 : 16 Matthieu 11 :12 |
Introduction :
Dans un monde de plus en plus violent, ce thème mérite de retenir notre attention. Avant de plonger dans le cœur du sujet, essayons de préciser ce que l’on entend par violence. Pour le Grand Larousse la violence est le : « caractère de ce qui se manifeste avec une force intense, voire brutale. Caractère de quelqu’un qui est emporté, agressif. Extrême véhémence dans les propos. Emploi de la force pour contraindre quelqu’un ». D’autres dictionnaires parlent d’une force exercée par une personne ou un groupe pour soumettre, contraindre afin d’obtenir un résultat concret. En fait, le sens de ce mot présente toute une palette de nuances. Cela va de l’acte agressif brutal qui porte atteinte à l’intégrité physique d’une personne, à la parole volontairement puissante pour se faire entendre ou respecter. Toutefois, en français, la violence implique l’idée d’une force débridée qui s’exprime diversement suivant les circonstances et les personnes en présence… Mais continuons à préciser le sens des mots afin de mieux cerner ce que la Parole de Dieu nous dit…
Développement :
Dans l’A.T., le terme hébreu le plus courant pour dire la violence est le mot Hamas. Il est souvent usité dans les contextes d’injustices ou d’attaques de l’ordre établi. En conséquence, les pratiquants s’opposent à Dieu en exerçant le mal, la rébellion, la méchanceté et la cruauté. Ainsi, il nous est dit : « la terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine violence ” Genèse 6 : 11, version NEG. IL était pourtant clairement précisé par Dieu à Moïse : « Tu n'opprimeras point ton prochain, et tu ne raviras rien par violence »Lévitique 19 : 13, version NEG. Par exemple, on ne devait pas se servir de sa force pour abuser d’une femme. Dans ce cas, l’expression faire violence était utilisée (cf. Deutéronome 22 : 25, 28). Dans son combat David présente à Dieu la demande suivante: “ ne me livre pas au bon plaisir de mes adversaires, car il s'élève contre moi de faux témoins et des gens qui ne respirent que la violence” Psaume 27 : 12, idem. NEG. Le Hamas est donc mis en association avec le meurtre, les querelles, la rapine etc…
Tout ce vocabulaire illustre bien la situation d’extrême tension qui a toujours régné dans le monde des vivants.
Dans le Nouveau Testament la violence (cf. βία = bia = la violence) ou le violent (cf. βιαστής = biastes = celui qui utilise la force, le violent) ou le verbe (cf. βιάζω = biazo = employer la force, appliquer la force, violenter, contraindre) n’expriment pas particulièrement de nuances. Il faut regarder le contexte pour avoir une description plus précise des faits. Cela dit, nous savons par les historiens que la violence était particulièrement présente au temps de Jésus. La vie ne pesait pas lourd. Les Romains ne transigeaient pas avec l’ordre public et les peines capitales étaient souvent prononcées. C’est donc dans ce contexte symptomatique que le Christ a exercé son ministère. Alors posons-nous les questions suivantes :
Le Christ a-t-il réprouvé l’usage de la violence ou en a-t-il fait l’éloge ? Et lui-même a-t-il utilisé la violence lors de son ministère ?
« Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu'à présent, le Royaume des cieux est assailli avec violence; ce sont des violents qui l'arrachent » Matthieu 11 : 12, version TOB. Cette traduction respecte bien le sens du verbe (cf. βιάζω = biazo = employer la force, appliquer la force, violenter, contraindre) et elle décrit bien les acteurs ((cf. βιαστής = biastes = celui qui utilise la force, le violent).
