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Les leurres de la liberté Exode 16 : 1-4 Nombres 21 : 4-5 |
Introduction :
Le peuple d’Israël a vécu des moments exceptionnels, mais son histoire révèle aussi des choix difficiles. Ils nous interpellent toujours de nos jours. De quoi s’agit-il ? Faut-il préférer la servitude, comme le peuple d’Israël l’a connue en Egypte sur les rives prospères du Nil, ou la liberté dans un désert aride et brûlant ? Est-il plus confortable d’être sous une domination étrangère sans manquer de rien, que de vivre dans la liberté avec le dénuement ? Dilemme apparemment cornélien entre une liberté sans moyens ou des moyens sans liberté ?
Sur ce sujet, le parcours de ce peuple d’Israël est instructif.
Résumons la situation que nous allons aborder : Dieu a pris en compte la souffrance de son peuple sous domination égyptienne. « L'Éternel dit : J'ai vu la souffrance de mon peuple qui est en Égypte, et j'ai entendu les cris que lui font pousser ses oppresseurs, car je connais ses douleurs. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens, et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays où coulent le lait et le miel… » Exode 3 : 7-8, version LSG.
Et pourtant, presque la totalité de ce peuple a refusé la liberté que Dieu lui proposait. Les israélites n’ont pas cessé de regretter le temps où ils étaient dans le confort, sinon matériel, du moins alimentaire. Ils conservaient le goût des bons petits plats égyptiens riches en légumes. Les rives verdoyantes du Nil contrastaient avec l’aridité du désert dans lequel l’aventure spirituelle les menait. De ce fait, les murmures, contestations et rébellions ont commencé à émerger de cet océan de sable, de roches et de cailloux. La parole de ce peuple s’est révélée faconde…
« Et toute l'assemblée des enfants d'Israël murmura dans le désert contre Moïse et Aaron. Les enfants d'Israël leur dirent : Que ne sommes-nous morts par la main de l'Éternel dans le pays d'Égypte, quand nous étions assis près des pots de viande, quand nous mangions du pain à satiété ? Car vous nous avez menés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude. » Exode 16 : 2-3, version LSG.
Ce peuple, pourtant témoin oculaire des prodiges de Dieu à son égard, n’a fait qu’exprimer le regret d’avoir quitté sa situation antérieure. Elle n’était pourtant guère à envier. Il faut croire que cette liberté retrouvée lui laissait un gout amer. La litanie des revendications en fait la démonstration. La nostalgie du passé a fait partie du voyage…
« Ils partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer Rouge, pour contourner le pays d'Édom. Le peuple s'impatienta en route, et parla contre Dieu et contre Moïse : Pourquoi nous avez-vous fait monter hors d'Égypte, pour que nous mourions dans le désert ? Car il n'y a point de pain, et il n'y a point d'eau, et notre âme est dégoûtée de cette misérable nourriture. » Nombres 21 : 4-5, version LSG.
La question de la vraie liberté est donc posée. Est-elle mirage, ou peut-elle être une réalité ? Pourquoi le choix du peuple était moins aisé qu’on ne le croit ? Actualisons maintenant le sujet.
Développement :
Le choix entre la liberté et l’esclavage paraît, à première vue, très simple, mais n’est-ce pas oublier que sans être derrière des barreaux, nous sommes tous en liberté relative sans nous en rendre compte. De plus, tout dépend aussi de ce que l’on met derrière le mot liberté. Les attraits de l’Egypte ancienne peuvent très bien s’actualiser :
Toutes les analyses de la psychanalyse à la psychiatrie moderne nous indiquent que nous sommes tous prisonniers, sans pour autant être confinés en prison. Est-il besoin de rappeler combien sont dépendants de toutes sortes de drogues ou de boissons alcoolisées ? Sans aller dans ces extrêmes, pouvons-nous affirmer que nous échappons à toutes les manipulations, à tous les conditionnements publicitaires et politiques, à la désinformation des médias sur les sujets brûlants, aux mensonges de toutes natures.
Dès lors, est-ce que le concept de liberté n’est pas un mirage ? Nous pouvons vivre au grand air, tout en étant prisonniers d’addictions variées. Elles concernent l’argent, le jeu, le sexe, la nourriture, les idéologies agressives, la religion, le sport, les loisirs… Qui peut penser être réellement libre ? N’est-ce pas le boniment le plus fallacieux ?
Et que dire des aliénations ? Tout ce qui nous dépossède d’un équilibre de vie nous piège dans une conception erronée de la liberté. Dans la pensée populaire, n’est-elle pas, dès lors, comme une publicité subliminale pour nous rassurer ? Cet idéal philosophique, tant chéri des peuples, n’est-il pas en conflit permanent avec le réel de nos quotidiens ?
Assurément l’expérience du peuple d’Israël, à sa sortie d’Egypte, nous recadre dans le difficile choix de la vraie liberté. Et c’est précisément à partir de la question sur la nourriture que la question de la liberté s’est posée. On revient au sujet de l’Eden.
