La supplique de la veuve

 

 

 

La

supplique

de la veuve

anonyme

     2 Rois 4 : 1-7

 

Introduction :


La scène se passe au temps du prophète Elisée (9 s. av. J-C.) Il avait reçu le témoin prophétique de la part de son illustre prédécesseur, le prophète Elie. A cette occasion, Elie lui avait dit :

« dis-moi ce que tu veux que je fasse pour toi avant d’être enlevé loin de toi. Elisée répondit : qu’il y ait sur moi une double part de ton esprit. Elie dit : tu demandes quelque chose de difficile. Toutefois, si tu peux me voir pendant que je serai enlevé loin de toi, cela t’arrivera. Sinon, cela n’arrivera pas. » 2 Rois 2 : 9-10 (version Vie Nouvelle, Segond 21)

Il était de tradition, au temps des Rois, d’accorder au premier-né, enfant mâle, non seulement le droit d’aînesse, mais encore une double part de tout son avoir. (cf. Deutéronome 21 : 17) Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’Elisée, se percevant comme le fils spirituel d’Elie, fasse cette demande ! Et, il devint effectivement un prophète puissant en œuvres pour Dieu. Le deuxième livre des Rois nous conte ses miracles spectaculaires (cf. Bible vie nouvelle, Segond 21, éd. 2013, p577). Le premier mentionné nous ramène à notre sujet. Il s’agit de la supplique d’une veuve.


Développement :


D’emblée, le texte nous force à souligner une singularité : cette femme n’a pas de nom. Elle est identifiée comme la femme d’un prophète. Elle avait certainement fait partie de la troupe de prophètes (cf. 2 Rois 4 :38), au temps où son mari était encore vivant (d’ après l’expression du texte hébreu : « d’ entre les femmes des fils des prophètes »). Il faut se rappeler que nous sommes dans le royaume du Nord (Schisme d’Israël en deux royaumes en 930 av. J-C. Un royaume du Nord et un royaume du Sud, peu après la fin de la construction du premier temple de Jérusalem). Une grande tradition prophétique se vivait au travers d’expériences communautaires. (Dans ces écoles de prophètes (cf.1 Samuel 19 : 20), on apprenait à discerner l’origine de l’inspiration. De ce fait, on suppose que les prophètes s’éprouvaient entre eux). Le contexte de ce royaume du Nord n’est pas des plus brillants. Sa chute est déjà programmée. Certes, la dynastie des rois a permis une certaine prospérité, mais il a aussi nourri beaucoup d’inégalités. La situation sociale est plus que préoccupante. Les livres des rois décrivent le processus lent de la décomposition de ce royaume. Comme du temps de Jésus, les gens du Sud, mieux organisé avec un pouvoir bien centralisé à Jérusalem, pensent, que rien de bon ne peut venir du Royaume du Nord. C’est dans cette ambiance que surgit notre récit.


Cette femme veuve crie dans la direction d’Elisée. Sa douleur est grande. Arrivée au terme de son possible, elle ne peut que pousser un cri de détresse, comme on jette une balise Argos à la mer. En regard de la position ancienne de son mari, elle attend certainement un peu de considération. Quel est le contenu de sa supplique : « Ton serviteur, mon mari, est mort, et tu sais qu’il craignait l’Eternel. Or le créancier est venu pour prendre mes deux enfants et faire d’eux des esclaves. » 2 Rois 4 : 1


Cette veuve vit un drame. Ses mots sont lugubres. Ils parlent de mort, de créancier, d’esclaves. Le fait qu’elle souligne que son mari craignait L’Eternel, laisse émerger sa perception d’une certaine injustice. (Il était toléré de vendre un hébreu pour payer une dette, mais cela ne devait pas excéder une période de six ans cf. Exode 21 :2 ; toutefois, l’esprit de la loi était très clair sur l’assistance à porter à l’indigent cf. Lévitique 25 :39-43 ; Deutéronome 15 : 1-15).

