A propos de la prédestination

 

 

 

                     A propos de la             prédestination ?

  Ephésiens 1 : 5,11

 

Introduction :

 

Le sujet de la prédestination est récurrent dans les conversations humaines. Il est vrai que le principe de la liberté a toujours été revendiqué comme concept incontournable en vue d’assumer un libre choix. Philosophiquement, le libre arbitre est la capacité propre à chacun de pouvoir se déterminer ou plus simplement de faire des choix. L’expression libre de la volonté individuelle engage chacun, et chacune, dans ses propres décisions. En est-il de même dans le domaine spirituel ? Cela nous conduit à nous poser sérieusement la question de la prédestination. Mais que faut-il entendre lorsque nous nous référons à ce mot ?  Dans la pensée populaire, il  fait référence au pouvoir divin de déterminer la vie et les évènements futurs. En théologie chrétienne, Il attribue à Dieu le pouvoir de définir la fin dernière de chacun, en salut éternel ou en damnation. Catholiques et protestants ont immanquablement abordé ce sujet. Pour Luther, la grâce dans le Christ et la prédestination au salut vont de pair. Calvin dans son institution de la religion chrétienne ira jusqu’à affirmer une prédestination à deux volets : le salut ou la damnation. La sentence aurait été prononcée par Dieu de toute éternité. Mais pour Luther, cette doctrine serait utile pour conduire  l’humain à  l’humilité, à renoncer à ses propres mérites, et à s’en remettre à la souveraine volonté divine. Pour les catholiques, la référence à Cornélius Jansen (père du jansénisme au 17e siècle) définit l’orientation selon laquelle le salut ou la damnation ne dépend que de Dieu. Il rajoutera qu’en dehors de l’église catholique romaine le salut est une impossibilité.  Le débat, entre la grâce, le fatalisme et le libre arbitre, a traversé la chrétienté à travers tous les âges. Une bonne dizaine de textes bibliques sont cités à l’appui de cet enseignement (1). Le Nouveau dictionnaire biblique énonce sans ambiguïté : « La prédestination occupe incontestablement une grande place dans le N.T. » Editions Emmaüs, 2007, p.1054.

Mais que disent vraiment les textes bibliques ?  Sommes-nous soumis à une décision arbitraire de Dieu sans tenir compte de notre propre volonté ?

 

Développement :

 

Aussi curieux que cela puisse paraître, observons que le substantif : prédestination n’existe pas dans le N.T. Par contre, nous trouvons bien un verbe qui a été traduit dans ce sens, mais dans seulement quatre textes que nous allons parcourir (c’est là que l’on parle clairement du prédéterminisme divin et non de sa pré-connaissance).

Mais avant toute interprétation, de quel verbe s’agit-il ? Et que veut-il exprimer ?

Προ-ορίζω dans son sens premier, en grec, signifie avant tout délimiter, fixer auparavant, par extension déterminer et prédestiner. Les Grecs se servaient de ce verbe pour parler du bornage d’un terrain. C’est-à-dire quand on devait fixer les limites d’une propriété, ou les limites d’un terrain de sport. Retenons bien ce sens, il va nous aider à comprendre le sujet qui nous préoccupe.

Cette action, qui relève de la seule autorité divine, a-t-elle eu pour objectif de passer outre à notre liberté, ou l’a-t-elle plus positivement stimulée ? Car la bonne question de fond est bien là.  Suis-je programmé, ou suis-je libre de mes choix ? Et question  subsidiaire : est-ce que la prescience de Dieu est un réel obstacle à ma liberté ?

 

Examinons concrètement les quatre textes qui nous parlent directement de notre sujet :

 

1) « Il (Dieu) nous a prédestinés dans son amour à être ses enfants d'adoption par Jésus-Christ, selon le bon plaisir de sa volonté… En lui nous sommes aussi devenus héritiers, ayant été prédestinés suivant la résolution de celui qui opère toutes choses d'après le conseil de sa volonté » Ephésiens 1 : 5,11, version de Genève. (Notons que la version catholique de Jérusalem parle de déterminisme et non de prédestination, ce qui n’est pas tout à fait la même chose). 

Le contexte immédiat de ces phrases (cf. 4), nous parle du projet de Dieu pour l’humain. C’est un projet d’amour qui a pour finalité de faire de nous des fils (et des filles) adoptifs en Jésus-Christ. Peut-on avoir de plus noble intention ? Ce que dit l’apôtre Paul entre en résonance avec le dévoilement de la volonté divine : « voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » 1 Timothée 2 : 3-4, version FBJ. Cette volonté s’était déjà clairement exprimée dans le passé. « Dieu ne veut pas que le méchant meure mais qu’il change de conduite » Ezéchiel 33 :11. Par lui suite le Seigneur Jésus précisera l’objectif de sa mission : « le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » Luc 19 : 10, version FBJ. Alors, question : est-ce que ce projet, voire cette prédestination, entrave ma capacité de choix ? Objectivement la réponse est non !

 

2) « Car ceux que d'avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères ; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés » Romains 8 : 29-30, version FBJ.