Les israélites ont réduit la liberté à des pots de viande et du pain à volonté. Une façon de dire : « quand j’ai le ventre plein, je suis libre ! Quand mon âme est dégoûtée de cette misérable nourriture, je préfère la mort. » Pourtant le pays d’Egypte n’avait-il pas été appelé la maison de servitude ? « Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude. » Exo 20 : 2, version LSG.
Où donc trouver des repères fiables pour progresser dans la compréhension d’une liberté digne de ce nom ? C’est là, que pour les croyants, les paroles de l’apôtre Paul prennent un relief particulier :
« C'est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude. » Galates 5 : 1, version LSG.
La liberté peut-elle être un leurre, quand on n’a pas défini ce qu’elle est, et où elle nous conduit ? De même, toutes nos chères possessions peuvent être un piège, quand elles nous possèdent et nous engluent.
Pour le chrétien, la question est tout autant problématique : le choix entre les pots de viande de l’Egypte avec une nourriture variée (mais en situation d’esclave) sur les bords riants du Nil, et un plat de manne, chaque jour pareil, dans un désert aride (mais libre) ne s’impose pas à première vue. De même, aujourd’hui, même sur un plan spirituel, le choix entre une vie confortable, avec un Dieu lointain, et une aventure de foi où rien n’est définitivement acquis, et où chaque jour est combat, n’est pas toujours évident. Et, de même que les israélites auraient voulu sortir d’Egypte tout en conservant tous les bons petits plats, de même nous voulons bien servir Dieu, mais sans être privé de toutes les bonnes choses de la civilisation moderne. Nous acceptons volontiers les bénédictions divines, mais pas les épreuves de la vie. A vouloir tout, sous le couvert de la liberté, on peut s’égarer en chemin… De plus, en redéfinissant la liberté comme l’absence de tout interdit, on risque de ne plus discerner ce qui est essentiel et vital, et par extension le bien et le mal.
La vraie liberté n’est pas, contrairement à la pensée commune, le choix entre le bien et le mal. Dans la Bible, elle se définit comme le rejet du mal et l’adhésion au bien. Mais à l’évidence, l’humain n’arrive pas à entrer parfaitement dans ce projet.
Comment dès lors progresser vers la vraie liberté ? Permettez-moi d’illustrer le propos.
Un jour un enfant fit tomber sa pièce d’un euro dans un bocal à petite encolure. Ne voulant pas perdre la pièce qui lui paraissait précieuse, l’enfant entra sa main, saisit la pièce, puis essaya de la sortir du bocal. Malgré plusieurs tentatives l’enfant n’arriva plus à la retirer. Il fit plusieurs tentatives, mais en vain. Devant cette situation, il se mit à pleurer et appela sa maman. Très vite la maman trouva la solution. Elle lui dit : « mais tire ta main du bocal doucement et tout ira bien ». L’enfant répliqua « mais maman, je ne peux pas ! ». « Mais pourquoi ne peux-tu pas et tiens-tu ton poing serré ? Mets ta main droite et elle sortira facilement » poursuivit la maman. Alors, naïvement l’enfant répondit : « Mais maman, je ne peux pas, sinon je vais perdre mon euro ».
Cette petite histoire illustre notre problématique face à la liberté. Comment résoudre la nécessité d’un lâcher-prise dans bons nombres de circonstances ? Reprenons l’histoire de cet enfant …
Dès lors, on s’aperçoit que le choix de la liberté a un prix non-négligeable à payer. La difficulté provient du fait que nous ne voulons rien perdre, ni rien abandonner. Du coup, on se construit une petite liberté sur mesure. En faisant un effort de lucidité, nous découvririons que la vraie liberté est une vérité intérieure. Pour mieux la vivre, la Bible nous renvoie à la nécessité d’une aide extérieure.
« Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres. » Jean 8 : 36, version LSG.
Ce texte de l’apôtre Jean nous est fort utile à plus d’un titre.
Il traite la question du choix de la liberté en profondeur. Pour nous, croyants, la liberté n’est pas seulement intérieure, elle est aussi spirituelle. Elle relève de la foi. La phrase est conditionnelle. Le « si » laisse la porte ouverte à l’acceptation ou au refus. S’il y a acceptation, le fait que seul le Christ peut nous libérer est incontournable. La foi permet d’en faire l’expérience, mais attention ! Rien n’est magique, ni simpliste. L’apôtre Paul nous rappelle l’origine du problème de la liberté.
« Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité - non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise - c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu » Romains 8 : 19-21, version FBJ.
Comme nous l’avons vu en Galates 5 : 1, Paul affirme que c’est pour la liberté que Christ nous a affranchis.
Dans l’expérimentation de la vraie liberté, il convient d’acter le fait que sans l’aide de Dieu, nous ne pouvons pas être réellement libres. Par contre, si nous acceptons la proposition divine, la phrase se conclut par une affirmation : « Vous serez réellement libres » (ὄντως = ontos, l’adverbe est explicite. Il peut être traduit par : vraiment, dans la réalité, en fait, ce qui est vrai).