L’opposition, entre la fidélité de son mari et sa situation dramatique, nous renvoie à des questions bien actuelles. En un temps où la situation sociale de notre pays est aussi préoccupante, ne sommes-nous pas, nous aussi, traversés par des interrogations analogues ? Ne croyons-nous pas, inconsciemment, que notre attachement à Dieu est comme une garantie tous risques ? Que nous sommes immunisés contre toutes maladies ? A l’ abri de toutes précarités ? Cette femme laisse entendre que c’est bien mal payé que de servir Dieu ? Ne pensons-nous pas la même chose quand les difficultés surgissent ?

A l’évidence, les bienfaits de la fidélité à Yaweh ne se mesurent pas en ces termes…


Non seulement cette femme a perdu son mari, mais encore elle est sur le point de tout perdre. Ses deux enfants sont menacés de servir de monnaie d’échange contre la créance (l’esclavage peut aussi se percevoir ici comme une mort). C’en est trop pour cette femme, devenue veuve, et pour cette mère, sans perspective. Lui enlever ses deux enfants (certains ont traduit ses deux fils) équivalait aussi à sa condamnation à mort. Non seulement il y a là détresse dans la précarité, mais plus encore, danger de perdre tout lien affectif.


En résumé, cette veuve vit dans la privation de son bien-aimé, dans la privation de l’essentiel vital au quotidien, et dans la perspective d’une privation de sa raison de vivre : ses deux enfants (l’utilisation répétitive du verbe vivre est voulue)


Elisée (Nom qui contient le nom de Dieu EL en premier), l’homme de Dieu, va répondre sous forme d’une proposition. On ne sait où se trouve le prophète, mais il est là au bon moment (tout comme Dieu pour chacun). On le ressent paisible et tranquille. Il ne s’affaire pas à trouver une solution en allant dans tous les sens, comme les bénévoles d’association caritatives, les professionnels de la précarité, ou les pasteurs ou curés de paroisse. Il ne s’agite pas, il ne s’en remet pas à une instance supérieure, il n’esquive pas la demande, il s’implique, et pose simplement les conditions de la sortie de crise.


Son intervention part d’une double question :

« que puis-je faire pour toi ? » 2 Roi 4 : 2 (Le Christ a, lui aussi, souvent utilisé le questionnement)

Jusqu’à présent, cette veuve n’a fait que décrire la situation dramatique dans laquelle elle se trouvait brutalement, mais elle n’a pas formulé son besoin. Est-elle en mesure de l’exprimer ? Avant de répondre à notre tour, disons que cette première question devrait nous servir de repère quand nous sommes confrontés à une telle situation de souffrance. Le premier réflexe du prophète n’est pas de remédier instantanément à son problème matériel, mais de lui donner l’occasion de formuler elle-même son besoin.  Les difficultés matérielles masquent souvent des difficultés plus profondes. Ici, cette veuve ne répond pas à cette première interrogation, soit parce qu’elle n’en a plus la force, soit parce que la deuxième question arrive trop vite : « dis-moi, qu’as-tu à la maison ? » 2 Rois 4 : 2 ou «  dis-moi, que possèdes-tu chez toi ? » (Traduction de la T.O.B)


Une fois de plus, la question du prophète interpelle. Elle peut même avoir un petit goût de provocation. Sous un autre angle, l’homme qui parle de la part de Dieu, veut prendre comme point de départ, ce qu’elle possède, autant dire composer avec ce qu’elle a. Mais n’est-ce pas prendre le risque de souligner encore plus sa condition misérable ? La meurtrir davantage ? Après lui avoir donné l’occasion d’exprimer son désir, son besoin, le prophète lui demande de faire l’inventaire de ses avoirs.


Saisissons cette opportunité pour dire que cette démarche est invariable dans la Bible, et plus particulièrement dans l’attitude du Christ. Dieu compose presque toujours avec ce que l’on a (à fortiori ce que l’on est), même si c’est peu, insignifiant ou ridicule. Dans notre récit, c’est encore plus fort : elle n’a plus rien. Autrement dit, elle est allée au bout de son possible pour survivre. Toutefois, après avoir prononcé le « je n’ai rien », elle se souvient d’un petit flacon d’huile. Elle se demande, peut-être inconsciemment, si elle a eu raison d’évoquer ce dérisoire détail…

Sa révélation est significative. Mais, même au fond de son désespoir, elle a encore l’énergie de la dernière tentative. Elle espère envers et contre tout. Et la solution va jaillir, à partir de ce tout petit détail mentionné en fin de phrase.