Cette parole de Jésus nous dit qu’avec Jean le baptiste quelque chose a radicalement changé. Or, ce changement nous le connaissons ! Luc le médecin bien-aimé en parle : « La Loi et les Prophètes vont jusqu'à Jean; depuis lors, la bonne nouvelle du Royaume de Dieu est annoncée, et tout homme déploie sa force pour y entrer » Luc. 16 : 16, version TOB. Il s’agit donc de la bonne nouvelle du royaume de Dieu (cf. dans l’original grec, cette bonne nouvelle est même évangélisation : εὐαγγελίζω euaggelizo = évangéliser). Pourquoi le Seigneur nous dit-il que ce sont les violents qui s’en emparent ? Certainement parce qu’il faut beaucoup de force pour faire sienne cette prodigieuse et admirable promesse. Or, une promesse n’est utile que si elle est suivie d’une forte adhésion. En conséquence, pour stimuler notre bon choix, Jésus de Nazareth a utilisé des images. En voici une : « entrez par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s'y engagent » Matthieu 7 : 13, version FBJ. La logique, qui vise la position la plus confortable, nous inviterait à opter pour le chemin large et spacieux, non pour son étroitesse. La solution de confort est alléchante ! Seulement, ce chemin mène au vide, il est sans issue. Le choix du chemin resserré est donc le plus difficile. Pour surmonter la logique, il faut donc être habité par une force spirituelle peu ordinaire. Il demeure réconfortant de prendre acte des desseins bienveillants de notre Père des cieux pour nous. Toutefois, pour se laisser investir de la force de choisir le chemin étroit, il faut placer son orgueil sur l’autel de l’humilité et accueillir simplement ce que le Père veut nous donner. Luc met en lien avec la violence, les paroles rapportées par Matthieu. « Luttez pour entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne pourront pas » Luc 13 : 24, version FBJ. Le propos du Seigneur est clair. Il ne s’agit pas de développer un comportement anxiogène. Mais, plus nécessairement, il convient d’acter le défi important qui est devant chacun. (Si nous revenons au verbe employé dans la version grecque des Septante, il est fort de sens : ἀγωνίζομαι= entrer en lutte: lutter dans des jeux sportifs 2) lutter avec des adversaires, combattre 3) métaph. Lutter avec les difficultés et les dangers 4) s'efforcer d'avoir un extrême zèle). Spirituellement, le combat est plus âpre qu’il n’y paraît. Paul en témoignera : 2 Timothée 4 :7. Il nous faut être très conscients de ce combat spirituel porteur aussi de grandes joies.
Le Seigneur a mis en évidence deux actions complémentaires :
La première consiste à accueillir la force qu’il veut nous communiquer pour entrer par la porte étroite du royaume. Mais là encore, il nous appartient d’avoir un désir ardent pour que lui fasse le reste. C’est Dieu par Jésus-Christ qui nous communique la force, c’est-à-dire une conviction prégnante, car il ne s’agit pas de claudiquer sur le chemin ! La jeunesse pourrait citer la réplique de maître Yoda à Luke Skywalker dans l’univers de star Wars: « que la force soit avec toi, jeune Skywalker ».
La deuxième est de marcher en étant porteur d’une espérance. Comme nous l’avons vu tout à l’heure, la bonne nouvelle du royaume doit être évangélisée (εὐαγγελίζω= euaggelizo = évangéliser) : « cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier, en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin » Matthieu 24 : 14, version FBJ.
C’est la raison pour laquelle, l’apôtre Paul n’hésitera pas à interpeler les Chrétiens de Rome. En regard de la transmission de cette bonne nouvelle du royaume, il écrira : « Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n'ont pas cru ? Et comment croiront-ils en celui dont ils n'ont pas entendu parler ? Et comment en entendront-ils parler, s'il n’y a personne qui prêche ? Et comment y aura-t-il des prédicateurs, s'ils ne sont pas envoyés ? Selon qu'il est écrit : qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles ! Mais tous n'ont pas obéi à la bonne nouvelle » Romains 10 : 14-16, version NEG.
