Ou
L’intelligence de la duplicité
Nombres 21 à 25
Introduction :
Parmi les personnages de l’Ancien Testament, il en est un qui nous interpelle par la forme et le fond de son ministère prophétique : Balaam. Il apparaît dans les textes bibliques à la fin du ministère de Moïse. Le peuple d’Israël est en marche vers le pays promis, le pays de Canaan. Il vient de remporter 2 victoires contre les Amoréens. Il n’a pratiquement plus de gros obstacle pour prendre possession du pays promis. Il est donc tout près de l’arrivée, juste du coté oriental du Jourdain, en vis-à-vis de Jéricho. (Nombres 21 : 21 à 22 :1)
Mais dans les plaines de Moab, là où campe Israël, il y a un roi qui ne voit pas l’arrivée de ce peuple d’un bon œil. Il sait qu’il ne pourra pas lui résister. Ne pouvant l’affronter, Balak roi de
Moab, en complicité avec les anciens de Madian, va utiliser la ruse. Il va soudoyer intelligemment Balaam, qu’il reconnaît être un devin en Israël. Il pense pouvoir obtenir gain de cause par
des présents et des honneurs. Sa demande surprenante et insolite consiste à lui demander, rien de moins, que de maudire Israël, son propre peuple. (Nombres 22 :2-7)
Développement :
A première vue, Balaam semble avoir un comportement normal. Il décline l’offre de Balak, car l’Eternel lui a clairement parlé. (Cf. Nombres 22 :12) Il refuse donc de partir avec les envoyés de Balak. Mais ce dernier insiste et renvoie ses messagers, une deuxième fois, en les pressant d’être plus insistants. Au lieu de les renvoyer sur le champ en regard de l’ordre formel de Dieu, Balaam les invite à passer la nuit dans le camp d’Israël, pendant qu’il reconsulterait l’Eternel.
On se surprend à penser : mais à quoi joue-t-il ? Dieu n’a-t-il pas été suffisamment précis ? Qu’attend Balaam au juste ? Ou que veut-il entendre ? Dieu peut-il maudire un peuple qu’il a sorti de
l’esclavage ? A qui il a, de plus, promis un pays ou coule le lait et le miel ? Contrairement à ses promesses, aurait-il maintenant l’intention de le détruire, aux portes de Canaan ?
La position de cet homme, apparemment spirituel, parait insensée. Elle en devient même ambiguë. On reste perplexe sur ses profondes motivations ...
En effet, Balaam dit à ces envoyés: « je vous donnerai une réponse, d’après ce que l’Eternel me dira. »(v. 8). Cela laisse entendre, qu’il y avait peut-être, pour lui, l’espoir d’une
réponse favorable. (Mais, ceci était carrément impensable !)
Il y a là, pour un homme qui se reconnaît être prophète de Dieu, une curieuse façon de procéder...
Et cela éveille en nous plein de questions :
- Pourquoi a-t-il accepté un tel marché, alors que le plan de Dieu était depuis fort longtemps, très bien connu, de tout le peuple ?
- Est-ce pour se mettre en évidence ? (car, jusque là, on n’avait jamais entendu parler de lui).
- Est-ce parce que son ministère n’était pas reconnu à sa juste valeur ? (Balak et les anciens de Madian le prenaient seulement pour un devin) (Cf. Nombres 22 :6-7)
- Est-ce par intérêt, afin de tirer de cette situation un profit pour l’avenir ? N’est-il pas au cœur d’un enjeu conséquent ?
- Ou est-ce, tout simplement, une question d’argent, de pouvoir ou d’honneur ?
Quand on a entendu les déclarations claires de Moïse, et vu les prodiges opérés par Dieu au milieu de son peuple, on ne peut
pas agir comme si on était sourd et aveugle. Nous récusons donc le fait que Balaam ait été frappé d’amnésie !
Balaam connaissait très bien la volonté de Dieu, et c’est pour cette raison que son cas nous intéresse. Il savait qu’elle serait l’issue de cette aventure.
Alors pourquoi a-t-il intercédé en faveur des ennemis de son propre peuple ?
Il est vrai que le récit nous montre des envoyés faisant pression. Ils n’ont pas lâché prise facilement. Ils sont revenus à la charge avec une délégation plus importante, des promesses encore plus
conséquentes, et un aveu de soumission qui a un parfum de séduction. (Les porte-paroles de Balak déclarent : « je ferai tout ce que tu me diras » v. 17). C’était assurément grisant à entendre
!
Cette promesse de soumission, avec tous ses avantages, a été plus forte que les simples paroles de Dieu.
Cela rappelle la situation de Pilate. Sous la pression de la foule et de ses chefs religieux, il ne s’est pas donné les moyens du bon choix. Il a craqué !