Que dit-elle : « moi, ta servante, je n’ai rien d’autre à la maison qu’un flacon d’huile» (La Nouvelle Bible Segond). La version T.O.B traduit : «  un peu d’huile pour me parfumer ». (cf. On ne connaît pas la nature de cette huile. Est-ce une huile d’olive courante, ou est-ce une huile de parfum ? Qu’importe !) Le texte hébreu mentionne bien un flacon, c’est donc un petit contenant. C’est à partir de cette dérisoire contenance que le prodige va s’opérer. Dieu compose souvent avec les petites choses de nos existences ! Cela nous renvoie à la première multiplication des pains par Elisée (cf. 2 Rois 4 : 42-44) et nous remet en mémoire la multiplication des pains et des poissons par Jésus. Le Seigneur est parti de ce que possédait un petit garçon : deux pains et cinq poissons pour nourrir une foule entière (cf. Jean 6 :1-14). L’analogie est significative. Elle a valeur de référence. Elle renvoie à cette affirmation : « Rien n’est impossible à Dieu » Luc 1 :37


La grande découverte pour ce jour, consiste à affirmer que Dieu se sert du dérisoire, de l’insignifiant, et parfois ridicule (de ce que l’on possède ou est), pour accomplir des miracles de vie.


Elisée le prophète lui dit : 

« va demander des vases dans la rue, chez tous tes voisins, des récipients vides, demandes-en un grand nombre. Une fois rentrée, ferme la porte derrière toi et tes enfants, verse de l’huile dans tous les récipients et mets de côté ceux qui sont pleins. » 2 Rois 4 : 3-4

D’ après les spécialistes de l’exégèse hébraïque, il y a 7 verbes à l’impératif dans ces versets 4-5. Ils symbolisent la totalité de l’action à réaliser, autant dire, la réponse de la foi face aux promesses divines. L’injonction du prophète, est introduite par un verbe d’action. Il renvoie à une démarche personnelle. On ne dira jamais assez, l’indispensable nécessité de faire une expérience personnelle avec Dieu (et son envoyé Jésus-Christ). La spiritualité ne se vit pas par procuration…


Pour que quelque chose se passe, cette veuve anonyme doit croire à la parole du prophète, sortir de chez elle, aller vers ses voisins et demander ce que personne ne lui a, jusqu’alors, jamais proposé (Il est difficile d’admettre que ses voisins ne connaissaient pas sa détresse ! Même si on ignore où la scène se passe, le territoire ne comprenait que de petites bourgades). La démarche de cette veuve n’était donc pas si aisée que cela ! Croire la parole du prophète était le geste apparemment le plus simple. Mais, aller quémander des récipients vides, chez ceux qui, jusqu’à présent, n’avaient rien fait, ou étaient impuissants face à sa situation, était une gageure. La démarche laisse entendre un parcours d’humilité, de renoncement, et de foi. Dans les pays où la pauvreté sévit, la solidarité est le plus souvent au cœur du voisinage. Pourquoi donc cette veuve anonyme était-elle frappée d’exclusion ? Nous n’avons pas de réponse.

Mais, notons sa démarche positive à bien des égards. Elle élargit son espace en allant vers les autres, malgré son handicap. Elle ne se décourage pas, elle va au bout du bout de sa conviction de femme et surtout de mère. (De nos jours, elles sont nombreuses ses veuves qui survivent avec de tous petits riens, pour faire vivre leurs enfants !) Pourtant, imaginons toutes les questions que sa démarche a suscitées… (Pourquoi as-tu besoin de tant de vases ? Que vas-tu en faire ? Etc.)


Suivant les versions, le texte souligne les caractéristiques de cette collecte : « un grand nombre » de récipients (version Segond 21), « ne te contente pas d’un petit nombre ! » (version Nouvelle Bible Segond), «  le plus (de vases) que tu pourras » (version T.O.B.)

