Enquête sur le premier meurtre de l'humanité: Caïn et Abel

 

 

   Enquête sur le   premier meurtre

   Caïn et Abel

   Genèse 4 :1-15

         (1ère partie)

Introduction :

 

Après avoir décrit les origines de l’histoire du monde et de la vie, le récit du livre de la Genèse nous plonge dans l’obscur scénario d’une mort fratricide. Alors que le premier chapitre de ce livre nous avait sensibilisés au fait que « Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici, cela était très bon » Genèse 1 : 31, la suite nous communique des faits moins réjouissants. Adam et Eve sont expulsés du jardin d’Eden. Ils eurent deux fils, Caïn et Abel, et malheureusement, Caïn tua son frère Abel.

Nous allons tenter de mener une enquête pour essayer de comprendre les motivations du meurtrier et s’il peut avoir des circonstances atténuantes. Comme dans toutes les enquêtes criminelles nous interrogerons les proches et nous remonterons certainement jusqu’à Dieu. Est-ce que l’auteur de la vie peut nous donner des explications sérieuses sur la mort et cette mort ?  (La science peut nous expliquer les origines de la matière et même de la vie, elle reste néanmoins muette sur le pourquoi de la mort.) En conséquence, la seule source qui nous permettra de mener l’enquête sera le livre de la Genèse lui-même.

 

Développement :

 

Quand on entreprend la lecture du récit de ce meurtre fratricide, notre première réaction est l’incompréhension. Quel lien peut-il y avoir entre le refus d’accepter l’offrande de Caïn et le meurtre de son frère ? Et pourquoi Dieu accepte l’une et refuse l’autre ? Certains commentateurs ont émis l’idée que la différence de l’offrande justifiait le refus divin. Mais comment un travailleur de la terre peut-il offrir autre chose que le fruit de son labeur ? De même, pour un berger, il était évident qu’il ne pouvait présenter à Dieu que le produit de son troupeau… Par contre, ce qui nous paraît assez clair est que la non-approbation de l’offrande de Caïn est certainement l’élément déclencheur du meurtre. Nous dirions aujourd’hui, que c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. (Observons qu’au départ tout oppose les deux frères, Caïn est l’ainé, Abel est le suivant ; Caïn d’après les étymologies serait l’homme de la possession, Abel signifie fumée, celui qui assassiné disparaîtra sans laisser de progéniture, Caïn serait le sédentaire agraire, Abel l’ancêtre des nomades… mais ses différences ne peuvent justifier à elles seules  le geste de Caïn…)

Observons le texte : Pourquoi  présente-t-il une anomalie ? est-elle  significative ? Caïn est le premier né. Son nom traduit « l’acquisition ». Eve déclare : « j’ai acquis un homme de par l’Eternel » ou « j’ai eu un homme avec IHWH-Adonaï » version Chouraqui, Genèse 4 : 1. Or, si c’est Caïn qui est l’ainé, pourquoi le texte présente d’abord Abel, puis son frère ? « Et c’est Abel, un pâtre d’ovins. Caïn était un serviteur de la glèbe.» idem, version Chouraqui. Quand on connaît l’importance du droit d’ainesse, on ne peut qu’être surpris… Toutefois, tout en considérant que si cela a été présenté ainsi, c’est qu’il y a une raison, cela n’éclaire guère notre enquête pour l’instant. En effet, pourquoi une offrande issue de l’agriculture aurait-elle moins de valeur qu’une autre venant de l’élevage ?  Dans les deux cas, tout part d’une bonne intention puisque les deux frères veulent montrer leur reconnaissance à Dieu.

Pourtant, à y regarder de plus près, les offrandes présentent une curieuse différence. Caïn offre des fruits d’un seul produit et Abel apporte un produit dédoublé : « des premiers-nés de son troupeau et leur graisse ». Pourquoi cette insolite précision : « et leur graisse » ? Selon les critères de l’époque (qui n’ont pas de valeur diététique), la graisse représentait le meilleur de l’animal. On parlera souvent de « tuer le veau gras » (cf. 1 Samuel 15 : 9 ; 28 : 24 ; Psaume 63 : 6 ; Luc 15 : 27 ).  La signification symbolique peut nous conduire à accepter l’idée particulière ? Abel offre à l’Eternel le meilleur de ce qu’il a dans son troupeau. Mais peut-on déduire pour autant que Caïn n’a pas agi de même ?