Ce texte fait référence dans un premier temps à la prescience de Dieu. Elle est souveraine et incontestable. Dieu sait tout, de plus il est hors du temps. Le passé, le présent et le futur ne forment qu’un. Cela dépasse notre entendement, mais c’est ainsi, sinon Dieu ne serait plus Dieu. Seulement, reconnaissons que sa prescience ne nous gêne absolument pas du fait que nous l’ignorons. Par contre, nous sommes libres d’entrer (ou pas) dans le projet de Dieu. Si son action consiste à m’aider à suivre l’exemple du Christ, c’est loin d’être une catastrophe pour mon libre arbitre.

 

3) « nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait prédestinée pour notre gloire » 1 Corinthiens 2 : 7, version NEG.

Là encore, que Dieu ait pour projet de nous faire franchir le pas d’une autre renaissance, quoi de plus normal ! Non seulement nous ne pouvons que nous incliner devant cette sagesse infinie, mais mieux encore, nous pouvons l’admirer et la faire nôtre. Ne concerne-t-elle pas un avenir glorieux si nous le désirons vraiment !

 

4) « Car en effet, dans cette ville, contre ton saint serviteur Jésus que tu as oint, se sont assemblés et Hérode et Ponce Pilate, avec les nations et les peuples d'Israël, pour faire toutes les choses que ta main et ton conseil avaient à l'avance déterminé (Προ-ορίζω) devoir être faites » Actes 4 : 27-28, version Darby.

Que nous dit ce récit ? Il nous explique que le déroulement du plan du salut a engagé l’autorité de Dieu et que les humains n’ont eu aucun pouvoir à le contrarier. Est-ce que cela a été pour le malheur ou pour le bien de l’humanité ? Seule l’expérience personnelle de la foi peut donner sa réponse. Mais, une fois encore, le plan général de l’histoire, maîtrisé par Dieu, n’entrave à aucun moment notre liberté individuelle.

L’apôtre Pierre résume magistralement l’intentionnalité d’un Dieu d’amour : « Et si vous invoquez comme père celui qui, sans acception de personnes, juge selon l'œuvre de chacun, conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre séjour ici-bas, sachant que vous avez été rachetés de votre vaine conduite qui vous avait été enseignée par vos pères, non par des choses corruptibles, de l'argent ou de l'or, mais par le sang précieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache, préconnu (προ-γινώσκω = la pré-connaissance divine) dès avant la fondation du monde, mais manifesté à la fin des temps pour vous, qui, par lui, croyez en Dieu qui l'a ressuscité d'entre les morts et lui a donné la gloire, en sorte que votre foi et votre espérance fussent en Dieu »  1 Pierre 1 : 17-21, version Darby.

Il faut établir une nette distinction entre l’autorité souveraine de Dieu dont les attributs embrassent le temps et l’histoire (le fait que Dieu soit souverain dans sa création et dans l’acheminement de cette dernière vers un objectif éminemment spirituel relève de sa volonté) et notre liberté individuelle.

Une décision arbitraire de Dieu concernant le salut ou la damnation éternelle est contraire à l’ensemble cohérent de l’enseignement biblique. Soupçonner Dieu de conduire chaque individu à sa guise est un non-sens. Si Dieu est présenté comme un Père aimant, comment imaginer qu’il puisse faire l’économie de notre réponse. La relation d’amour appelle une réciprocité, celle-ci ne peut se concevoir que dans un espace de liberté. Redisons-le avec force et conviction, nous ne sommes pas des pantins dépourvus de conscience, pour lesquels Dieu tirerait les ficelles. Dieu a donné à la vie un sens profond et il nous appartient de le découvrir.

Comme nous le constatons le verbe grec Προ-ορίζω (traduit par prédestiner) n’obère en rien notre liberté, mieux encore, il lui donne les outils pour s’exprimer. Car enfin, à quoi peut bien servir la liberté, si on ne peut l’exercer en toute sécurité. Dieu dans sa bienveillance a voulu nous rappeler le parcours sécurisé de la liberté. Il nous a balisé le chemin avec la perspective d’une relation épanouie. Le décalogue a été donné à cette fin. Dieu a responsabilisé l’humain pour qu’il noue avec lui une relation de confiance. C’est donc un prédéterminisme bienveillant de la part d’un Père.

Il fait partie d’un projet global d’éducation (comme tout parent peut l’avoir pour ses enfants). « Vois, je te propose aujourd'hui vie et bonheur, mort et malheurJe prends aujourd'hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez » Deutéronome 30 : 15, 19, version FBJ.

Josué, le conducteur du peuple d’Israël (après Moïse) qui mènera son peuple en Canaan  (terre promise), sentant sa responsabilité, a engagé le peuple à se déterminer pour ou contre Dieu. Dans un moment solennel, il l’apostrophera en ces termes : « s'il est mauvais à vos yeux de servir l'Éternel, choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir, soit les dieux que vos pères qui étaient de l'autre côté du fleuve ont servis, soit les dieux de l'Amoréen, dans le pays duquel vous habitez. Mais moi et ma maison, nous servirons l'Éternel » Josué 24 : 15, version DRB.