Ici, c’est aussi l’humanité de Balaam qui prend le dessus. Il regarde aux avantages à court terme.
Mais, faisons une pause, qu’en est-il de nous ? Sommes-nous sensibles aux honneurs ou à la gloire au point de brader nos engagements spirituels ? Est-ce que les avantages matériels ont priorité sur
nos valeurs morales et notre foi ?
Face à cette situation quelle a été l’attitude de Dieu ?
Première attitude : La fermeté
« Tu n’iras point avec eux ; tu ne maudiras point ce peuple, car il est béni » (Nombres 22 : 12). Comme un bon père, voyant son
fils en difficulté, Dieu envoie un message fort et clair.
Balaam aurait dû à ce moment comprendre, que ses états d’âme devaient s’arrêter là ! Mais, Il n’en fut rien.
Dieu aurait très bien pu l’arrêter net dans sa confusion, c’est évident... Mais Dieu n’impose rien. Voyant que son serviteur penche du coté ou il veut tomber, Dieu va l’accompagner pour lui faire
découvrir l’énormité de son comportement.
Deuxième attitude : l’accompagnement.
Voyant que Balaam a tellement envie d’aller vers ce Balak, qui veut l’entourer de tant d’honneurs, Dieu abonde dans son sens, d’un air de dire : « tu veux y aller ! Eh ! bien vas-y ! » (Cf.v.
20) Cette attitude de Dieu n’est pas nouvelle ! (Cf. Nombres 11 :4-6, 13,18-21,31-33) A vue humaine, on pourrait penser que Dieu lui donne implicitement l’opportunité de se
ressaisir...
Comment faire comprendre à Balaam, qu’il n’est pas sur le bon chemin, dans la bonne voie ? Et qu’il se dirige vers des sables mouvants ?
Troisième attitude : la pédagogie : Surprendre pour forcer la réflexion.
Dieu va utiliser un animal et le faire parler. C’est le seul récit, en dehors de celui de la genèse (avec le serpent), où l’on voit ce procédé. Le fait est donc unique. Il faut donc lire lentement cette fable pleine de sensibilité, et d’amour. Après avoir lu Nombres 22 :22-35, qu’observons-nous ?
Par l’humour et la dérision, Dieu va stigmatiser la difficulté de Balaam. Son objectif : l’aider à percevoir sa volonté. Le voyant qui croit voir ne voit rien, tandis que l’animal qui n’a
aucune prétention, ressent et voit tout... L’animal plus intelligent que l’homme ! Quelle leçon ! Mais aussi quelle patience de Dieu !
Dans le cas qui nous intéresse, il y a chez Balaam une réelle confusion entre la voie de Dieu et la sienne, entre la volonté de Dieu et la sienne.
Devant l’évidence, Balaam ne peut que répondre : « Je ne savais pas que tu étais placé au-devant de moi sur le chemin » (Cf.v. 34) Balaam n’a pas su voir, mais ce n’est pas pour autant qu’il va
changer d’état d’esprit !
Quatrième attitude : Dieu laisse libre Balaam d’assumer les conséquences de ses choix.
Et Dieu va le laisser faire, tout en mettant dans sa bouche les paroles de bénédiction pour Israël. Il était hors de question qu’un humain modifie ses plans... Balak, persévérant, va balader Balaam d’un mont à l’autre. Il va le conduire sur 3 sommets, avec des angles de vision différents sur les tentes d’Israël. Il espérait obtenir satisfaction. Mais en vain ! (Cf. Nombres22 :41 ; 23 :14, 28). Balaam impuissant, dépité et consterné devant Balak, est obligé de capituler.
Cinquième attitude : Le plan de Dieu se réalise malgré lui et sans lui.
Désormais, rien ne pourra plus arrêter le plan de Dieu pour ce peuple. Plus fort encore, Dieu va passer par-dessus le
comportement désastreux de Balaam pour le contraindre à transmettre, en présence de Balak, un dernier message inspiré. Ce message au préambule plein d’humour, rappelle la promesse des bénédictions de
Dieu pour son peuple, et se termine par l’annonce d’un royaume messianique. (Cf. Nombres 24).
Puis Balaam et Balak se séparent déçus.
Chacun repart vers son peuple. Balaam finit sa vie tragiquement. Au lieu d’être le témoin de la réalisation des merveilleuses promesses et de vivre en paix en Canaan, pays de l’espoir, il meurt tué par l’épée de ceux qu’il avait voulu trahir : les enfants d’Israël. (Cf. Josué 13 : 22)
Le cas de Balaam est pathétique, il illustre par certains cotés le drame de la nature humaine, sur le thème de la duplicité de coeur. David confirme : « on parle avec un cœur double » Psaume 12 :3
Jésus, de son coté, a bien dit : « L’esprit est souvent bien disposé mais la chair est faible ». (Marc 14 :38)
A cet instant, reprenons la question du début de notre réflexion :
Pourquoi Balaam a-t-il voulu intercéder en faveur des ennemis de son peuple ? Et rajoutons maintenant, comment une telle confusion peut-elle être possible ? Se pourrait-il que nous nous sentions
concernés par ce mélange des genres ? confondre la bonne voie vers la vie et celle de la perdition ?