Examinons de plus près la description des deux offrandes ! Plaçons-les l’une sous l’autre pour voir s’il y a une différence ?

 

Caïn fit venir              des fruits            de la    terre.

Abel fit venir lui aussi  des premiers-nés de son troupeau et leur graisse.

 

La différence apparaît clairement maintenant :

- Caïn présente des fruits de la terre, c’est-dire, plus simplement, le résultat d’un travail accompli, mais sans qualificatif d’implication personnelle

 

Abel présente les premiers-nés de son troupeau et leur graisse, c’est-à-dire, le fruit d’un travail dans lequel il s’est totalement investi. C’est de son troupeau qu’il parle… Ses premiers-nés, que Chouraqui traduit par ses ainés (mot au féminin), ce sont des géniteurs qu’il offre. La différence est encore accentuée, si l’on considère que Caïn offre une semence qui n’obère pas une autre plantation et récolte, tandis qu’Abel va s’amputer de bovins ainés-femelles qui auraient contribué à augmenter son cheptel. De ces observations nous pouvons déduire, sans trahir le texte, que l’implication personnelle de Caïn dans son offrande n’est pas la même que celle d’Abel.

Cela nous renvoie à des situations spirituelles et relationnelles concrètes. L’important est moins ce que l’on offre à YHWH-Adonaï, que l’état d’esprit qui accompagne l’offrande.

 

Les enseignements des prophètes sont édifiants sur le sujet.

« Je déteste, je méprise vos pèlerinages, je ne puis sentir vos rassemblements, quand vous faites monter vers moi des holocaustes; et dans vos offrandes, rien qui me plaise; votre sacrifice de bêtes grasses, j'en détourne les yeux… » Amos 5 : 21-22, version TOB.

« Que me fait la multitude de vos sacrifices, dit le SEIGNEUR? Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j'en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n'en veux plus… Cessez d'apporter de vaines offrandes : la fumée, je l'ai en horreur!  »  Esaïe 1 : 11,13, version TOB.

« On sacrifie le taureau, mais aussi on abat un homme ! On immole la brebis, mais aussi on assomme un chien ! On élève une offrande, mais c'est du sang... de porc ! »  Esaïe 66 : 3, version TOB.

« Samuel dit : L'Éternel trouve-t-il du plaisir dans les holocaustes et les sacrifices, comme dans l'obéissance à la voix de l'Éternel ? Voici, l'obéissance vaut mieux que les sacrifices, et l'observation de sa parole vaut mieux que la graisse des béliers. » 1 Samuel 15 : 22, version de Genève.

 

Si le texte de la Genèse révèle que Caïn n’est pas pleinement présent dans son offrande est-ce une raison suffisante pour expliquer le refus de Dieu ?

Les analyses psychologiques modernes attestent que lorsqu’une personne n’est  pas présente dans ce qu’elle  donne, c’est comme si elle n’avait rien donné. Le donateur qui ne s’implique pas dans son don, attente à la valeur de son don. Un don sans nom est-il encore don ? Tout le Nouveau Testament insiste sur cet aspect déterminant dans la relation à Dieu. Rappelons-nous la phrase de Jésus à ceux qui étalaient tout ce qu’ils avaient fait pour Dieu (et ce n’est pas rien : ils avaient prophétisé, chassé des démons, fait beaucoup de miracles au nom du Christ) :

« Je leur dirai ouvertement : je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité » Matthieu 7 : 23. (ἀποχωρέω = apokoréau, qui a été traduit par « retirez-vous », exprime l’idée non seulement d’une séparation en relation, mais aussi d’une mise à distance. Nous dirions aujourd’hui : je n’ai rien à faire avec vous, dégagez …). L’apôtre Paul tiendra des propos similaires : 

« quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert à rien (οὐδὲν  ὠφελέω = plus litt.  «  Je ne sers à rien ») 1 Corinthiens 13 : 3.

 

Dans notre enquête, pour élucider ce meurtre fratricide, posons-nous la question suivante : est-ce que Caïn a été conscient de ce qui a motivé le refus de son offrande, (élément déclencheur du meurtre de son frère) ? La réponse est non !

