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Jésus-Christ, le transgressif ? Matthieu 5 : 21-44
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Introduction :
Quand on lit attentivement les faits et gestes de Jésus de Nazareth, il est difficile d’être neutre dans nos appréciations. Notre œil voit le Christ en regard de l’éducation religieuse que nous avons reçue. Les faits sont là.., mais que l’on soit chrétiens, juifs ou musulmans, il est impossible de se départir de sa propre culture religieuse. Dans ce contexte, le vœu d’objectivité est comme la brume du matin quand le soleil darde ses rayons. La seule chose que nous puissions faire honnêtement est de dire comment nous percevons ce personnage, certes hors du commun des mortels. Contrairement à mon habitude je vais donc employer le « Je ». Dans le langage chrétien on appelle cela : rendre témoignage.
Développement :
Je pense qu’avec le recul des siècles, le personnage de Jésus de Nazareth a été l’objet d’enjeux religieux qui n’ont rien à voir avec la démonstration de ses gestes d’amour. Toutefois, ne nous méprenons pas sur le sens de sa mission. Le Christ n’est pas cet être hirsute aux traits fins, presque efféminés, aux paroles toujours doucereuses. Je ressens, à travers les récits des auteurs du Nouveau Testament, la force d’un homme en pleine maturité. Un homme à la forte personnalité qui ne s’en laisse pas conter (cf. Matthieu 11 :12). Un homme réactif, qui sans cesse amène un correctif à la compréhension humaine du message divin…
Le choix de Dieu a été que cet homme exceptionnel naisse sur la terre d’Israël en Judée, avant de partir avec ses parents en Galilée. C’est là, à Nazareth qu’il accompagne son père Joseph dans son travail de charpentier. Donc, Jésus est né dans une famille juive, et il a reçu un enseignement et une éducation conforme à la culture religieuse juive. A l’évidence, sa famille lisait la Torah et fréquentait la synagogue… Ce point est très important, car il nous permet de mieux cerner la force de son engagement spirituel. Pourquoi ?
En synthèse, le ministère du Christ s’inscrit moins contre le judaïsme, qu’à l’intérieur du judaïsme. La singularité de l’enseignement du Seigneur est dans une nouvelle lecture de la relation à Dieu et à la loi, ou plus généralement au message de Dieu. Jésus connaissait fort bien l’attachement de ceux de sa nation à la Torah. Pour autant, le Christ va mettre en place un concept nouveau : placer l’amour au-dessus et avant tout concept d’obéissance. C’est avant tout une question de priorité. L’obéissance a sa place, mais la dissocier de l’amour la prive de sens, c’est comme avoir un violon sans archer. Jésus a en tête ce qui est dit journellement dans toutes les maisons juives, le shema Israël : « écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force » Deutéronome 6 : 4-5.
De ce fait, le Christ n’a pas valorisé les 248 commandements, ni les 365 interdits que le croyant Juif devait avoir à l’esprit pour s’y conformer. Il a voulu faire revivre l’amour pour bannir toutes sortes de crainte. Face à une perception déformée de la compréhension des instructions divines, dans la loi et les prophètes, le Christ Yeshoua, ne pouvait qu’être dans une position transgressive. Il est le seul à avoir donné une cohérence à l’agir…
Sur quels points le Seigneur a-t-il été transgressif de l’orthodoxie pharisaïque et sacerdotale ? Son histoire est unique. Alors, faisons connaissance des traces qu’il nous a laissées (cf. 1 Pierre 2 : 21).
On a une toute petite idée de l’importance des prescriptions mosaïques dans le quotidien de la vie d’un juif au temps de Jésus (cet impact a été tellement puissant qu’il demeure encore de nos jours). La pureté rituelle était une condition sine qua none pour s’approcher de Dieu. Les distinctions entre le pur et l’impur étaient incontournables. Elles faisaient partie de ce qui distinguait le peuple d’Israël de tous les autres peuples. Aujourd’hui, nous pouvons aller vers Dieu, tel que nous sommes, fatigués et chargés (cf. Matthieu 11 : 28, le « tous » est important).
On a peu idée du choc produit par le Seigneur, quand il énonce : « Il n'est hors de l'homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller; mais ce qui sort de l'homme, c'est ce qui le souille » , version NEG.L’apôtre Paul écrira à la communauté de Rome : « Je sais et je suis persuadé par le Seigneur Jésus que rien n'est impur en soi, et qu'une chose n'est impure que pour celui qui la croit impure » , version NEG. Jésus a voulu que ses contemporains arrêtent de se claquemurer derrière une fausse conception de la loi… Sa subversion spirituelle est aussi là !