 

Le Christ a épousé la même philosophie existentielle de son Père : « Si quelqu'un veut venir avec moi, qu'il cesse de penser à lui-même, qu'il porte sa croix et me suive »  Marc 8 : 34, version BFC.

Comment peut-on, un seul instant, penser que Dieu ait voulu décider à notre place de notre avenir ! Cette tromperie vient de loin, elle remonte en Eden. Nous sommes des êtres libres, même si nous devons être libérés des esclavages modernes. L’apôtre Pierre a bien saisi le dilemme de l’humain. Son conseil est limpide : « agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu »  1 Pierre 2 : 16, version FBJ. L’apôtre Paul, grand connaisseur des travers humains, conseillera les chrétiens de la Galatie par ces mots : « C'est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l'esclavage »  Galates 5 : 1, version FBJ.

 

Tous ces textes prouvent bien que notre liberté est entière, mais alors pourquoi ces conseils et recommandations ? Parce que l’humain est capable du meilleur comme du pire, il peut relever des défis admirables et sombrer dans la barbarie la plus odieuse. L’apôtre Paul écrira encore de sa propre main : « Frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte de vivre selon la chair ; mais rendez-vous, par l'amour, serviteurs les uns des autres »  Galates 5 : 13, version FBJ. Ne pas faire n’importe quoi, sous prétexte de liberté, les humains l’ont bien compris. Ils ont édicté des lois pour garantir la liberté individuelle et la liberté de conscience. Croire, ou ne pas croire, dépend de chacun et chacune… La liberté est une donnée certes relative, mais intrinsèquement présente dans nos sociétés. Toutefois une liberté débridée fait éclore des marchands de rêves. Des personnes fragiles sont contaminées par toutes sortes de corruptions. L’apôtre Pierre dira : « ce sont des fontaines sans eau et des nuages poussés par un tourbillon ; l'obscurité des ténèbres leur est réservée. Avec des discours gonflés de vide, ils allèchent, par les désirs charnels, par les débauches, ceux qui venaient à peine de fuir les gens qui passent leur vie dans l'égarement. Ils leur promettent la liberté, mais ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption, car on est esclave de ce qui vous domine » 2 Pierre 2 : 17-19, version FBJ.

La liberté chrétienne est une réalité. Elle nous permet de demander à Dieu d’intervenir dans nos existences pour notre bien. Si nous avons cette possibilité, en autres par la prière, il faut admettre la réciproque : laisser aussi à Dieu la possibilité d’influer sur les évènements et même parfois chambouler le cours de nos vies.

 

Conclusion :

 

Faire de Dieu un dictateur qui disposerait d’un droit de vie ou de mort, indépendamment de notre volonté est une grave erreur. Cette contre-vérité abime l’image de Dieu dans la pensée populaire. Tous les textes cités par les partisans du concept de prédestination (1) ne font que faire référence aux attributs propres à Dieu. Que Dieu sache tout, par avance, que sa justice anticipe parfois le jugement final, ou que sa puissance permette d’embrasser la complexité de toutes les situations, quoi de plus normal ! Sinon ce Dieu ne serait pas Dieu… Dieu, notre Père, adresse une invitation à tous les habitants de notre planète, en espérant que chacun réponde positivement  (cf.1 Timothée 2 : 3-4). Ailleurs l’apôtre Paul précisera à Tite : « Paul, serviteur de Dieu, apôtre de Jésus Christ pour amener les élus de Dieu à la foi et à la connaissance de la vérité ordonnée à la piété, dans l'espérance de la vie éternelle promise avant tous les siècles par le Dieu qui ne ment pas » Tite 1 : 1-2, version FBJ.

La vérité est que Dieu nous laisse libre d’être acteurs ou spectateurs de notre vie. Si un jugement final est annoncé, c’est précisément parce que nous aurons été considérés comme libres et responsables de nos actes. Sinon, le jugement serait une sinistre comédie, inconciliable avec un Dieu d’ Amour… Alors, rappelons-nous la signification première du verbe grec Προ-ορίζω.  Il servait aussi à délimiter un terrain de sport. En sport, il y a ceux qui le vivent et ceux qui le regardent, ceux qui sont sur un terrain borné et ceux qui sont dans les tribunes. Ce verbe ne dit pas autre chose. L’invitation inscrite dans la révélation divine est d’une grande limpidité : faire de chacun de nous des acteurs déterminés de leur présent et de leur avenir.

« Aimer un être, c’est le voir comme Dieu a voulu qu’il soit » Fiodor Dostoïevski.

« Lorsque nous cherchons Dieu, l’amour dit : par ici ! » Victor Hugo.

                                                                                

                                                                  Jacques Eychenne

 

  1. ) Matthieu 10 : 29 ; 25 : 34 ;  Luc 10 : 20 ; 12 : 32 ; Ephésiens 1 :  4-5,11 ; 1 Thessaloniciens 1 : 4-5 ; 2 Thessaloniciens 2 : 13 ; 2 Timothée 1 : 9 ; Jean 15 : 16 ; Actes 13 : 48 ; Romains  9 : 15-16, 22-24  etc.

 

 

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