Pour que nous entrions plus aisément dans la volonté divine, en accueillant la force et en marchant comme des porteurs d’espérance, le Christ Jésus nous a ouvert une voie royale. Il a pu en rendre témoignage, car il a subi la violence des hommes. Pourtant n’était-il pas le Messie promis ! Dès sa naissance on a cherché à attenter à sa vie (cf. Matthieu 2 : 13). Puis dès le début de son ministère après la mort de Jean le Baptiste, Jésus craint pour sa vie et se retire en Galilée (cf. ἀναχωρέω = anachoreo= se retirer. C’est celui qui par crainte cherche un autre lieu). Le Christ ne pouvait pas rester longtemps en un même lieu, d’où son expression : « le Fils de l’homme n’a pas un lieu où il puisse reposer sa tête » Matthieu 8 : 20. Quand, lors de son arrestation dans le jardin de Gethsémané, l’apôtre Pierre tira son épée et coupa l’oreille du serviteur du souverain sacrificateur, Jésus le reprit pour dénoncer l’usage de la violence. A cette occasion, il reprendra Pierre en lui disant : « remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire ? » Jean 18 : 10-11.
Le Seigneur a subi le comble de la violence lors de son procès à Jérusalem. Il a été giflé, battu de 39 coups de fouet, puis crucifié (cf. Jean 19). Jésus a accepté d’endosser cette violence injuste et injustifiable pour faire la démonstration de son enseignement révolutionnaire. Accepter l’injustice ne relève pas de l’homme naturel …
L’enseignement de Jésus de Nazareth est aussi limpide que l’eau d’une source. Il a dénoncé radicalement la violence (telle qu’on peut l’entendre de nos jours). N’oublions pas qu’il a brisé la prescription mosaïque de la formule « œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure. » Exode 21 : 24. Il l’a remplacée par la phrase : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » Matthieu 5 : 39. En dehors du cas de la légitime défense, Jésus préconise la non-réponse à l’agression. Le Christ énonce un principe social pacifique : « mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant » Matthieu. 5 : 39, version NEG. La non-résistance au méchant revient à accepter l’injustice à l’exemple du Seigneur. Pour vivre de telles expériences, pour aller vers ce dépassement de soi, il nous faut l’assistance de l’esprit de Dieu, sinon notre nature animale l’emporte et la surenchère de la destruction s’ensuit… Jésus a annihilé toute velléité de riposte.
Cette attitude forte, qui tue la réciprocité de l’agression, a le mérite de renvoyer à l’auteur sa propre violence. Cette attitude digne qui fait appel à la maîtrise de soi est la seule voie de toute pacification. De ce fait, le Christ est dans la lignée des grands sages qui ont marqué l’histoire humaine.
Mais n’éludons pas la deuxième question posée antérieurement…
Notre premier réflexe est de penser à la purification du temple, quand Jésus en chassa les vendeurs. Cette péricope du Nouveau Testament est rapportée par les quatre évangélistes (cf. Matthieu 21 : 12-13 ; Marc 11 : 15-18 ; Luc 19 : 45-46 et Jean 2 : 15-16). Seul l’apôtre Jean parle de l’utilisation d’un fouet que le Christ aurait confectionné à la hâte avec des cordes. Alors certains diront : n’est-ce pas la preuve que Jésus a utilisé la violence après l’avoir dénoncée !
Comment donc concilier cette violence du Seigneur avec la définition qu’il nous donne de lui-même : « je suis doux et humble de cœur » Matthieu 11 : 29, version NEG. Avant de savoir pourquoi le Seigneur a agi de la sorte, reprécisons qu’il s’agissait de la maison de son Père. C’est donc en position de Fils de Dieu que le Seigneur met ses actes en conformité avec sa vocation. Jésus savait fort bien que ce commerce habituel dans le parvis du temple était indispensable à la vie économique et spirituelle du peuple. Les animaux servaient aux sacrifices et la monnaie devait être compatible avec le fonctionnement du Temple, c’est-à-dire sans effigie représentant l’autorité romaine. Ce dispositif était supervisé par le pouvoir sacerdotal. Alors quelle explication peut-on donner ?