Cette aventure prodigieuse - de tendre vers cette liberté - est semée d’embûches de toutes sortes. Contrairement à la pensée populaire qui envie ceux et celles qui ont la foi, rien n’est totalement, ni définitivement acquis dans un chemin de foi. Le Seigneur Jésus a déclaré « plusieurs faux prophètes s'élèveront et en séduiront plusieurs : et parce que l'iniquité prévaudra, l'amour de plusieurs sera refroidi ; mais celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé » Matthieu 24 : 11-13, version Darby.
En d’autres termes, pour se positionner sur le chemin de la vraie liberté, il convient au préalable d’avoir fait le point pour soi et en soi. Le bon choix suppose :
-a) d’être au clair sur sa véritable situation d’esclave dans l’Egypte de notre modernité.
-b) d’avoir le désir de sortir de cet emprisonnement multiforme.
-c) d’accepter la solution préconisée par Dieu au travers de son Fils.
-d) de demander à Dieu de nous aider et de lui faire confiance.
-e) d’avoir le désir et la volonté d’œuvrer avec Dieu en le laissant agir en nous.
-f) de persévérer dans cette direction, quoiqu’il nous en coûte.
Développons succinctement :
a) Être au clair sur sa véritable condition : Les Israélites pouvaient se déplacer, ils avaient une relative liberté de circulation, mais pourtant ils n’étaient pas libres. Ils ne pouvaient pas réaliser leur propre projet. Ils devaient satisfaire les exigences des Egyptiens. Notre liberté a-t-elle l’espace d’un confetti dans notre cœur et nos projets ?
b) Avoir le désir de sortir de l’emprisonnement : l’expérience du peuple d’Israël montre à l’évidence que cette sortie d’Egypte ne s’est pas imposée par une volonté populaire. Chaque individu, dans chaque famille a dû se positionner face au projet divin. Dieu n’a forcé personne à sortir d’Egypte. Il agit de même aujourd’hui. Ceux et celles qui n’expriment pas
le désir de sortir de l’esclavage moderne peuvent être rassurés. Dieu respectera leur choix.
c) Accepter une aide extérieure, après avoir pris conscience de ses limites, n’est jamais chose aisée. Ce que nous faisons naturellement pour notre santé physique, pourquoi ne pas l’expérimenter sur un plan plus spirituel ? Pourquoi ne pas consulter le grand médecin des âmes ?
d) Demander à Dieu de nous aider relève de la démarche de foi. Elle présuppose la confiance. C’est la confiance qui crée les conditions d’une saine relation. Ce que nous faisons avec les humains, pourquoi ne pas l’expérimenter avec Dieu ? Nous n’avons rien à perdre et tout à y gagner.
d) Quand la relation avec la transcendance divine est posée paisiblement, on éprouve le besoin de l’entretenir. Ne faisons-nous pas de même dans la relation avec notre meilleur ami ? La confiance ayant banni toute crainte, la libération devient un bienfait à savourer au quotidien.
f) Quand on a goûté à quelque chose de bon, n’a-t-on pas envie de reproduire cette satisfaction délicieuse ? La persévérance s’impose naturellement.
Conclusion :
Le concept de la liberté est plus complexe qu’on ne le pense. Les contrefaçons sont légion. La libération définie par la Bible, même si elle ouvre tous les champs du possible, relève d’une expérience essentiellement personnelle.
Les sirènes de l’Egypte modernes sont toujours présentes. L’attraction du bien-être matériel reste puissante. Tout finit par se traduire en matière de « business ». Les relations sont faussées par la dictature du profit. Comment échapper à tous ces jeux de pouvoirs ?
Si l’on veut donner du sens au mot liberté, il nous faut repenser la relation à l’humain. De quel côté diriger nos recherches ? Le tableau désastreux que nous offre le monde devrait suffire à orienter nos questionnements vers plus de spiritualité, même si là encore, il y a des précautions à prendre.
Le message du Christ peut nous aider à découvrir les secrets de la véritable liberté, celle qui réside au fond du cœur, et nous ouvre des espaces de bonheur. Mais cette inestimable liberté est une quête permanente. Rien n’est facile, rien n’est définitif.
Nous voulons en général concilier les pots de viande de l’Egypte avec la manne du désert, mais ce n’est pas possible. Nous voulons tout, sans renoncer à rien. Alors, au risque de tout perdre, faisons le pari positif de refuser de se laisser mettre sous le joug de toute servitude.
« Vous, frères, c'est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres » Galates 5 : 13, version TOB.
« Parlez et agissez comme des gens qui doivent être jugés par une loi de liberté » Jacques 2 : 12, version FBJ.
« La liberté intérieure est un idéal à conquérir, qui ne dépend pas de la société environnante, mais de soi » Hélie de Saint Marc, écrivain, officier de l’armée française, et résistant.
C’est ce qui a poussait L’apôtre Paul à écrire aux chrétiens de la ville de Philippe :
« Pour moi, vivre, c’est Christ » Philippiens 1 : 21, version TOB.
Jacques Eychenne
PS : LSG, version Louis Segond, éd. 1982 ; FBJ, version Française de la Bible de Jérusalem ; TOB, version traduction Œcuménique de la Bible.