Notons d’abord, avant d’analyser son comportement, que Dieu regarde l’offrande en second, Il porte son regard en premier sur la personne de Caïn. Cela en dit long. Ce n’est pas l’offrande qui est importante, mais bien ce qu’elle traduit.  « YHWH-Adonaï ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande » Genèse 4 : 5. Si Dieu n’a pas considéré son offrande, s’il a détourné son regard de Caïn, est-ce pour le punir ou pour lui faire comprendre autre chose ? Dieu a d’abord regardé Caïn avant son offrande, c’est important de le redire. Et, à l’évidence Caïn n’a pas compris l’attitude de Dieu. Il l’a même perçue très négativement comme une différence injuste par rapport à son frère. Sa réaction est significative : « Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu. » idem, v. 5. Dans l’original hébreu, il est dit que Caïn s’enflamme et que ses faces tombent. (« Cela brûle beaucoup Caïn, ses faces tombent » Traduction d’A.Chouraqui). A la décharge de Caïn, reconnaissons qu’il était difficile de décoder le refus de Dieu ! Se méprenant sur lui-même, et se croyant dans son bon droit, Caïn s’est placé dans l’impossibilité de saisir la démarche positive de Dieu à son encontre. (Ouvrons une petite parenthèse dans notre enquête pour nous souvenir des moments où nous ressemblons à Caïn. Quand nous sommes convaincus d’être dans la bonne posture, que nous sommes convaincus d’ avoir raison, et qu’il est hors de question que nous en changions, Dieu peut-il  en tenant compte de notre état d’ esprit, recevoir toutes nos doléances ?)

 

Caïn s’est enflammé, il a perdu le contrôle de la situation, il a perdu la face devant Dieu. En relation, quand on a une telle perception de l’autre, toute communication reste vaine. Elle ne peut que générer conflit, et le conflit pour conduire au meurtre. De plus, ne dit-on pas  que la colère est mauvaise conseillère !  Ah ! Si seulement Caïn s’était davantage interrogé sur sa conception de la relation à Dieu, aurait-il pu percevoir son refus différemment ? Aurait-il pu découvrir un Dieu plein d’amour ? Le sentiment d’injustice a attisé les flammes de sa colère et l’a rendu inapte à percevoir (derrière le refus de Dieu) l’invitation à une relation franche et sincère

 

Malgré tout, ce qui est admirable dans ce récit, c’est l’attitude divine. Dieu vient sur son terrain, il ne le sanctionne pas sévèrement, il ne lui applique pas le principe suivant : « mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure." Exode 21 : 23-25.  Il le questionne sur la furie de son emportement. « L’Eternel dit à Caïn : pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ? » Plus litt. « Pourquoi cela te brûle-t-il ? Pourquoi tes faces sont-elles  tombées ? ».

Dans notre enquête, disons que les questions de Dieu et la réaction de Caïn  nous permettent déjà d’écarter le chef d’accusation de meurtre par préméditation.

Mais revenons aux questions du créateur… Elles démontrent que Dieu n’agit pas en juge mais en thérapeute. Ce refus de l’offrande vide (de lui-même) recouvre-t-il l’aspect d’une sanction, ou dénonce-t-il la méprise de Caïn dans sa fausse présence ? Dieu ne pouvait accepter ce qui induisait une relation posée sur de mauvaises bases.

En creux, Dieu prouve à Caïn qu’il a de l’importance pour lui. Son questionnement rejoint le comportement divin, quand le Créateur questionna son  père Adam en Eden. Le « où es-tu ? » Genèse 3 : 9, révèle un Dieu en recherche d’une vraie relation avec l’humain. N’est-ce pas à cette fin que Dieu l’avait créé ?

« Pourquoi cela te brûle-t-il ? Pourquoi tes faces sont-elles tombées ? ». Ces questions pertinentes ne peuvent s’entendre qu’en regard d’une démarche pédagogique, sinon on pourrait s’étonner qu’un Dieu Tout-Puissant ne connaisse pas les réponses ! L’admirable de la démarche divine est qu’il entretient le dialogue malgré tout. Dieu continue à parler à Caïn. « Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui. »  Genèse 4:7 , version Nouvelle Editions de Genève. (Cette pratique divine se poursuivra inlassablement dans le temps... Dieu ne cessera pas de parler à son peuple ; relire Deutéronome 30 : 11-20).