Un des travers récurrents de la pensée humaine est sa duplicité. Ce comportement ambigu, dans lequel on se fourvoie par peur, par ambition, par réaction d’autodéfense ou par opportunisme... Il est
intéressant à approfondir. A travers le personnage de Balaam, chacun peut s’y retrouver, alors essayons de mieux comprendre qu’elles ont pu être ses motivations.
Je vous propose d’examiner 3 textes bibliques dénonçant explicitement les déviances d’appréciation et de jugement de Balaam :
1) 2 Pierre 2 : 15-16.
Dans ce texte, on parle du chemin de Balaam. Il est en opposition avec le droit chemin. Balaam se serait égaré en se trompant
de chemin pour un salaire injuste, par amour de l’argent. La fin du v.16 parle même de la folie du prophète (παραφρονία= folie). Le commentaire de Pierre indique aussi que Balaam reçut une
bonne leçon en conséquence de sa transgression (παρανομία= transgression, illégalité).
D’après l’apôtre, cette démence serait la conséquence d’une confusion dans l’itinéraire à suivre. Il n’a pas voulu prendre celui qui était indiqué (pour ne pas dire ordonné) par Dieu. Il a voulu
monnayer ses dons de prophète. Balaam aima le salaire de l’injustice (αδικία= injustice, tort, faute, iniquité, Cf. Romains 1 :18 ; Hébreux 8 :12 )
Comment cela peut-il se faire, quand on a l’aspiration à servir Dieu, et que l’on se prétend inspiré par lui ?
Il y toujours le danger en toutes circonstances, et a fortiori dans le domaine spirituel, de se servir de Dieu, en pensant le servir. La confusion provient du fait que ce n’est pas Dieu qui est
important et premier, mais nous.
In fine, le vrai service rend gloire à Dieu, pas à l’homme. La duplicité peut donc se nicher là, subtilement. Croire que ce que
l’on fait est toujours l’œuvre de Dieu, c’est s’approprier ce qui n’appartient qu’à Lui. Notre monde n’a-t-il pas un trop plein de gens prétendus inspirés ? Ne génèrent-ils pas plus de déceptions et
finalement de rejet de la vraie spiritualité ?
L’antidote de ce mal insidieux et pervers, demeurent l’humilité et la simplicité.
2) Jude 11.
Dans ce texte, on parle de l’égarement de Balaam. L’égarement fut son salaire ; un faux raisonnement l’a piégé. L’intelligence
n’est donc pas une garantie tous risques !
A-t-il voulu rendre un service à Dieu, en exécutant à sa place, une malédiction, à ses yeux méritée, sur ce peuple rebelle ?
A-t-il pensé que ce peuple au cou raide (Cf. Exode 32 :9 ; 33 :3,5 ; 34 :9) ne méritait pas la bonté de Dieu, donc sa bénédiction ?
S’est-il dit : « J’agis pour Dieu, et enfin on reconnaîtra mon vrai ministère ? »
Il est difficile d’admettre, comme pour Judas, que ce soit simplement une question d’argent. Les motivations semblent plus complexes... Cet égarement qui nous parait grossier, a été certainement plus
progressif et plus subtil qu’on ne le pense. Le texte de Jude dit qu’il est « dans la voie de Caïn ». C’est le même état d’esprit. Faire ce que l’on pense bien, plutôt que de d’agir comme Dieu l’a
demandé. Se prendre pour référence, au lieu d’avoir Dieu pour référence.
En y réfléchissant à deux fois, à des degrés divers, on peut dire qu’il y a matière à se sentir concerné ! Combien de fois avons-nous besoin de nous convaincre que l’on est sur le bon chemin, alors
que la réalité est ailleurs. Le piège subtil de la confusion des genres ne concerne pas que les mécréants ! Sans vigilance et beaucoup d’humilité, il semble facile d’y succomber.
L’apôtre Paul, face aux beaux discoureurs de Corinthe disait : « Que celui qui croit être debout prenne garde de tomber ! » (Cf. 1 Corinthiens 10 :12
La duplicité fait partie du quotidien de l’humain, l’adversaire n’a donc aucune peine à brouiller les pistes, et à pervertir notre bon sens, notre discernement...
Notre belle assurance doit passer au tamis d’une mise à l’épreuve désirée. L’étalonnage de notre amour et de notre foi sur la Parole de Dieu est nécessaire.