Après la mise en place de cette collecte, le texte poursuit en disant : « puis, rentre, ferme la porte sur toi et sur tes fils et verse dans ces vases ; chaque vase une fois rempli, tu le mettras de côté. » 2 Rois 4 : 4 (version T.O.B)


- La séquence de la collecte est celle qui nous renvoie aux moyens pour accomplir la volonté de Dieu. Il s’agit de suivre scrupuleusement les directives divines, plutôt que d’utiliser nos moyens de fortune. A chaque fois que nous voulons sortir seuls de nos difficultés, le risque d’échecs est plus fort que nos réussites.


- La séquence de la porte refermée montre à quel point l’intimité est nécessaire. La curiosité ou le voyeurisme n’ont pas leur place dans les relations personnelles avec Dieu. Jésus utilisera la même expression en parlant de lintimité de la prière (cf. Matthieu 6 :6).

De plus, l’idée de protection des enfants peut aussi être déduite.


- Regardons maintenant la séquence du versement du liquide dans les récipients, très certainement des vases… Là, nous sommes en présence du geste de la foi. Il est folie aux yeux de tous les rationalistes ou incrédules. Transférer l’huile de son petit flacon, par son petit goulot, dans les vases, non seulement prend du temps, mais sollicite pleinement la foi. Imaginer que l’écoulement serait semblable à une source inépuisable pour le remplissage des vases, est inexplicable ! De même, croire que le sacrifice du Christ, nécessitant l’écoulement de son sang, puisse nous sauver relève de la même folie. L’apôtre Paul le dira très clairement (cf. 1 Corinthiens 1 : 18,21) Notons que les enfants sont associés à la foi de leur mère. Ce sont eux qui présentent les vases, et c’est la maman qui verse... Belle image de la solidarité de la famille en période de détresse !

Puis, au dernier récipient, l’huile s’arrête de couler. L’information est de suite transmise au prophète. Ce dernier déclare alors : « Va vendre l’huile et paie ta dette. Tu vivras, avec tes fils, de ce qui restera. » 2 Rois 4 : 7


- La dernière séquence nous parle d’une dernière action à mener. Notre veuve anonyme doit aller vendre son huile. Certes, c’est une nécessité pour le remboursement de sa dette, mais au-delà, c’est aussi pour celle qui a été frappée d’exclusion, l’occasion merveilleuse de raconter ce que Dieu a fait pour elle et ses enfants. Cette dernière action démontre que Dieu ne fait pas tout en agissant à notre place. Il compose avec ce que nous sommes en mesure de réaliser.

Nous étions au début du récit dans la souffrance et le manque, à la conclusion, nous sommes dans l’abondance et la joie. Le récit parle, dans cet épilogue, de vie en famille.


Conclusion :


La Bible recèle de tels récits concis, profonds, sensibles, symboliques, dans lesquels chacun peut puiser réflexions, émotions et bienfaits. Celui de la veuve anonyme fait partie de ces perles de grands prix. Il n’y a ici, ni mise en scène spectaculaire, pas le moindre rituel, ni même prière, aucun show affirmant la puissance de Dieu aux yeux de tous. L’héroïne est même anonyme. Le récit révèle un Dieu intimiste, sensible et attentionné. Dieu agit par le service discret d’Elisée, il agit avec beaucoup de pudeur et de respect… Ce n’est pas le miracle de la parole, c’est avant tout celui du dialogue. C’est au cœur de nos quotidiens que l’on peut rencontrer Dieu et être témoin de tel miracle. Cette veuve a dit oui à la vie, et non à la mort.

Puissions-nous, à l’instar d’Elisée, dans nos quotidiens, être des passeurs de paroles d’espoir, attentifs et non spectateurs de la souffrance d’autrui. Pour le moins, établissons des ponts de dialogues avec ceux qui n’ont plus que leur cri. Soyons solidaires pour faire renaître l’espoir partout où cela est possible, mais simplement, naturellement, humblement et discrètement.

                                                                                      Jacques Eychenne

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