 

Dieu investit positivement dans sa relation avec Caïn. Ses recommandations sont pertinentes. Si nous devions paraphraser le début de la phrase, nous dirions aujourd’hui : « si tu es bien disposé à mon égard, tu n’as rien à craindre de l’avenir…   Dans le cas contraire, je te préviens ; voilà ce qui risque de t’arriver. » Dieu invite Caïn à aller au-delà de sa colère, de son emportement, afin de mieux intégrer l’enseignement du refus de son offrande.

Sa mauvaise perception de ce refus peut être surmontée. Il peut relever la tête et avancer. Par contre, si son obstination l’emporte, il faut qu’il en connaisse les conséquences. (D’après les spécialistes du texte hébreu le mot « péché » est absent. A. Chouraqui traduit « la faute est tapie… Ce mot dans l’usage des langues antiques ne correspond pas à un manquement à une loi morale. Fauter, c’est tant en Hébreu qu’en Grec : rater la cible, être à côté de l’objectif fixé. Le mot péché, son correspondant grec, est à comprendre dans le même sens ». C’est le verbe qu’emploie David lorsqu’il reconnaît sa double faute d’adultère et de meurtre devant Nathan le prophète de Dieu. 2 Samuel 12 : 13).

 

On peut dire que l’Eternel encourage Caïn à faire le bon choix : lit. « Si tu fais bien … ». Une ouverture est possible pour déjouer le piège de la faute prête à se manifester. Depuis la séduction en Eden, la semence du mal (ce qui s’oppose à Dieu) a été jetée dans le cœur de l’homme, mais Dieu prouve sa bienveillance, en ce sens qu’il a doté l’humain d’un pouvoir de domination sur ce mal. A. Chouraqui traduit : « toi, gouverne-la (la faute tapie) ». Si le mal est près de bondir sur Caïn comme un animal tapi dans l’ombre, ce dernier non seulement peut esquiver l’attaque, mais plus encore  la gouverner (il a la capacité de gérer la situation et laisser le mal à distance). Prévoyant le crime, Dieu lance un dernier avertissement à Caïn, mais peut-il encore l’entendre ? (L’histoire de David nous apprend que la reconnaissance d’une faute devant YHWH-Adonaï permet le dépassement de cette faute, sans pour autant gommer ses conséquences). La reconnaissance d’une faute ouvre la porte au pardon.

Observons que jusque-là, Dieu ne fait aucun reproche ouvert à Caïn, il n’a encore commis aucun acte transgressif. La pédagogie divine est préventive. Dieu l’alerte qu’un intrus se cache avec des intentions malveillantes ( Dieu  « fonctionne » comme un détecteur moderne de présence inopportune).

« Et Caïn parla à Abel son frère; et il arriva, comme ils étaient aux champs, que Caïn se leva contre Abel, son frère, et le tua. »  Genèse 4 : 8, version Darby.

Le « et », reliant à la phrase précédente, démontre que Caïn n’a pas tenu compte de l’avertissement divin. Il a persisté dans emportement, et il est passé à l’action. (Ouvrons une petite parenthèse pour dire que la révolution que le Christ a mise en œuvre repose précisément sur le lien entre la pensée et l’acte. La pensée contaminée par le mal est déjà passage à l’acte, cf. Matthieu 5 : 21-22, 28). En n’ayant pas su gérer sa colère, peu ou prou, Caïn était déjà meurtrier…

 

Conclusion :

 

Nous arrêtons notre première partie de l’enquête à ce moment précis où le meurtre fratricide est acté. Nous examinerons prochainement les conséquences de cet acte et les réactions de Dieu. Nous avons examiné certains mobiles de Caïn, et nous avons trouvé certains indices qui peuvent expliciter sa colère contre Dieu, colère qu’il retourna contre son frère Abel. Les indices que nous avons mis en lumière nous autorisent à dire qu’il n’y a pas eu préméditation dans le geste meurtrier de Caïn. Mais bien d’autres questions restent en suspens. Par exemple, est-ce que ce meurtre s’expliquerait, non directement par le refus de Dieu, mais par des faits antérieurs, liés à l’histoire d’Adam et Eve, donc à de la famille ? Quelle sera la décision de Dieu ? Caïn va-t-il être condamné sévèrement ? Les investigations de l’enquête se poursuivent… A suivre…

                                                                                 Jacques Eychenne

 

 

 

 

 

 

 

 

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