Du temps du Christ ses propos (sur le sujet) ont fait l’effet d’une déflagration atomique ! Même pour les apôtres, elle fut difficile à intégrer… Rappelons-nous le conflit entre Paul et Pierre à Antioche ! (cf. manger avec les païens, Galates 2 : 11-14). Pourtant, une décision avait été déjà prise lors du premier concile de Jérusalem ( vers l’an 50 après J.C) dirigé par Jacques, le frère du Seigneur : « Car il a paru bon au Saint -Esprit et à nous de ne vous imposer d'autre charge que ce qui est nécessaire, savoir, de vous abstenir des viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux étouffés, et de la débauche, choses contre lesquelles vous vous trouverez bien de vous tenir en garde. Adieu » Actes 15 : 28-29, version NEG.
Notons une fois de plus que Jésus ne dit pas ouvertement que la différence entre le pur et l’impur est obsolète, il procède à un déplacement. Désormais, ce sont les gestes et les paroles qui disent le pur ou l’impur. En termes relationnels, le propos est révolutionnaire : ce n’est plus l’impureté extérieure ou celle d’un autre (le malade contagieux) qu’il faut redouter, mais celle qui sort de son cœur. La définition de la pureté, telle qu’elle était enseignée par les rabbins, est revue et corrigée. C’est la raison pour laquelle les réactions des dignitaires religieux ont été plus que vives. Comment ont-ils qualifié le Christ ? « Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d'impôts et des pécheurs » Luc 7 : 34, version TOB. Les Pharisiens ont été choqués de voir Jésus manger avec les collecteurs d’impôts. Ils ont été ulcérés de le voir fréquenter des femmes pécheresses (cf. Marc 2 : 16 ; Luc 7 : 36-50). Ils ont adossé leurs jugements et leurs comportements à une fausse perception de la loi divine.
Pour le Juif, les repas, symboles de convivialité et de partage ne pouvaient intégrer des personnes étrangères. Les pharisiens, selon les historiens, mangeaient en confréries.
Le Christ brise ce cercle et l’ouvre au monde des pécheurs. Scandale pour les Juifs ! Pour le lui, le message de l’annonce du règne de Dieu ne permet aucune discrimination… La pratique d’une communion ouverte va assurément dérouter ses auditeurs contestataires. Même à la Cène, le Seigneur fait participer Judas l’Iscariot (le traître).
Comme on le constate, le divorce ne pouvait qu’être consommé entre ces élites spirituelles et ce galiléen « perçu prétentieux ». Qui plus est, Jésus venait de Nazareth, une ville sans importance en Galilée, par rapport aux deux grandes villes de la région : Persépolis et Tibériade. La remarque de Nathanaël traduit bien, ce que tout le monde pensait de Nazareth : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » Jean 1 : 46. Si l’on ne faisait pas partie du sérail de Jérusalem, on n’avait aucune autorité. Or, le Seigneur, par une formule qui n’appartient qu’à lui, a affirmé une autorité qui lui venait directement de Dieu. Cette formule : « Je vous le dis en vérité » se démarque des élites de Jérusalem (cf. elle est employée plus de 30 fois chez Matthieu ; et chez Jean, la formule : « en vérité, en vérité je vous le dis » est utilisée au moins 26 fois).
C’est précisément à Jérusalem que Jésus va porter la controverse la plus magistrale. En premier lieu, il a programmé son entrée triomphale. Assurément, elle défiait l’autorité en place. Les débats ont porté sur l’autorité du Seigneur, sur la résurrection des morts (elle était niée par l’élite sacerdotale qui gérait les activités du temple et du Sanhédrin), sur l’interprétation de la Torah, sur la gestion du temple (cf. le scandale du commerce dans le parvis, le Seigneur renverse au propre et au figuré la situation). Il prononce à cette occasion une parole forte : « Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs » Marc. 11 : 17, version NEG (cf. πᾶσιν= toutes, adj. indiquant la totalité). L’affirmation inacceptable et déroutante porte sur le fait que le temple est ouverture à toutes les nations. L’exclusivité et les restrictions sont mises au placard. Plus de ségrégations pour s’approcher de Dieu ! Tous ceux que la Torah considérait comme impurs, précisons les malades, les invalides, les femmes, les possédés, les païens, sont invités maintenant à entrer dans un lieu ouvert (Le voile qui se déchira dans le temple de haut en bas, à la mort du Christ en sera le symbole. cf. Matthieu 27 : 51).
Conclusion :
Quand on prend conscience du puissant impact de la prédication du Christ, sa mort devenait inéluctable. Mais alors qu’elle fut perçue comme un échec par ses proches et une joie par ses détracteurs, elle s’est transformée en puissance de vie annonçant le règne de Dieu. Sa mort, paradoxalement, est sa plus extraordinaire prédication de vie. De même que le grain doit être porté en terre pour mourir et renaître, de même la résurrection du Seigneur va devenir pour tous les siècles à venir, et jusqu’à la fin du monde, le plus beau, le plus fort, le plus prodigieux appel à la vie.
« Ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur ! n'entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Matthieu. 7 : 21.
Jacques Eychenne
PS : NEG, version Nouvelles Editions de Genève, TOB, version Traduction Œcuménique de la Bible.