David avait raison de formuler sa prière dans ce sens : « Regarde si je suis sur une mauvaise voie, et conduis-moi sur la voie de l’éternité ». Psaumes 139 :24.
3) Apocalypse 2 :14
Dans ce texte, on parle de la doctrine ou de l’enseignement de Balaam (διδαχή= enseignement, doctrine)
De quoi s’agit-il ? Balaam a considéré que les conseils de Dieu, délivrés à son peuple, n’étaient pas si importants que cela. Sous les instigations de Balak, il participa à des cérémonies idolâtres.
Balaam était très ouvert et perméable aux sollicitations de ses voisins moabites et madianites. Mais sous couvert d’ouverture aux autres, il se complaisait dans la compromission et il justifiait
habilement ses positions... Justifier à tout prix ses choix est séduisant ! Ne justifie-t-on pas facilement tout ce qui nous plait ?
Balaam pensait peut-être, que sa participation à ces cérémonies idolâtres était sans conséquence pour sa foi et son ministère. Mais voilà, fort de son aval, le peuple se livra à la débauche
avec les filles de Moab. Elles invitèrent les israélites à participer aux sacrifices de leurs dieux, et à se prosterner devant eux. (Cf. Nombres 25 :1-3)
Certainement intelligent, Balaam a fait un tri dans ce que Dieu attendait d’une relation de confiance, et d’obéissance...
Ne pensez-vous pas que cet état d’esprit perdure de nos jours ? Dans les milieux dits religieux. On a souvent fait le tri en voulant définir la bonne doctrine. On a voulu distinguer le spirituellement correct de ce qui ne l’était pas. Certains ont même eu l’audace de certifier ce qui, dans la Bible, ne relevait pas de l’inspiration divine.
L’histoire chrétienne démontre que l’intelligence humaine ne s’est pas privée de modifier à sa guise, ce que Dieu avait solennellement donné. (Ex. entre autres, la loi royale des 10 paroles gravées
dans la pierre, sans intervention humaine)
La doctrine de Balaam consiste à accepter du prêt-à-porter spirituel, une petite religion sur mesure, dans laquelle on se sent bien en sécurité, la forme prenant souvent le pas sur le fond.
Notre intelligence pervertie, est-elle à même d’adapter les conseils de Dieu à la modernité de notre monde ? Ne faudrait- il pas faire l’inverse ? A trop vouloir adapter, ne finit-on pas par
falsifier ?
Conclusion :
En regard de ces 3 commentaires inspirés, on prend conscience que Balaam, devin ou prophète, est le type même de la contrefaçon
du vrai serviteur de Dieu.
Prophète mercenaire par opportunisme, il est allé en sens contraire du plan de Dieu. Prophète corrompu, Il s’est égaré, et en a égaré bien d’autres à sa suite. Le chemin qu’il a foulé s’est dirigé
vers la perdition ; sa fin, comme Judas, ne pouvait qu’être tragique !
Peut-on résister impunément à l’Esprit de Dieu ?
Pourtant, méfions nous de la grosse caricature ! Si Balaam a confondu fidélité et trahison, cela ne s’est pas fait en un jour. Tout a du se passer insensiblement et progressivement dans le temps,
avec une réelle volonté de servir Dieu...
Ne peut-on pas être très sincère et cohérent dans sa confusion ?
L’intelligence dans la duplicité de Balaam est interpellante pour nous tous.
Notre faire-valoir n’est-il pas plus présent que notre humilité ? Notre intelligence ne prend-t-elle pas le pas sur notre foi ? N’avons-nous pas la tentation de rester bien au chaud derrière nos
certitudes, au lieu de les revisiter à la lumière de la Bible ?
Restons vigilants sur le sérieux de nos choix ! Jésus n’a-il pas prophétisé : « Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Luc 18 :8
Quand la foi se refroidit, la cupidité pointe le bout de son nez, et la notion d’intérêts se mêle au service de Dieu et du prochain, sous des formes subtiles et variées.
Balaam a été dans la confusion des genres, dans le mélange du sacré et du profane. Il a voulu plaire à tout prix, et être reconnu comme un personnage important. Il a voulu faire des compromis avec
lui-même, avec Dieu, avec son peuple. Il a utilisé sa liberté pour agir à sa guise, comme si Dieu n’avait rien dit...
Son chemin, ses égarements, ses enseignements l’ont conduit là où il n’espérait certainement pas. Car, il m’est difficile d’admettre que l’on choisisse le chemin de la perdition délibérément !
« Celui qui réfléchit sur les choses trouve le bonheur, et celui qui se confie en l’Eternel est heureux » Proverbes 16 :20
« Revêtez-vous d’humilité ; car Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles » 1 Pierre 5 :5
Jacques Eychenne