On peut dire que l’enjeu était pour notre Seigneur considérable. Il fallait faire comprendre au peuple qu’une dispensation nouvelle, inaugurée par sa victoire sur le mal, allait être mise en place. En effet, par le sacrifice de la croix, le Christ accomplissait, comme agneau de Dieu, la loi sur tous les sacrifices antérieurs (cf. Hébreux 10 : 4-14). De plus, la suite du récit de Jean (cf. Jean 2 : 19-21) montre que le Christ a voulu établir un passage entre le temple de Jérusalem et son propre corps. Certes, la compréhension de ce mystère s’avérait difficile, mais ses disciples la saisirent par la suite. Que dans ces circonstances, à hautes valeurs historiques, le Seigneur ait utilisé la force de l’autorité divine n’est pas une surprise ! Le Christ ne s’est pas servi du fouet sur les personnes. Il l’a certainement brandi pour évacuer brebis et bœufs du temple. Le renversement des tables de changeurs avait une double signification. D’une part, il montrait que le temple avait, avant tout, une vocation spirituelle, et d’autre part, que cette monnaie devait disparaître. Pourquoi ? Les rabbins, en procédant au change entre une monnaie impériale et une monnaie du temple, affirmaient leur souhait d’une identité nationale. Elle correspondait fort bien avec l’idée qu’ils se faisaient d’un Messie nationaliste, malheureusement ils se trompaient.
Une autre situation, peu souvent citée, révèle l’utilisation de la force par le Seigneur. Nous sommes à la fin d’une journée merveilleuse, au cours de laquelle le Seigneur a, pour la première fois, multiplié 5 pains et 2 poissons (cf. Matthieu14 : 15-21). Il se fait tard et Jésus donne un ordre à ses disciples : « Et aussitôt il obligea les disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l'autre rive, pendant qu'il renverrait les foules » Matthieu 14 : 22, version FBJ. Le verbe obliger est
fort (cf. ἀναγκάζω = anagkazo = 1) forcer, conduire à, contraindre 1a) par force, menaces).
Pourquoi le Seigneur a-t-il agi de la sorte ?
Là encore, Jésus de Nazareth a dû utiliser toute la force de son autorité divine pour briser le rêve des disciples, car ces derniers avaient senti que la foule pressentait en lui le futur roi d’Israël. Ils l’exprimeront plus tard lors de son entrée à Jérusalem (cf. Jean 12 : 13). Si le Seigneur à forcer ses disciples à passer de l’autre côté du lac de Galilée, c’est assurément parce que leur état d’esprit était contraire à celui de leur Maître. Le temps de cette proclamation (Christ-roi) n’était pas encore venu…
Conclusion :
Le Christ n’a nullement utilisé la violence pour contraindre quiconque à le suivre. Bien au contraire, son enseignement a toujours été une invitation à sa mise en pratique concrète. « Puis, ayant appelé la foule avec ses disciples, il leur dit: Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive » Marc 8 : 34, version NEG. Par contre, Jésus de Nazareth n’a jamais voulu se départir de l’autorité divine que son Père lui avait conférée. Le Christ, à certains moments précis de son ministère, a laissé s’extérioriser cette force qui lui avait été communiquée. Mais cette autorité, d’essence divine, exprimait un profond amour pour la nature humaine. Elle ne désirait qu’un accueil pour établir une relation de réciprocité. Totalement cohérent avec son enseignement, le Seigneur a agi (cf. selon sa parabole en Jean 10 : 11) comme un bon berger qui donne sa vie pour ses brebis.
Jacques Eychenne
PS : version NEG, Nouvelles Editions de Genève ; TOB, version Traduction Œcuménique de la Bible ; version FBJ, French Bible de Jérusalem.